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- Un jour d'orage, Ashtapurr parcourait Drayame à la recherche de choses à étudier. Racontes sa première rencontre avec une bande de démons particulièrement belliqueux et absolument pas portés sur le culte de la connaissance !
Ah, l'hiver ... Peste soit de l'hiver ! Non, Asthapurr n'aime pas l'hiver. Pas le moins du monde. Plus depuis l'Hiver Éternel qui décima en partie son peuple. Avec les épinards, l'hiver est une chose qu'il se refuse à aimer. Mais - parce qu'il est toujours opportun de placer un mais dans une négation aussi virulente - il ne détestait pas tout ce qui avait trait à l'hiver. Prenez la neige par exemple, ou plus précisément, les flocons. c'est beau, infiniment varié, magnifiquement agencé, techniquement sublime ... mais ce n'est point là le sujet qui nous occupe pour l'heure.
Pour placer le contexte, afin que vous compreniez ce qui va bientôt se dérouler sous vos yeux, il nous faut circonstancier le temps et l'espace de ce moment. Je le disais donc, nous sommes en hiver. Précisément à la fin de l'hiver doux de l'année 110, au début du mois de Silldalunà. Il faisait ce matin un temps lourd pour la saison et nuageux, et pour ne rien gâter, le vent de la côte en a ramené un noir et gros cumulonimbus qui finit actuellement d'étendre sa maudite ombre sur l'endroit qui nous intéresse. Ce lieu n'est autre qu'un petit pan de l'immense forêt de Drayame, le royaume des délicats elfes. Présentement, nous ne sommes pas loin de la lisière qui tend sa pointe vers la capitale des hommes. A quelques lieues, si vous voulez de la précision.
Et là, à quelques pas sous les branchages épais de ce gros arbuste piquant, oui là, cette chose verte, poilue, qui semble chercher quelque chose ente la neige et les racines, voilà notre Asthapurr. Oui bon, là on n'en voit que le postérieur gigoteur, il faut un peu imaginer ... mais ne vous en faites pas, l'animation va vite arriver, car il ne le sait pas encore, mais viennent dans sa direction une petite troupe de démons, les sbires du tristement célèbre Aile Ténébreuse, chargé d'une odieuse mission ... mais chut ! il pourrait nous entendre, et nous ne devons point intervenir !
Comme je le disais, Asthapurr est donc en train de se donner corps et âme à sa recherche perpétuelle de sujet d'étude. La grive qu'il observait ce matin l'ayant odieusement planté là, après la collation de la onzième heure, il a un large espace cérébral disponible à occuper ... Ou alors ... Oh mais oui, regardez ! Ah, quel petit bougre de gourmand ! Ce n'était point un sujet d'étude qu'il cherchait, mais bien un petit gueuleton pour combler son appétit jusqu'au soir. Des baies d'hivers ! Ah, il savait où chercher, à n'en point douter. Vous voyez là l'avantage à étudier le monde et à tout noter : pour peu que votre mémoire soit parfaitement exercée et prompte à réagir, vous pouvez survivre dans la nature, à condition d'être débrouillard et d'abord bon sens et jugeote. Et cet Ilwynog là n'en manque pas !
Mais revenons à nos moutons enneigés ... Asthapurr est donc en train de se délecter d'un bon goûter et ne se doute encore de rien. Loin encore, mais qui ne tarderont pas à se faire entendre pour les oreilles attentive de notre presque matou, les démons progressent. Puisque nous en parlons, laissez-moi vous expliquer la raison de leur cheminement : le feu. Oui, le feu. Brûler Drayame ... si c'est pas honteux ! mais ne nous emportons point, nous ne sommes que les spectateurs désarmés. Continuons.
Je vous le contais tantôt, un gros nuage d'orage faisait sa place au-dessus de la scène : il est à présent bien là où il est et se tortille dans tous les sens pour asticoter ses compères tout autour. Là, regardez ! Bel éclair n'est-ce pas ? Et ce n'est qu'un cumulonimbus débutant ! Oh, et ce tonnerre grondant sourdement, faisant vibrer sols et frondaisons. Oui Asthapurr, tu as raison de lever la tête de ta collation pour dresser la tête vers le ciel et en scruter ce que les arbres te laissent voir. oui, chers démons, vous avez bien fait de bien vous couvrir, mais vous serez tout aussi trempés que la forêt quand le nuage pressera son eau sur vous. Tenez bien vos torches !
Rapidement le ciel se zèbre de lumière bleuté, et l'atmosphère se fait lourde et moite, de plus en plus, et bientôt l'électricité statique emplie l'air et ... Oh, que c'est amusant ! Regardez, regardez ! Asthapurr a les poils qui se dressent vers le ciel ! Ha ha, qu'il est drôle ! Oh, ça ne semble pas lui plaire, voyez comme il tente de faire entendre raison à son pelage, voyez comme il le lisse ! Hum, ça l'énerve. Remarquez, à sa place nous ferions semblable mine empourprée. Tiens, il laisse tomber. Que peut-il y faire de toutes manières ? Et puis à se démener ainsi il a par ailleurs empiré les choses ... Ou est-ce simplement l'orage qui se fait plus fort ?
Ah mais oui, regardez, pas loin de sa position le vent se met déjà à souffler. Les arbres sont balayés, la neige tourbillonne au sol qui par endroit peut à nouveau respirer de toutes ses forces hibernantes. Les oiseaux ne volent plus, les animaux se cachent, se pelotonnent, s'abritent. La forêt est en émoi. La forêt a peur. Et vu la lumière dansante des torches des démons qui toujours avancent vers Asthapurr, sans encore le voir, la forêt devrait avoir doublement peur ! Asthapurr aussi, mais comme il est encore trop occupé à ramasser un de ses carnets qui vient de tomber dans une mare de boue à moitié gelée, et qu'il s'évertue à le nettoyer, il tourne évidemment le dos à la direction dangereuse ...
Zut, flûte et mute ! Mon beau croquis, abîmé j'ai ! - ah oui, je ne vous avais pas dit, Asthapurr a une façon très ... personnelle ... de s'exprimer -
Et voilà, tout refaire, devoir je vais ... pfff ...En effet, à tant astique son calepin, la feuille en est chiffonnée, et les traces de graphite, par le truchement de l'eau, s'est étalé d'une façon pour le moins disgracieuse et peu académique - mais que d'aucun jugerait artistiquement habile. C'était, quoiqu'il en soit, plus proche d'une grosse tâche noire et marron que de l'articulation des membres des araignées du coin qui ornait fièrement la page quelques minutes plus tôt. Dépité et las, Asthapurr gratifie donc feu son oeuvre d'un soupir désabusé, ferme son carnet et le fourre dans son escarcelle. C'est pile le moment que choisit un des démons pour faire craquer sous son large pied quelques brindilles miraculeusement sèches. Eux n'y prêtent nullement attention, mais les oreilles sensible de l'Ilwynog le perçoit immédiatement. Et lui fait faire volte face.
Corneguidouille ! Que donc cela est ? Tout seul, être je croyais ...Vif comme le félin dont sa race est si proche, Asthapurr se faufile entre les arbres et arbustes et s'approche sans bruit de la d'où venait le bruit. Et ce qu'il voit ne peut lui donner autre chose que l'envie de se carapater ailleurs, genre à l'opposé, si vous voyez ce que je veux dire ... Toujours est-il qu'il est à présent très près et peu observer à loisir les démons, tous plus laids et effrayants les uns que les autres, qui commence à faire enflammer les hauts branchages. Et dans la tête d'Asthapurr, les choses ne font qu'un tour : le feu, il l'a étudié, et il sait que si au sol ça partira difficilement à cause de l'humidité et de la neige, qui bien qu'éparse est tout de même bien présente, mais il reconnaît que les branches, surtout celles pourvues de feuillages persistants, sauront danser avec vigueur avec les flammes. Déjà des fumerolles enrobent le bois en volutes graciles. Le bois craque. Mais pas celui auquel on pense ...
Car c'est Asthapurr qui vient de marcher sur une branche morte, bousculé par une bourrasque, tandis que le vent se fait plus fort. L'orage gronde, de plus en plus fort, et non loin le nuage se perce déjà. Bientôt les flots du ciel se déverseront sur Asthapurr et sur cette bande d'idiots qui auraient mieux fait de consulter un voyant avant de venir. Non mais vraiment, vouloir incendier une forêt alors qu'on annonçait un temps orageux et des averses pour la soirée, faut-il être bête !
Mais pour l'heure, ce n'est point le temps qui les intéresse, mais plutôt ce petit intriguant qui les espionne sans vergogne. Et à l'instant, ce qui préoccupe Asthapurr est de trouver comment se dépêtrer de ce pétrin. Se battre ? Oui, tout à fait, à une demi-portion de cinquante et huit centimètres contre ... un, deux, trois, quatre ... SIX ! contre six démons grands et forts ... non non non ... Fuir .. Oui, fuir c'est bien ... Mais vers où ? Et puis quand bien même il trouverait une direction, vu la taille de ses futurs poursuivants, ils auront tôt fait de le retrouver et de le cuisiner ... rôti, à la broche, en croûte, en cocotte ... Hum ... Oui, je vous rappelle qu'au début de cette histoire, Asthapurr tentait de se sustenter, rien d'étonnant donc que même à un moment crucial de son existence, phénomène explicable par le soudain stress qui l'assaille, il pense à de la nourriture, même si en l'occurrence, la nourriture c'est lui dans son pire scénario ...
Mais là, ce n'est plus le temps de tergiverser, petit Ilwynog ... car alors que zèbre de blanc un majestueux éclair et que se déchire le ciel par son grondement, et que le vent fait craquer les essences les plus solides de la forêt, alors que son pelage devient toujours plus hirsute et même que l'humidité lourde le fait petit à petit frisotter - pour ne pas dire franchement friser - Asthapurr voit quatre démons parmi les six se lancer dans sa direction ... armés, comme de bien entendu ...
Corneguidouille ! Mourir je vais ! Mourir je vais ! clame-t-il alors qu'il prend ses petites jambes à son cou duveteux. La panique pure se lit dans ses yeux, ses oreilles s'agitent en tous sens, son poil se hérisse d'autant plus ... Oui, là, clairement, c'est réellement une boule de poils. Une boule de poils verte qui se dirige vers les trombes de pluie qui avancent à contresens ! Vous voyez venir la blague, je suppose ? Et oui, je ne vais point vous mentir : en moins de temps qu'il ne faut pour moucher la morve de son nez, Asthapurr passe ainsi donc de l'hirsute tas de poil à la serpillière détrempée et usée. C'est ... grandiloquent.
Grmmmblgr ! maugrée-t-il dans son collier dégoulinant.
Au pas de course, mais sans se fouler beaucoup, les autres ne sont plus très loin, et même si leur champ de vision est quelques peu flou et aqueux, ils arrivent. Mais point de relâchement chez Asthapurr : il court, il court l'Ilwynog, toujours et encore, encore et toujours. "La peur parfois un moteur est", pense-t-il tandis qu'il sent l'étau se resserrer sur son destin. Tragique fin que ce serait s'il venait à mourir ici et ainsi, alors même qu'il n'a qu'à peine fini la première moitié de son deuxième siècle. Non, ce serait trop cruel. Vous vous en doutez, si sa légend nous parvient encore, c'est que le petit être futé a survécut. "Mais comment donc ? racontes-nous !" me direz-vous ... j'y viens, j'y viens !
Ne vous rappelez-vous donc point, comme je l'ai conté dans son histoire, qu'il y avait dans cette forêt un être tout aussi facétieux qu'Asthapurr rencontra et fit son amie ? Et que font les amis quand nous sommes en danger ? Ah, voilà, vous commencez à comprendre !
Alors qu'Asthapurr désespère entre sa vie qu'il sent bientôt à son terme et son pelage tout ruiné et dégoulinant, un petit cri strident lui parvient dans les oreilles. Un petit cri qu'il connaît par cœur et qui, dans le tumulte de la fuite, lui donne de l'élan et de l'ardeur. Un petit cri couvert, pour les démons, par l'assourdissant tambourinage de la pluie qui se fait plus dure encore. La neige devient eau, l'eau devient ruisseaux. Elle coule au sol et se fond avec lui. Et si l'agilité et les petites pattes d'Asthapurr l'aident à ne point s'en laisser embêter, les démons eux s'ne plaignent et de démènent. Voilà de quoi les ralentir et redonner espoir au fuyard !
PLOUFOh oh, comme c'est amusant, regardez ce démon incapable qui vient de plonger la tête la première dans cette énorme flaque, là, dans le creux, juste après la racine géante ! Bon, ils sont toujours trois aux trousses de notre petit ami, mais si vous observez, à travers le rideau d'eau, là-haut dans les frondaisons éparses, vous verrez, ruisselant elle aussi mais fière comme un poux de pouvoir tout de même voler - mais pas vraiment rassurée à cause des éclairs - une drôle de petite créature. Vous ne rêvez point, c'est bien Pêche, la chachouan d'Asthapurr, qui le cherche pour le sauver. Ah, elle vient de le louper ... Là, voilà, elle l'a vu ! En même temps, à force qu'il gesticule et saute partout tout en fuyant, elle aurait finit par le trouver tôt ou tard. mais dans notre cas, tôt vaut mieux que tard, de fait ...
Nididioufffff ... pfff ... A une touffe de poils, fait j'étais ! crie-t-il alors que le démon qui l'avait presque atteint peste et peste à en perdre haleine.
Oui, Asthapurr, a une touffe de poils près, et tu était fait comme un rat ! Que d'aventure. Ah ça, on ne l'y reprendra plus à courir la forêt les jours où l'orage est annoncé. Non mais, vous avez vu son pelage ? Il va lui falloir au bas mot trois jours de soins intensifs pour rattraper ça !