Une lumière filtra dans la pièce, me tirant d'une sieste longue de plusieurs jours. Apparemment, quelqu'un souhaitait encore déranger mon sommeil si précieux, mon seul trésor, la seule chose que l'on puisse m'ôter à présent...
Passer d'être humain à chapeau est un changement qui vous marque à vie. J'en ai fais les frais à mes seize ans, lors d'une expérience qui s'avéra... Désastreuse ! Désastreuse ? A vrai dire, le but de celle-ci était d'assimiler à un objet les caractéristiques d'un être humain - en cela, l'expérience fut un franc succès ! Mais, lors de la manœuvre, ma maladresse me joua un mauvais tour : une dose un peu chargée de cannelle et de jus de grenouille provoqua l'explosion d'un flacon destiné à une souris de laboratoire... Recouvert d'une substance verdâtre hautement repoussante, la première idée qui me vint à l'esprit fut de courir trouver mon père, le Capitaine du navire pirate sur lequel j'effectuais ces expériences - dans le plus grand secret !
Pourtant, le désagrégement de ma main droite stoppa net mon idée de rejoindre le pont. La solution rongeait mon corps, faisant abstraction de mes vêtements et se propageant, tel le feu aux poudres, sur la totalité de mes membres et de mon visage... Aucune douleur, aucune souffrance, juste l'impression que mon esprit s'évaporait. Dans un mouvement de recul non contrôlé, la première chose à laquelle ma main unique s'agrippa fut ce vulgaire chapeau de pirate puis... Plus rien.
Mon premier réveil dans cette nouvelle vie marqua à jamais mon esprit : j'étais incapable de m'étirer, incapable de ressentir une quelconque sensation (telles que l'envie de me gratter lorsqu'un moustique se pose sur moi, ou encore l'excitation lorsqu'une jolie femme s'approche pour... Bref, vous avez compris.). Devant moi, mon père : le visage dur, ferme, se retenant du mieux qu'il le pouvait de montrer sa tristesse quant au départ de son fils... « On l'a cherché pendant 3 jours, j'pense qu'il a du quitter le navire pendant une nuit, d'une façon ou d'une autre... Quelqu'un disparait pas comme ca du jour au lendemain, en laissant une pièce dans un état comme c'lui la. » fit remarquer son second, grattant avec inquiétude son vieux crâne. Après un bref regard aux alentours de la pièce, les deux hommes quittèrent les lieux sans un mot, me laissant plus seul que jamais...
J'ai dormis longtemps, très longtemps, espérant ne jamais plus me réveiller, espérant que tout ceci ne soit qu'un cauchemar duquel je pourrais m'évader, d'une manière ou d'une autre... C'était sans compter l'apparition de ce pirate, ce maudit pirate, qui gâcha ma chance d'espérer redevenir ce que j'étais avant - dans un autre monde. Il entra dans la pièce et... Et... Elle me laissa de marbre - bien qu'un chapeau en tissu ne peut physiquement pas adopter une telle consistance. Elle fit un tour rapide de la pièce, s'intéressa aux différents ouvrages dispersés dans les quatre coins de la chambre, avant de focaliser son attention sur le chape... Sur moi. M'attrapant par la bordure, elle inspecta rapidement l'objet, frotta quelques poussières présentes sur ce qu'elle pensait n'être qu'un couvre-chef, puis s'affubla de celui-ci avec un sourire ravi.
Je n'eus pas l'occasion de contester ce geste, et je n'en avais d'ailleurs pas réellement l'envie ! Tant qu'à vivre pour l'éternité en tant que coiffe, je préférais l'être au service d'une jolie jeune femme plutôt qu'à celui d'un pirate ivrogne capable de faire des fautes d'orthographe à l'oral... Elle s'installa à mon bureau, lu quelques lignes d'un tome ouvert présent sur celui-ci, puis attrapa quelques fioles de ma réserve avant d'effectuer quelques mélanges, conformément aux instructions présentes sur le bouquin. Impossible, espérait-elle vraiment...
- Mince, je crois que j'ai...
Comme je l'avais prédis, elle n'était guère plus douée que n'importe quel amateur assez abruti pour penser pouvoir réussir une expérience de grand niveau à sa première tentative ! Le précipité obtenu par ses soins, de couleur verdâtre, ne se priva pas d'agir comme lors de mon expérimentation. Mais alors que son destin se vouait à devenir semblable au mien, elle eu la présence d'esprit de se protéger... Avec son couvre-chef. Instinctivement, elle venait de m'utiliser pour recouvrir la fiole qui, comme prévu, explosa et rependit une matière infecte et gluante se limitant à la barrière que je représentais.
- C'est pas possible mais, pas deux fois de suite !
Hein ? Comment avait-elle fait pour deviner ce que je pensais ? Et pourquoi avait-elle une voix étrangement masculine, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à la mienne ?
- Qui... Qui est là ?
- Super... Euh, c'est moi là, devant toi. Le truc que tu viens d'utiliser comme protection. Le chapeau là, sous tes yeux !
- ... Si c'est une blague, c'est vraiment pas drôle. Qui est là ?
- Bien, hum. Laisse moi t'expliquer... Mais promets moi de rester, de ne pas courir comme une idiote quand tu comprendras que c'est réellement un chapeau qui te parle. Tu crois aux contes de fées j'espère ? Car j'en vis un véritable, en ce moment !
(...)