Il y a longtemps, mec, j'tais jeune et con. Jeune j'le suis plus, mais con, ah ça, y'en a beaucoup qui te diront que je le suis toujours. J'avais des rêves, tu vois ? Des grands rêves. Des rêves qu'auraient consumés c'monde, si j'avais eu droit à c'qui me revenait d'droit, j't'assure. J'avais des grands rêves, des rêves de gloire, ouais, comme tous les cons qui commencent à avoir du poil au menton, mais surtout des rêves ... Des rêves d'une nouvelle ère. Parce qu'à Montagne, j'te le dis, c'est plus ce que c'était. C'est plus c'que ça devrait être. Ils sont tous égarés, et c'sont ceux qui ont l'air les plus éclairés qui sont les plus paumés.

Ils voient pas le monde comme j'le vois, car si ils le voyaient ils comprendraient. Ils comprendraient pourquoi il faut un changement, dans le feu et le sang. Trois élus pour une nation, c't'une connerie. La preuve, c'est les seuls cons à l'faire sur tout l'continent, mais c'clairement une idée de nains, y'avait qu'eux pour trouver ça. C'est la domination marchande, celle qui pousse à la stagnation et à la décadence.
Mais bon, c'tait quand j'étais jeune ça, j'ai revu mes priorités, j'ai bien dû avec c'qui m'est arrivé, p'tite tête.

J'tais paumé, moi aussi, après tu sais quoi. Perdu, sans but. J'ai erré, vagabondé. J'ai rencontré des gens et vu d'ces horreurs. Et j'suis revenu, j'ai rejoint les légions des moineaux de Montagne. J'oubliais pas c'que j'étais, j'oubliais pas d'où j'venais, et j'oubliais encore moins mes aspirations. Mais j'savais pas. J'savais pas quoi faire. Je cherchais à oublié jusqu'à ma propre existence au fond d'une choppe. La guerre a déchirée le continent, et j'voulais pas. J'voulais pas y participer. Pas envie d'être un pion d'Aile Ténébreuse ou des empaffés de la Rébellion, pas envie qu'on décide de mon destin à ma place. D'mes croyances ? J'en avais, mais j'les ai balayés, j'suis revenu à des valeurs sûres, à des choses que je peux voir et tâter, le bon acier et l'or rutilant.

Mec, j'sais ce que disent les gens sur moi, ils disent qu'il faut pas m'écouter, que je suis qu'un connard qui va t'entraîner dans un sale plan, que si tu me fais confiance tu vas t'retrouver avec un colifichet fiché dans ta chair. Y'en a même qui vont t'dire que j'suis fou, héhé. Et tu sais quoi ? J'crois bien qu'ils ont raison. Pour tout. Pour rien. Mais c'que j'te dis là, crois le ou non, c'est juste la vérité.

Je connais maintenant la vraie voie. Une voie d'honneur et de vertu. Ouais, ouais, c'est pas crédible, hein ? Moi qui adore agir comme une catin, qui t'parle de trucs comme ça, héhé ... Pourtant, au fond de moi, ces préceptes ils sont forts. Mais le monde il est c'qu'il est, mec, et 'faut s'abaisser à des putains d'extrémités si un veut réussir ce qu'il entreprend. Mon rêve, mon but, il est grand, putain de grand. J'peux pas t'le dire, car tu m'prendrais pour plus fol que j'suis, mais sache qu'le jour où tu l'apprendras, c'est que j'serai vraiment près d'l'atteindre.

Un rêve d'une nouvelle ère, voilà ce que c'est. D'une ère meilleure, pas que pour moi.
Pour tous. Et quand ça sera l'cas, tous les assassins j'les pendrai. La Confrérie de la Nuit, j'la dissoudrai et j'foutrai le feu à leurs membres. Et si j'croise un mec masqué, j'lui encastrerai son ornement dans la gueule.

Problème ?

Mec, toi là, mec, j'te vois seul au comptoir, ça m'blesse et m'tourmente. Approche, oui, approche avec ta bouteille, on peut causer toi et moi. On est pas si différents, tu l'sais ça ? Nan ? J'te sens pas convaincu, et c'est sage. Sers moi un verre, et j'te promets que tu le regretteras pas, j'vais te raconter, moi, des histoires ! Des histoires de l'Est et de l'Ouest, de Feu et de Givre, de démons et de rebelles !

Mais j'vois que ça te titille toujours pas, tout ça, que tu les connais déjà, toutes les histoires que j'pourrai te raconter. Mais moi j'te dis, j'en connais une d'histoire, une que personne connait. Ça te dit quelque chose, le Corbeau ? Héhé, ouais, bien sûr que ça t'dit quelque chose. On commence à chuchoter son nom, dans c'genre d'endroit. Y'a tant et plus de rumeurs qui courent, si peu de vérité et tellement d'mensonge. 'paraît qu'c'est un démon, un vampire, un lycan, et p't'être même ces trois trucs en même temps. Y'en a qui disent qu'il dévore ses victimes, d'autres qui t'assureront qu'il prend les crânes des macabés pour les offrir à un dieu ténébreux. Y'en a même qui te diront que c'est un des trois représentants de Montagne, sous son masque de corneille, héhé.

Mais c'est que des mensonges, des conneries tout ça. Tu veux savoir la vérité, sur le Corbeau ? Alors ouvre grand les oreilles, et, putain, remplis c'te putain de choppe.

L'Corbeau, tu sais, on l'a pas toujours connu sous c'nom. Même, c'tait presque un mec bien. Et par bien, j'veux dire que c'tait un mec qui s'amusait pas à tuer tout ce qui lui tombe sous la main pour lui soutirer l'peu de thune qu'il pourrait avoir.
Mais c'tait quand même déjà un beau connard, dans sa jeunesse. Imbu d'sa personne et arrogant, avec un égo qui menaçait de faire s'effondrer le monde sous sa masse. Tout bâtard qu'il était née, il était pourtant noble. Presque noble. Et pour lui, ça signifiait tout. Rien pour l'mec éclairé, mais pour c'con là, c'tait sa vie. Sans ça, il était quedalle, juste un pauvre hère, un moineau.

Aigracier, parce que c'est son nom, Aigracier, avait la folie des grandeurs, vu qu'on a pas arrêté de lui répéter dans sa jeunesse que le monde lui appartenait, qu'il se plierait à ses moindres désirs. Il avait un peu d'esprit, j'te l'accorde mec. Il s'y connaissait pas mal dans ... bah, pas mal de domaines, et il s'défendait bien avec une lame dans l'poing. Mais un jour, y'a un héritier légitime qu'est apparu, et Aigracier, bah, on a commencé à s'en foutre de lui. Et ça l'a foutu en rogne. Mis dans une colère noire.
Il s'est barré de Montagne avec une bande de p'tits cons, en criant à qui voulait l'entendre qu'il reviendrait ici qu'avec une armée, et qu'ça sonnerait le glas sinistre d'une nouvelle ère.

Devine quoi ? On s'est foutu de sa gueule. Et ça l'a plongé encore plus dans l'amertume.

Alors quand il est revenu, parce qu'il est revenu, bah il était plus que tout seul, comme un misérable. A peine plus qu'un déchet, l'regard torve et le pas traînant. Y'a qu'les Dieux qui savent c'qui lui est arrivé pendant les trois ans qu'il a disparu dans la nature, mais ça l'a carrément changé. Et pas en bien, mec, j'te le dis. C'est à partir de c'moment qu'les gens ont commencé a l'appeler le Corbeau, même si en fait ils doivent même pas s'en souvenir, d'Aigracier. Et l'Corbeau, il a décidé d'bouffer des moineaux.

Pendant de longues années, dans son esprit, y'avait plus que les passages souterrains obscurs de Montagne. Il s'souvenait d’aucune famille, d’aucune chaleur humaine, d’aucune affection. Il n’désirait d’autre compagnie qu’une poignée de pièces d’or volées, une lame d'acier réconfortante et un mur pour protéger son dos. Aeass, sa lame, il l'a récupéré en égorgeant un forgeron nain. C'tait pas que du bon acier, c'tait surtout de l'acier gravé de runes de glace. Une lame magique recouvrant de givre tout ce qu'elle touche.

Pourtant, crois-le ou non, c'tait un indépendant. Un mec libre comme l'air, qu'avait pas d'autres inquiétudes que le lendemain. Il s'est fait approcher par des assassins de la Confrérie de la Nuit, lui demandant de les rejoindre ou de mourir.

Il s'est foutu de leur gueule. Puis il a balancé leurs cadavres dans les égouts. Et ouais, il est comme ça ce bonhomme.

La Confrérie de la Nuit, ils déconnent pas, et ils cherchent à l'buter d'puis, et quand j'dis buter j'veux dire sérieusement. Mais sans son masque, il est rien d'plus qu'une ombre quelconque parmi des milliers d'autres, et chasser des ombres, c'est bien marrant mais c'est comme frapper l'eau avec une épée, ou pour l'dire plus communément "comme pisser sur un violon".

Il était dans la brume, le Corbeau, jusqu'à il y a pas longtemps. Mais il se souvient enfin. De qui il est, et de pourquoi il l'est. Oh, il va continuer à chasser, hein, mais ça sera différent. Ses anciens rêves, ils ont resurgi, et ça s'pourrait bien que ça soit pas une bonne nouvelle, héhé.

Et là, là ... J'sens qu'y'a plusieurs questions qui brûlent tes lèvres, pas vrai ? Tu t'demandes de quel famille il était, hein ? Un détail qui appartient au passé. C'qu'il a fait pendant ces trois ans ? Y'en a qui t'diront qu'il s'est engagé dans les conflits inter-clans à Feu, d'autres qui t'diront qu'il a suivi une formation de maître-lame à Terre, et deux ou trois qui affirmeront qu'il est resté dans la nature à abattre des créatures de cauchemar.

Ah. C'tait pas ça, tes questions ? Ta question, en fait, c'est comment j'sais tout ça, à son sujet ..?

Bah ... Parce que c'est moi.
Aigracier.