Cette journée-là tout semblait bien aller dans la demeure familiale. Jamais je n’aurais pu me douter de ce qui allait se produire. J’avais prévu de faire connaissance avec des membres d’une famille du village dont je soupçonnais de cacher un vampire. J’avais chargé Clara, l’apprentie cuisinière, du dessert et Michel, mon domestique le plus fidèle, de s’assurer que le ménage était plus que présentable.
En faisant le ménage du bureau de la comtesse Noir, Michel trouva sur le bureau une petite fiole de sang de mort. Un sourire mesquin s’imprima alors sur ses lèvres alors qu’il prenait la fiole entre ses doigts gantés pour la glisser dans la poche intérieure de son veston. Mine de rien, il se mit à siffloter en terminant le ménage de la pièce puis il sortit toujours en sifflotant et prit la direction de l’escalier principale.
Pendant ce temps, Clara avait commencé à préparer le dessert de la soirée choisit par la comtesse, tout en aidant du mieux qu’elle le pouvait la cuisinière. La jeune fille de seize ans à peine ignorait que dès qu’elle aurait le dos tourner, elle deviendrait victime d’une ignoble blague de la part du domestique le plus charmeur de la maisonnée.
Arrivant dans la cuisine en sifflotant toujours, Michel huma l’air et sourit à Clara qui se mit à rougir de cette nouvelle attention auquel elle n’était pas habituée de sa part, ni même de la part d’aucun homme de la maison, qu’il soit domestique ou non. Le jeune homme s’accota sur le bord du comptoir en posant son regard bleu sur l’apprentie cuisinière qui s’affairait dans la cuisine. Discrètement, il fit glisser sa main vers une petite fiole, quasiment identique à celle qu’il avait prise dans le bureau, qui se trouvait sur le comptoir pour la mettre dans sa poche droite de son veston.
« Tu peux me passer la fiole de sirop de fraise? » demanda Clara qui jeta un coup d’œil rapide vers Michel avant de regarder la pâte qu’elle avait commencé à mélanger dans un gros bol métallique.
Michel lui sourit de plus belle et acquiesça. Il se retourna pour faire face au comptoir en s’adressant à elle :
« Tu l’as rangée dans l’armoire Clara? »
« Non, je l’ai mise sur le comptoir devant toi. » Dit-elle en se retournant à nouveau brièvement pour pointer vers le comptoir.
Michel soupira et levant les mains dans les airs, il se tourna à moitié vers elle.
« Je ne la vois pas, tu es certaine que tu l’as sortir? Tu ne l’aurais pas mise ailleurs, ou oublier de la sortir de l’armoire? » demanda-t-il un peu exaspéré.
« Oui oui. Je suis certaine que c’est là que je l’ai posée. Elle devrait y être pourtant. » Dit-elle en s’essuyant les mains sur son tablier.
Elle s’approcha du comptoir et constata que la fiole n’y était plus. Elle ferma les yeux et soupira. Où pouvait-elle avoir la tête? Le souper devait être prêt bientôt, mais elle ne trouvait pas le dernier ingrédient pour le dessert. Elle posa sa main sur sa tempe. Où l’avait-elle posée?
« Attends je vais jeter un œil dans l’armoire. Regarde dans l’autre au cas où. » Suggéra-t-il.
Clara lui sourit et s’exécuta, sans trouver quoi que ce soit jusqu’à qu’elle entende Michel lui dire :
« Je l’ai. » Dit-il en se retournant. « Tu l’as mise dans l’armoire derrière la coutellerie du soir. D’ailleurs la coutellerie devrait avoir été sortie et placée sur la table. Étrange que cela ne soit pas encore fait. » Il lui donna la fiole de sang de mort en souriant puis prit ce qui devait être placé sur la table.
« Merci Michel. »
Clara se remit alors au travail, versant dans le mélange le contenu de la fiole sans remarquer de différence. Michel lui sourit et sortit de la pièce pour commencer à dresser la table. Clara se sentit rougir de nouveau, mais ne voulant pas qu’il le remarque, elle ne fit que le regarder sortir du coin de l’œil, toujours souriante.
Entre-temps, la comtesse Katharina Noir se préparait à recevoir ses invités provenant du village. Depuis leurs arrivées, des rumeurs avaient été entendues à leur sujet. On disait qu’ils cachaient au sein de leur famille un vampire, possiblement deux. Il était de son devoir de vérifier calmement ces propos, sans créer de scène. Michel était au courant de son plan, puisque c’était lui-même qui lui avait donné le nom des Connaught et qui s’était proposé d’aller leur porter une invitation en main propre puisqu’il savait qui ils étaient. Katharina l’avait gracieusement remercié et il s’était mis à la tâche immédiatement. En plus de sa grande beauté et de son intelligence hors pair, Michel avait été son premier domestique. Elle avait toujours apprécié ses services.
Elle se regarda dans la glace rapidement. Pour cette soirée, elle avait choisi une robe classique, simple, mais assez ample pour se déplacer si elle en avait le besoin. Elle cacha ses dagues aux endroits habituels puis plaça dans ses cheveux ses décorations qui étaient réellement des armes camouflées trempées dans du sang de mort. Quelqu’un cogna alors à la porte, mais Katharina l’avait entendu marcher jusqu’à sa porte bien avant qu’il cogne. Elle sourit et se retourna vers la porte.
« Entre Michel. » Dit-elle. L’homme entra alors dans la pièce.
« Les invités ne vont pas tarder à arriver, la table est mise et le souper est prêt. Le dessert est en train de cuire Comtesse. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour me rendre utile? » demanda-t-il avec la plus grande politesse.
La vampire fit quelque pas vers lui et se tourna pour lui montrer son dos.
« En fait, la femme de chambre qui devait m’aider semble avoir disparu. Pourriez-vous m’aider en agrafant ma robe? » dit-elle en lui jetant un regard par-dessus son épaule.
L’homme aux cheveux noir sourit, ferma la porte derrière lui et s’approcha lentement vers elle. Il entreprit alors de fermer l’arrière de sa robe avec aisance. Il avait l’habitude. La femme de chambre chargée d’aider la comtesse semblait toujours disparaître peu de temps avant ce genre de soirée, comme si elle avait peur de la colère de la maitresse de la maison qui se montrait pourtant généreuse envers ses domestiques. Michel avait toujours admiré la vampire, sa beauté, sa grâce, mais jamais il n’avait osé poser un geste envers elle, mais il savait depuis longtemps qu’elle ne portait pas une attention similaire à son égard ce qui le frustrait plus que n’importe quoi. Il s’efforçait toujours de lui rendre service et ce soir elle le remarquerait enfin.
« Merci, Michel. » Dit la chasseuse en se retournant, sortant le jeune homme de sa rêverie. « Assurez-vous que rien ne tourne mal avant leur arrivée. Je vais dans mon bureau un moment. Venez me prévenir lorsqu’ils seront arrivés je vous pris. »
L’homme lui fit une révérence et sortit de la pièce pour refermer la porte derrière lui. Lorsque les invités arrivèrent enfin, l’hôte de la maison les accueillit et les guida jusqu’à salon pour prendre un apéro avant de passer au souper qui fut des plus excellent. Durant ce dernier, la conversation allait de bon train, sans toutefois aborder le sujet épineux, mais Katharina savait qu’elle en aurait le cœur net. Elle avait déjà prévu leur offrir de dormir dans une de chambre d’invités puisque la soirée se terminerait tard, c’est-à-dire tôt.
L’heure du dessert arriva enfin. À ce jour, la comtesse avait eu l’occasion de discuter avec Madame Claire Connaught, Monsieur Jay Connaught et une de leurs filles Isabella Connaught. Isabella paraissait un peu trop superficielle aux yeux de la chasseuse, mais cela n’était pas une raison suffisante pour la soupçonner d’être de la même race qu’elle. Sous l’éclairage de la salle à manger, elle avait l’air d’une jeune fille ordinaire, mais la chasseuse avait cru remarquer qu’elle n’avait presque pas touché à son souper. Lorsque le dessert aux fraises arriva enfin, l’hôtesse insista pour qu’ils goûtassent en premier sans se douter qu’il y avait dans le mélange du sang de mort. Elle le comprit lorsqu’elle vit Isabelle en manger puis commencer à s’étouffer. Discrètement, elle huma le gâteau et comprit. La jeune fille était dans d’atroces douleurs, mais Katharina avait eu sa réponse. Elle se leva brusquement pour aller porter main forte à la jeune femme, mais c’était trop tard, elle était déjà paralysée. La famille quitta la demeure avec leur fille en promettant à la maitresse qu’elle regretterait avoir mis du sang de mort dans leur dessert, mais Kat fit la sourde oreille et leur claqua la porte au nez. Elle avait des choses plus importantes à faire.
Elle se dirigea directement vers la cuisine et se dirigea vers Clara qui avait eu le temps d’entendre parler de l’incident du sang de mort et du vampire à la table. L’apprenti cuisinière regarda sa maitresse les yeux pleins d’eau.
« Je suis désolée, je vous jure que j’ai suivi la recette. Je n’ai rien mis dans le mélange. » Dit-elle en larme, tenant le flacon dans les mains. « Tenez, c’est ce flacon-ci. »
Katharina saisit le flacon et le reconnu immédiatement, c’est celui qu’elle avait laissé dans son bureau. Elle leva les yeux vers la jeune fille en larmes et apeurée de ce qui adviendrait de son sort.
« Où as-tu pris ce flacon Clara? » demanda-t-elle instamment.
« Je croyais l’avoir mis sur le comptoir, mais je l’avais laissé dans l’armoire derrière la coutellerie. C’est Michel qui me l’a retrouvé pour moi. » Avoua-t-elle, tentant de se retenir. Soudain, elle se jeta aux pieds de la chasseuse la suppliant de l’épargner, elle n’avait pas voulu mal faire.
Katharina regarda le flacon une dernière fois puis se pencha pur prendre une main de Clara, un sourire réconfortant sur ses lèvres.
« Ne t’en fais pas, ce n’est pas de ta faute. Le sang de mort possède une odeur particulière. Il faut simplement savoir comment le remarquer, je te montrerai demain comment faire. Pour ce soir, va te reposer. Je crois que tu as eu assez d’émotion forte pour le moment. » Dit-elle d’une voix chaleureuse.
La jeune fille releva la tête et obéit. Katharina demanda à la cuisinière de la raccompagner jusqu’à sa chambre avant de sortir de la cuisine pour se rendre à la salle à manger. Ses yeux devenus rouge vif se posèrent alors sur Michel qui s’affairait à défaire la table.
« Michel. » Dit-elle d’une voix remplie de menace.
Ce dernier leva les yeux vers la porte de la pièce et comprit. Il se redressa et la suivit jusqu’au sous-sol. Une fois loin des yeux, Katharina se retourna vers lui.
« Tu m’as trahie ce soir. Dire que je te faisais confiance Michel. Tu étais le seul à connaître à mes plans pour la soirée pour cette famille. Tu m’as trahie. » Dit-elle en haussant de plus en plus le ton.
« Mais vous savez qui est le vampire non? » dit-il froidement.
Katha ne prit pas cet affront, en moins de deux, elle avait sa main à sa gorge, serrant juste assez pour lui couper le souffle un peu. De son autre main, elle frappa sur le mur à côté de sa tête.
« Sais-tu ce que je suis, Michel? » demanda-t-elle.
« Oui… » put-il à peine articuler alors qu’il posa ses mains sur le poignet de la femme.
« Sais-tu ce qui m’empoisonne? »
« Ou… i… » eut-il du mal à laisser s’échapper de ses lèvres.
« Alors, dis-moi précisément ce que tu as fait ce soir? » insista-t-elle en relâchant la pression pour finalement retirer sa main.
« Je voulais simplement aider. Je savais que cette fiole contenait du sang de mort et que cela empoisonnerait le vampire. J’ai donc échangé la fiole de sirop avec celui-ci. » Avoua-t-il.
Katharina lui répondit furieusement :
« Et tu savais que je m’apprêtais à manger ce dessert, mais tu n’as pas cru bon lorsque tu es venu me voir un peu plus tôt de me prévenir de ton petit plan? Tu sais très bien que c’est un affront impardonnable Michel. Et je tiens bien à ce que tu apprennes de ton erreur. » Lui annonça-t-elle.
En moins de deux, elle lui mordit le cou. Elle avait l’intention de lui faire comprendre ce que c’était que de se faire empoisonner par le sang de mort. Elle le changea donc en vampire. Lorsqu’il revint à lui, il était dans une cellule, ses bras attachés au plafond par des chaines. Katharina se tenait devant lui, droite et froide. Elle lui confirma ce dont il se doutait déjà :
« Tu vas maintenant comprendre ce que tu as fait. » Elle lui fit alors boire directement ce qu’il avait fait mettre dans le mélange.
Toujours furieuse, elle lança sur le mur derrière lui le verre qui avait servi à lui faire boire et fixa sur lui un regard rempli de haine. Elle le regarda alors qu’il le regardait, essayant de se battre contre le poison. Finalement, elle ferma les yeux et elle l’entendit murmurer avec difficulté :
« Je… vous… aime… »
Elle sortit sa lame et lui trancha la tête. Cette dernière roula jusqu’à ses pieds et la jeune vampire soupira, mais aucune larme ne coula de ses yeux qui avaient repris leur couleur normale. Elle le détacha des chaines, prit la tête et brûla le corps. Pour sa famille et pour les autres domestiques, elle décida de l’enterrer avec une cérémonie. Elle mit ses cendres dans un pot simple, entourer de ceux qu’ils l’avaient aimé, mais Kat se tint à l’écart. La veille, elle avait réuni tous ses domestiques dans le salon pour lui dire ce qu’avait fait Michel et menaça que quiconque faisant la même chose subirait le même sort. Elle ne leur raconta pas comment elle l’avait tué parce qu’elle jugea que cela n’était pas nécessaire.
Une fois les funérailles terminées, Katharina s'enferma toutefois dans son bureau jusqu'à la tombée de la nuit. Elle se promit qu'une telle erreur ne se produirait plus dans son domaine.