Le printemps soufflait sa brise légère sur le continent neigeux, et la période était depuis quelques semaines propice aux floraisons et aux amourettes animales. C'est cette époque revivifiante qu'avait choisi le mage styliste connu et reconnu en Glaces - du moins, à ce qu'il espérait et prétendait - pour se rendre dans les terres de Selian et parcourir de son illustre démarche les rues d'une capitale qui n'était pas la sienne. Né cardrakien, il n'en éprouvait pas moins de l'admiration pour cet autre style. Après tout, c'était un artiste, et les artistes font fi rapidement de toute barrière culturelle, sans compter que la beauté est apatride. Surtout lorsqu'il s'agit de montrer son talent. L'Impératrice Issendra ne le savait pas encore, mais elle avait besoin de lui et de ses œuvres !

Il allait donc, avec une immense assurance et une mine enjoué, jusqu'au palais. Oh, je vous vois venir : vous n'imaginez tout de même pas qu'il venait ainsi en touriste pour demander audiance à l'Impératrice, comme ça, les mains dans les poches, si ? Non, évidemment, l'homme était des plus avisés et prudents. Voyez, il était suivi par un page, déniché à Cardrak, un jeune garçon voulant se faire un peu d'argent pile au moment où Jehan désirait un petit serviteur pour ne pas à porter lui-même ses échantillons - manquerait plus que ça ! Oui, le page, il est sous ce tas de tissu qui avance, suivez un peu ...

Donc, l'habile couturier se présentant donc au palais d'Issendra et s'enquit de savoir quelles démarches il aurait à faire s'il lui prenait l'envie de démontrer son savoir à l'Impératrice pour, mettons, faire que sa cour devienne cliente de son auguste boutique - avec dans l'idée, si le succès était au rendez-vous, d'ouvrir une succursale ici, à Luütra. Un sain projet en somme. Et, réaliste mais ne perdant point le nord, il demanda avec force politesse s'il lui était possible de s'entretenir, à défaut d'être présenté à l'Impératrice elle-même, avec l'une de ses Dames de compagnie qui, je le cite, avait sans aucun doute d'aussi bons goûts qu'elle dans le domaine de la mode.

L'excentricité de l'individu, son flegme et son charme furent tels que, sans toutefois accéder dans l'immédiat à sa demande, on envoya quelqu'un prévenir une de ces personnes. Et c'est ainsi que Jehan Polghotyer se retrouva à attendre qu'on veuille bien converser avec lui ..

La sorcière aveugle était parmi les autres dames de compagnie, les écoutant parlé tout en ce concentrant sur l'ouvrage qu'elle avait entamé à la demande de l'impératrice. elle travaillait sur cette robe depuis un bon moment déjà et espérait la terminé d'ici peu.

"Tu as entendu la nouvelle sur le nouvel arrivant... " commença l'une des dames.

Des racontars, que des racontars. Elles n'avaient rien de mieux à faire que de parler des autres. Cat reposa ses mains sur ses genoux et ferma les yeux. Minerva étant toujours couché à ses pieds lorsque la porte s'ouvrit. L'aveugle leva la tête et posa son regard argent sur le nouveau venu.

"Mademoiselle Dhuirmuid? Quelqu'un demanderait à vous parler." dit l'homme, faisant taire d'un seul coup les paroles des vipères.

Toutes les têtes se posèrent alors sur elle et Cat soupira. Elle déposa son ouvrage sur le siège à ses côtés et se leva lentement. Sa louve suivit se glissant sous sa main pour la guider comme à son habitude.

"Très bien, conduisez-moi je vous prie." demanda poliment la jeune femme.

Elle marchant un certain temps dans le couloir, sa robe au couleur des drapeaux de l'impératrice, aux couleurs des glaces, brisait le silence de marbre de par son frottement sur le plancher. Elle arriva enfin devant la porte derrière laquelle se trouvait ledit invité désirant lui parler. Elle acquiesca au garde et aussitôt les portes ouvertes, on annonça dans la petite pièce sa présence accompagné de Minerva.

L'aveugle passa le cadre de la porte, un doux sourire aux lèvres, et dirrigea son regard dans la vague directement des invités. Elle maudit de nouveau sa cécité de lui voler le droit de bien voir ses interlocuteurs. Toujours guidée par son familier, la sidhe-seer avança lentement vers les deux hommes.

"Bonjour à vous. Je devine que vous êtes cette personne qui à demander à me parler..." commença-t-elle d'une voix radieuse. "On ne m'a cependant pas informer de vos raisons pour m'avoir fait demander. Je me nomme Catriona Dhuirmuid, dame de compagnie et unique couturière de notre grande Impératrice Issendra. La louve que vous voyez à mes côtés est mon familier, Minerva. Et vous êtes?"

Tandis qu'il fut mit dans l'expectative d'une quelconque attention portée à son égard, Jehan eut à loisir le temps d'observer l'endroit où il fut laissé avec ses seules pensées et le silence comme acolytes. C'était ... charmant. On ne trouvait là aucune rudesse, celle-là même qui sied tant aux salinéens. Nulle part la beauté et la grâce ne laissaient place à la dureté et à l'austérité. Non pas que Cardrak ne sache faire preuve de richesse ostentatoire, non, loin de là, mais ici l'élégance était élevée au même niveau que la force de Cardrak. Et quelque part, Jehan aimait beaucoup ça. Même s'il adorait sa boutique et le froid cinglant de Saline, et s'il ne se voyait pas vivre à Selian, il trouvait cet endroit fort agréable au demeurant ... Une idée, peut être pour ses vieux jours - si Akaor Mir refuse de lui laisser l'usage du temps pour contrer la vieillesse - pour y vivre en attendant la mort ... Qui savait ?

Et donc, tranquillement assit dans un sofa à l'usage des invités, le styliste mage attendait depuis un moment déjà et désespérait de ne pouvoir engager la conversation avec une dame sensée ... Quand soudain l'on ouvrit la double porte par laquelle entra une femme élégante et gracieuse, qui pourtant, si les yeux de Jehan ne lui faisaient point défaut, semblait ne point le voir ... Une aveugle ? Était-ce donc la Sidhe-seer dont il avait entendu parler en épiant les conversations des clients riches qui avaient été à la cour de Selian ou en avaient eux-mêmes entendu parler à celle de Saline ? Comment se nommait-elle déjà ? ...

Bonjour à vous. Je devine que vous êtes cette personne qui a demandé à me parler ... On ne m'a cependant pas informée de vos raisons pour m'avoir fait demander. Je me nomme Catriona Dhuirmuid, dame de compagnie et unique couturière de notre grande Impératrice Issendra. La louve que vous voyez à mes côtés est mon familier, Minerva. Et vous êtes?

Oui, c'est cela, Catriona Dhuirmuid ! Ainsi, c'était donc elle, cette belle et jeune femme radieuse, exquise et précieuse ? Qu'il était dommage, aux yeux de Jehan, que cette donzelle agréable aux regards ne puisse utiliser le sien comme n'importe qui d'autre. La beauté du monde lui était cachée, et de fait, celle de Jehan lui fut inconnue et le restera. L'artiste se fit donc une raison : il ne pouvait point user de son charme avec cette créature ... Dommage ... Mais pour l'heure, il était temps de sacrifier à ses devoirs de personne noble de port et coutumier de la bienséance et du savoir-vivre ... Ce qui lui imposa de faire une belle révérence - qui, il en convint, devait être parfaitement inutile si la dame ne voyait pas - et choisit sa présentation avec soin et parfaite élocution :

Ma Dame, je ne suis qu'un humble artisan de Saline, au service de mon Roi et de mon peuple, ainsi qu'à celui des Glaces dans leur entièreté. L'on me nomme Jehan Polghotyer, styliste magicien reconnu à Cardrak et ailleurs.

Sans prendre la peine de le lui demander, mais avec douceur et précaution, usant de toute la politesse que méritait cette dame, il lui octroya un délicat baise-main, n'effleurant qu'à peine la peau douce et savamment parfumée pour ne point froisser Catriona. Du pur Jehan, alliant finesse et élégance.

Il tombe bien que vous soyez la pourvoyeuse de toilettes de votre noble Impératrice, car c'est de ce domaine que je souhaitais ardemment converser avec vous ... M'accorderiez-vous un instant de votre précieux temps, Dame Dhuirmuid ?