L'Académie... haut lieu de la culture mondiale. Un établissement d'enseignement réputé pour sa réussite, sa droiture et la richesse des connaissances qui y étaient enfermées. Ici, on enseignait la magie. Cette art mystique dont la maîtrise d'une seule de ses arcanes requiert bien plus qu'une vie d'apprentissage et d'entraînement. De mémoire d'homme, très peu d'élus ont, un jour, réussis à en apprendre suffisamment sur elle pour pouvoir affirmer la maîtriser. Elle peut être qualifiée d'indomptable, avec raison. On ne sait guère comment ces prodiges ont réussis leur coup mais il est certain qu'on peut attendre très longtemps avant d'en voir un autre apparaître.

C'est dans ce prestigieux domaine que travaillait Joseph McCrannium. Un professeur qui enseignait l'art de la botanique magique, ou pas d'ailleurs, à ses élèves. Il connaissait les secrets des plantes comme nul autre. Puisant son savoir chez les elfes qu'il aidait de son mieux et qui le lui rendaient bien. C'était un homme plutôt grand, aux cheveux poivre et sel, aux traits sévères mais au visage bien souvent orné d'un sourire chaleureux. Plus particulièrement lorsqu'il s'adressait à ses élèves. Il aimait son métier, pour sûr, mais bien souvent il aurait aimé avoir plus de responsabilités. Mais bon, on ne peut pas tout avoir.

Aujourd'hui, le vieil homme était assit devant son bureau, à commencer la rédaction d'un nouvel essai. Car oui, cet homme droit était aussi un écrivain qui rédigeait souvent des essai ou des comptes-rendus sur ses recherches. La communauté des botanistes ne tenait pas ses oeuvres en haute estime mais il s'acharnait encore et toujours a faire des recherches et à écrire. Les plantes, c'était sa passion et personne ne l'empêcherait de vivre pour ce qu'il aimait.

Au bout de plusieurs heures de rédaction, et quelques pages désormais bien remplies de son écriture si soignée, il se résolu à prendre une pause. Se levant d'un geste lent de son siège, il traversa son bureau de son habituelle démarche auguste. Sa seconde passion était d'avoir en permanence une allure solennelle, presque royale. Il avait en permanence le dos droit et le menton légèrement incliné vers le ciel dans un geste de noblesse arrogante. Il n'était pas spécialement égocentrique mais il aimait que les gens le voient, c'était certain. Après, parlez-lui un peu et sa personne ne sera certainement pas son principal sujet de conversation.

Son bureau n'était pas spécialement grand donc il ne mit pas beaucoup de temps à arriver là où il voulait. Il faut dire que dans le corps enseignant, il n'était pas bien haut, donc son bureau était à l'image de sa place dans la société. Bien sûr, ses collègues le respectaient et certains même l'admiraient pour sa détermination à devenir quelqu'un. Mais à part ça... devant les pompeux professeurs de pyromancie, de géomancie, d'alchimie etc il ne valait pas grand chose. Il avait depuis longtemps dépassé le stade de la tristesse pour celui du stoïcisme. C'est comme ça et puis c'est tout. Il faut s'y habituer.

Il s'arrêta devant un petit guéridon à côté d'un fauteuil, au fond de la pièce, où étaient disposés, sur un plateau, une théière et quelques tasses de porcelaines. Ses mains, à l'allure et aux gestes presque féminins, vinrent prendre une des tasses et la théière et remplir la première du contenu de la deuxième. L'odeur de l'infusion d'épine de pin se répandit à travers la pièce en de doux effluves. Il savoura quelques instants ce parfum enivrant qui chatouillait ses narines expertes avant de reposer la théière sur le plateau et de prendre place dans le fauteuil au tissu andrinople et à l'assise plus que confortable. Il guida la tasse de thé jusqu'à sa bouche et savoura la première gorgée de ce breuvage parfumé. Il se sentit tout de suite bien plus serein alors que la boisson le réchauffait petit à petit. Dans ce cabinet légèrement austère, il ne faisait jamais bien chaud, ce qui rendait la préparation de plantes encore meilleure.

Toc toc toc

Le professeur de l’Académie sourit lorsque ce fut un fort jeune damoiseau qui entra dans son bureau. Il était à peine plus âgé que les élèves qu’il rencontrait d’ordinaire et ses yeux emplis d’une naïve innocence lui donnaient un air candide. Une visite sympathique et McCrannium songeait à lui servir, à lui aussi, une infusion de pin lorsque le jeune Edge, qui semblait connaître le nouveau visiteur, se jeta sur ce dernier pour lui fermer la bouche des deux mains. Interloqué par ce comportement, le vieil homme ne bougea pas cependant. Attendant de voir ce que ferait le nouvel arrivant face à cette « agression ». Il sourit même lorsque l’homme aux cheveux de blés referma la porte derrière le dénommé Kaith comme si il n’avait jamais été là.

Le professeur ne prêtait aucunement attention aux questions du petit Edge. Préférant regarder avec amusement et une légère surprise l’aigle de Kaith se ruer sur le pauvre malheureux et l’assaillir de coups de becs. Son sourire chaleureux se transforma en une grimace d’incommodité lorsqu’il se rendit compte que le volatile tapissait le sol de son bureau de plumes en tout genre. Il écouta avec attention le discours fort poli du garçon et prit quelques minutes pour se remémorer les questions de son camarade auxquelles il faisait référence. Finalement, en reprenant un masque parfaitement indifférent, il tandis une tasse fumante à Kaith avant de s’asseoir dans le fauteuil de velours doucereux à côté de la petite table qui accueillait son service à thé.

- Bien. Avant tout, jeune homme, j’aimerais que votre… animal sorte d’ici. Voyez-vous toutes les saletés qui ornent désormais le sol de mon bureau. Dit-il avec une moue désolée. Je m’occuperais de nettoyer, ne vous en faite pas. Buvez.

Il prit quelques instants pour conforter sa position dans le fauteuil et reprit la petite tasse entre ses mains. Il en bu une gorgée avant de regarder l’étrange duo avec les fines fentes qui composaient son regard impérial.

- Alors comme ça, vous êtes ici pour discuter de mon ancien employeur et ami… Si cela ne vous dérange pas, je ne répondrais pas longtemps à vos questions sur le sujet. Mais je tâcherais de vous éclairer du mieux que je le peux.

Il prit une longue pause, durant laquelle il avalait de temps à autre un peu de thé tout en essayant, certainement, de maîtriser les souvenirs douloureux qui se lisaient dans ses yeux.

- Le jour de la disparition de sir Melan, nous venions tous les deux d’assister à une réunion importante pour l’Académie. Il avait fort à faire lorsqu’elle se conclu et on pouvait lire dans ses yeux la lassitude d’un homme qui a trop travaillé. Plusieurs fois il me disait qu’il aimerait partir loin d’ici. Ne plus avoir ni travail, ni responsabilités, ni rien de tout ça… Il pensait que des gens en voulaient à sa vie. Cependant je… je croyais que c’était une plaisanterie… Je ne pensais pas qu’il disparaîtrait comme cela…

La tête baissée, il mit quelques instants à se ressaisir et se leva vigoureusement en posant sa tasse sur le petit guéridon. Il dévisagea intensément les deux jeunes gens.

- Ecoutez. Certaines personnes crient à l’enlèvement ou au meurtre. Allez voir son suivant, Lepauvrette. Il y a aussi cette prétendue maîtresse, madame NicAbyssin. C’est à eux qu’il faut délier la langue. Melan n'avait plus confiance en personne... Et si... et si c'était eux qui...

Il ne put soutenir une seconde de plus cet afflux de souvenirs douloureux et retourna s’asseoir dans son siège, le teint blafard. Il ne congédia cependant pas les deux jeunes hommes, curieux de voir ce qu’ils feraient.