Moins d'une journée. Il m'avais fallut moins d'une journée pour passer d'un paysage à un autre, d'un continent à un autre, d'un pays à un autre. Le concept de pays m'intriguais encore, comme toutes les étrangetés de cette nouvelle époque. "Tout cela ne me rajeunit pas" aurais-je du penser, mais paradoxalement, je me sentais trop jeune, trop immature pour comprendre les logiques qui animaient Terra aujourd'hui. 

Le matin même, après une longue réflexion le soir précèdent au cours de laquelle Orian avait décrété que je serais plus en sécurité dans un pays à tendance rebelle, nous étions partis d'un petit port sur la cote des plaines mystiques. Petit port, ou plutôt minuscule ponton, isolé de tout village, auquel était amarré un bateau de belle taille ( surtout en comparaison avec le ponton), lequel ne souhaitait visiblement pas que son passage sur les Terres du démon soit signalé dans les registres. Mais toutes ces considérations conspiratrices ne m'avait absolument pas effleurées l'esprit; la seule vue d'un bateau, immense maison flottante, suffit à me garder silencieuse pendant plusieurs minutes. Combien d'autres surprises me réservait encore la civilisation dominante sur Terra, issue d'une multitudes d'espèces, majoritairement dérivées de la race humaine et dont le mélange semblait donner naissance aux plus grandes avancées techniques imaginables?!

Guidée par Orian, je m'étais approchée du bateau, sous le regard sérieux des trois matelots qui attendaient les ordres de leur capitaine avant de me bloquer l'accès ou de m'éliminer, de m'accueillir à bord ou ne serait ce que de m'adresser la parole. D'emblée, je leur donnais toute ma confiance, et expliquais rapidement ma situation. "Pas besoin d'en dire trop" m'avertit Orian, aussi je ne dit rien de mon passé, concentrant mes explications sur mon besoin de sécurité. Je me découvrais, depuis mon retour à la Vie, un étrange pouvoir de persuasion, qui ne passait ni par la menace ni par l'argumentation, mais dans la confiance que je donnais sans condition autour de moi et qui m'était souvent rendue. Bien que tous semblaient attachés à un étrange dicton "il ne faut pas se fier aux apparences" _ maxime trop empreinte de paranoïa à mon goût _ certaines semblaient définitivement être classées "non dangeureuses". Être petite, faible , désarmée et´souriante par exemple. 

Quoiqu'il en soit, je fut acceptée à bord, descendit rapidement dans les cales et, respectant le silence des marins, resta calme pendant l'ensemble du trajet. 
- Dame, nous seront à quai dans 10 min. 
J'hochait la tête, me levai et prit dans ma main ma cape roulée en boule qui m'avait servit d'oreiller pendant les heures précédentes. Dehors, malgré le fait que les Glaces soient déjà visibles à l'œil nu, il ne faisait pas froid. Je rejoint le capitaine à l'avant du bateau.
- Merci, merci beaucoup pour ce trajet, je ne sais comment vous remercier.
- Y a pas de quoi, tant qu'on peut rendre ce monde un peu meilleur, pourquoi pas le faire?Je n'eut pas d'autre réponse à lui offrir qu'un léger sourire.- J aurais pas le temps de m'occuper de vous à l'arrivée, reprit-il, comme s'il regrettait déjà d'avoir prononcé une phrase trop pleine d'espoir. nos trajets ne sont pas vraiment légaux, et même si l'on risque moins ici que sur Terre je ne prendrais pas le risque de rester à quai une fois la marchandise chargée. Descendez rapidement, longez le port et vous tomberez sur une petite auberge face à la mer, "L'Affront" qu'elle s'appelle. Y a que des gens bien là-bas, vous ne risquerez rien. Il s'arrêta en jetant un coup d'œil sur la robe légère qui me couvrait. Mais, si je peux me permettre, remettez votre cape, les Glaces sont mieux fréquentées que le reste de Terra mais inutile de vous faire d'illusions, il y a des malfrats partout. La rébellion n'est pas toute blanche!  Rougissant, j'enfilai rapidement sa cape et la fermai soigneusement à l'avant. Voilà des problèmes qui me mettent terriblement mal à l'aise et qui n'auraient jamais été imaginables "de mon temps". Mais ton temps, c'est aussi maintenant Eve! 

Suivant les instructions du capitaine, je m'éclipsai rapidement à l'arrivée du bateau, et marchai le long du grand quai vide couvert de brume jusqu'à l'auberge indiquée. Il me fallut plus de 10 minutes pour traverser le intégralement malgré l'absence de tout autre navire. Quelques individus chuchotaient entre eux, assis sur le bord des pontons, les pieds dans le vide et le visage masqué par de large chaperon.
"A Sen'stura, fait comme les Sen'sturiens!" Chuchota Orian dans mon esprit, comme par peur d'être entendu. " Mais... nous ne sommes pas à Sen'stura!" Il soupira, de la même façon qu'il soupirait une centaine de fois par jour quand je ne comprenait pas quelque chose. "C'est une expression, quand tu vas quelque part, tu dois calquer ton comportement sur celui des gens autour de toi si tu veux éviter les problèmes!" J'hochai la tête, n'ayant aucune envie d'entrer dans un débat pour le moment, mais j'imaginais déjà un certains nombre d'endroit dans lequel il était hors de question que j'agisse comme les autres.

Au bout du quai, j'aperçut comme prévu une auberge dont les lumières brillaient dans l'obscurité croissante. Exactement là où je l'avais imaginé, mais 300 mètres plus haut. En effet, elle avait été bâtie au sommet d'une immense falaise abrupte qui s'enfonçait vers le large, bravant les vagues et la mer, sans paraître subir la moindre érosion. Il me fallut donc revenir vers l’intérieur des Terres, afin d’accéder au plateau par un chemin en lacets qui se déroulait sur une côte moins abrupte de cette presqu'île. Le détour nous coûta plus d'une heure, et quand j'arrivais enfin au gîte les derniers rayons de soleils disparaissait. Pressant le pas, soucieuse d’éviter l'obscurité qui me terrorisait tant, je m'empressai de pousser la lourde porte d'entrée et la refermait derrière moi, le souffle court.

L’intérieur de l'auberge était à l'image du paysage extérieur; brumeuse (mais sans doute était-ce là le mélange de quelques épaisse fumées), d'une luminosité restreinte, une atmosphère étrange, entre l’inquiétant repère de trafics illégaux et l'impressionnant dîner familiale après la mort d'un arrière grand-oncle que personne ne connait. Les voix étaient basse, mais tout le monde semblait se connaitre; tous étaient regroupés en petits groupes, attablés à des tables différentes, mais régulièrement l'un ou l'autre changeait de table. L'ambiance flirtait entre l'étrange et l’inquiétant. Tachant d'être discrète, malgré ma grande maladresse, je m'assit à la table vide la plus proche, dos contre le mur. Qu'importe la nature exacte de ce lieu, je me se senti rassurée et retrouva mon petit sourire mélancolique, les pensées partagées entre le futur de cet étrange monde et les souvenirs de mon passé.

Je restai un long moment immobile, observant avec attention l'animation de l'auberge. Autrefois, dans un passé se mélangeait avec les rêves, je n'aurais jamais été capable de rester aussi longtemps calme, inactive, en simple position de spectatrice. Mais depuis mon retour, tout était si ... nouveau! Avec curiosité, mon regard s'accrochait sur chaque petit détails. Je voulais comprendre l'utilité de tel objet, découvrir d'où venait une étrange odeur inconnue, quel matériaux produisait ce petit son régulier, masqué par les conversations. Sans reelement capter de conversation, j’entendais souvent des petits bout de phrases, découvrais de nouveaux mots sans vraiment les comprendre. Plus encore, j'était fasciné par les interactions entres les personnes présentes dans la pièce. C'était des rires, des paroles chuchotés, des cris, des appels,... mais aussi des expressions sur les visages, des gestes pour appuyer les mots, des gestes pour remplacer les mots, des attitudes, des petits tics, et bien d'autres particularités qui rendait chaque individu unique. Et pour chacun d'eux, je tentait d'imaginer sa vie, son enfance, ses rêves, sa famille...

- Tu sais que tu fais un peu tâche?

Je sursautai, émergeant de mes pensées. Combien de temps était-je restée ainsi, plongée dans l'observation de ce petit monde? Plusieurs heures, à en juger par les bouteilles vides qui s'accumulaient sur les tables et ronflements de ceux qui avaient dû un peu forcer la dose d'alcool. En levant mon regard, j'aperçut Orian, perché sur une poutre en hauteur.

- Tâche? Tu crois qu'une colombe blanche se baladant gaiement dans une auberge, c'est normal?

- Je me ballade pas, je ... je ...  Il buta sur ses mots, l'esprit étrangement embrumé.

- Orian, qu'est ce que tu as bu?

Je n'eut pas d'autre réponse qu'un petit rire satisfait de la part de la colombe. J'allais lui conseiller de descendre de son perchoir quand une scène attira mon attention. A moins d'une dizaine de mètres de moi, le silence s'était fait autour de deux hommes. Le premier, visiblement assez âgé, les mouvements ralentis par l'alcool, fixait le second. Celui ci était d'ailleurs la cible de tout les regards. Le visage masqué par un capuchon, il semblait plus en possession de ses moyens que le reste des hommes de sa table, mais j'aurait bien été incapable de donner la moindre indication sur sa personne.
D'un geste qui sembla dénouer la tension croissante autour de lui, il repoussa le capuchon, dévoilant un visage harmonieux, indéniablement humain mais marqué par des nombreuses cicatrices.
Je frissonnait à la vue de ses marques. Pas par dégoût, mais en tentant d'imaginer leur origines. En apercevant une pointe de dégoût et de peur, dans certains regards autour du jeune homme, je fronçait les sourcils. Ses compagnons de beuveries ne devraient-ils pas témoigner d'un peu plus de respect face à de telles blessures? D'ailleurs, il fallait reconnaître que la majorité d'entre eux semblait plutôt impressionnée.

Je ne put reelement suivre la suite des événements car l'aubergiste vint s'asseoir en face de mon et annonça sans détour:

- Si tu ne consommes rien, tu pars. Il laissa la déclaration faire son petit effet et ajouta: Ou alors, tu aides!

Le choix n'en était pas reelement un, il était impensable pour moi de sortir dans la nuit noire. D'un hochement de tête, je lui fit comprendre que j'était prête à aider. Il se leva, me fit signe de le suivre, et traversa la piece jusqu'à une discrète porte qu'il poussa dévoilant ainsi un dortoir, d'une vingtaine de lit de modeste qualité.

- C'est pas du luxe, mais c'est mieux que rien. Je fais de politique moi, mais les rebelles sont des gars biens. Ils donnent beaucoup pour les Glaces, et pour Terra en général, alors je peux bien faire un petit quelque chose pour eux, tu vois? Tous ceux qui sont pas en état de rentrer chez eux - quand ils ont vraiment un chez eux - je les mets là dedans, c'est toujours mieux que de dormir par terre ou sur une table!

Il referma la porte et ajouta d'une voix plus professionnelle:

L'idée c'est de ramener dans un lit tout ceux qui roupillent dans la salle. Si tu fais ça, je te forcerais pas à boire un verre qui te mettrais KO à la première gorgée et je t'ouvrirais même une chambre individuelle au premier étage.

J’acquiesçai sans un mot tandis que les paroles du pilotes résonnaient dans mon esprit " Y a que des gens bien là-bas". Malgré leur manières un peu rudes, cet aubergiste avait sans doute un grand cœur pour avoir mis en place un tel système. Souriante, sans vraiment trouver d'autre raisons à ce sourire que la joie d'être utile et le plaisir de rencontrer des personnes d'une telle générosité, je me mit au travail. Rapidement, il apparut que je serait incapable de transporter le moindre d'entre eux et l'aubergiste annonça une nouvelle répartitions des rôles. Ils amenaient les dormeurs sur les lits, je n'avait plus qu'à étendre quelques épaisses couvertures. Avec application, je remplit mon devoir, bordant soigneusement chacun d'entre eux. Une grande majorité d'humains, que je regardai dormir avec attendrissement; Nayris avait beau dire que les miens étaient devenus des machines de guerres s'entretuants jour et nuit, j'avais sous les yeux la preuve qu'ils pouvaient aussi être innofensifs et pacifiques... a conditions d'avoir ingurgité une bonne dose d'alcool auparavant!

Finalement, je retournais dans la salle qui se vidait peu à peu. Certains montaient dans les chambres reservées à l'étage, d'autres rentraient chez eux, une quinzaine avait été transféré dans le dortoir et une petite dizaine restait attablée. L'homme aux cicatrices était encore là et, poussée par la curiosité, je m'assit à sa table. Avec une maladresse bien involontaire, j'observait un instant ces marques qui témoignaient sans doute d'un événement douloureux du passé de l'homme. Tout en tachant de masquer la compassion qui devait transparraitre sur mon visage - Orian m'avait récemment appris que de nos jours, la compassion n'était "qu'un moyen pour les faibles de dire aux autres faibles qu'on ne peut rien y faire" - je sourit poliment à l'inconnu.

- Excusez moi, je suis terriblement mal élevée! Malgré cette affirmation, je ne put retenir une question qui jaillit de mes lèvres avant que je n'ai put y reflechir. Est ce que... ça fait encore mal?

Il y avait désormais ce que l'on pourrait appeler une ambiance de mort, plus personne n'osa faire de bruit volontairement, tous les visages se tournèrent vers moi, mais je ne le regardais pas, je ne voulais pas les voir. Que ce soit de la pitié ou du dégoût, je ne voulais pas savoir, je me demandais juste pourquoi j'avais fait ça ? Car à présent, je le regrette. Le vieux rebelle tourna les talons, préférant boire que de continuer à me parler, j'avais au moins réussi à le faire cesser de me questionner, mais à quel prix ?
L'ambiance était retombée et plus personnes ne parlait à voix haute.

Les gens commençaient à rentrer chez eux ou bien montaient à l'étage pour ceux qui avait loué une chambre seulement quelques rebelles étaient partit et c'est en portant mon regard là où la jeune fille se trouvait auparavant que vis qu'elle n'était plus là elle aussi. L'aubergiste faisait des allers-retours en transportant les corps des rebelles trop ivres pour partir et chaque soir, c'était la même rengaine.

Le voyant transporter seul les corps uns à uns, je me proposais de l'aider.



*Suis-je si effrayant ? Où est-ce mon attitude qui est trop brutale.*


Peu à peu, la pièce se vida, il ne restait bientôt plus que moi, perdu dans mes pensées comme toujours, car dans un lieu pareil, je ne pouvais faire que cela. Le temps passait lentement, enfin, c'est ce que je crus, je m'étais comme déconnecté et c'est en sursautant intérieurement que je la vis, la jeune fille était là, assise en face de moi et tout sourire.


À ces mots, je ne pus qu'acquiescer un sourire tout en me demandant ce qu'elle faisait-là ?


Je dois avouer que je ne m'y attendais pas et je crois que cela s'est vu, car mon sourire disparu aussi tôt. Alors que je réprimais des larmes sur un sujet si sensible, je me remis à boire mon verre me laissant ainsi le temps de préparer une réponse. Je me mis donc à vider mon verre tellement gauchement que l'hydromel coula le long de ma mâchoire et sur mon pantalon, quel spectacle pitoyable devais-je donner ?

Aïe... Mauvaise question à en juger par la réaction de l'homme. Je me giflais mentalement; il fallait être bien bête pour poser une telle question après l'incident auquel j'avais assisté plus tôt! J'allais lui donner l'impression que seules ses blessures définissaient son être, que seules elles donnait un intérêt à sa personne. Ce n'était pas mon but, mais je relisait l'ampleur de ma maladresse et rougit fortement, embarrassée.
Il porta à sa bouche son verre, éludant ainsi la question, et ce n'est pas moi qui le forcerais à revenir sur le sujet! Une erreur suffit, me promettais-je intérieurement.

-- Désolé pour ça. S'excusa t-il après avoir maladroitement renverser de l'alcool sur ses vêtements. Je souris, sans la moindre moquerie, mais parce que la maladresse se faisait décidément reine de rencontre. Et il valait mieux en rire qu'en pleurer.

Et pour le spectacle de tout à l'heure.

Je secouais la tête pour exprimer mon désaccord. Il n'était absolument pas responsable de ce qui c'était passé, et je n'aurais pas du lui rappeler l’événement avec ma question stupide. Si quelqu'un devait s'excuser, c'était moi.

- Pardon, j'ai oublié de me présenter, je me nomme Evrann.

Décidément, que d'excuses! Cela me mettais d'ailleurs plus à l'aise, étant moi-même de ce caractère. Les coutumes avaient bien changé sur Terra, il me semblait comprendre que la valeur et le respect que l'on portait aux autres dépendaient plus de leur agressivités et de leur capacité à s'imposer que de leurs efforts pour accueillir l'autre.

- Enchantée! Je me nomme Eve, et c'est moi qui aurait du penser à me présenter avant de vous importuner! Je n'ai pas grand chose à vous offrir pour me faire pardonner.

Elle jeta un oeil au verre de l'homme et sourit:

- Pourquoi êtes vous encore debout, vous ne buvez pas la même chose que vos amis? Je n'ai jamais vu une boisson aussi efficace en tant que somnifère!

HRP:

J'écoutais attentivement Evrann et découvrais derrière certaines phrases des notions bien nouvelles. Les boissons alcoolisées, peu répandues de mon temps et plutot dédiée à la fête, trouvaient un nouvel intérêt dans leurs excès et devenaient une sorte de traitement curatif. Il parlait aussi de l'horreur, sans doute celle de la guerre qui ravageait aujourd'hui Terra, comme me l'avait appris Orian, même si je n'avais pas encore saisit les différents enjeux de cette guerre.

J'était donc face à un soldat, de jeune âge, affirmant avoir moins d'experience que ses compagnons, mais je gardait un doute sur ce dernier point: on ne sort pas indemne de blessures comme celles qui parcouraient son visage.

Les gestes un peu hésitants, brouillés par l'alcool, il se leva pour realiser "un petit tour". Il m'assura même que ce n'était "pas grand chose" avant de prononcer quelques mots à voix basse... "Pas grand chose"?! Se riait-il de moi? L'apparition qui jaillit de ses mains me laissa emerveillée: une myriade de papillons s'envolèrent autour de nous, liberés par l'energie creatrice d'Evrann. Moi qui aimait tant tout ce qui donne vie, qui crée, j'était comblée!

Un sourire béat sur les lèvres, les yeux brillants, je restait un instant sans voix. Même dans les lieux les plus improbables, il se passe des choses extraordinaires! Et tout cela renforça une conviction en moi: la vie est belle.

- C'est absolument magnifique! C'est un beau pouvoir que vous avez!

Puis, me souvenant de ses paroles, je m'assurais que ma présence ne lui pesait pas:

- Ne devriez-vous pas aller dormir à présent? Si vous devez aller "patrouiller" - je trouvais, a la manière d'une enfant, le mot fort amusant - demain,chassez les pensées qui agitent vos songes et profitez d'un temps de repos!

J'appuyais mes paroles d'un sourire encourageant car je n'étais pas étrangère aux nuits agitées. Les démons nocturnes se peuvent se chasser par quelques mots encourageants, sans doute est-ce à chacun de faire un travail intérieur vers la guérison... quand celle-ci est possible. Mais parfois, il peut aussi être bon d'écarter ces soucis et de se ressourcer, de se détendre et de se changer les idées en pensant à autre chose. Alors je restais là, prête à le laisser dans le calme s'il le désirait, prête à discuter encore s'il le souhaitait.

Je le laissait se préparer sans rien dire, plongée dans mes pensées. Il y avait quelque chose de fort chez cet homme qui, d'un coup, semblait se prendre en main, se lever pour diriger sa vie. Étais-je trop maternelle avec cette nouvelle société issue de la race humaine? Non, ce n'étais pas le bon mot, j'étais plutôt impressionnée par ces jeunes qui, sans reelement saisir la complexité et l'histoire de ce monde, avançaient par eux même et traçaient leur route sans renoncer.

- Eh bien mademoiselle Eve, ce fut un plaisir de vous avoir connue.

J'hochais simplement la tête, réalisant alors la fatigue qui pesait sur moi du fait de cette nuit entière passée sans dormir. Déjà Evran s'éloignait, franchissait la porte et disparut. Figée dans une étrange indécision, j'observait le verre d'Evrann resté face à moi. Tout ce qui restait d'une étrange rencontre qui laissait comme un gout... d'inachevé. Il n'en fallait pas plus pour me décider et, d'un geste vif, j'attrapais Orian qui dormais sur une chaise, passa la lanière principale de ma sacoche sur mon épaule et sortit de l'auberge.

Le soleil doux et l'air frais du matin me firent frémir. Quelle belle journée, j'aurais été bien bête de rester terrée dans cette grande bâtisse! Une centaine de mètre plus loin, la silouhette d'Evrann descendait sur le chemin d'un pas énergique.

- Evrann! L'appelais-je, avec un signe de main en m’empressant de le rejoindre. Arrivée à sa hauteur, le souffle court, je m’expliquais. "Je voudrais juste... si ça ne vous dérange pas! Faire un peu de route avec vous! Oh, je ne vous embêterais pas longtemps, mais je connais peu les lieux et, à condition que vous acceptiez, je voudrais voyager un peu en compagnie de quelqu'un qui connais un peu ce monde!"

Je lui sourit avec sincerité. Pourquoi cette improbable rencontre ne pourrait-elle pas déboucher sur une belle amitié?

"Un navire qui accepterais de nous emmener... je cherche un navire... un navire..." Je répétait en boucle ma mission pour être certaine de ne pas me laisser distraire par autre chose. "Celui qui vous à amener ici devrait faire l'affaire" avait-dit Evrann. Je doutais qu'il fut encore à quai mais, soucieuse de bien faire et de ne pas décevoir mon nouveau compagnon de route, je remontait lentement le quai vers l'emplacement où il s'était amarré.

En marchant, je caressait doucement Orian, encore endormi, blotti contre moi. Éveillé, il n'aurait jamais accepté ce genre de tendresse, trop indépendant, trop fier. Malgré de longues recherches dans mes souvenirs, il m'était impossible de retrouver quoique ce soit qui ressembla au principe de ce qu'ils appelaient aujourd'hui les "familiers". Peut être que nous étions alors bien plus proche des animaux que ne les sont les hommes aujourd'hui et que ces derniers, comme pour compenser ce manque de lien avec les autres créatures, concentrent leur relation sur un seul animal...
Dans notre cas, s'il fallait rationnellement donner une raison a la connexion qui s’était établie entre Orian et moi, je dirais simplement que j'avais besoin de lui. Besoin de quelqu'un qui me guide pour ces premiers pas dans cette nouvelle époque.

Contrairement à mes prévisions, le bateau qui m'avait amené sur ces terres n'était pas déjà reparti et se dressait majestueusement entre d'autre petites barques malmenées par les vagues. Vision fantomatique, accentuée par l'absence totale de signe de vie autour. Pas un marin, pas un chat. Après une légère hésitation, j'empruntait une passerelle monter sur le pont.

- Et bien, vous ne pouvez plus vous passez de nous!
En sursautant, je me retournais. Le capitaine était assis entre deux caisses en bois, une pipe à la main, le regard moqueur.
- Oui, il y a un peu de cela... Je souhaiterais rentrer à ... Je réfléchit un instant pour retrouver le nom de ce "pays" que nous avions quitté hier. Terre!
- Déjà? Les Glaces ne sont pas très accueillante, je vous l'accord, mais là vous faites fort!
- C'est un oui?
Il haussa les épaules.
- Bah, je ne vais pas vous laisser ici sans argent ni aide! Nous partons dans une heure, si vous êtes là tant mieux, si non tant pis pour vous.
- Merci beaucoup! Oh, et je ne suis pas seule, il y a une autre personne qui voyage avec moi maintenant, ou plutot je voyage avec lui.
- Ben voyons, tant que vous y êtes, invitez toute votre famille la prochaine fois!

Toute sourire, j'esquissa une petite révérence et redescendit sur le ponton pour attendre Evrann... Pourvu qu'il arrive à tant pour le départ et que tout se passe bien de son coté!

Le camp était déjà mouvementé, chacun s'afférait à ses affaires, ses corvées ou à donner des ordres. Mon entrée se fit donc assez discrètement, sans regarder qui que ce soit je me dirigeais vers ma tente, saluant ceux qui me salue tentant de paraître le plus à l'aise possible.

En entrant à l'intérieur, j'agissais promptement, sachant où se trouve chacune des choses dont j'avais besoin et les fourrais dans mon sac. Mon grimoire en était l'exception, préférant l'accrocher à ma ceinture. Je déposais la lettre sur ce qui me servait de lit, pris mes affaires et sortis de la tente.

J'avais l'air de tout, sauf d'un rebelle qui partait patrouiller. Ma démarche était lente, mais mon cœur, lui, palpitait. Je savais que les déserteurs étaient relativement mal vus, bien qu'avec le contenu de ma lettre, je ne serais plus considérer comme déserteurs, mais d'ici là, j'en étais un. J'avais l'impression que les regards étaient figés sur moi et certain se mirent à rire, et j'ignorais pourquoi.

Le chef du secteur, s'adressa à moi comme si de rien n'était, et tout le monde riaient, alors que j'ignorais toujours pourquoi, sur le moment j'étais pris au dépourvu.



Comment? Il ne se doute pas de ce que je fais.


C'est avec un pas plus tranquille que je ressortais du campement et à peine celui-ci n'était plus à portée de vue, je me mis à courir jusqu'à en perdre haleine vers le port. En arrivant, je cherchais Eve, en espérant qu'elle ait réussi à trouver un bateau pour le transport.

Je la vis, sur le quai, elle m'attendait à priori, en marchant vers elle, je me sentis enfin libérer d'un fardeau et surtout, je pourrais enfin quitter ce maudit bloc de glace.




Je laissais Eve monter la première en lui acquiesçant un sourire, avant de me rendre compte des dernières paroles du capitaine, mon visage pâlit.

Le mal de mer, mon pire ennemi...

Scrutant la mer sombre, j'attendis patiemment Evrann. Cette grande masse d'eau obscure ne me rassurait pas, ne pas en voir le fond et les êtres qui si déplaçaient m’inquiétait et rappelait à ma mémoire des souvenirs angoissés des Limbes.
Les liens que l'on pouvaient faire entre la mer et le monde de Nayris étaient nombreux. Immenses, sombres, oppressants, hostiles à l'homme. Et tout deux reflétaient un autre monde, tel un miroir déformant de la Création.

Des bruits de pas rapide sur les planches du ponton me tirèrent de mes pensées. Je souris en voyant Evrann s'approcher, soulagée. Qu'aurais-je fait s'il n'était pas venu? Comment le retrouver dans ces terres inconnues ? Non, décidément je n'était pas encore autonome, même si ce constat avait un goût bien amère. 8000 ans de vie, et incapable de se débrouiller seule... elle à l'air maligne la première humaine!

Je remerciai Evrann qui me laissa passer avant lui, amusée de voir que certaines règles de politesse, de respect ou de galanterie avaient traversé les siècles. Peu désireuse de retourner dans la coque sombre du bateau, je restait sur le pont, posai doucement Orian sur un amas d'épais cordage et, les mains sur la rambarde, je contemplais le vaste océan que nous nous apprêtions à braver. L'art de la navigation m'était complètement inconnu et revêtait autant de valeur que la plus grande des magies.

Malgré la fatigue, je me trouvais soudain revigorée et me tournais vers Evrann, rayonnante. Mon nouvel ami ne semblait pas aussi enthousiaste que moi à l'idée du voyage qui nous attendais. Pourquoi ce brusque changement? N'était-ce pas lui qui souhaitait quitter ces terres quelques instants plutot?

- Votre "départ" s'est bien passé? Vous avez eu le temps de faire ce que vous voulez?


Autour de nous les marins s'affairaient et déjà nous quittions lentement le port, poussé par le vent qui gonflait doucement les grandes voiles grises.

Je m'approchai d'Evrann, un tissu mouillé à la main que je lui tendis. Aucune chance que cela lui enlève son mal de mer, mais un peu d'eau sur le visage peu parfois détendre. Debout a ses cotés, les mains sur le rebords du bateau, le regard fixé vers l'horizon insaisissable, j'inspirai lentement une longue gorgée d'air marin. La mer n'était pas mon "chez-moi", et j'étais loin d'avoir cette sensibilité marine qui fait vibrer les marins, mais il fallait bien admettre que l’océan ne me laissait pas indifférente, qu'il y avait une force immense, un potentiel considérable pour emmener les imaginations jusqu'aux rêves oubliés, échoués dans les fonds marins, mais intacts, conservé par le temps gelé et le silence apaisé.

- Que partez vous chercher là-bas? Je veux dire, qu'y a t-il de plus que vous ne pourriez trouver ici? Pourquoi quitter votre peuple, vos repères, votre vie, braver cette mer qui ne semble pas vous aimer, et partir sur des terres où vous n'aurez pas de maison, pas d'histoire?

Je ne cherchais pas à le décourager, si à souligner la difficulté de son périple, même si c'est ce que je fit involontairement, mais plutot à comprendre cette force qui animait cette homme. Pourquoi? Jusqu'où? Car je savais que, si j'avais eu un toît et des connaissances quelque part, jamais je ne les aurait quitter sans raison. J'était trop attaché à mes repères et, si j'adorai les aventures, j'avais appris qu'elles ne sont jamais plus belle que quand elles sont vécue au quotidien, dans les choses les plus simples de la vie, avec ceux que l'on aime.

Spoiler:

Dans un monde qui avait creer un impressionnant réseaux de transport, a en croire les dire d'Orian, je n'était pas surprise d'entendre Evrann exprimer son refus de sédentarisation. Il me semblait même comprendre ce qu'il ressentait, qui le poussait à quitter famille et protection mais je n'aurai pas jurer saisir entièrement ce sentiment. Etant moi même très attachée à mes repères, facilement sujette au mal du pays et meme au mal de la maison, je me trompait peut etre dans mon interpretation des paroles du soldat.

Sa question me fit un peu hesiter, mais je choisit sans crainte de lui parler avec la meme honneteté que celle qui avait été sienne quelques secondes plutot.

- Non, jamais. Je crois que j'ai déjà vu votre région, non votre... Je trouvais le mot sans trop de difficulté et avec une fierté enfantine. Pays. Mais il n'y avait aucune ville. Je n'en garde pas un excellent souvenir pour être honnête, le paysage et très déstabilisant, trop différent de la région dans laquelle je suis née et j'ai vécu.

La mer berçait doucement le bateau et la fatigue de la nuit blanche accumulée m'appelait progressivement au sommeil.

- Vous allez retourner chez vous? Ou bien continuer à voyager?

Je retint la fin de la phrase dans mon esprit " à voyager sans accroches, sans rien construire". D'abord parce qu'elle pouvait peiner Evrann, mais aussi parce qu'elle était fausse; il ne construisait pas rien, il batissait le plus important, il se batissait. De meme que certains ont besoin de repères fixes, d'un cadre stable pour grandir et se former, d'autres ont besoin de decouvrir, d'etre confronté à une multitude de situation, de lieux, de personnes, d'idées, ...

[HRP: Désolée pour le retard!! ]

- À vrai dire, mon chez-moi, ne disparaîtrait pas de si tôt et surtout, je ne vous le cacherais pas, j'ai peur d'y retourner. Il y là bas, les troupes d'Aile Ténébreuse et je me connais, je les hais tellement que je serais capable de faire une bêtise.

J'opinais de la tête sans réellement comprendre. "Aile Ténébreuse" m'évoquait vaguement les leçons de politique qu'avait tenté de m'enseigner Orian, mais la quantité d'informations à ingurgiter pour comprendre ce nouveau monde était si dense que je nageai dans un brouillard bien flou quand il s'agissait d'y retrouver un nom, une date, un lieu. Dommage que les Limbes ne reçoivent pas de presse mysticienne.
En revanche, la compréhension du mot "peur" ne me posait aucun problème, de même que le sentiment angoissant de ne pouvoir rentrer chez soi. Décidément, le monde d'aujourd'hui ne semblait plus apaisé qu'il ne l'était quand les Dieux étaient en guerre.

- Je pense me rendre vers les montagnes, mais je me rendrais probablement à Sen'tsura avant, j'aimerais voir cette citée, voir si ce que l'on dit sur elle est vrai. Et vous où vous rendriez-vous après ce voyage ?

"Chez moi" pensais-je instinctivement. Sauf qu'il m'aurait fallut remonter plusieurs millénaire dans le passé pour cela.

- Je crois que j'aimerais m'installer sur Terre. Découvrir ce pays et y vivre. Rencontrer des gens, avoir des repères, un petit rituel quotidien, ...

Je souris, ce rêve était sans doute l'un de mes rêves les plus fous, un de ceux qui me tenaient le plus à cœur... et il devait paraitre bien insignifiant pour des hommes comme Evrann qui partait à la découverte de ce monde si vaste.

- C'est petit, n'est ce pas? Demandais-je en retournant mon visage vers lui. Et pourtant, la simple evocation de cet espoir m'apaisait, et déjà mon imagination galopait à la recherche de tous ces petits details qui pourraient parsemer une vie tranquille dans ces lieux si proches de ceux de mon passé.

Un jeune matelot, qui semblait à peine depasser les dix printemps, accourut vers Eve qui observait les marins en train d'essayer de convaincre Evrann de boire un étrange melange.

- M'dame, m'dame!

La vieille humaine ne se reconnut pas tout de suite, prend cette apostrophe "M'dame" pour le nom d'un des matelot, ou un code nautique pour signaler un problème. Ce ne fut que quand le jeune garçon s'arreta devant elle, souffle court, sourcils froncés, avec un air très serieux qu'elle reagit.

- Oui?

- Le diner est servit!

Elle fit un geste en direction d'Evrann mais le jeune messager l'arreta.

- Pour vous, il est servit pour vous et le capitaine.

Eve jeta un dernier regard à son ami qui s'était laissé convaincre par les autre matelots et s'eloignait déjà.

- Bien, alors allons-y!

Elle suivit son guide jusqu'à une petite piece richement décoré. La table n'était pas bien grande, son hote ne devait pas avoir l'habitude de recevoir à diner. Ils echangèrent quelques banalités, lui la remerciant d'avoir repondu a son invitation, elle le remerciant de partager son repas. Il l'interrogea sur sa courte escale à Selian, elle lui raconta ce qu'elle avait vu dans l'auberge, sa rencontre avec Evrann et leur decision de rentrer sur le grand continent ensemble.

- Vous n'etes pas habitué à tout cela. Remarqua t-il alors qu'il finissait son dessert, delicieuse salade de fruit.

- Tout cela?

- Les bateaux, les villes, les ports, les auberges... Vous cherchez vos mots pour des choses très simples, alors que votre vocabulaire est bien plus riche dans d'autres domaines. Vous vous tenez noblement, vous êtes polie et respectueuse mais vous ecarquillez les yeux devant les trois types de fourchettes mises à votre disposition.

Eve resta silencieuse, soutenant le regard curieux du capitaine, puis se decida pour une semi-verité.

- Je suis recement revenue d'un "sommeil" qui a tant duré que je me trouve un peu en decalage avec les coutumes actuelles.

Il hocha la tete, lui sourit et se leva.

- Bien, alors il me semble que vous ne devriez pas avoir trop de mal à vous souvenir comment dormir! Votre chambre se trouve juste ici, derrière cette porte. Vous y trouverez tout ce dont vous avez besoin, mais si il manque quelque chose, ou qu'un problème quelconque advient pendant la nuit, n'hesitez pas à aller demander de l'aide, il y a bien assez de personnel sur ce bateau.

Elle acquiesa, se leva et tourna la poignée de sa porte quand il l'arreta:

- Rectification, j'ai l'impression que la soirée des matelos va être bien arrosée, et je vous deconseille fortement de monter sur le ponton au cours de la nuit. Ce sont des bon gars, mais l'alcool leur fait facilement oublier les bonnes manières.


- Merci beaucoup, je suis sure que je n'aurais besoin de rien. Encore un grand merci.

Elle rentra dans sa chambre et dix minutes plus tard se glissa dans son lit sous une epaisse couette. "Merci Yehadiel pour ce monde plein de surprises." pensa t-elle en guise de prière, avant que le sommeil ne l'emporte.

Les jours défilèrent rapidement, rythmé par le vent et les vagues. Eve tacha de se rendre utile à sa manière, tantôt dans les cuisines où elle appris à éplucher a grande vitesse des caisses entières de légumes, tantôt auprès de l’infirmier borgne pour aider a poser des bandages, à chercher des lotions dans le bazard de sa malle à "outils", ... On ne la laissa jamais rester trop longtemps "ce n'est pas votre travail M'dame, je vais pas vous faire travailler pour moi M'dame, c'est pas correcte M'dame!" mais petit à petit elle pris sa place dans la vie quotidienne du bateau.

En plus de cela, elle aimait passer du temps avec Evrann, acoudés sur le rebord du bateau, les regards tournés vers l'Ocean, en parlant de tout et de rien. Elle ne se sentait pas jugée par le jeune guerrier et parlait librement de ses rêves, ce qui lui tenait vraiment a coeur. Curieuse irrassasiable, elle le questionnait longuement sur son passé, ce qu'il avait aimé, les pays qu'il avait traversés, ...

- Eve! Eve!

Elle fit fondre un peu de cire sur l'extremité du bandage qu'elle referma avec soin autour de la main coupée d'un marin ayant maladroitement joué avec un couteau, et se tourna vers le jeune homme qui acourait vers elle. Un des seuls qui avait finit par accepter de l'appeler par son prenom.

- Oui?

- On arriiiiiiiive!!! Eve, on arrrive!

- On arriive? Repeta t-elle sans comprendre.

- Gamin, on dit "terre en vue" quand on est sur un bateau. Rectifia le marin à la main bandée.

- Oui oui, on arrive sur Terre! Eve, Eve, le c'ptaine i' dit que tu peux te preparer, parce que on arriiiiiiive!

Vers quatre heure, le bateau s'alignait sagement contre un petit ponton et, quinze minute plus tard, Eve posait un pied sur la terre ferme. Un petit frisson l'agita, elle sentait en elle que c'était là sa terre natale, qu'elle avait grandit sur cette partie de Terra et y resterais irrémédiablement liée.

- Merci, merci beaucoup de nous avoir accepter à bord.
- Y'a pas d'quoi, et puis on a pas eu à regretter votre présence. Il désigna Evrann du regard en train de parler avec les autres matelots. C'est un bon gars, dommage qu'il ne soit pas à l'aise sur la mer, je l'aurais bien garder plus longtemps avec nous.
Le jeune garçon se glissa entre le capitaine et Eve en la regardant d'un air inquiet.
- Tu reviendra? Dit, on se reverra?
L'idée de mentir pour faire plaisir à l'enfant n'effleura même pas l'esprit d'Eve.
- Non, je ne pense pas. Mais j'aurais vraiment aimé, car ce fut un très beau voyage. Voilà ce qui comptait vraiment, inutile de maquiller le futur, ce serait injurier le passé.
Il fronça les sourcils, se redressa et lui serra la main d'un air sérieux en disant d'une grosse voix qui n'était pas la sienne:
- Exactement, un très beau voyage. Bonne route pour la suite "Madame".
Pendant les adieux, un petit groupe d'homme vêtu de large cape dont les capuches couvraient leur visages avaient déchargés une vingtaine de caisse, les avaient chargés sur des chariots bâches et s'éloignaient déjà. Le tout en moins de 10 minutes, sans échanger autre chose qu'une poignée de mains avec le capitaine.
Un signal silencieux fut donné et tout les hommes remontèrent à bord en silence, reployèrent les voiles et le bateau partit silencieusement vers sa prochaine destination.
Le cœur léger, Eve prit le chemin qui s'enfonçait vers les terres en repensant à ces derniers instants. Ressassant les paroles de chacune dans sa tête, elle essayait de trouver pourquoi cette séparation avait un goût amer, triste, difficile.
- Eve ! Je ne sais pas ce que tu en pense, mais je crois qu'il est temps de nous séparer, je dois me rendre ailleurs avant de rejoindre la capitale et je ne pourrais donc pas t'accompagner jusque-là, mais si tu n'es pas sûr du chemin à suivre, je veux bien te guider un moment ?
Eve le dévisagea longuement. Depuis son retour sur la partie vivante de Terra, elle ne s'était pas encore attaché autant à quelqu'un. Réaliser cela lui fit une impression étrange, car cela prouvait combien un retour à une vie "normale" était impossible. Le monde avait changé, les personnes qu'elle avait connu était mortes ou disparut. Mais, en face de ce sombre constat, il y avait aussi la merveilleuse possibilité de rencontrer de nouvelles personnes, de nouvelles idées.
- Non, ce serait un peu triste de marcher encore en pensant qu'il va falloir prendre des chemins différents dans peu de temps. Et puis, je ne veux pas aller vers un endroit en particulier, je souhaiterais plutot découvrir ces terres.
Ou plutot, les redecouvrir.
- Je suis contente d'être entrée dans cette... Elle hésite. "Auberge". J'espère vraiment que nos chemins se recroiseront un jour et que, d'ici là, vous aurez une belle vie.
Elle comprit alors ce qui l'avait perturbé en quittant le bateau, pourquoi les "au revoir" étaient infiniment plus tristes dans ce nouveau monde. Les humains n'étaient plus immortels, et même les autres races risquaient à tout moment de mourir. D'un autre coté, la perspective d'une vie limitée donnait bien plus de valeur à chaque seconde.
Elle hésita encore un peu, les yeux brillants.
- Merci pour tout Evrann.
Elle le serra dans ses bras, se recula, haussa les épaules avec un sourire et se mit en marche vers le nord. Elle ne se retourna pas tout de suite, et quand elle le fit enfin, les collines nombreuses de la côte lui empêchait déjà de voir le jeune soldat.
Inspirant profondément l'air pur elle accéléra le pas et repartit à la découverte de ce monde.