Cela faisait maintenant trois jours qu'Alys, suivie d'Heylë, marchait dans les plaines du continent de Terre, après avoir rendu une petite visite à sa famille, là où elle était née et où elle avait grandi jusqu'à très récemment.

Revoir sa famille pour la première fois depuis un petit bout de temps lui avait fait un bien fou. Heylë en avait profité pour se remettre à l'exercice -enfin, légèrement poussé par Alys-, et avait sensiblement minci, pour la plus grande joie de la jeune Elfe, qui décida qu'elle ne le porterait plus dans son sac, histoire de l'obliger à faire de l'exercice.

Bref, trois jours de marche, et Heylë ne put s'empêcher de glapir de protestation : trois jours de marche, c'était trop ! Il allait devenir trop maigre, à force de marcher pour marcher et pour chasser ! Alys leva les yeux au ciel : toujours à râler... Elle lui lança :

On va s'arrêter à l'arbre que tu vois là-bas, et j'irai chercher de quoi manger. D'ici là, arrête de râler !

Le renard tira la langue : c'est beau la transmission de pensées, mais il y a des moments où l'intimité n'est plus ce qu'elle était... Soudain, il s'arrêta : une odeur ferrique traînait dans l'air, une odeur de sang... Il se mit à flairer la piste, et devant une Alys intriguée, il courut à vive allure, s'arrêtant de temps à autre pour flairer la piste, et finit sa course près d'une jeune femme inconsciente, grièvement blessée à la cuisse. La jeune Elfe, qui avait suivi son renard, voyant l'état de la jeune femme, mit instinctivement la main à son front : il était brûlant de fièvre. Elle s'agenouilla devant elle, avisa la blessure et fouilla dans son sac : parfait, elle avait de quoi désinfecter la plaie et faire une décoction pour faire baisser la fièvre... Elle s'exécuta, enleva le bandage de fortune, prépara une décoction d'angélique, plante reconnue pour ses propriétés désinfectantes, la mit sur la plaie avant d'y mettre un cataplasme d'achillée, aux vertus cicatrisantes. Ceci fini, elle prépara une décoction de reine-des-prés, plante connue pour faire tomber la fièvre, et la lui fit avaler avant de lui mettre le manteau que sa mère lui avait donné.

Ceci étant fait, voyant que la nuit n'allait pas tarder à tomber, elle alluma un feu et chargea Heylë de veiller sur l'inconnue et sur le feu pendant qu'elle irait chasser. Quand elle revint, deux lièvres à la main, l'inconnue n'avait toujours pas bougé. L'Elfe s'assit devant le feu, prépara un lièvre, laissant l'autre à son renard, le mit sur une broche improvisée et vérifia que sa patiente était toujours dans le monde des vivants, avant de soupirer, rassurée. Il n'y avait plus qu'à attendre...

Quelques instants plus tard, la jeune femme se réveilla, signalant son réveil à Alys par une voix rocailleuse :

Je pense que je sais presque où je suis. Par contre je ne sais pas qui vous êtes.

Heylë, qui commençait à sommeiller près du feu, releva la tête et vit la demoiselle réveillée ; il s'approcha pour mieux la regarder, avec curiosité : comment avait-elle réussi à se blesser grièvement la cuisse, et pourquoi restait-elle sur le dos ? Il baissa la tête et renifla l'air : encore une odeur ferrique, qui émane cette fois du dos de la demoiselle. Il poussa un petit cri : sa maîtresse était déjà à côté de la jeune femme, un morceau de viande de lièvre dans une main, sur un morceau de peau, et une gourde dans l'autre. Alys s'agenouilla et avisa la demoiselle :

Rassurez-vous, je me suis occupée de votre blessure à la cuisse... Par contre, à entendre le petit cri qu'a poussé Heylë, il y a des plaies qui m'ont échappé... Laissez-vous mettre sur le côté, s'il vous plaît...

L'Elfe poussa délicatement la jeune inconnue sur le côté, et vit des plaies encore un peu sanguinolentes dans son dos. Mais ces plaies striaient une marque... Une sorte d'entrelacs de lignes, comme un tatouage, qui couvrait toute la moitié supérieure de son dos et ses épaules. Alys s'immobilisa : cette marque lui donnait l'impression de ne pas vouloir la laisser exercer son métier, cette marque lui faisait peur, cette marque la repoussait... Elle n'insista pas et se contenta de lui demander :

Que vous est-il arrivé pour que vous soyez dans cet état ?

Aha, pensa Heylë, il y avait pensé avant sa maîtresse, mais il n'était pas plus avancé qu'elle. Il s'assit donc devant la demoiselle, remuant la queue, signe qu'il voulait entendre l'histoire. Par contre, en regardant sa maîtresse, il vit de la peur dans ses yeux. Qu'avait-elle bien pu voir pour être dans cet état ?

La jeune femme but deux, trois gorgées de la gourde avant de répondre :

Pour vous épargner les détails, mon navire à été confronté à un navire de l'Empire et nous avons perdu. J'ai réchappé du massacre je ne sais pas trop comment et j'ai pu rallier la côte en nageant. Le sel a freiné la cicatrisation des blessures que je n'ai pu nettoyer que le lendemain quand j'ai trouvé une rivière. Rivière que j'ai suivie jusqu'ici. Seulement la blessure de ma cuisse semble avoir eu le temps de s'infecter. Voilà pour mon état.

Elle ne laissa pas le temps à Alys d'en placer une qu'elle renchérit :

Maintenant, si ça ne vous dérange pas, essayez de ne pas faire attention aux marques dans mon dos. C'est encore une autre histoire et, si personne ne me soigne cette plaie correctement, il va lui falloir des semaines pour cicatriser seule, si elle ne s'infecte pas entre temps. Je sais qu'elles ne sont pas agréables à regarder, mais leur occupant ne vous fera rien.

La jeune Elfe inspira longuement : faire abstraction de la marque, ça ne serait pas forcément évident... Mais l'urgence de la situation l'obligea à reconsidérer la question : elle ferait son devoir de guérisseuse, marque ou non. Alys reprit ses esprits, et appliqua ce qui lui restait de décoction d'angélique et celle d'achillée, avant de remettre son manteau sur la demoiselle :

Je serai vous, je ne me mettrai pas sur le dos jusqu'à ce que ça guérisse. Il y a des chances que ça ne mette pas beaucoup de temps, mais bon...

Heylë voulut voir ce qui avait troublé sa maîtresse, mais celle-ci l'écarta de la jeune femme en lui lançant :

Laisse-la tranquille, Heylë. Ou ses blessures mettront un peu plus de temps que prévu à se refermer totalement.

Le renard retourna près du feu, dépité. Il adorait sa maîtresse, mais il y avait des moments où elle refusait son aide, comme à cet instant... Pourquoi ?

La jeune femme sembla soulagée que ses blessures eurent été prises en charge très rapidement. Même si, pour Alys, il lui faudrait du temps pour qu'elles cicatrisent totalement. Et cette marque qui lui faisait clairement peur... Elle revint sur terre quand sa patiente improvisée lui dit :

Je vous remercie pour vos soins, Elfe. J'ai une dette d'honneur envers vous et, toute Amazone que j'ai pu être, sachez que les serments sont une chose que je tiens toujours. Si je puis vous rendre un service, dites-le et dès que je serai sur pieds je m'y emploierai. Dans le cas contraire je vous donnerai mon nom et vous pourrez me demander assistance si nos routes se recroisent. Parole de maître d'arme !

Alys sourit :

Je vous en prie, je ne fais que ce que je me dois de faire, en l'occurrence m'occuper de vos blessures. Mais je ne refuse jamais une aide extérieure... Je m'appelle Alys Calywiel, et voici mon Familier, Heylë, que vous connaissez déjà un peu.

Elle savait que sa patiente déclinerait son identité ; elle savait également qu'elle ne lui expliquerait jamais ce que pouvait bien être cette marque noire qui semblait faire son chemin dans son dos, et la jeune Elfe ne poserait pas la question, au grand désespoir d'Heylë. Mais pourquoi refusait-elle de poser la question, nom d'un lièvre ?! Lui était piqué de curiosité, tout autant que sa maîtresse, mais il ne comprenait pas POURQUOI elle ne disait rien... Elle avait intérêt à avoir une bonne excuse, et il l'aurait, cette réponse...

La jeune demoiselle se présenta enfin :

Je suis Sylvia Morenbal, Amazone sans équipage, maîtresse d'armes sans allégeance et je te suis redevable. Tu disais ne jamais refuser une aide extérieure, tu pourrais en avoir besoin prochainement ?

La jeune Elfe réfléchit quelques instants, pendant qu'Heylë alla réclamer des caresses à Sylvia. Le renard semblait apprécier la jeune Amazone, même si le truc qu'elle avait dans le dos avait fait fuir sa maîtresse... Alys finit par répondre :

Qui sait, je pourrai peut-être avoir besoin d'aide prochainement. Mais pour l'instant, nous resterons ici, le temps que tu te remettes de tes blessures. Normalement, ça ne devrait pas durer trois ans.

Avec un sourire aux lèvres, elle alla chercher un autre morceau de viande, qu'elle tendit à Sylvia :

Mange un peu, ça te fera du bien et ça te rendra tes forces pour accélérer le processus de guérison.

Elle en donna également à Heylë, qui ne cracha pas dessus. Il faut bien dire que le petit renard roux avait toujours faim, même s'il avait grignoté un morceau quelques instants plus tôt...

Alys se retint de lancer un regard réprobateur à sa patiente lorsqu'elle se releva en position assise en serrant les deux. Remarque, elle n'avait pas précisé qu'elle devait rester allongée... Entre deux bouchées de viande, elle déclara :

Je ne supporte pas de rester allongée à rien faire. Si je m'écoutais et si j'étais en état je serais déjà en train d'explorer les environs. J'adore la nuit, vivre la nuit, chasser la nuit, combattre la nuit. D'où venez-vous, Elfe ? Où sommes-nous au juste ? Je connais peu la Terre, sinon ses côtes.

La jeune Elfe nota le retour au vouvoiement, réfléchit quelques instants, le temps pour Heylë d'engloutir son morceau, avant de répondre :

Je veux bien comprendre que le fait de rester immobilisée vous embête, pour rester polie, mais je vous saurai gré d'être raisonnable. Au moins pour trois jours. Je m'arrangerai pour que vos blessures soient entièrement cicatrisées d'ici là.

Pour répondre à votre première question, je suis née dans une forêt de Terre, loin de la patrie de mes ancêtres, Drayame. Ensuite, pour votre deuxième question, je ne saurai vous dire exactement où nous nous trouvons actuellement. Heylë et moi marchons depuis quelques jours maintenant, guidés, je l'avoue, par le hasard. Mais dame Nature vous a mise sur mon chemin, afin que je puisse panser vos blessures...

Puis elle se tut, le temps de se retourner vers le feu pour prendre d'autres viandes, qu'elle tendit à Sylvia et Heylë, avant de se préparer quelques plantes comestibles. Dommage qu'elle n'ait pas de poisson sous la main, c'était presque la seule source d'oméga 3 qui lui était possible d'avaler... Tant pis, elle se contenterait de ce qu'elle avait.

Le reste de la soirée se passa en discussions variées, ponctuées par un Heylë toujours en manque de câlins. Sylvia finit cependant par sombrer rapidement dans les bras de Morphée, suivie par le canidé et Alys, qui laissa de côté quelques morceaux de viande pour le cas où, en se réveillant, sa patiente improvisée et son Familier auraient faim.

Quand elle se réveilla, le lendemain, après une nuit sans rêves ni cauchemars, la jeune Elfe trouva son renard aux anges, dans les bras de Sylvia qui le grattouillait et le caressait. Sa patiente s'était relevée en position assise, et paraissait reposée. Tant mieux, pensa l'Elfe en se relevant. Elle sourit pour saluer sa patiente, alla prendre un peu de viande qu'elle réchauffa sur les braises qui étrangement avaient tenu, avant de la lui tendre :

Tenez, mangez un peu, et je me repencherai sur vos blessures après.

Elle inspira profondément, histoire de ne se concentrer que sur la plaie. Elle espérait qu'elle saurait faire abstraction de la marque, comme la première fois...

Alys ne bougea pas quand sa patiente enleva son manteau pour qu'elle se repenche sur la plaie. Heylë resta devant Sylvia, appâté par le morceau de viande qu'elle maintenait devant elle, sûrement pour l'empêcher de voir la marque. Voyant sa réticence, Sylvia lui lança :

Vous avez peur. C'est normal. Mais vous êtes courageuse. C'est rassurant de savoir qu'il existe encore des gens capable d'affronter la peur viscérale. Vous avez bien fait d'allumer un feu hier, vous devriez peut-être encore le raviver. La chaleur et l'éclat de ses flammes vous aidera.

La jeune Elfe lui sourit, raviva le feu comme le lui conseillait Sylvia, respira un grand coup et fit abstraction de tout ce qui l'entourait pour se pencher sur la plaie. Bien entendu, elle devinait que la marque cherche à la repousser, mais elle passa outre, et regarda la blessure. Celle-ci avait bien cicatrisé, mais si Alys arrêtait le traitement, elle risquait de se rouvrir et de s'infecter. Et là, il serait trop tard.

La jeune Elfe entreprit donc de remettre un emplâtre d'achillée sur la plaie :

Encore un jour ou deux, et ça devrait être bon.

Alys affichait un léger sourire : certes, l'amélioration de la blessure la soulageait, mais cette marque l'inquiétait vraiment...

Alys ne fut surprise d'entendre Sylvia déclarer :

Deux jours... Je suppose que je n'ai pas trop le choix, mais rassurez-moi, on va pouvoir bouger d'ici hein ? Enfin j'veux dire, deux jours au même endroit c'est... je sais pas, sûrement trop l'habitude des mers, mais ça me stresse l'idée de camper deux jours au même endroit. On pourrait pas plutôt, je sais pas moi, aller vers un village ? Ou juste changer de coin de forêt ? S'éloigner de la côte ? Pas que j'aime pas la mer, pas du tout, au contraire, j'A-DO-RE la mer !

Mais là c'est malsain pour moi. Puis reprendre l'eau c'est pas dans mes perspectives d'avenir... alors ? Vous pensez qu'on va pouvoir bouger d'ici ? hein ? hein dites ?

La jeune Elfe la rassura :

Bien entendu. La plaie a bien cicatrisé, je ne me fais pas trop de souci en ce qui concerne un petit voyage jusqu'à une auberge. Tant que vous n'essayez pas de courir, ou d'aller Dame Nature sait où, ça ira.

Heylë se mit à japper de joie : chouette, ils allaient repartir pour la civilisation ! Il se fit discret en voyant le regard que lui lançait sa chère maîtresse, mais n'en jubilait pas moins. Il rassembla les affaires d'Alys et s'assit sagement devant Sylvia, attendant qu'elle se relève.