Un sentier entre les arbres isolés d'une forêt qui disparaissait dans le brouillard de la nuit, bordé de champs dont les extrémités étaient dévorées par les ténèbres d'un paysage invisible à l'horizon presque impossible à discerner si les quelques étoiles ne brillaient pas timidement pour montrer la voie à ceux qui s'égaraient, comme cette silhouette par exemple. Serré dans un manteau long, usé et tâché, l'individu avançait à son rythme sur la terre humide qui épousait ses souliers, attendrie par la fine pluie qui tombait depuis quelques heures sur les pâturages endormis. Au bout du chemin, entre plusieurs habitations éteintes, brûlaient les lampes d'une taverne sans nom, l'écriteau penchait du mauvais côté mais les bruits qui s'en échappaient ne pouvaient tromper personne.

S'avançant avec la morne démarche d'un croque-mort, il porta sur la poignée sa main gantée, dont le cuir adhéra en un crissement à la ferraille. Il la fit tourner et l'ambiance qu'il n'avait que sentie jusqu'ici devint un souffle chaud lui intimant de rentrer, même si quelques odeurs pouvaient suffire à le faire fuir. Portant un dernier regard sur les quelques chevaux accrochés par le licol à l'extérieur, il referma derrière lui la porte pour se plonger dans un monde bien différent de celui qui l'avait vu évoluer jusqu'ici, mais auquel il s'était fait malgré lui. La salle n'était pas grande, mais suffisante pour accueillir plusieurs tables autour desquelles cinq hommes pouvaient s'asseoir. Au fond, il y avait un espace surélevé sur lequel se produisaient les bardes de passage, et les artistes du soir attiraient apparemment l'œil des gens du coin. Un musicien comme on en voyait à chaque taverne mais, surtout, une danseuse vêtue de pans de tissus dorés qui semblait se fondre dans l'air en dansant. La charmante créature captivait les regards et c'est avec une légère hésitation que Nathaniel s'arrêta pour porter ses yeux sur la femme, ses sens piqués à vif. Retirant sa capuche, il délaissa sa surprise pour s'installer à l'une des tables libres éloignées de la scène, sous le regard de l'aubergiste qui comprit en quelques coups d'yeux qui venait de rentrer chez lui. Ils s'étaient reconnus.

Le jeune humain resta assis à sa table sans boire ni manger tout la durée du numéro. Parfois, il lui arrivait de lever son regard sur les deux artistes, s'autorisant un léger sourire lorsque la danseuse jouait de ses courbes, puis replongeait alors immédiatement dans ses quelques livres qu'il avait étalés devant lui, l'une de ses mains apportant des notes dans un carnet lorsque l'autre passait les pages ou déplaçait la bougie qu'il avait allumée. Il avait également déposé sur la chaise adjacente son manteau, dévoilant une tunique sombre qui le recouvrait jusqu'à la ceinture, entourée d'un bon nombre de sacoches, alors finissait jusqu'à ses bottes un pantalon simple. Une silhouette sombre donc, dont le visage clair était auréolé par la douce lumière de la bougie qui le frôlait. Derrière les quelques paysans et artisans qui restaient, il se démarquait déjà de son presque désintérêt pour ce qui, de toute évidence, attirait toute l'attention des autres hommes.

"Moi je suis libre comme l'air
On me désire, je me sers
Le choix est bien difficile
Entre ces garçons faciles"
Anaïs Delva

Le contrat est banal. Une soirée comme d'ordinaire avec les musiciens avec qui je tourne. Je repasse par Terre désormais. C'est après tout là que j'y suis connue. La Sylphide ayant énormément tournée dans les environs. J'apprécie l’accueil qu'on me réserve à la taverne. L'argent que je retirerais de la soirée compte aussi la nuit passé dans une chambre, ainsi qu'un repas et des consommations. Lucian et Galéo s'installe immédiatement.

La soirée est agréable. La taverne est plutôt de bonne fréquentation, aussi, nous avons face à nous des gens qui apprécient notre travail. Il fallait avouer qu'à Feu, c'était variant. La musique donc se profilait, et j'enchaînais avec assurance les chansons et les danses. Galéo laissait libre court à son pouvoir musical, et nous jouions presque uniquement pour le plaisir de faire de la musique.

D'ordinaire, ce plaisir était aussi présent, mais selon les endroit, on ressentait en face que l'attention n'était pas là... Et cela pouvait causer quelques problème, particulièrement à Lucian quelque peu... Comment dire... susceptible. La musique est tout, absolument tout pour lui. Il en vit.

Ma vie, personnellement, se trouve ailleurs. Mais cela regarde chacun d'entre nous. Disons que j'ai eut de la chance de tomber sur eux, un soir. Ma voix et mes danses leurs ont plu, et personnellement, je ne pouvais plus tourner en achetant des sorts de musique... Cela me coutait plus cher que de payer les deux musiciens, qui, il faut l'avouer, se servait aussi du nom que je m'étais fait dans le milieu pour se produire. Mais bon. Chacun y trouvait son compte, et il fallait avouer que notre spectacle était un peu plus nouveau que les chants de ménestrels...

Lorsque nous eûmes finit, je remarquais que tout le monde était près de la scène, sauf un homme qui était assis seul dans son coin, avec des livres. Cela me sembla étrange. Mais je n'y prêtais pas attention. Il y avait quelques créatures ici présentes qui réclamait autrement mon regard.

Joueuse comme à mon habitude, je me laissais attirer sur les genoux de l'homme qui semblait être celui qui attirait les regards de toutes les filles aux alentours. Il m’accueillie avec un sourire charmant, bien qu'il laissait en présager beaucoup. Me penchant vers lui, j'écoutais ce qu'il avait à me dire.

Ciel... Un... Romantique... Il me promettait une nuit merveilleuse dans sa demeure et bla bla bla j'ai faim bla bla bla. Enfin... Avec un sourire amusé, je lui soufflais un rapide commentaire qui le figea sur place, me permettant de me relever et de m'accouder au bar pour manger un bout, car il fallait avouer que j'étais affamée. Me issant sur un tabouret, je croisais les jambes, les dévoilant de ce fait. Je portais une jupe fendu et un cache cœur en dentelle. Autant dire que ma peau était plus visible que mes vêtements... Mais ce n'était pas gênant... Et puis il faisait chaud dans cette taverne !

Le gérant vint vers moi alors que mon regard se posait sur l'homme qui était au fond de la taverne. Je n'étais pas vexée qu'il ne m'ait pas regardé (pas comme la quasi-totalité des hommes présents ce soir) mais plutôt curieuse. Il avait levé son regard vers moi à deux trois reprises, mais guère plus, où alors, prise par le moment, je ne l'avais pas remarqué.

-Je te sers autre chose Sylphide ?
-Un peu d'eau juste, s'il te plaît, répondis-je avec un sourire. Qui est-ce ?

Je désignais l'homme aux livres.

-Oh, va lui demander, ce n'est pas un mauvais bougre... Pas comme Burst...

Suivant son regard, je vis qu'il parlait de l'homme qui m'avait fait de si "charmantes" propositions. Avec un sourire, j'acquiesçais, attrapais le grand verre d'eau qu'il me tendait, et m'approchais de la table.

Pourquoi ? Pour deux raisons. Tout d'abord, le dénommé Burst pourrait très bien revenir à la charge, et j'avais envie de tranquillité. Ensuite, il m'intriguait tout seul avec ses bouquins ! Si le tavernier ne m'avait pas dit de qui il s'agissait alors qu'il n'existe pas plus pipelette qu'un tavernier, c'est que c'était intéressant.

-Excusez-moi, m'enquis-je alors avec politesse, laissant tomber la séduction pour le moment. Puis-je me joindre à vous ?

Nathaniel releva les yeux de ses écrits en même temps que son avant-bras se posait sur ses pages, comme pour cacher les quelques lignes sous la large illustration. Au travers de ses mèches, son regard calme toisa la silhouette élégante qui était venu l'aborder, et il ne trouva pas d'autre manière de répondre que de hocher la tête légèrement, ce à quoi il ajouta un léger « oui ». Balayant du bras le tas qui encombrait l'espace où s'asseyait la femme, il déplaça la bougie en conséquence, la laissant s'installer à sa table. Si on ne prêtait attention qu'à cette dernière, on aurait pu jurer qu'ils se trouvaient dans une bibliothèque, mais les rires et discussions bruyantes des derniers clients venaient briser bien vite la petite atmosphère que Nathaniel arrivait à créer autour de lui.

« - C'était une belle danse, dit-il, toujours avec cette sérénité qui ne le quittait pas, comme si toute la fatigue qu'on ressentait sur ses traits n'existait pas. »

Il était ainsi, Nathaniel, habituellement. Rien ne semblait pouvoir l'atteindre, et il avait toujours une bonne raison de sourire à son interlocuteur, typiquement le genre de personne qui pouvait énerver par sa bonté et sa tranquillité. Mais ce qu'il y avait de plus étonnant chez lui était surement sa capacité à fixer cette femme dans les yeux, sans jamais s'attarder sur les parcelles nues de son corps, désintéressé par la chair et ses promesses. A un âge où l'esprit d'un homme est corruptible, plus que d'ordinaire, par n'importe quelle courbette, Nathaniel restait insensible au charme mais d'une politesse indéniable.

Devant lui, les quelques livres ouverts étaient abîmés, leurs pages cornées. Tout son attirail était en fait usagé, témoignant de ses escapades et de sa vie nomade. Ses vêtements étaient rapiécés par endroits et ses bottes étaient décolorées, lui seul semblait en état au milieu de tout ce chantier. Cependant, la poignée d'une épée rangée dans son fourreau semblait briller de propreté à sa ceinture, comme si elle représentait la seule chose à laquelle il portait de l'importance. Un bel ouvrage.

« - En quoi puis-je vous aider ? demanda donc le jeune homme, son visage fin exprimant , infatigable, toute sa bienveillance. »