Agacé, Saeros arrêta un instant de s'affairer et jeta un regard noir à la jeune femme attachée au centre du pentacle.
- Arrêtez donc un peu de gigoter ! Vous ne parvenez qu'à vous faire mal, là, en frottant vos poignets contre les sangles. Vous ne voudriez pas vous tenir un peu tranquille ? Je suis debout depuis cinq heures du matin et je peux vous assurer que je commence à avoir mal au crâne. Oh, et ne me faites pas ces yeux là, jeune fille ! Si vous croyez que je trouve ça amusant d'enlever et de bâillonner les gens pour les sacrifier à des démons, je peux vous assurer que vous faites fausse route. Vous avez idée de la quantité de sang qu'il va me falloir nettoyer quand on en aura terminé ? Non, n'est ce pas. Tout ce à quoi vous pensez, c'est sauver votre précieuse petite peau. Vous ne vous rendez pas compte à quel point vous êtes petite et insignifiante ? Mieux vaut que votre vie serve à l'accomplissement de quelque chose de grand comme l'accroissement de les pouvoirs plutôt que de continuer cette existence monotone et inutile.
Étrangement, son petit monologue ne sembla pas du tout calmer la jeune fille. Au contraire, celle-ci commença même à se débattre de plus en plus violemment et ses hauts cris parvinrent presque à franchir son bâillon. Saeros poussa un soupir exaspéré et, sans plus se soucier de la jeune femme, il se replongea dans ses préparatifs. Il traça les symboles requis, disposa les bols de romarin autour du pentacle et prépara consciencieusement le couteau rituel. Quand il eut fini, il s'épongeant le front et contempla son œuvre d'un air satisfait.
- Parfait ! Tout sera bientôt terminé maintenant, ne vous inquiétez pas.
Le jeune magicien prit un grimoire qui traînait sur une petite table et le feuilleta distraitement.
- À quel page était-ce déjà ? Ah, voilà ! Page 322. Vous devriez vous sentir flattée, mademoiselle, votre sacrifice va servir à l'invocation de Naeryan… un très noble esprit.
Le grimoire dans la main gauche et le couteau dans la droite, l'elfe commença à se rapprocher du pentacle tout en ânonnant des formules magiques.
- Par la contrainte du cercle, les pointes du pentacle et la chaîne des runes…
Il s'accroupit près de la jeune femme et sécha distraitement une larme qui avait roulée sur sa joue, le tout sans jamais quitter son grimoire des yeux et sans cesser d'incanter un seul instant.
- Par la puissance du sang, la force de la magie qui sommeille en mon sein…je te somme de te présenter devant moi sans détour ni délai, et de prendre comme réceptacle le corps de cette jeune femme. En échange de cette offrande, tu garantiras l'un de mes vœux et te plieras à l'un de mes ordres.
Alors, Saeros leva haut sa lame et l'enfonça d'un geste sec dans la gorge de sa victime. Le sang éclaboussa sa tunique et il fit une grimace de dégoût. La jeune femme poussa un gargouillis à retourner l'estomac, se tressautât violemment une ou deux fois puis, enfin, rendit l'âme dans un soupir. Le magicien se releva alors et sortit du pentacle, se préparant pour la suite des opérations.
Dans le cercle, une brume noire avait commencée à se former. De seconde en seconde, elle se faisait plus volumineuse et ses contours se précisaient. Bientôt, elle avait recouvert toute la surface du pentacle et masquait le centre de la pièce aux regards du magicien. Puis, aussi soudainement qu'elle était apparue, la brume se dissipa d'un seul coup. Au centre du cercle, le cadavre se tenait à présent debout. Ses liens avaient disparus et le bâillon n'était plus qu'un souvenir. De sa gorge, un min filet de sang continuait à couler de la plaie béante. Mais le couteau avait quitté la blessure. Le cadavre ambulant le tenir dans s main droite et - l'ayant porté à sa bouche - il léchait distraitement le sang qui coulait sur la lame. Le magicien se racla bruyamment la gorge.
- Tu veux bien arrêter ça, Naeryan ? C'est très perturbant.
Le cadavre se figea et ses yeux sans vie se tournèrent vers l'elfe.
- Je ne te croyais pas si sensible, Saeros ! Ce n'est pourtant pas la première fois que tu m'invoques, tu connais mes petites habitudes.
Le jeune magicien frissonna tandis que des souvenirs désagréables lui revenaient à l'esprit.
- Oui, je ne les connais que trop bien. Mais ce n'est pas pour autant que j'y suis habitué. Assez palabré, à présent ! J'ai besoin de tes services.
- Et quels sont tes désirs, ô mon maître par : "la contrainte du cercle et les pointes du pentacle". Sérieusement, tu sais qu'il existe de nouvelles versions ? Cette formule date de l'antiquité, par Yehadiel ! Réactualise donc un peu.
Saeros ne fit pas attention à la note clairement sarcastiques qu'il pouvait percevoir dans le ton du démon.
- C'est de connaissance dont j'ai besoin cette fois ci. La magie des arcanes est une science complexe dont la maîtrise demande rigueur et sérieux. Élaborer de nouveaux sortilèges peut parfois prendre des années d'études. Je n'ai pas tant de temps à perdre. Je t'ordonne de me servir de raccourci et de m'apprendre tout ce que tu connais sur la magie des arcanes.
- Tout, je ne crois pas. Mais pour le prix que tu m'a payé, je pense pouvoir t'apprendre quelques petites choses intéressantes. Donne moi donc ta main.
Le démon s'avança jusqu'à la limite du pentacle et tendit sa paume. Saeros hésita un instant puis tendit prudemment la sienne. Quand les deux main entrèrent en contact, un éclair de lumière grésilla et passa du démon au magicien. Celui-ci hurla et sa peau se mit à luire d'une lumière surnaturelle. Le contact ne dira qu'un seul instant puis le démon retira sa paume. Le magicien s'effondra tout doucement, comme si on l'avait vidé de toute sa substance et qu'il ne pesait à présent pas plus qu'une feuille morte. Naeryan regarda la forme évanouie avec un petit sourire satisfait.
- Transférer autant d'informations d'un seul coup n'est jamais chose facile, Saeros, je pensais pourtant que tu le savais ! Enfin… ce fut un plaisir de faire affaire avec toi, comme toujours. N'hésite pas à m'appeler de nouveau si jamais tu as besoin de quoi que ce soit ! Et bien, je crois que je vais y aller à présent. On s'est bien amusés, pas vrai ? Enfin, peut être fut-ce un peu plus drôle pour moi que pour toi, je ne fais que supposer vu que tu es affreusement silencieux depuis tout à l'heure. En tout cas, sois un gentil garçon, finis tout tes devoirs et mets toi au lit vers neuf heures. Oh, et j'allais oublier ! Passe donc mes salutations à Aile Ténébreuse si jamais tu le croises. Lui et moi avons beaucoup de choses à nous raconter. Sur ce, je te souhaite une très bonne fin de soirée, ô mon maître.
Et après un immense éclat de rire, le cadavre disparut dans un nuage de souffre, laissant seul le jeune magicien affalé sur le sol.