[Suite de Visite de courtoisie].


Pourquoi tant de manières, pourquoi tant de nourritures, tant de serviteurs et de fioritures pour ce qu’il s’apprêtait à faire ? Erwan, après s’être servi quelque peu de toute cette pitance qui provenait de ses terres, balaya la tablée de son regard cérulé, celui-ci étant soudainement devenu bien plus sombre et renfermé. Il goûta du bout des doigts au contenu de son auge ; certes, la chère était bonne, mais le cœur n’y était pas. Trop de gâchis, en fin de compte. A qui diable irait toute cette bombance préparée pour l’occasion et dont personne ne profiterait véritablement en cette soirée qui s’annonçait bien chagrine ? Tout cela ne tarderait pas à se flétrir et à perdre en saveur, à se noircir et à dépérir. Aux serviteurs, peut-être, qui lui sauraient fort gré de leur concéder une nourriture que leur médiocre palais ne connaissait point mais qui ne pourrait, ainsi, aucunement saisir et percevoir toute la finesse de ces mets les plus raffinés. Quid des cochons, alors, lesquels récupéreraient une grande majorité de tout ce qui se trouvait céans-même sur la table, gâté d’ici quelques jours.
Oui, pourquoi. Son sens de l’hospitalité, peut-être, ce qui s’avérait être des plus ironiques lorsque l’on connaissait la suite de la cabale. Un désir de bien faire les choses, probablement. Ou tout simplement l’importance qu’il revêtait à se montrer sémillant et alliciant pour chaque entreprise dans laquelle il se lançait, belle en apparence, mais pourrie à la racine. Mais peu lui en chalait, de ces raisons, à présent que croulaient sous cette abondance de ribotes les panneaux, tables et crédences.

Magnanime, une dernière fois tout du moins, il laissa sa voisine se sustenter tout son saoul et apprécier cette bonne cuisine qu’il avait fait préparer en son honneur. Au moins une, il en était certain, qui s’en régalerait assurément, contrairement à lui-même qui, si ses papilles gustatives en avaient l’usance, avait trop la tête à l’évent pour en profiter pleinement. Et il n’en put plus, l’attente devenant bien trop longue, aussi bien pour sa noble personne que pour ses propres gens dont la patience, en l’absence d’une action qui tardait à venir, était mise à rude épreuve. Il se leva de sa chaise, prenant appui sur la table tout en s’adressant à la vampire qui demeurait en face de lui.

« Ma chère voisine, comtesse Tiana de Nyrianës, je gage que vous vous trouvez en mon humble demeure afin de signer ce fameux traité dont vous m’avez déjà parlé. Un traité qui, suite à votre non-inféodation, me place en très fâcheuse posture si jamais j’en venais à le signer. Vous prêter main-forte sitôt que les troupes de notre suzerain, Aile-Ténébreuse, viendront monter le siège de vos propres terres. Il grimaça quelque peu, se rendant compte de sa petite incartade. Ou plutôt… Terres qui appartiennent justement audit suzerain, et dont vous bénéficiez et jouissez pleinement de l’usufruit sans jamais avoir à lui rendre de compte. Refus d’allégeance, refus de son autorité… Voilà qui vous place dans la même situation que ces rebelles que nous pourchassons assidûment. Et en ce sens-là, il me paraît tout à fait normal qu’Aille-Ténébreuse puisse placer ses soldats où il le souhaite et, pourquoi pas, sur ces terres que vous appelez vôtres.
Mais vous résistez et lui donnez du fil à retordre, allant même, perfidement, enjoindre vos voisins, lesquels lui sont fidèles, à trahir leurs vœux et leurs serments pour une cause qui ne me paraît pas très indiquée. Voilà pourquoi je vais lui faciliter la tâche. »

Clap clap. Le double claquement frénétique de ses mains retentit dans l’espace de la pièce devenue soudainement bien plus pesante et silencieuse qu’elle ne l’avait jamais été depuis longtemps, et les échos furent achevés par le son de la voix du seigneur des lieux. « Gardes ! »
Aussitôt, les trois portes de la pièce s’ouvrirent pour laisser passer une vingtaine de soldats armés d’arc et de sagettes, et un œil aguerri put remarquer que la pointe de ces dernières n’était pas faite d’un simple acier mais d’argent. Un argent qu’il avait bien choisi en connaissance de cause pour ce plan qu’il avait élaboré alors même qu’il était encore chez sa voisine, il y avait de cela tout juste une semaine. Voilà l’objet de sa lente et profonde réflexion ; que faire face à une vampire, laquelle n’était pas autre qu’une rebelle ? Il avait trouvé la réponse à ses interrogations.  

«Faites le moindre geste douteux ou belliqueux, transformez-vous en une nuée de chauves-souris ou tentez d’aspirer ma vitalité, dame vampire, et vous êtes morte pour de bon. » Toujours de l’autre côté de cette grande table en bois qui les séparait, Erwan se saisit de sa simple épée apportée par un garde avant de se retourner vers Tiana tandis que l’on apportait déjà les fers prévus pour sa personne.
«Et je vous saurai gré, également, de vous rendre sans résistance ni complication aucune. »