Le froid était terrible dans les hauteurs et le vent hurlait à la chouette de s'arrêter. Frigorifié et fatigué elle ne refusa pas et descendit tranquillement vers la terre ferme, à quelque de lieu de là se trouvait Cardrak. La ville étincelait dans la nuit tombante faisant passe chaque battisse pour des palaces. La chouette, n'étant pas d'humeur à parler avec des hommes, décida de faire un simple crocher par la ville pour se ravitailler.

      En survolant les bâtiments elle repéra vite la place du marché où quels marchands étaient occupés à empaqueter leurs marchandises. L'un d'eux vendait de la viande séchée et n'avait pas rangé tout son stock. Elle ne restera plus longtemps en sa possession. La chouette replia ses ailes et fonça en ligne droite vers son futur repas. Au dernier moment elle les déploya et l'air la freina brutalement. Quand elle arriva sur les morceaux de viande la chouette choisie celui qu'elle jugea être le plus gros. D'un seul mouvement elle s'en saisie et donna un coup de patte sur l'étal pour se propulser en l'air. Le marchand ne vit même pas la manoeuvre à la fois discrète et foudroyante.

      Une fois sortie de la ville Hou décida de se mettre en quête d'un lieu qui pourrait lui servir de refuge. En survolant une colline elle vit près de là, une falaise. Elle arrêta son choix sur ce lieu car il la protégerait du vent malgré qu'un éventuel feu soit visible à des lieus à la ronde.
      Quand elle arriva au pied de la falaise la chouette voulue s'attaquer directement à son repas mais la rudesse des lieux la ramena à la réalité. Le froid lui coupa appétit, aussi elle invoqua son avatar après avoir vérifié que personne ne pouvait la voir. Aussitôt elle alla ramasser du bois et en fit une petite pyramide qu'elle alluma à l'aide d'un silex et d'un amadou sorti de sa poche.
      Très vite la chaleur se diffusa, l'absence de vent et la réverbération sur la falaise aidant grandement. Sans renvoyer son avatar, Hou reprit possession de son propre corps et mangea tranquillement la viande qu'elle avait laissé sur une pierre relativement propre.

      Son repas fini, la chouette regarda les restes de viande mais refusa de finir. C'est de la gourmandise et tu le sais, et la gourmandise c'est mal. Puis elle reporta son attention sur le lointain. En face d'elle se dressaient une série de collines couvertes d'un manteau blanc qui paressaient d'argent sous l'effet de la lune qui se s'y reflétait. À quelques lieux sur sa gauche, la ville, bien trop agité pour la chouette. En faisant faire un rapide tout d'horizon pour vérifier si personne n'aller la déranger, la chouette aperçu une silhouette au loin. Ne pouvant connaitre ses intentions ou même si elle allait venir par ici Hou attendit dans son avatar pour pouvoir réagir au plus vite et s'envola sur la branche d'un arbre mort. À une quinzaine de pas de son avatar dont elle reprit le contrôle.

         La prêtresse venait de terminer ses vêpres du soir. Celles qu'elle estimait être les plus importantes. Peu satisfaite de sa journée, elle avait été entretenue du matin jusqu'au soir et même si elle avait pu parler aux gens et s'intéresser aux personnes de Cardrak, la jeune femme aurait aimé pouvoir apporter une aide plus importante. Ainsi un sentiment d'insatisfaction l'habitait. Elle resta allongée dans son lit sans trouver le sommeil durant plusieurs heures. Elle avait pourtant bien mangé, le lit était confortable et sa sœur était en ville avec elle. Pourquoi diantre ne parvenait-elle pas à s'endormir ?

         Elle sorti du lit péniblement, à moitié somnolente malgré l'insomnie et marcha sans pudeur, entièrement nue dans la chambre. Après tout, elle était seule. Ce soir encore elle avait fait sa prière en se découvrant totalement, c'était une manière de mettre en exergue à son dieu qu'elle n'avait aucun jardin secret, aucune entorse aux règles et aucun mal entendu quant à ses principes … Du moins, c'est ce qu'elle tachait de se persuader. Après les prières, elle s'était couchée directement en espérant s'endormir rapidement mais il n'en était rien.

         Ainsi elle faisait les cent pas dans sa chambre, elle porta son regard sur la seule chandelle encore allumée. Elle s'approcha pour l'éteindre et tira ensuite partiellement le rideau afin d'observer l'extérieur tout en restant à l’abri des regards. Elle regarda la ville. En pleine nuit, les gens allaient et venaient. Des hommes portant des caisses, des couples se tenant par la main, des passants. Même les commerces qui n'accueillaient plus le publique réapprovisionnaient leur étalages durant la nuit et donnaient l'impression que Cardrak ne s'endormait jamais.


         Après quelques minutes d'observation à ne rien trouver d'intéressant parmi les murailles, une lueur attira son attention. L'émanation d'une faible lumière venant de l'extérieur de la ville. De quoi pouvait-il s'agir ? Un homme qui faisait brûler un feu alors que Cardrak était à quelques pas ? Quel intérêt ? Un voyageur qui s'est vu refuser l'entrée de la ville ? Ou encore une âme tourmentée qui broie du noir ?

Keithleen avait enfin trouvé un intérêt à sa journée, sans perdre un seul instant, elle s'habilla chaudement, récupéra son bâton et sorti de sa chambre pour se diriger vers les cuisines. Elle y prépara un thé qu'elle mit dans une gourde et sorti du manoir. Elle arriva aux portes de la ville où les gardes tentèrent de la dissuader de sortir en pleine nuit mais leur conseils restèrent vain. La jeune femme était déterminée et se lança ainsi dans sa quête d'aller voir de quoi il s'agissait.

         Elle arriva non sans peine à destination après quelques bonne dizaines de minutes de marche. Le feu était plus loin qu'elle l'imaginait ! Enfin, elle vit une personne assise au sol, toute seule et ne semblait absolument rien faire. Elle s'approcha à une dizaine de mètres et s'annonça en prenant la parole d'une manière très audible malgré le vent hurlant.


         Tout en observant la réaction de la personne près du feu, elle continuait de s'approcher doucement, en évitant de se montrer intrusive.

      La silhouette passait au loin, se dirigeant vers la ville tendis que la chouette grelottait déjà sur sa branche éloignée du feu. Au moment où elle allait se rapprocher de la source de chaleur un bruit la surpris, en baissant les yeux elle vit une chevelure rousse émerger d'entre les buissons secs. Une femme aux cheveux de feu et au regard tendre s'approchait du camps, elle sembla hésiter un instant puis héla l'avatar de la chouette:

      - Hola voyageur! Vous allez mourir de froid seul ici! Pourquoi restez-vous si éloigné de la civilisation?

      En voici une question, je fuis ce monde fou... La chouette regarda l'humaine attendre une réaction, tout en elle dégageait la gentillesse et la compassion. Peut être un îlot de bon-sens dans cette Terre à l'agonie. Hou reprit possession de son avatar tout en gardant son propre champ de vision, un exercice ardu mais que la chouette commençait à maîtriser. Une fois dans son cocon humain elle étira doucement les muscles de ce dernier pour être sur d'en avoir parfaitement le contrôle, elle tourna ensuite la tête vers la femme:

      - Hola étrangère, je ne mourrai pas de froid avec ce feu et on est à l’abri du vent ici, d'ailleurs si vous voulez venir vous y réchauffer c'est avec plaisir que je partage ma place.

      Sans attendre que la femme se rapproche Hou décida de répondre à la question qui lui avait été posé:

      - Vous savez, si je reste loin du monde c'est par choix, les bruits et les odeurs de la ville ne m'attire pas, bien au contraire comme vous pouvez le constater. Je ne comprends pas comment les humains peuvent s'entasser dans de tel lieu alors qu'ils ont tout l'espace qu'offre la nature. Hou s'interrompit en constatant que son interlocutrice était surement humaine. Je ne veux pas vous vexer bien sûr, je répondais seulement à votre question.

      Hou fit le point sur son avatar, assis en tailleur se n'était pas la meilleure position pour se défendre mais cella indifférait à la chouette. Un long manteau noir aux bordures d'argent entrelacé couvrait la majeur partie de son corps. Seul quelques mèches de cheveux noirs-bleutés dépassaient de la capuche qui ne laissait entrevoir du visage de l'avatar qu'une bouche fine au sourire malicieux. Nul arme ou ustensile venait gâcher l'accoutrement, aussi Hou était fière de l'appartenance mystérieuse qu'elle avait donnée à son avatar.

« Hola étrangère, je ne mourrai pas de froid avec ce feu et on est à l’abri du vent ici, d'ailleurs si vous voulez venir vous y réchauffer c'est avec plaisir que je partage ma place. »

         Agréablement surprise par l'accueil spontané et chaleureux que lui proposait cette étrange dame, Keithleen s'avança volontiers et vint s’asseoir à côté d'elle.

         « C'est vrai que le vent ne nous atteint pas ici, c'est très agréable ! Merci pour l'invitation. Mais dites-moi un peu, pourquoi donc restez-vous loin de la ville ? Des endroits chauds et à l'abrit du vent, il y en a d'avantage en ville qu'ici !

- Si je reste loin du monde c'est par choix, les bruits et les odeurs de la ville ne m'attirent pas, bien au contraire comme vous pouvez le constater. Je ne comprends pas comment les humains peuvent s'entasser dans de tel lieu alors qu'ils ont tout l'espace qu'offre la nature. Hou s'interrompit en constatant que son interlocutrice était sûrement humaine. Je ne veux pas vous vexer bien sûr, je répondais seulement à votre question.

- Ah ! Mais comme je vous comprends ! S'exclama-t-elle. Rassurez-vous je ne suis pas vexée, il m'arrive souvent aussi de m'éloigner de la foule et du bruit en la trouvant souvent insipide et désagréable. Du coup je m'isole dans mon monastère à ne voir personne pendant des heures, même des jours. Mais finalement, je réalise que parmi la foule, il y a des personnes. Des hommes et des femmes formidables sans qui le monde n'aurait pas de sens.

Voyez-vous, c'est ma manière de voir le monde, c'est en effet une mauvaise chose de voir la vie uniquement par les villes, mais c'est tout autant une mauvaise idée que de considérer la vie en les ignorant et en les fuyants comme la pestilence. Celui qui s'oppose à cette règle vit en ermite et se retrouvera malheureux comme les pierres. Si il y a tant d'humains, c'est pas pour vivre seul ! C'est à ça que je trouve que les villes ont parfois des bons côtés.

Tout en proposant sa gourde avec le thé à sa nouvelle amie, elle continua :

Mais revenons-en à vous, si vous le voulez-bien. Comment est-il possible qu'une personne vivant ainsi isolée, fuyant la foule me propose si volontiers de partager sa place au coin du feu ? J'ai le sentiment que vous avez bien plus d'humanité que vous ne semblez bien vouloir l'accepter. »

      Moi? Humaine? Et pourquoi pas naine... enfin bon, je ne peux lui en vouloir de penser ça de moi, après tout elle n'a vu que mon avatar.
      Une bourrasque atteignit alors Hou qui frissonna, du haut de son arbre mort. Le fait de ressentir son propre corps au lieu de celui de son avatar arranger la chouette quand celui-ci venait à mourir mais à cet instant cela l’énervait au plus haut point. Ce n'est pas que je commence à avoir froid mais presque, il serait tant que je retrouve la chaleur du feu... d'ailleurs elle m'a parlé d'humanité, et si je lui montrais la vérité.
      La bouche de l'avatar se fendit alors en un large sourire dont on devinait suivie d'un regard malicieux. Ayant toujours la majeur partie du visage cacher par son capuchon Hou prit la parole tout en se saisissant de la gourde tendu:

      - Sans vouloir vous faire peur je suis aussi humaine que vous êtes un animal. Bien que vous me voyez en face de vous ce n'est pas tout à fait la vérité... d’ailleurs je commence à avoir froid où je suis. Et du coup vous comprendrez pourquoi je ne fréquente pas beaucoup les villes.

      La chouette reprit totalement possession de son corps, prenant toujours garde à ne pas faire disparaître son avatar qui avait désormais le regard vide. Une fois assurée d'avoir entièrement le contrôle de son corps la chouette sauta de sa branche et plana jusqu'au feu. Lorsqu'elle arriva dans le cercle de lumière elle se posa à un pas de son avatar puis reprit le contrôle de ce dernier. Elle but le liquide contenu dans la gourde mais n'en perçu aucun gout comme toujours elle ne ressentait aucune sensation de son avatar, aussi le geste n'était qu'une pure politesse:

      - Je suis désolé si cela vous choque mais j'avais bien trop froid. Au faite, je me nomme Hou.

      Reprenant brièvement contrôle de son corps la chouette appuya les paroles de l'avatar d'un hochement de tête. Elle attendit avec une impatience retenue la réaction de son invité suite à de telles nouvelles.

      Quelle étrange personne, elle ne s’intéresse pas au fait qu'une chouette soit consciente mais seulement à mon avatar. Pour une fois je vais faire une exception et lui parler de moi puisqu'elle semble vouloir en savoir plus.
      Hou, dans son avatar se racla la gorge et fit mine de prendre le temps de réfléchir, après quelques secondes écoulé elle reprit parole:

      - Disons que la personne en face de vous n'est qu'une image, certes capable de se saisir d'objets mais ce n'est qu'une marionnette que je suis capable de faire apparaître et disparaître à volonté. De plus je ne ressens que ce qui vient de la chouette, même quand je suis dans mon avatar. J'espère avoir répondu à vos questions.

      Après un petit sourire gêné la chouette se blottie contre son avatar pour en capter toute la chaleur et ainsi réchauffer son plumage brun. La chouette comme l'avatar scrutaient le noir des yeux de leur interlocutrice, ceux-ci reflétaient la bonté même et une vision autre du monde. Étrangement cette femme intriguait Hou, alors que les hommes l'avaient désintéressé au fil des siècle. C'est alors avec un intérêt réel que Hou questionna la jeune femme:

      - Voilà, je vous ai tout dit, ou presque, mais je ne sais rien de vous, même pas votre nom. Et quesqu'il vous amène ici alors que, comme vous l'avez dit, la ville est bien plus accueillante.

      En baisant les yeux Hou vit un ver sortir du sol, attiré par la chaleur du feu. Elle réintégra son corps d'origine en un instant et fondit d'un rapide mouvement sur sa proie inoffensive et c'est en ce redressant que la chouette fit disparaître sa victime au fond de son gosier.