Le vent soufflait délicatement, effleurant les brins d’herbes et les branches des arbres de douces caresses. L’aube s’était levée il y avait peu de temps, et les premiers rayons du soleil faisaient briller les perles de rosée, tandis que l’air frais de ce début de journée vivifiait le corps. A quelques centaines de pas on pouvait apercevoir une des forêts qui ajoutait une note luxuriante près de Sent’sura. Cette supra-capitale culturelle, moderne et surpeuplée était l’exemple même de du besoin des hommes de se retrouver, et de s’unir. Ils avaient, dans cette sublime ville, fait preuve d’un bon goût exemplaire.

Brack avait vu cette Cité grandir, se construire et se développer, au fur et à mesure des siècles. La végétation qui la bordait, il la vit se faire repousser peu à peu, tandis que des champs en jachère remplaçaient les hauts arbres. Si l’art et la philosophie était l’aboutissement de la grandeur des Hommes, leur dénaturation et leur instinct belliqueux en était l’exact contraire. Lorsqu’il était encore Yndaphos, il avait participé observer de loin l’évolution des hommes.

Aujourd’hui, sa quête le menait de nouveau vers cette Cité, qui lui rappelait tant de souvenirs, mais aussi tant de peines. Toutes personnes de ce monde avait un souvenir, au moins, de Sent’sura. Brack en avait plusieurs, et certains tristes. Ainsi, il ne voulu pas traverser aujourd’hui la Capitale assujettie, préférant se diriger vers l’une des nombreuses forêts. Aujourd’hui en effet, il avait besoin d’opérer un rituel instinctif à sa race. Fils de la Terre, fait de celle-ci et dépendant d’elle.

Dans sa sacoche était entreposée précieusement une émeraude de la taille d’un poing. Tandis que ses cheveux flottaient légèrement au gré de la bise matinale, il se décida d’entrer dans l’un des berceaux de la Terre. A force de marcher, et de s’extasier silencieusement sur la majesté simple de certains arbres, un bruit se fit entendre sur sa droite. Levant les yeux, il distingua sur une branche d’arbre, enroulé autour d’une branche une sorte de reptile qui dardait sa langue fourchue vers lui.

« Hé là vil envahissssseur. Tu marches sur mon dîner ! »

En effet, Brack marchait sur un petit mammifère, mort. Se penchant légèrement, il palpa l’animal décédé et en conclut d’après la chaleur corporelle qu’il venait de trépasser il n’y avait pas longtemps. Le fils de la Terre se releva, et leva une de ses mains. Son index pointa le cadavre, puis le reptile. Le mammifère s’éleva et se dirigea vers le serpent. Lorsqu’il atterrit dans la bouche du reptile, il lança d’une voix fatiguée par son état :

« Natrix… Tu es bien meilleur compagnon lorsque tu te tais. J’imagine que tu l’as tué par asphyxie ? Tu as un tel manque de goût… »

Brack s’assit entre les racines d’un des arbres, et sortit l’émeraude de sa sacoche de cuir. Malgré la voûte de feuillages, les rayons du soleil firent briller la pierre précieuse d’une myriade d’éclats de lumière. Jouant avec les multiples possibilités des reflets, il s’abandonna à l’observation de ce bijou. Plus loin, le serpent se mis à descendre de sa branche, pour finalement venir s’enrouler sur une racine, prêt de Brack. Sa langue fourchue siffla ces paroles :

« Ah… Ton rituel. Tu ne m’as jamais répondu, à quoi çççaaa te sssert ? »

« A survivre… » lâcha l’homme aux cheveux châtains.

Prenant la pierre entre ses deux paumes, il ferma les yeux, et la pierre brilla. Elle s’éleva dans les airs, semblant illuminer autour d’elle d’une lueur propre. Puis, elle éclata en de multiples morceaux, pour finir par se précipiter, tel de nombreuses épines, dans la chair du Fils de la Terre. Les éclats dans sa peau brillèrent momentanément puis s’éteignirent, tandis qu’ils disparaissaient dans la peau de Brack.

La sensation était exceptionnelle. On pourrait croire en apparence que cela faisait horriblement mal, mais en fait, c’était d’une douceur et d’une extase sans pareille. Chaque éclat apportait son lot de plaisir, tandis que l’énergie minérale apportait à son corps les besoins énergétiques et magiques pour plusieurs semaines. Lorsque les éclats disparaissaient, la béatitude envahissait son esprit. Il était dépendant, mais de nature, pas par choix.

Revigoré, revitalisé, de nouveau gonflé à bloc, le fils de la Terre se releva, et joua des muscles. Que c’était bon, cette sensation de renaître ! Il caressa délicatement le haut de la tête du reptile, pour continuer ensuite son chemin. Alors qu’il arrivait prêt du lit d’une rivière, il entendit une voix terriblement mortifère s’éteindre. Regardant approximativement dans la direction d’où venait ce bruit si étrange, il vit alors un magnifique jeune homme, dont la silhouette irradiait d’un charme hors du commun. N’ayant jamais éprouvé d’attirances sexuelles vis-à-vis des hommes, et ce depuis des siècles, il sut que l’attirance qu’il ressentait n’était pas naturel.

Voyant un autre animal mort - décidément, c’était la journée - il vit qu’une flèche transperçait la poitrine de la biche. Un meurtre pour vivre ou pour s’amuser ? Brack marcha volontairement sur une branche, afin d’avertir l’individu de sa présence. Lorsque celui-ci se retourna, avec son arc, il leva les bras dans un geste de non agression. Malgré la cimeterre battant à sa hanche, et sa lance dans le dos, il ne lui voulait aucun mal.

« Qui peut donc décider de la mort d’un être vivant si ce n’est les Dieux ? » Lança-t-il d’un ton accusateur, avant de poursuivre : « D’où venait cette voix ? »

Il était très curieux, et cette curiosité faisait partie intégrante de son être. Il aimait découvrir, observer et comprendre. Mais ce qu’il entrevoyait vis-à-vis de cette voix n’augurait rien de bon, du moins selon son sentiment. Brack attendit une réponse, ne se souciant pas du tout de la flèche pointée vers lui. Ses deux chevalières, dont le diamant respectif brillait, étaient prêtes.

deux vampires:

Sa soeur Alyssia:

Tandis que le bel homme baissa ses armes, signifiant ainsi que nulle querelle n’aurait lieu pour le moment entre les deux êtres, Brack observa celui-ci. Le charme ne venait ni de son visage, ni de son corps. Il semblait englober l’être, comme une aura, attirant l’œil sur la perfection des traits de l’individu. Le jeune homme, dont l’âge semblait coïncider avec celui de Brack, retira la flèche fichée dans le corps de la biche pour la remettre dans son carquois, sans pour autant la nettoyer de tout ce sang. Avec un air dépréciateur, le fils de la Terre observa la grâce de ses mouvements, tandis que l’homme semblait répété un rituel qu’il faisait jour après jour.

A la question concernant la voix d’outre tombe, son interlocuteur garda contenance, et son visage n’exprima rien si ce n’est une impassibilité digne des nobles d’antan. Le chasseur prit sa proie morte sur son épaule, et sembla regarder aux alentours, comme craignant qu’on ne lui vole son gibier. Cela voulait donc dire qu’il tenait à cette biche, et qu’il ne tuait pas pour le plaisir. Ainsi, le bel homme devait vivre de la chasse, sans quoi il aurait dépecé l’animal de sa viande ici. Peut-être le faisait-il chez lui, vendant ensuite le cuir et les os. Lorsque l’individu lui parla, il hocha la tête :

« Encore un mauvais tour de Nayris, soupira Brack. J’espère pour vous que cela n’est qu’une farce de très mauvais goût. Peut-être avez-vous fait quelque chose qui est déplu à la Déesse, et que ce n’est qu’un simple avertissement. Je vous le souhaite… »

Longtemps il avait mis avant de comprendre que les Deux Originaux Divins s’étaient séparés en mauvais terme, et que la Déesse juvénile de la Mort n’appréciait guère les êtres vivants, exceptés quand ils étaient morts. Brack sortit de ses rêveries lorsqu’il vit qu’avec une de ses mains, l’homme dont il ignorait toujours le nom utilisa l’une des racines d’un arbre pour mettre en sécurité le fruit de ses rapines. Une fois un cocon de racines entourant la biche, l’homme vint serrer la main de Brack. « Etranges mœurs que voici… » pensa celui-ci, en répondant tout de même à ce geste.

Alors qu’il venait tout juste de se présenter à Jasper sous le nom de Brack Orden, précepteur vagabond, un hurlement retentit, troublant la quiétude de leur rencontre. Un soupir échappa au fils de la Terre, qui n’avait aucunement envie de se mêler des affaires des autres. Pour le moment, il pouvait parler, et cela était tellement rare qu’il comptait se délecter de la délicieuse présence de Jasper. Quelle ne fut pas la surprise de Brack lorsqu’il vit le chasseur se mettre à courir, comme si les morts étaient à ses trousses.

Curieux, le noble déchu entreprit de suivre le chasseur qui avait encoché une flèche. Cela était difficile, car lui ne se sentait pas pousser des ailes. Il perdit de vue Jasper, mais alors qu’il sortit de l’orée de la forêt, il retrouva enfin sa trace. Enfin… Il n’avait pas imaginé que l’expression « pousser des ailes » pouvait être aussi réaliste. Voyant la véritable forme de Jasper, Brack eut l’air appréciateur. Voilà qui était étrange comme race.

Lorsqu’il éleva les yeux, il vit alors qu’à quelques mètres de l’incube trois personnes étaient présentes, dont l’une gisait sur le sol. A leur teint pâle, le Fils de la Terre reconnu des vampires, des immondes créatures qui se nourrissaient du sang des autres pour survivre. Encore une farce, de très mauvais goût, de Nayris. A croire que son humour laissa à désirer… La silhouette à terre était une femme aux cheveux dorés, dont l’on pouvait observer l’ondulation même dans cette position.

Brack pouvait voir le vampire mâle retirer une flèche de ses omoplates. Ainsi, Jasper avait déjà lancé les hostilités. La grâce de ses mouvements ne semblait pas s’être transmise à sa façon de penser. Lorsque Jasper cria, Yndaphos comprit qu’ils se connaissaient. Et leur relation devait être très intense pour que l’incube sorte son sabre, et le pointe vers le couple de vampire, rassemblé. S’ensuivit un échange de la part des vampires assez… médiocre. Ces transformés devaient avoir été tiré des plus basses sphères de la population.

La dénommée Alyssia se leva à l’injonction, et Brack pu apprécier la beauté qui se dégageait de la jeune femme. Bon, le teint commençait déjà à pâlir, et la beauté naturelle allait vite se retrouver remplacée par une beauté toute illusoire, mais il se promis de retenir cette scène. Tout cela ne le concernait pas, jusqu’à ce que la nouvelle vampire pointa son regard affamé sur Brack. « Mauvaise idée ma fille… » pensa l’Elemental.

Tandis que Jasper tentait de raisonner sa sœur, ce qui était peine perdue, Brack prit sa lance, et ôta le tissu qui recouvrait la lame. Celle-ci se mit à reflété les rayons du soleil, tandis que les veines sur le métal semblait pulser de vie. A peine eut-il fait ça qu’une bourrasque de vent fit basculer les personnes présentes. Se retenant à sa lance plantée dans le sol par le manche, il observa aux alentours, et vit alors une jeune femme apparaître. Elle aussi dégageait un charme incroyable, comme si le soleil ne faisait que magnifier sa beauté. Ainsi, c’était elle à l’origine de ce vent.

Jasper sembla mal prendre le fait que sa sœur soit envoyée au sol, et la nouvelle arrivante lui sortit une phrase qui ne supposait pas de réplique. Haussant les sourcils, Brack la détailla rapidement, tout en faisant attention aux vampires plus loin. Les deux à l’origine de cette scène semblait s’amuser du désarroi de Jasper, et de l’entrée fracassante de la nouvelle. Il retira ses chevalières, et les plaça sur le manche de sa lance. Puis, sentant le moment arriver, il poussa un cri rauque, tandis que ses yeux devinrent couleur terre, et ses bras se couvrirent de sortes de langues de magma en fusion, .

Pourquoi se transformait-il ? Il s’était toujours promis de ne pas montrer sa nature devant tant d’inconnus… Mais il n’avait guère pu empêcher le processus, comme si sa nature était devenue indépendante, et ne demandait qu’à se montrer aux yeux de tous. Sentant son corps renaître, il tendit son bras, et saisit la lance fermement. Et la pointant vers les vampires à l’origine de tout cela :

« Vous n’êtes que des déchets, dont le statut de vampire ne sied guère à la vulgarité de votre attitude. Vous m’avez ôté la possibilité de parler avec le frère d’Alyssia. Pour cette impolitesse et ce manque de raffinement, vous devrez payer »

Ce type de déclaration pompeuse, Brack adorait en faire devant des personnes de moindre importance. Même si le moment ne s’y prêtait guère, il était presque persuadé de n’avoir rien à craindre. Et voir comment Jasper réagirait avec sa sœur par la suite l’intriguait assez pour le débarrasser des intrus.

Le manche de sa lance tapa le sol, tandis que les membres inférieurs des vampires devaient se retrouver bloquer avec de la terre compacte. Puis, sans perdre de temps, il envoya son bras en arrière, positionnant sa lance pour la lancer, et avec toute la force - considérable soit dit en passant - qu’il pouvait y mettre, la balançant sur la femelle vampire. Voir la colère et la haine apparaître sur le visage de son compagnon allait lui plaire, surtout que Jasper pourrait alors montrer l’étendue de ses sentiments envers sa sœur en combattant un individu venant de perdre sa dulcinée.

La lance frappa le front de la femme, tandis que la terre autour d’elle se précipita pour engloutir ses deux bras et les arracher avec des bruits et des craquements horribles, à l’image de la douleur que devait ressentir la vampire, sur le point de trépasser. La lance, reliée au bras de Brack par un fin fil de terre, revint alors entre les mains du fils de la Terre qui sentit son corps bouillonné. Il commençait à perdre le contrôle de sa maîtrise. Qu’était-il en train de se passer ?