Une pièce obscure de la cale d'un des navires les plus tristement fameux des océans, trois silhouettes partagent une discussion paisible qui -sortie de son contexte- pourrait donner un air champêtre à la scène.
Un homme était enchaîné à une imposante chaise de bois qui elle même était scellée au sol par des clous d'acier. Face à lui se présentait une table marquée par l'âge et les coups de lame qui traçaient de profonds sillons sur son plateau. Malgré sa condition de prisonnier évidente, le marin semblait avoir abandonné l’espoir d'échapper à ses fers. Son uniforme militaire était aisément reconnaissable comme celui d'un capitaine de la flotte impériale et en dépit du bandage sanglant qui lui barrait le front, on pouvait sans problème estimer son âge à la quarantaine d'années, tout au plus. En face de lui, un autre capitaine, mais son tricorne, son foulard et son manteau abîmé éloignaient l'hypothèse de l'appartenance à une quelconque armée. Un pirate, le capitaine Statch en personne. Il toisait son captif du haut de ses quasi deux mètres, à moitié assis sur la table et les bras croisés sur son buste bien taillé. Il jouait avec un couteau qui traînait sur la table, le faisant danser entre ses doigts agiles qu'il affairait de temps à autres à retirer le cigare qui pendait à ses lèvres.
Le troisième individu était un de ses « hommes » parmi les plus fidèles. Une sorte d'apprenti qui considérait le seigneur pirate comme un père spirituel. Il était en retrait, loin de la lumière blafarde projetée par les chandelles qui répandaient leur cire sur la table, mais à sa silhouette, on devinait un Gnoll. Des canines plus affûtées encore que les lames qu'il utilisait pour faire parler les prisonniers. C'était le tortionnaire des Varounds. Il avait tout appris de son prédécesseur, ce dernier qu'il surclassait à présent avec des techniques toujours plus innovantes qui sortaient de son esprit maladif dont on pouvait avoir un aperçu en croisant son regard brillant dans l'ombre.
« Vous ne pouvez rien contre l'empire, à quoi bon combattre ce que l'on ne peut pas vaincre ? » geignait le prisonnier en attendant que la séance ne débute.
« C'est quoi déjà la phrase ? Lui répondit le capitaine qui émergeait de ses songes. À vaincre sans péril, on triomphe sans... quoi déjà ? Sans butin ? Avança t-il ironiquement. Et puis, tu as vu l'état de ton empire ? Sa flotte est tellement minable que votre amiral se casse avec son fleuron et vous tape un joli bras en nous rejoignant. C'est ça qu'on doit craindre ? »
« L'armée céleste. »
Ces deux mots provoquèrent l'hilarité des deux geôliers.
« L'armée céleste ? Tu veux dire toutes vos bestioles volantes là ? J'ai une bonne histoire pour toi tiens, ouvre grand tes esgourdes. »
rp-insception
Tous les marins de l'empire ont entendu parler du Calice d'argent. C'était le nom de ce convoi d'une dizaine de navires qui étaient chargés de transporter une imposante quantité d'or du nord de l'empire jusqu'à Sent'sura. Un détachement des plus volumineux, trois vaisseaux de transports et pas loin du double en escortes. On parlait d'assez de richesses pour remplir ras-la-gueule la cale de plusieurs frégates, une occasion qui ne se présente qu'une seule fois. Tu connais certainement l'histoire de toute façon, nous n'avons saisi qu'un tiers de la cargaison, mais on parla de cette perte pendant un long moment. Je ne pense pas utile de te parler de l'éclat des sabres et du fracas des canons qui illuminèrent la nuit durant de longues heures. Laisse-moi te parler de l'escorte aérienne en revanche.
Nous avions fait moi et mon équipage de nombreux arrêts près des terres maudites du sud-est du monde. Durant ces escales riches en rencontres et en affaires, des volatiles avaient jugés bon de s'installer sur le perchoir qu'offraient les vergues du sommet des mâts. Il est plutôt ardu de dater précisément l'arrivée de ces oiseaux, quand vous demandez à un gabier il vous répondra que ces créatures étaient là avant lui, ou bien que ça fait tellement longtemps qu'il en a oublié la date. Jusque là, ces corbeaux ne faisaient que profiter des charognes que nous leur laissions après un abordage. Ils laissaient mes hommes en paix et n'intervenaient jamais en cas de combat, jusqu'à ce soir là. Deux chevaucheurs de Wyverns avaient pris part à la bataille et en bon tacticien, c'était le vaisseau amiral qu'ils prirent pour cible. Terrible erreur.
Ils ne firent qu'un seul et unique passage en déchirant nos voiles d'étais. Un tel acte n'avait visiblement pas plu aux corneilles qui s'avérèrent être bien plus que ça. Une nuée entière de ces rapaces s'envolèrent à la suite du duo. L'un d'eux avait sans doute senti venir le danger car il rompit la formation en mettant le plus de distance possible entre lui et notre Clairon. Le second en revanche était un peu trop sûr de lui et il fut conforté dans cette posture quand les oiseaux tentèrent en vain d'entamer les écailles de la Wyvern, impénétrables pour leurs becs et leurs ailes acérées. Mais avant même que le cavalier ne fasse son deuxième passage, les corbeaux prirent pour cible tout ce qui était assez mou pour leurs armes. Le cavalier fut très vite transformé en une bouillie écarlate, déchiré par les créatures anormales. Ce fut alors au tour de sa monture qui n'était pas décidée à abandonner l'assaut sur mon navire, ses yeux furent les premiers à lui être enlevés. Vint alors ses ailes qui se déchirèrent alors que les corneilles se contentaient de passer au travers, les ailes repliées et le bec bien en avant.
Sans ses ailes, elle a vite sombré et jamais nous n'avons eu de nouvelles du second cavalier. Parti pleurer sa défaite sans doute. J'ai toujours rêvé voler tu vois. Enfin, dans le sens dont volent les oiseaux, parce que l'autre sens, je n'ai pas attendu la moindre autorisation. Mais quand je vois comment ces créatures défendent leur espace aérien, je me dis qu'il faut que je me trouve un autre rêve.