"A travers les terres désolées de Terra,
Nous étions sous le courroux de Sent'sura,
Puis un jour est arrivé Aile Ténébreuse,
Qui nous libéra de cette tyrannie honteuse... ♪"
Sent'sura, dans l'une des nombreuses tavernes pro-impériales de la capitale, en l'an 113. L'ambiance était comme dans toutes les tavernes conviviale, chaleureuse, amicale, bref, tout mot pouvant décrire des hommes buvant des bières et jouant aux dés tout en riant. La chanson en l'honneur d'Aile Ténébreuse qui résonnait dans toute la taverne provenait d'un groupe de bardes, dont la passion brûlante était présente dans chaque syllabe de leurs paroles. L'un jouait du gaboulet en rythme, le deuxième donnait l'ambiance à la musique avec son luth, et le dernier chantait tout en tapant avec frénésie sur son bendir. Ce groupe et son enthousiasme suffisaient à eux seuls pour donner un souffle de jeunesse et de jovialité dans toute la taverne, déjà bien animée par ses habitués. Une ambiance irréprochable et digne d'une période victorieuse comme celle dont profitait l'impérialisme, il fallait bien se le dire.
Au milieu de ce tumulte dépaysant, sur une petite table carrée, avec deux tabourets en guise de support, un homme parmi les autres semblait attendre quelqu'un. Il s'agissait d'un homme pâle, aux yeux indigo et aux cheveux beige mi-longs, habillé très chaudement malgré la forte chaleur dans la taverne. Il portait même une écharpe cachant à moitié son visage, lui-même très renfermé et impassible. Mais bon, hormis sa tenue vestimentaire, il ne se distinguait en rien des autres clients. Faisant lentement glisser l'index de sa main droite sur le bord de sa chope de bière encore pleine, l'air pensif, l'homme semblait attendre quelqu'un, une autre chope encore pleine l'attendant en face de lui, sur une place vide. Celle-ci fut finalement prise à l'arrivée d'un homme d'apparence tout à fait traditionnel, habillé pareillement que les autres habitués de la taverne. Le nouveau venu faisait tout au plus la trentaine d'années, et avait des cheveux courts noirs accordés avec son air sympathique et détendu. Un sourire aux lèvres, il empoigna sa chope et lâcha à son interlocuteur :
"Cela faisait longtemps, chef ! Euh, je veut dire, monsieur Malvis !"
En disant ça, le nouvel arrivant leva sa chope, alors que le dénommé Malvis affichait un petit sourire sympathique. Levant sa chope à son tour, il répondit d'une voix douce et détendue :
"Voyons, Loïn, nous avions dit ni de chef ni de monsieur Malvis. Nous sommes entre nous, vous pouvez m'appeler Shura. Au lieu de perdre du temps en conformités, portons plutôt un toast à votre mission parfaitement exécutée, haha !"
Les deux hommes lâchèrent un petit rire amical en chœur avant de faire cogner ensemble leurs chopes, certes pas aussi violemment que les habitués du coin, qui renversaient la moitié de la bière au passage, mais d'une façon clairement enthousiaste. Puis chacun d'eux but sa chope, Shura Malvis la terminant cul sec, puis la reposant en riant doucement. Il vit alors Loïn finir qu'un tiers de sa chope et la reposer en rigolant stupidement. Le "chef" comme l'avait appelé le brun fixa un petit moment la bière, haussant les sourcils, puis finalement, descendit sa main vers le dessous de sa chaise, en sortant un sac en cuir clairement rempli de pièces d'or, vu le bruit que ce dernier faisait. Shura le posa sur la table, et avec des yeux émerveillés et avides, le jeune brun prit le sac et s'empressa de vérifier l'intérieur, s'assurant que tout y était. Pendant que Loïn faisait rapidement ses comptes, le chef des assassins d'Aile Ténébreuse, que tout ceux du milieu connaissaient par sa réputation, afficha un énième sourire jovial, avant de dire d'un ton enjoliveur et impressionné :
"Le meurtre d'un noble partisan des rebelles si parfaitement réalisé... Il a littéralement disparu de la nature, même ses proches ne savent pas s'il a fui ou si on l'a enlevé... Et donc, il est évident qu'à ce stade, on ne sait pas non plus qui est le coupable... J'admirerais toujours ton travail impeccable, Loïn, un vrai spécialiste !"
"Oh, monsieur Malvis... Euh, je veut dire, Shura ! Ce n'est que trop d'honneur d'entendre ça de votre bouche ! Puis, jamais je ne serai à votre hauteur... Votre réputation est sans équivalence. Par exemple... Le maire de Sent'sura ! Je me suis toujours demandé comment vous aviez pu le tuer aussi facilement, malgré sa sécurité immense, à l'époque. Une technique particulière ?"
"Cela ne vous concerne pas, Loïn. SI je me suis abstenu d'en parler à mes hommes, c'est parce que cela me permet de garder l’efficacité de mes meurtres. Vous parlez de cet assassinat serait un délit de niveau trois."
Le ton de Shura, sans que son visage ne se renfrogne, devint sec et amer, sans être méchant, mais marquant bien le sérieux de la chose. Loïn se sentit rapidement gêné, et l'assassin se leva en fermant le sac, sans même finir son verre, clairement troublé. Shura jeta un coup d'oeil à la chope encore aux deux tiers remplie, puis à son subordonné, qui s'excusa platement comme pour prendre congé.
"Vous avez raison. Désolé, c'était déplacé de ma part, et loin d'être professionnel. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, monsieur Mal... Shura, je vais prendre congé."
"Attends... Rassied-toi..."
Shura avait parlé calmement et sympathiquement, bien que cela ne rassura pas particulièrement Loïn. Est-ce qu'il... se doutait de quelque chose ? Le jeune brun frissonna légèrement, et se réinstalla à sa place, déglutissant. Il posa son sac à côté de lui, et attendit une réponse de Shura. Le groupe de bardes, à l'autre bout de la pièce, avaient fini leur chanson et se préparaient pour la prochaine, buvant une chope à trois le temps de la pause. Seul le vacarme habituel de la taverne persistait donc, ce qui rajoutait une ambiance tendue entre les deux hommes, Shura le fixant toujours de son air impénétrable. Puis soudain, le chef des assassins ouvrit les lèvres, faisant frémir Loïn juste par ce geste.
"Ca s'est passé en 110, peu après le massacre de la famille royale de Flore. Aile Ténébreuse avait largement l'avantage militaire, mais vu que ses conseillers étaient du genre à le brider à l'époque, il a du faire plus démocratique."
Loïn, en comprenant que Shura avait juste l'intention de lui raconter l'assassinat du maire de Sent'sura, prit un air partagé entre le soulagement et le ravissement. Au moins, il n'avait rien à craindre concernant ses agissements, et en plus, il allait être le premier sous-fifre humain à savoir comment s'était passé l'assassinat du maire, un honneur immense, il fallait bien se le dire. Souriant doucement, le jeune homme se mit à l'aise sur sa chaise et écouta ce que disait son maître, lâchant alors sur sa dernière phrase :
"Ah là là, ces conseillers, toujours à lui causer des problèmes... Enfin, avant qu'ils ne se fassent exécutés. Qu'est-ce qu'ils entendaient par plus démocratique ?"
"Hof... Les conseillers voulaient qu'Aile Ténébreuse privilégie une voie plus tactique et conventionnelle qu'un massacre... Du coup, le chef a proposé d'assassiner le maire de Sent'sura avant de les envahir, afin de pousser les dirigeants restants à faire dans leurs pantalons et à lâcher l'affaire..."
Shura sortit de sa poche une petit pipe à herbe du coin, et l'alluma tranquillement, se mettant à la fumer doucement. Il aspira de la fumée par petits coups, émettant des -pof pof- réguliers, pendant que les bardes reprenaient un nouveau chant, plus satirique ce coup-ci, parlant de la vulgarité et de la stupidité des habitants des Glaces. Loïn, lui, riait tranquillement à la réponse de son chef et répliquait narquoisement :
"Héhéhé, je reconnais bien là notre empereur, tiens ! Et je suppose qu'Aile Ténébreuse vous a choisi vous pour cette mission."
"-pof pof-... Bien sûr, il ne pouvait laisser un tel travail à un assassin de seconde zone. Du coup, il m'a confié la mission, me donnant un délai de trois jours pour tuer le maire."
"Pardon ?! Trois jours ? Préparer un tel assassinat en si peu de temps... Cela est impensable !"
"Ce n'est pas comme-ci il avait le choix. A cette époque de guerre intense, il fallait que tout soit fait vite et bien. -pof pof- C'est pour ça, d'ailleurs... -pof pof-... Qu'il m'a choisi. Je me suis donc mis sans attendre au travail. La première étape fut de savoir à qui j'avais à faire..."
"Et je suppose que vous vous êtes adressé à notre maître espion ?"
"Celui de l'époque tout du moins. Apparemment, il ne restait de famille à cet homme que sa fille, et il avait une garde rapprochée très forte, sauf dans les moments intimes. M'enfin, le classique du gâteux parano, mais qui quand il s'agit de ses aventures sexuelles, que ce soit avec des servantes ou avec... sa fille, se montre tout de suite bien plus pudique. M'enfin... -pof pof-, tout d'abord, je me suis renseigné sur les gardes réguliers et leurs habitudes. Puis j'ai pris le plus aisément manipulable."
_____________________________________
Dans une autre taverne de Sent'sura, en l'an 110, peu avant l'invasion de la capitale par Aile Ténébreuse, la veille de l'assassinat du maire Mortilus cinquième du nom. Un homme d'une trentaine d'années, blond et bien barbu, passa fièrement la porte d'entrée, encore en armure de service. De toute évidence, il venait de finir sa journée de travail, et il retira avec soulagement son casque, s'avançant vers deux autres hommes installés au bar. Ces derniers l'accueillirent comme le plus vieux des amis, demandant des nouvelles de sa femme, si sa journée s'était bien passé, tout ça, puis l'homme s'avança quelques mètres sur le côté pour s'installer à une place libre, juste devant le tavernier, un chauve barbu faisant la quarantaine et à l'air jovial.
"Salut, Charlie. Une bière, s'il te plaît."
"Oh, Geodrin, te voilà, bonne vieille tête de mûle ! Je te fais ça de suite ! Alors, cette journée au château ?"
"Pff, exténuant. Quelle merdier d'être à la garde personnelle de la fille du maire, elle demande toujours les pires services, comme-ci j'étais l'un de ses serviteurs."
"Bah, c'est une belle jeune femme, non ? Te connaissant, ça devrait te plaire."
"Tu parles, les moments intéressants tombent toujours sur la fin des temps de garde. Genre, rien qu'aujourd'hui, on arrivait sur l'heure du bain, je devais surveiller la belle au sein même de la situation ; donc pendant qu'elle se lavait le corps, moi, je pouvais me rincer les yeux, haha ! Mais il faut que juste avant qu'elle ne se déshabille, le maire arrive, me congédie en me disant que je pouvais finir plus tôt, et me demande de les laisser seuls pour je-ne-sais-quoi ! Quelle poisse ! Pourquoi faut-il qu'une femme aussi belle soit inaccessible..."
"Bah tiens, en parlant de ça... Je sais que tu n'es pas pressé de revoir ta grognasse de femme, alors je te conseille la petite Clautide, elle est arrivée ce matin et elle envoie du lourd..."
Le tavernier tendit sa chope de bière au dénommé Géodrin, et lui montra du regard une femme installée à l'autre bout du bar, sur une chaise. Il s'agissait clairement d'une courtisane, là pour combler les désirs sentimentaux des hommes en échange de quelques pièces. C'était une rousse très maquillée, et aux formes très généreuses à travers sa robe "de soirée", qui regardait d'un air glamour Géodrin en caressant la surface de son verre avec l'index de sa main droite. Le regard du garde s'illumina immédiatement, comme-ci tous ses malheurs avaient disparu d'un coup, et il tapota l'épaule du tavernier en le remerciant du tuyau. Puis, bière à la main, il quitta sa chaise et se mit sur celle juste à côté de celle de la courtisane, qui le regarda s'installer avec un sourire sensuel. Sans attendre, l'homme aborda la femme de la nuit d'une voix cachant nullement ses intentions.
"Bonsoir, belle demoiselle... Clautide, c'est bien cela ? Je trouve ça honteux qu'une aussi belle femme soit ainsi seule, sans la moindre compagnie."
Pour toute réponse, la dénommée Clautide rigola doucement, et fit glisser sa main gauche sur celle de Géodrin tenant sa bière. Puis, la courtisane lâcha avec sensualité :
"Oh, monsieur est flatteur ♥ Effectivement, je me sens horriblement seule, vous venez de me sauver la vie... Pour le coup, je me sentirais bien obligée de vous rendre n'importe quel service afin de vous en remercier ♥"
"Eh bien, à vrai dire, si vous m'ameniez dans votre loge, je verrais bien un certain service qui pourrait compenser ma compagnie... Et si vous trouvez ce service trop forcé, je pourrais y accompagner quelques pièces d'or..."
"Uhuh, vous savez parler aux femmes, dîtes-moi... Au vu de votre subtilité, je serai ravie de vous rendre ce service ♥"
Ni une, ni deux, l'affaire fut pliée direct, et quelques secondes plus tard, laissant même sa bière en place, le garde suivait la belle courtisane dans les escaliers menant à l'étage. Peu après, dans le chambre de la belle Clautide, Géodrin avait retiré le haut de son armure pour se mettre à l'aise, et s'était installé sur une chaise face à la cheminée, dévoilant légèrement ses épaules.
"Avec cette journée épuisante, j'ai les épaules en feu... Un petit massage pour commencer me ferait le plus grand bien."
Clautide eut un petit sourire sympathique, et posa ses douces mains sur les épaules de Géodrin, qui lâcha rapidement un soupir de soulagement à peine dissimulé. Alors qu'elle caressait tendrement les clavicules du blondinet, la courtisane lui parla d'une voix sensuelle et attrayante, pour entretenir la conversation :
"Vous faîtes partie de la garde rapprochée de la fille du maire, c'est bien cela ? Ca ne doit pas être un métier facile..."
"Pff, pas du tout, non ! Chaque journée passée là-bas est un calvaire ! J'envie le maire et sa vie de prince. Quasi rien à faire de ses journées, immunité diplomatique, sécurité optimale... Et moi, je dois rester pendant toute une journée debout avec une armure de cinquante kilos, à me coltiner les caprices de sa fille !... Massez un peu plus fort, s'il vous plaît."
Obéissant à la demande de son client, la femme appuya un peu plus fermement sur les muscles de ce dernier, le faisant frémir à chaque mouvement. Puis Clautide prit un air compatissant et répondit :
"Eh bien, je ne vous envie pas... Je suppose qu'en plus, dès demain, vous allez devoir y retourner ?"
"Eh ouais, de six heures du matin jusqu'à l'heure de son bain, comme aujourd'hui. Franchement, un jour, ils me tueront à la tâche... Allez, massez plus fort ! Oh oui, comme ça, encore plus fort..."
La courtisane massait maintenant avec vigueur le garde qui prenait limite son pied sur le coup, et lentement, Clautide remonta ses mains le long du cou de Géodrin, jusqu'à placer ses paumes sur les tempes du chevalier. Celui-ci prit un air plus détendu que jamais.
"Oh oui... Encore... Plus fort..."
-CRACK-
Soudainement, avec une violence inattendue, la tête de Géodrin fut brutalement tordue sur le côté, son cou émettant alors un horrible craquement sonnant avec évidence sa mort immédiate. La courtisane, qui venait de briser la nuque de son client en un instant, lâcha un petit sourire malicieux, et posa l'ongle de l'index de sa main droite entre ses lèvres, lâchant avec une légère pointe de narquoiserie :
"En espérant que c'était assez fort à votre goût, très cher ♪"
Une bonne heure plus tard, Géodrin redescendait tranquillement les escaliers avec son armure remise, son casque à la main, et l'air rassasié, il passa près du tavernier, lui payant rapidement sa bière à peine entamée, alors que le chauve le regardait d'un air complice.
"Alors, cette Clautide, ça a donné quoi ?"
"Géniale comme fille, très agile ! Pour le coup, elle m'a littéralement replacé les vertèbres, hahaha !"
Le tavernier rigola sympathiquement avec le garde, qui, le sourire aux lèvres, quitta la taverne.
________________________________________________
"Sent'sura, un royaume de délices,
Sent'sura, ses courtisanes et leurs malices,
Sent'Sura, ses bières si savoureuses,
Sent'Sura, et ses femmes merveilleuses, ooohh ♪"
Le groupe de bardes avaient commencé un nouveau chant, où cette fois-ci, les trois musiciens chantaient en chœur, en parlant de la bonne compagnie des courtisanes de la capitale. Loïn, lui, en entendant le début de cette histoire, ne put s'empêcher de rire, et but une longue gorgée de sa chope de bière, avant de demander à Shura d'un air amusé, ce dernier continuant à fumer tranquillement son tabac.
"Haha, le pauvre gars quoi ! Je comprends mieux comment vous vous êtes infiltrés maintenant, vous avez pris l'apparence d'une courtisane, charmé le garde, puis vous l'avez tué en toute discrétion pour récupérer son ADN ! Mais vous avez fait quoi du corps du coup, et ne risquait-on pas de remarquer l'absence de Clautide ?"
"-pof pof-... Pourquoi s'inquiéter à propos du corps du garde ? On recherche un corps que si il a disparu, hors, pour les autres, il était toujours là. On ne va pas s'inquiéter sur le sort d'un homme toujours vivant. -pof pof-... Quant à la Clautide, j'ai inventé le personnage de toute pièce, en prenant une forme humaine aléatoire. Puis, c'était une courtisane, qui irait s'inquiéter de son absence dans un laps de temps si court ? Sûrement qu'au bout de quelques jours, le tavernier aurait remarqué l'absence d'une de ses filles, et aurait brisé l'intimité de notre chère Clautide, découvrant alors le corps de Géodrin... Mais bon, autant dire qu'à ce moment-là, le maire était mort depuis longtemps. C'est l'avantage d'agir vite. Une autre pinte de bière ?"
"Oh, volontiers. Votre histoire donne soif, hahaha !"
Shura Malvis répondit au rire franc de son subordonné par un sourire détendu et amical, avant de demander au tavernier deux nouvelles bières. Alors que ce dernier préparait les boissons, Loïn demanda d'un air interrogateur à son chef :
"Mais du coup, il a fallu que vous attendiez le lendemain pour agir, non ? Cela n'a pas été trop difficile de se faire passer pour cet homme ?"
"Difficile ? Ce vulgaire imbécile avait autant de personnalité qu'un caillou. Cerner son caractère ne fut pas bien difficile ! Faire le blasé irascible et machiste devant sa femme fut largement suffisant... Oh, merci !"
Le tavernier venait d'arriver avec deux nouvelles chopes de bière, posant alors, à la demande de Shura, le plateau directement au milieu. Toujours avec son air amical, le chef des assassins prit la chope de Loïn avec précaution avant de la mettre devant son subordonné. Puis il prit la sienne de la même façon, interrompant sa fumette pour boire quelques gorgées en même temps que le jeune homme. Ce dernier soupira, satisfait de sa boisson, visiblement, et s'adressa alors à son maître, tandis que ce dernier reprenait sa pipe.
"Alors ? Comment avez-vous fait après ?"
"Hmm... -pof pof-... Ma cible était, bien évidemment, le point faible même du maire : Sa fille, Martela. L'infiltration ne fut en soit pas extrêmement difficile, puisqu'elle consistait à obéir et non à dire quoique ce soit..."
______________________________________________
"Un thé, Géodrin !"
Le lendemain, dans la chambre de la fille du maire, Martela première du nom. Jour de l'assassinat de Mortilus cinquième du nom. Sans attendre, le garde blond fonça préparer le thé, puis le conduisit encore tout chaud à une jolie demoiselle d'une vingtaine d'années, aux cheveux blond platine et à la tenue très... Distinguée. Celle-ci lisait tranquillement un livre nommé "Chanteurs de la Nuit ou consolateurs de soirées ?" évoquant le sujet des bardes qui voguaient la nuit dans les tavernes pour répandre leurs chansons. Daignant à peine tendre la main pour prendre sa tasse, Martela en but une longue gorgée, acquiesçant d'un air satisfait, puis posa sa tasse sur son chevet, avant de dire à son garde personnel :
"Pas mal, pas mal. Laissez infuser un peu plus longtemps la prochaine fois, s'il vous plaît. Massez-moi les pieds maintenant."
Obéissant sans lâcher un mot, Géodrin -ou Shura, hein, on a compris- retira délicatement les chausses de la jeune femme, massant avec le plus de dextérité possible les pieds affinés de Martela, qui elle continuait à lire et à boire son thé. Finalement, elle regarda l'heure, fermant son bouquin avec regret, et ordonna à Shu... Géodrin, avec toujours cet air très hautain :
"Bien, rechaussez-moi, j'ai mon cours de musique dans cinq minutes. Amenez ma chalémie, aussi, l'espèce de hautbois là-bas si vous préférez."
Géodrin se contenta d'un hochement de la tête, et rechaussa Martela, avant de porter son instrument de musique et de la guider jusqu'à son dit cours. Celui-ci dura une petite heure, et Shura put y observer, malgré sa forte passion, que notre fille du maire avait la beauté mais pas forcément le talent... Musical tout du moins. Sur le chemin du retour, sans un mot toujours, Géodrin put voir au visage épanoui de Martela que ce cours lui avait énormément plu. En tout cas, ça avait coûté cher à ses tympans. L'heure du bain approchait, et en attendant celle-ci, la jeune femme se réinstalla dans son lit, s'y allongeant à son aise, avant de faire une énième demande à son larb... Son garde personnel.
"Une nouvelle tasse de thé, je vous prie."
"Bien, mademoiselle, je vous prépare ça de suite."
Poliment, respectueusement, Géodrin se dirigea vers la table où il put préparer tranquillement le thé, dos tourné à Martela. Retirant ses gantelets, afin d'y apporter plus de dextérité, Géo... Shura prépara le thé, et le laissa infuser sur la table, mettant alors subtilement le bout de son annulaire dans le liquide, y répandant son propre ingrédient tandis que le filtre diffusait le sien. Histoire de patienter, le garde engagea la conversation avec la jeune femme, qui se détendait sur sa couverture :
"Je m'en veut d'être aussi indiscret, mais auriez-vous une volonté d'avenir qui ne vous ai pas offerte ?"
"Euh... Pardon ? J'ai du mal à saisir votre question..."
La fille du maire affichait clairement un air intrigué par rapport à l'interrogation de son garde, qui en plus de demander quelque chose d'étrange, briser un silence dévolu qu'il avait gardé toute la journée, d'autant que ce n'était pas son genre, déjà d'habitude, d'entretenir la conversation. Le vrai Géodrin était plus habilité à mater qu'à parler, semblerait-il. Shura retira tranquillement son casque, le posant sur le côté, et reformula d'une voix détendue et rassurante :
"Vous avez passé tout votre temps libre à lire des partitions et ce livre sur les bardes, et sembliez plus motivé par la musique que par les autres cours de la journée... J'ose supposer que vous espérez faire carrière dans ce domaine, non ?"
"... Effectivement, j'osais espérer faire barde dans un proche avenir... Mais vous savez, avec mon père..."
"C'est difficile, je m'en doute bien. Je ne pense pas qu'il ait une grande image de la musique folklorique."
"Non, en effet... Il préfère me voir femme du maire, ou un autre titre honorifique du genre, où je vais passer ma vie à faire la belle et à demander du thé dans mon lit... J'aimerais bien échapper à ce monde d'hypocrisie politique..."
"Je comprends... Je comprends..."
Shura, Géodrin, bref, les deux, regardait fixement la porte d'entrée de la chambre, derrière laquelle, il le savait, se trouver deux gardes surveillant le couloir. Rabaissant son regard sur son thé, il retira finalement son doigt de celui-ci, et prit la tasse pour la transporter jusqu'au lit de Martela, qui s'installa dans une position un peu plus convenable, alors que son garde, lui, tendait gentiment le thé à la belle demoiselle.
"Votre thé... Avec une infusion un peu plus longue, comme vous me l'aviez conseillé. Ne vous inquiétez pas, je suis sûr qu'un jour, l'avenir vous sourira, et que j'aurais l'honneur de vous entendre en tant que barde."
"... Vous avez raison. Merci pour tout ça et... Pour le thé..."
Martela but une très longue gorgée de son thé, devant l'air bienveillant de Géodrin, et finalement, la fille du maire afficha un sourire sympathique et sincère à son garde, avant de le complimenter :
"Il est excellent... Hmm, mes paupières s’alourdissent..."
"Vous avez beaucoup travaillé aujourd'hui, ça me semble compréhensible. Reposez-vous donc, je veillerai sur vous et vous réveillerai le temps venu."
"Vous avez raison... Merci mille fois pour tout, Géodrin..."
Et sur ces mots épuisés, la jeune femme s'endormit paisiblement sur son lit. Le sourire bienveillant de Shura s'estompa alors soudainement, et le garde dégaina deux dagues de son armure, les plantant avec une violence soudaine dans le cou de la jeune femme, qui fit un sursaut soudain dans son sommeil. Puis sans attendre, il décapita à moitié la fille du maire, du sang giclant tout partout sur le lit blanc de soie, l'ornant d'une toute nouvelle teinte. Sans la moindre once de pitié, Géodrin baissa sa tête vers la purée de chair et de sang que formait désormais le cou de la jeune femme, et sans le moindre dégoût, en prit un morceau avec sa bouche, le mâchant et l'avalant, un peu de sang sur ses lèvres. Puis il tourna son air sombre et impassible vers la porte d'entrée. Les deux gardes, inquiets du silence soudain, décidèrent de vérifier si tout allait bien, et entrèrent dans la pièce. A peine eurent-ils fait quelques pas qu'ils purent voir le corps ensanglanté de celle qu'ils devaient protéger, l'un des deux hommes s'exclamant alors avec horreur :
"Demoiselle Martela ! Bon sang !"
Ce fut là tout ce qu'il eut le temps de dire et de faire. Avec habilité, caché au coin de l'entrée, Shura surgit derrière eux, et fit glisser ses dagues au niveau du cou de chaque garde, qui avant de pouvoir faire quoique ce soit, se firent égorger tels des porcs. Les deux hommes tombèrent à genoux, crachotèrent du sang en tenant leur gorge à moitié coupée, et dans de violents spasmes, s'écroulèrent au sol, mourant lentement. Shura, de son air toujours aussi impassible, referma la porte de la chambre, laissant le couloir vide et calme. Le lieu resta ainsi pendant une bonne minute, jusqu'à ce qu'une jeune femme aux cheveux platine en sorte, la fille du maire, Martela. Celle-ci afficha un air souriant, et lâcha finalement en refermant la porte de sa chambre derrière elle et en se recoiffant :
"Bien, c'était un bon plat de résistance ! Passons au dessert maintenant ♪"
__________________________________________
"Hahahahahahaha ! Génial ! Absolument génial ! Je suppose que nous arrivons au grand moment de l'assassinat du maire, n'est-ce pas ?"
Laissant leur folklore paillard très jovial derrière eux, les bardes avaient commencé une toute nouvelle musique, sans chant ce coup-ci. Juste de l'instrumental, avec le galoudet au centre de la mélodie. L'ambiance de cette musique installa une ambiance patriotique et très puissante à travers la taverne, alors que Shura finissait en même temps que son subordonné sa huitième chope. Finalement, le chef des assassins eut un petit sourire mesquin, et répondit tranquillement :
"Effectivement. La fin du maire Mortilus cinquième du nom approchait... Et alors que l'étau se refermait sur cet homme, la pression de ma mission était à son comble... La tension était palpable... Elle était presque... Excitante... Je n'oublierai jamais cet instant où j'ai rejoint la salle de bains..."
_________________________________________________
Dans l'une des zones les plus protégées du château, cinq minutes avant la mort officielle du maire Mortilus cinquième du nom. Un couloir, un escalier, et un autre couloir remplis de gardes, un binôme tous les mètres se faisant face. Bien sûr, il s'agissait de la garde rapprochée du maire, qui, face à l'invasion hautement probable d'Aile Ténébreuse, s'était renforcée à un stade inimaginable. Une centaine de soldats valeureux pour un seul homme, un contrôle de la sécurité hors pair, tout pour assurer l'échec d'une quelconque tentative d'assassinat. Une telle possibilité en était devenu impensable aux yeux de tous. Et ce fut dans le premier de ces deux couloirs, dans sa belle robe et avec son visage magnifique, que Martela, la fille du roi, passa entre les deux premiers hommes de cette garnison, l'air plus souriante que jamais. L'un des gardes s'adressa alors à la jeune femme sur un ton des plus respectueux :
"Bonjour, demoiselle Martela. Votre père est déjà arrivé, il vous attend dans la salle de bains."
"D'accord, merci beaucoup. Je vais de ce pas le rejoindre."
Commença alors la marche de la future "dame" du château, au milieu de soldats armés jusqu'aux dents. Chacun d'eux affichait un air très poli en voyant Martela, inclinant la tête et la saluant respectueusement, ce à quoi la jeune femme répondait avec un sourire à la fois noble et sympathique, enivrant chaque homme qu'elle croisait. Et à chaque fois que cette politesse se faisait, Shura analysait la position du garde, et le rajoutait à son compte de gardes totaux. Quinze, seize, dix-sept, dix-huit...
----------------------------------------------
Dans la salle de bains, sur une chaise en bois, un vieil homme d'une soixante d'années attendait paisiblement. Déjà quasi nu, il n'avait qu'une serviette de bain comme vêtement au niveau de la taille, et fumait tranquillement sa pipe. Enfin, il essayait, puisque celle-ci commençait à perdre de sa vigueur avec la vapeur d'eau remplissant progressivement la pièce, au fur et à mesure que le bain, immense au centre de la pièce, se préparait. Des servantes versèrent les derniers seaux d'eau chaude dans la baignoire creusée à même le sol, avant de quitter une à une la pièce, deux gardes les faisant soigneusement sortir de la salle sans qu'elle ne puisse avoir un contact avec le maire. Finalement, la dernière servante, avant de sortir, s'arrêta devant son maître et lui lâcha sérieusement, alors que ce dernier essayait de fumer le plus fortement possible sa pipe.
"Monsieur le maire... Vous devriez sincèrement penser à réduire votre consommation de tabac... Vous savez, vos poumons..."
"Je n'ai pas besoin de ton avis, femme. Sortez-la vite d'ici."
Le ton du maire était sévère et impitoyable, l'homme ne portant aucun intérêt aux paroles de la servante, qui fut conduite en dehors de la salle par les deux gardes, qui vérifiant une dernière fois que la pièce était vide, sortirent à leur tour, laissant le maire seul.
--------------------------------------------
Cinquante-et-un, cinquante-deux, cinquante-trois... Shura, sous l'apparence de Martela, avait monté les escaliers, et traversait maintenant le couloir où se trouvait la fameuse salle de bains, gardant sa démarche hautaine et fière alors qu'elle passait progressivement toutes les défenses du maire. Elle arriva finalement à destination, une bonne dizaine de gardes l'attendant devant la porte d'entrée, faisant barrage sur le reste du couloir. Ce qui faisait soixante-dix-huit gardes au total. Une véritable promenade de santé, pour le coup. Toujours aussi souriante, la belle fille du maire s'arrêta sans douter un instant devant la porte de la salle de bains. Vu les deux gardes postés de chaque côté de celle-ci, ça ne faisait aucun doute que c'était la bonne. Attendant tranquillement, Martela regarda fixement la porte, alors qu'un des deux hommes postés à la porte cognait sur cette dernière.
"Monsieur le Maire ! Votre fille est à la porte ! Etes-vous en état de la recevoir ?"
--------------------------------------------------
Lorsqu'il entendit parler de sa fille, Mortilus prit une soudaine bouffée de sa pipe presque éteinte, son souffle se coupant et le vieil homme s'étouffant à moitié. Toussant fortement, le maire posa sa pipe sur un petite étagère en pierre, où se trouvait une tabatière à cet effet. Puis il se racla la gorge, regardant légèrement face à lui, son visage s'illuminant alors. Comme dans un rêve, de l'autre côté du bain, à travers la vapeur d'eau, se trouvait sa femme défunte, toujours aussi belle, toujours aussi jeune, dans une magnifique robe de couleur pourpre. Sa femme, muette comme une tombe, lui jeta un regard plein de volupté, ce à quoi Mortilus répondit par un air émerveillé et amoureux. Il trembla légèrement, et finalement, répondit au garde en mettant autant de force qu'il pouvait dans sa voix rauque et enfumée :
"Très bien, je suis prêt à l'accueillir, laissez-la entrer !"
Le vieil homme se leva alors de sa chaise, s'approchant un peu du bain, et continua à fixer sa femme, qui commença à marcher autour du fameux bain, s'approchant ainsi de lui.
----------------------------------------------------
Le garde, en entendant la réponse du maire, hocha la tête en direction de la jeune femme et se remit à sa place. Shura, sous son apparence féminine, regarda la porte avec une impatience qu'il cachait de tout son être, d'une très bonne façon d'ailleurs, puis fit quelques pas en avant pour finalement ouvrir la fameuse porte, révélant alors un vieil homme face à elle, au bord de l'eau, en train de fixer tel un panorama la pièce. Le maire, tout troublé, continuait à suivre le mouvement gracieux de sa femme, qui finit par se placer devant la porte d'entrée grande ouverte, se mettant face à lui pour plonger une dernière fois son regard dans le sien. Puis finalement, comme de la vapeur d'eau qui se disperse, sa femme disparut, laissant apparaître à sa place, au même endroit, sa fille Martela, tout aussi belle et jeune que sa femme... Autrefois... Le maire respira lourdement en la voyant, et finalement, essaya de se relâcher un peu, avant de demander le plus gentiment possible à Martela :
"Bonjour, ma fille... S'il te plaît, ferme-moi cette porte à clé. Je n'aimerais pas qu'on soit dérangés pendant notre... Euh... Discussion..."
Sa fille hocha sympathiquement la tête en signe de compréhension, et ferma la porte derrière elle, enfonçant un lourd verrou qui condamna la seule porte menant à cette salle de bains. Un lieu parfaitement sûr, donc. Du même air voluptueux que sa mère, Materla s'avança doucement vers Mortilus, légèrement gêné, et qui lâcha finalement, lorsque la belle femme s'arrêta devant lui :
"Je... Je t'aime... Ma femme... Hum... Et si nous commencions ?"
"Avec plaisir ♪"
Avec une soudaineté et une violence hors du commun, la femme sauta littéralement, comme une bête sauvage, avec l'air fou furieux qui va avec, sur le maire de Sent'sura, qui n'eut le temps que de sursauter et de glapir en voyant ce visage horrifiant lui sauter dessus. Les mains de Martela se refermèrent avec force sur le cou du vieil homme. Emporté par l'élan de la demoiselle, Mortilus tomba en arrière, et fut plongé dans l'eau du bain chaud avec sa fille. Celle-ci, sans se préoccuper de l'eau, plaqua par le cou sa cible au fond de l'eau, lui serrant le cou avec violence. Les gardes, eux, paniquèrent en entendant le bruit qu'occasionna leur plongeon, mais la porte étant fermement bloquée, ils ne pouvaient rien faire. Contre le carrelage du bain, perdant son souffle, Mortilus, cinquième du nom, regardait à travers l'eau le regard à la fois fou et envoûtant de sa fille, presque diabolique. Il ne comprenait pas ce qu'il passait, tout ce qu'il sentait, c'était l'eau qui remplissait ses poumons au fur et à mesure que Martela l'étranglait. Finalement, le maire lâcha son dernier souffle, se noyant définitivement. Sa fille, avec un grand sourire, le sortit alors hors de l'eau, puis fit de même, ses vêtements trempés collant à sa peau. Elle se releva alors et se précipita sur la porte pour la déverrouiller. A peine cela fut-il fait que les soldats entrèrent en trombe, une partie fonçant sur le maire décédé, et l'un s'arrêtant devant la femme trempée pour l'interroger.
"Bon sang, mademoiselle, qu'est-ce qui s'est passé ?!"
"Je... je ne sais pas... Il m'a dit une phrase et soudainement, il s'est agrippé la poitrine, comme si il avait fait une crise cardiaque... Puis il est tombé en arrière dans l'eau... J'ai essayé de le sortir du bain mais... Il ne respire plus du tout..."
"Diable soit la peste, avec tout ce tabac qu'il fumait, ça devait arriver un jour ! On va s'occuper de votre père, ne vous inquiétez pas, retournez vite à votre chambre, tout va bien se passer ! Vous avez besoin d'une escorte ?"
"Non merci... Ca ira... Je dois être seule..."
Martela avait dit ça d'un air affolé et désespéré, montrant clairement de la panique et de l'inquiétude dans sa voix. Le soldat n'y fit pas plus attention et fonça aider les autres gardes. Marchant timidement, prenant une serviette qu'un garde lui tendit en passant, la jeune femme s'éloignait dans le couloir alors que tous les gardes se précipitaient dans la pièce et hurlaient au médecin. Finalement, lorsque la fille du maire ne vit plus personne devant elle dans le couloir, celle-ci afficha un grand sourire ravi. Retournant dans sa chambre, elle y resta pendant trente secondes, Géodrin, tout en armure, en ressortant tranquillement. Il prit alors un air paniqué, et se dirigea vers la sortie du château, prévenant chaque garde qu'il croisait que le maire était mourant et qu'il allait chercher du renfort. Bien sûr, il ne servait à rien de s'agiter, le maire était mort depuis longtemps. Quelques minutes plus tard, c'était un humain lambda, ressemblant à un messager, qui quitta le château, racontant aux gardes que le maire était mort et qu'il devait l'annoncer dans toute la ville. Et c'est ainsi qu'en ce jour terrible, Mortilus cinquième du nom, maire de Sent'sura, et sa fille Martela première du nom, furent assassinés, alors que l'assassin en question courait dans les rues pour l'annoncer, avant de disparaître mystérieusement.
_________________________________________________
D'une seule traite, Loïn termina sa douzième bière, à moitié saoul, et rigola aux éclats en entendant la conclusion de l'histoire de Shura.
"Eh bah dis donc, sacré boulot que vous avez fait là... Hips... Vos capacités sont vraiment effrayantes... Je me demande quand même... Hips... Pourquoi vous m'avez dit tout ça ? Vous qui gardez pourtant vos assassinats si secrets..."
"Oh, ça, ce n'est pas un problème... Il est de mon droit, en tant que supérieur hiérarchique, de donner des informations sur ma façon de travailler si je le souhaite... Et pour le coup, vu que vous ne sortirez pas de cette taverne, je ne voyais pas de problèmes à ce que vous appreniez cette histoire."
La dernière phrase de Shura plaça un blanc glacial et angoissant sur la table des deux assassins. Encore sous l'effet de l'alcool, les pensées de Loïn n'étaient pas très clair. Il avait du mal à déterminer si son chef plaisantait ou non, et ne comprenait pas pourquoi il avait dit ça. D'autant que le regard de Shura était toujours aussi tranquille et impassible, alors qu'il rallumait sa pipe. L'air perturbé, le jeune homme ne put que demander rectification :
"Euh... Hips... Excusez-moi, mais j'ai du mal à comprendre ce que vous entendez par là..."
"Comme je viens de le dire, un supérieur qui cache ses techniques d'assassinat obtient facilement une aura mystérieuse très charismatique. En revanche, sur de simples subordonnées comme vous, Loïn... Un tel manque d'informations est louche."
Le visage du jeune assassin s'horrifia. Son cerveau commençait à comprendre. Alors que Loïn se figeait sur sa chaise, Shura fuma sa pipe de son air détendu et continua ses explications :
"J'ai donc engagé un espion de haute qualité pour vous suivre dans l'une de vos missions, à votre insu bien sûr. -pof pof-... Et qu'est-ce que j'apprend alors ? La cause des disparitions si parfaites de vos cibles... -pof pof- Sont dues au fait qu'elles disparaissent d'elles-même. Vous simulez leur disparition... -pof pof- Pour ensuite les aider à s'enfuir et à se cacher dans un camp de rebelles. Comme ce noble dont nous avons parlé précédemment, n'est-ce pas ? M'enfin, ne vous inquiétez pas, j'ai fait en sorte que cet homme et sa famille meurent avant d'atteindre un quelconque camp, hahaha ♪ M'enfin, étant donné qu'une trahison de ce genre doit être punie de mort... -pof pof pof- Je le répète, vous ne quitterez jamais cette taverne en vie."
Horrifié, Loïn se leva brutalement, complètement déboussolé par l'alcool, et dégaina une fine lame qu'il pointa vers Shura, l'air enragé et paniqué à la fois.
"Espèce d'enflure... Vous... Vous ne m'aurez jamais ! Jamais je ne vous laisserai me tuer !"
"M'enfin, un peu de sérieux... Vous me prenez pour qui ? Vous êtes mort depuis votre quatrième chope de bière."
Complètement désemparé, Loïn se mit à trembler sur place, regardant avec désarroi les chopes vides face à lui, comprenant avec horreur dans quel piège il était tombé.
"Vous m'avez empoisonné..."
"Il fallait s'y attendre. J'en ai glissé une forte dose dans votre première chope, et de plus petites dans les suivantes. Quand vous avez daigné partir sans avoir fini même votre première chope, j'avoue que mon plan était légèrement en danger... -pof pof- Mais voilà, je vous ai proposé de vous raconter mon histoire. Et la curiosité emportant sur la prudence, vous avez avalé chacun de mes paroles en buvant vos bières à grandes gorgées... Si vous en doutez encore, c'est votre propre curiosité à l'égard de mes techniques qui vous a coûté la vie... -pof pof- Bien, vu la quantité de poison absorbée... Vous devriez vous écrouler d'un moment à un autre."
"Non... Pitié, Shura, donnez-moi l'antidote..."
"Ah oui ! J'avais également oublié ce petit détail..."
Prenant tout son temps, le chef des assassins éteignit sa pipe, et se leva doucement de sa place, plongeant alors un regard hautain et haineux, animé d'une démence horrifiante, dans celui terrifié de Loïn. Il lâcha alors d'une voix sèche :
"J'ai menti, je déteste me faire appeler Shura... Ce n'est pas une apostrophe qu'un vulgaire insecte comme toi peut se permettre de me donner. Maintenant... Meurs."
Sur cet ultime ordre, Loïn resta figé ainsi quelques instants, ses forces le quittant progressivement, et cinq secondes après, le jeune brun s'écroulait violemment au sol, raide mort. Tout le monde cessa de parler et de bouger dans la taverne, terrifiés, même le groupe de bardes s'étant arrêté dans leur morceau. Reprenant son air souriant, Shura ramassa le sac rempli d'argent aux pieds de son ancien subordonné, et en voyant le calme pesant qui l'entourait, le chef des assassins déclara à tous d'une voix joviale :
"On dirait bien que mon ami ne supporte définitivement l'alcool ! Monsieur le tavernier, je vous conseille judicieusement d'appeler des secours, il pourrait avoir fait un coma éthylique... Pourquoi vous arrêtez-vous dans vos activités ? Continuez, je vous prie !"
Shura avait demandé ça poliment, mais cela sonnait clairement comme un ordre, voir même comme un menace. Effrayés, tous se remirent à leurs occupations, le groupe de bardes reprenant leur chant, mais avec une pointe de panique dans leur mélodie, la rendant légèrement faussée. Tranquillement, Shura Malvis posa quelques pièces d'or sur la table pour les boissons, et se dirigea alors vers la sortie, un air impassible et faussement souriant sur le visage.
"Décidément... J'adore vraiment cet Empire ♪"