Par une froide journée d'hiver, l'Impératrice des Glaces et Reine de Selian, Issendra, commença sa journée par les audiences journalières. En tant que Reine et Impératrice, son devoir était d'écouter les doléances de son peuple, tâche qu'elle remplissait sans broncher et toujours avec un certain plaisir. Les soucis de son peuple lui permettaient d'oublier, ne fût-ce qu'un temps, les autres soucis qui la tourmentaient le reste du temps.

Accompagnée de deux gardes, elle rejoignit l'antichambre qui précédait sa salle d'audience ; elle y trouva un de ses conseillers, qui s'inclina à son entrée avant d'annoncer l'ordre du jour :

- Votre Majesté, vous n'aurez qu'une seule audience aujourd'hui. Il s'agit d'une querelle entre deux paysans, un éleveur et un fermier de Selian, qui se disputent une parcelle de terre.

- Encore ?! Laissez-moi deviner, s'agirait-il de nos deux paysans qui viennent aux doléances plus souvent que leurs pairs ?

- Oui, Votre Majesté. Messieurs Maz et Arin.

L'Impératrice retint un soupir de légère exaspération ; ces messieurs avaient toujours une bonne raison pour se plaindre... Elle leva la main :

- Très bien, allons-y.

Elle poussa la porte en bois sculpté qui séparait l'antichambre de la salle d'audience ; elle fut accueillie par un silence religieux de la part de sa cour, déjà présente dans la salle, se massant dans les colonnades pour essayer d'apercevoir Issendra, majestueuse dans une magnifique robe bleue de la couleur du ciel, son éternel chignon en guise de coiffure, un diadème assez discret soulignant la pâleur de son visage. Oui, décidément, l'Impératrice avait, en plus de sa jeunesse, sa beauté pour elle.

Saluant sa cour d'une légère inclinaison de la tête, elle s'installa sur son trône et fit signe au portier de laisser entrer les deux paysans. Ceux-ci étaient encore en train de se chamailler ; l'un d'eux était petit et assez rond, une moustache d'un blond sale, l'autre était grand et assez costaud, il s'agissait respectivement de Maz et Arin. Tous deux étaient représentatifs du peuple rural, mais cela, Issendra s'en moquait éperdument. Posant son délicat menton sous sa main droite, elle attendit que les deux paysans soient assez près d'elle pour commencer la séance de doléance. Tout en avançant, ceux-ci s'injuriaient à en faire rougir les plus conservateurs des membres de la cour :

- Et j'vous dis, moi, que vous êtes un fumier de vous en être pris à ma terre !

- Pardon ?! Mon bon, vous êtes complètement fou, la terre m'appartient !

Un hérault fit sonner la trompette pour couper court à la dispute des deux hommes et annonça d'une voix forte :

- Vous êtes ici en séance de doléances, devant Sa Majesté Issendra, Impératrice des Glaces et Reine de Selian ! Présentez-vous et exposez l'objet de votre querelle.

Les deux paysans cessèrent leur querelle et s'inclinèrent avec respect devant l'Impératrice, qui leur fit signe de se relever ; Maz dégaina le premier :

- Madame, avec tout l'respect que j'vous dois, je viens faire part d'une contestation concernant un lopin de terre qui se trouve au bout de ma propriété. Môssier se prétend propriétaire de ce lopin alors qu'il appartient à ma famille depuis au moins cinq générations !

- Pardon, Majesté, mais y se trompe ! J'ai retrouvé des papiers que mon vieux père gardait dans le grenier, et la parcelle en question lui appartenait ! Il ne l'a jamais vendue !

L'Impératrice leva la main pour imposer le silence ; une fois celui-ci obtenu, elle se leva et déclara d'une voix ferme :

- Messieurs Maz et Arin, je vous entends. Cessez votre dispute sur le champ, j'ai une solution pour résoudre votre problème. La parcelle en question se trouve réellement à mi-chemin de vos propriétés respectives, je me trompe ?

- Non, Madame, répondit Arin. Mais techniquement elle m'appartient.

- Je vous en prie, monsieur Arin. Vous avez peut-être un papier qui montre bien que la parcelle vous appartient, mais en ce qui me concerne, je ne le vois nullement entre vos mains. J'en suis donc réduite à vous croire sur parole, mais comme ni l'un ni l'autre ne savez faire la part des choses quand il s'agit de vos soucis personnels, voici ma sentence. Que cette parcelle soit divisée en deux moitiés égales, sous la surveillance des sieurs Riche et Lieu qui sont d'excellents huissiers de justice. Etes-vous satisfaits de cette décision, messieurs ?

- Ma foi... Je ne demande pas mieux, répondit Maz en s'inclinant.

- Très bien. Le greffier prendra note de ma décision, sitôt ceci fait je vous enverrai messieurs Riche et Lieu afin qu'ils veillent au bon découpage de la parcelle. La séance est terminée.

Lorsqu'elle se leva, elle adressa un sourire aux deux paysans, qui partaient en s'inclinant, puis salua sa cour d'un nouvel hochement de tête avant de retourner dans l'antichambre. Son chancelier l'y suivit et, refermant la porte, déclara avec satisfaction :
- Un parfait jugement équitable, Majesté. Espérons qu'ils ne reviendront pas de sitôt se plaindre.

- Merci, chancelier. Cette affaire fut bien simple à régler, cela m'inquiéterait presque, d'habitude je passe au moins une heure à tenter de régler le conflit...

- Voulez-vous que j'envoie des gens d'arme les surveiller au cas où, Majesté ? Au cas où les huissiers ne suffiraient pas.

- Bonne idée, chancelier. Envoyez donc deux gens d'armes escorter les huissiers, qu'ils restent le temps du découpage et jusqu'à ce qu'ils reçoivent l'ordre de revenir au palais.

Le chancelier s'inclina et alla donner les ordres, pendant qu'Issendra s'autorisa un verre d'eau fraîche avant de repartir dans son cabinet. Elle avait encore beaucoup de choses à régler, dont un certain Kerns Indraugnir qu'elle voulait voir épinglé sur un mur assez rapidement...