Approcher Uruloki, le dragon blessé n'était pas chose aisé, mais devoir me calmer lorsque je reconnus la marque de Constance ma belle-mère était encore moins aisé qu'il n'y paraissait. Mais pourquoi Ô divinité ignée a-t-elle fait cela ? Dans quel but ? De colère puissante et quasi indomptable, je pris ma forme des plus naturelle. J'aurais pu ravager Sahawi et endommager la Montagne aux Phoenix si la vaillante victime faite d'écaille n'était pas intervenue en me happant avec une étonnante douceur entre ses crocs pour me projeter dans le plus proche court d'eau.
Nous tombèrent tous les deux d'épuisement avec Yuu pour veiller sur nous. Plusieurs jours passèrent dans le néant. Mon réveil ne fut pas non plus de tout repos. Tiraillée entre le dégoût, la haine, la honte de m'être approchée ainsi de ma belle-mère, à la fois reconnaissante de m'avoir appris à m'approcher en dansant avec agilité et grâce. Néanmoins, je repris conscience de ce que j'avais à faire. Soigner le dragon. Lui somnolait encore entre conscience et inconscience, entre rage de douleur et de sagesse.
De longues heures, des jours de dur labeur s'écoulèrent sans que cela soit monotone. Uruloki m'apprit à maîtriser mon sang chaud, à ne pas agir tout le temps sur un coup de tête.
"Tu peux te venger mais en ton âme et conscience. Connais toi toi-même, et fais de ton ennemi un ami avant tout acte d'honneur." m'avait-il dit.
Je ne me souviens pas de tout lorsque j'ai décimé ma tribu entière, enfin presque. Je me souviens avoir pensé que Constance y était encore, du soleil haut dans le ciel, du silence implacable, de m'être réveillée dans les bras de ma marâtre. Et encore d'avoir joué la comédie en feignant être rassurée de la retrouver, de la gifle magistrale reçue, de l'écaille du dragon rouge pour la soit-disante preuve. Intérieurement, j'avais l'impression de passer par toutes les pressions des formations de cyclones. Mais revoyant le sage dragon carmin en image dans mon esprit, je parvins à me maîtriser, à me rapprocher de ma belle-mère.
La rouquine de son côté, continuait à me former, à me parler d'Aile Ténébreuse, à me dire que les rejoindre pour servir cette "divinité" était le mieux à faire, à tenter de défaire tout ce que le dragon m'avait inculqué et à refaire à SA manière. Elle me demanda l'honneur à ce que j'accepte de la suivre afin qu'elle me présente à la hiérarchie.
Puis vint enfin, la seconde lune rouge sang de mon existence, celle de mon vingt-cinquième anniversaire. Celle où je me sentais enfin apte à franchir le cap. Celui de la vengeance aussi froide qu'un ciel de nuit d'hiver dégagé, celui de l'affront aussi sombre que le néant, de l'honneur qu'on ne peut laver que dans le précieux liquide rubis et épais qu'est le sang.
La rose blanche du désert, dépourvue pourtant d'animosité, qui se méfierait de cette pure beauté fragile. J'aimais et j'aime toujours la frôler. Mais pour elle, cette nuit là, je vins la cueillir et la baigner de digitale pourpre, pourtant odorante. Pour ne pas éveiller les soupçons, j'y mêlais cette merveille au milieu d'autres fleurs plus odorantes encore. Lentement le poison pénétra la peau pour s’immiscer à son rythme jusqu'au palpitant. Venant accélérer les battements, elle fit tout pour me trouver comprenant enfin ce qui lui arrivait.
Son existence arrivant à son terme par mon bon vouloir, je ne me sentais pas joyeuse mais soulagée de laver mon honneur, celui du dragon rouge pour lequel je m'étais pris d'affection. Je ne pouvais plus supporter ses manières, son arrogance, les détails de ce qu'elle faisait avec mon père quand elle n'arrivait pas à obtenir ce qu'elle voulait. Peu à peu, finalement, je me demandais, si à force de la fréquenter je ne devenais pas comme elle, si son "plan" n'était pas entrain de réussir. Un long soupir s'échappa de mes lèvres alors que je lui glissais une goutte d'antidote entre les lèvres.
Raconte-moi pourquoi CE dragon ? Pourquoi cette épreuve ? Est-ce que ce sont les Pro d'Aile Ténébreuse qui t'ont demandé cela ? avais-je demandé sans intonation particulière. Parles et je te soigne. mentis-je d'un air innocent.
Ils... ils n'y sont pour rien. Ils n'ont juste pas d'élémentale ignée telle que toi. Mais le dragon... Il... il... elle toussa et cracha du sang. avait décimé tout un village. Le mien, alors que j'avais... fugué.
Rassure-toi ô belle-mère. Tu as... gagné. Je suis comme toi... Devenue... Rancunière et aigrie. Mais sache que je tuerais quiconque osera se poser en travers de ma route, et qui osera toucher à une écaille de dragon. dis-je alors qu'elle poussa son dernier soupir.
Aucune larme, aucun cri, aucune rage ne s'écoula en moi à part le dégoût, la haine. Le désespoir m'était inconnu. Je ne pris pas la peine de m'asseoir tel que Yuu sur une branche comme je fais parfois à regarder le corps se décomposer. Je fis ce que beaucoup considèrent comme cruel, mais que d'autres, selon certains rites, apprécient. Je vins manger l’hypophyse de Constance. Oui, il ne faut pas oublier que bon nombre de sahawiens sont... cannibales. Moi, cela m'arrive rarement.
Fidèle à mon engagement muet envers ces êtres d'écailles, j'amenais le coeur de ma dernière victime des terres de Feu, afin de lui signifier l'achèvement d'une promesse. L'honneur dans la vengeance patiente.