Le vent soufflait sur les plaines de Sen'Tsura avec un soleil sans nuages et bien chaud. Au loin, la capitale était visible si l'on se dressait sur les plus hautes collines. Relonzi avait croisé tant de personnes et de lieux qu'il ne savait plus que faire de tuer en faveur du Bien. Sa propre conscience jugeait toujours bon de régler justice soi-même, mais le soucis était pour Relon qu'il n'en voyait plus la différence entre le passé et maintenant. Le système était toujours aussi décadent et contrôlé par AT. Serait-ce un mal pour un bien de les laisser finalement tranquilles ? Sa mère avait bien des raisons louables d'être de leurs côtés... Après une quinzaine d'années de services voués au Bien, Relon voulait changer d'air et il lui était sûr qu'il trouverait la réponse à Sen'Tsura.

Arrivé à la cité, le Soleil cédait sa place à la Lune. Le quartier noble était magnifique, chaque maison était un chef d'oeuvre et les habitants vêtus surement de la façon la plus décente qu'il soit, songea Relon. Les yeux s'arrêtaient tous sur lui, comme s'il était un pestiféré venu de la campagne. Au tournant de la rue deux hommes armés s'arrêtèrent et s'avançèrent vers l'assassin.

« Hé vous ? Qu'est-ce que foutez là ?»

« Encore un gas qui se croit tout permis ! Tu bosses pour qui pignouf ?»

Au-delà de leur langage pour le moins soutenu, ces guerriers n'avaient pas l'air fins en saisissant Relon par le col. Il était évident qu'en temps normal, ils se seraient déjà pris une lame mais là, Relonzi n'était pas en situation de force. Cette ville regorgeait surement d'autres soldats d'AT, et il ne serait pas bienvenu de s'attirer toute l'armée dès son arrivée à la capitale. L'homme qui l'avait pris par le col le plaqua contre le mur d'une clôture. Il était si costaud que sa force soulevait l'assassin et l'empêchait de respirer. Au loin un homme également armé se rapprocha en lançant un « Hé !». Mais cela n'empêcha point le soldat de serrer plus fort Relonzi.

« Alors tu réponds enfoiré où je te fais avaler ce qui te sert de langue ! Tu bosses pour qui ?!»

Le temps de poser sa phrase, le troisième homme était au niveau des deux autres, la main sur l'épaule du guerrier hystérique.

« Hé oh Gradas tu vas arrêter d'importuner cette personne, c'est pas parce qu'il est foutrement mal sapé qu'il va saccager le quartier !»

Relonzi perdait presque connaissance et essaya de lui répondre sincèrement mais au lieu d'un « Vous vous méprenez !», seule la première lettre de la phrase sortit et fit un sifflement. Gradas s'écarta pour laisser retomber l'assassin à terre, face au sergent.

«  Qu'est-ce que tu bafouilles ? Vvv ? Tu bosses pour Voëlkara ?»

« Oui (il tousse). Je suis en mission pour Voëlkara.»

Qui était ce Voëlkara ? L'homme en face de lui n'avait pas intérêt à vérifier ce qu'il disait !

« Bizarre... On est régulièrement tenu au courant de ses activités pourquoi ne nous ont-ils rien dit concernant ta mission ?»

« Elle est ... (il tousse) Elle est délicate, cette mission. Il ne tient qu'à en vous faire part lorsqu'elle sera accomplie.»

« Mmh. Je n'ai pas que ça à faire. Gardes, relâchez-le, qu'il finisse donc sa mission. J'irais faire un tour à la taverne pour avoir des explications.»

Relonzi devait en savoir plus sur cette personne pour ne pas ébruiter le mensonge qui le sauvait. Il l'a rencontrerait ensuite pour lui en faire part et s'excuser du dérangement. Le plan était parfait.

« Aah moi aussi j'irais bien à la taverne, j'ai une de ces dalles moi ... (il tousse)»

« Non mais c'est qu'il se fout de notre gueule le lascar !»

« Arrêtez, c'est une boutade, je sais très bien que vous y passerez pas pour prendre un repas, faudrait être bête !»

« Ton chef  je le trouverais toujours au même endroit ? Au chien qui dort ?»

« Ben.. En effet.»

« Alors j'irais le voir demain ton chef.»

Les trois hommes s'éloignèrent jusqu'à disparaître derrière le tournant de la rue. Relon se releva et s'essuya du peu de poussière qui était venu se poser sur la cape. Il est vrai qu'elle n'était pas bien propre avec ses trous et cette ceinture qui commençait à rouiller. Décidément la vieillesse ne le réussissait pas. Un tavernier lui avait parlé de la crise de la trentaine, serait-ce finalement vrai ? Sen'Tsura était grand, inutile pour lui de chercher la taverne comme un aiguille dans une meule de foin. Arrivé au quartier populaire, il se sentait soudainement mieux car il se fondait mieux dans la foule ! Dans une ruelle, deux tavernes se faisait face. Il n'eût aucun problème à rencontrer un alcoolique qui finit par lui avouer que la taverne "du chien qui dort" était l'une de ses préférées. De plus, elle n'était pas si loin à pied, l'alcoolique reprit donc du poil de la bête et se décida à accompagner Relon à la taverne, ce qui était largement plus simple que de lui indiquer sobrement la route. Arrivé à la taverne, Relonzi remercia l'alcoolique et se fraya une place pour atteindre le tavernier qui préparait les chopes de bières à ses clients.

« Je cherche Voëlkara.»

« Tu le trouveras comme d'habitude en haut. Va voir au premier étage Tarkas dans les cuisines il t'y amenera.»

Relonzi prit l'escalier et vit au fond la fameuse cuisine. Tarkas ne tarda pas à apercevoir l'assassin et lui indiqua du doigt l'un des meubles de la pièce. Relon s'avança et aperçut un passage secret qui devait surement l'amener à ce mystérieux Voëlkara. La crypte n'était pas immense, mais certes sympathique. Plusieurs hommes étaient là assis à discuter entre eux et ne semblaient pas avoir vu le nouvel arrivant. Au fond, une femme était en train de jouer aux fléchettes avec des aiguilles de lancer et semblait beaucoup plus prompte à discuter que les autres. Il s'avança et lui demanda qu'il souhaitait parler à Voëlkara. Des rires se taisaient dans son dos.

« Ecoutez. Je ne veux pas d'embrouilles. Je m'appelle Relonzi. Je viens de nulle-part. Dès que je suis entré dans cette cité, des gardes d'AT me sont tombés dessus en pensant que je bossais pour Voëlkara... J'ai dis que c'était le cas pour les échapper. Je tenais à en faire part à Voëlkara mais apparemment je m'aperçois qu'il s'agit pas d'une personne... (Un temps, une réflexion, puis il reprit) Ecoutez je pourrais vous passer un coup de main ? A voir vos armures j'en déduis que vous ne faîtes pas dans la dentelle. Je suis un assassin, peut-être pourrais-je me joindre à vous ? J'en ai fini avec ma quête personnelle, je souhaiterais rejoindre un groupe qui puisse me redonner les contrats d'assassinat qui me rendait glorieux. Je pourrais même vous offrir mon aide en tant que négociateur. Qu'avez-vous à me proposer ?»

L'atmosphère n'était pas déplaisante pour Relon qui se sentait ici en confiance face à cette jeune femme étrange qui s'exprimait posément en répétant le nom de sa guilde. Elle avait l'air d'y être très attachée. La détermination illuminait cette personne, mais Relonzi ne fût point déstabilisé et se présenta.

« Une famille ? Je n'en ai jamais eut. La seule personne qui m'était proche est mort il y a voilà une quinzaine d'années. Autrement j'ai acquis avec le temps des contacts dans la plupart des camps mais n'appartient à aucun d'entre eux, ni même la Congrégation de la Nuit... J'ai toujours travaillé à mon compte. Dès qu'une personne souhaitait que justice soit rétablie, il me rencontrait et j'assassinais la personne influente ou non qui devait mourir. Les meurtres s'enchaînèrent en pensant que je pourrais rétablir le bien mais le temps passa et rien ne changea. J'en ai assez de battre la campagne pour une raison qui me fuit ou qui m'est insurmontable. Je n'attendais pas mieux que de vous rencontrer car je recherchais inconsciemment un groupe sur qui je pouvais compter pour poursuivre une raison disons ... plus réaliste... Comme j'ai toujours contracté des missions sans l'aide de qui que ce soit, je serais intéressé de faire équipe avec vous. Si toutefois vous recrutez.»

Occupé à négocier avec la jeune femme, Relon se tourna d'un quart pour apercevoir cet homme à l'une des tables. Il lui semblait qu'il lisait ses pensées avec ce regard profond et persuasif. Aurait-il lui aussi des racines Chistël ? L'avenir lui répondra surement. Relonzi s'avança vers la table et lui répondit avec toute franchise.

« On m'avait appris qu'en assassinant je répandrais la paix. Ce n'est qu'après quinze ans que je me rends compte du paradoxe, de mon erreur. Comment rétablir une chose en provoquant son inverse ? C'est d'un absurde... Je pense maintenant que la seule justice acceptable est celle que l'on rend pour sa propre survie. Mais je suis un assassin, j'ai le sang de mes victimes sur mes lames, leurs pensées qui pèsent sur ma conscience. Je sais que je me perdrais à errer seul comme je l'ai fait jusqu'à ce jour. Je ne crains cet avenir mais si je devais choisir, je souhaiterais intégrer votre guilde pour une cause plus noble : notre protection et l'accès pour tous à nos talents d'assassins et autre. Voilà ce qui pourrait me permettre de définir la paix et de retrouver la sérénité d'antan.»

L'entrée d'une nouvelle personne dans la crypte sonna chez Relon comme un léger souffle, un malaise qu'il n'avait ressentit jusqu'alors. Il vit cet homme aller et venir, la chope de bière à la main. Rien de douteux jusqu'au moment où il se mit à lui parler.

*Serait-ce le chef à qui m'adresser ?*

L'impatience aurait sonné son paroxysme chez Relon s'il avait dix années de moins, mais là, il avait maintenant tout le temps devant lui. Tout le temps pour s'adonner aux discours. Relonzi n'aimait que convaincre. Etre persuasif est une force, être sincère en est une bien plus forte.

«J'avais une famille étant jeune. Du moins c'est ce que je pensais en recevant des lettres de mes parents où durant mon entraînement. Tous ceux qui ont compté pour moi ne sont plus aujourd'hui de ce monde. Pendant les quinze années qui suivirent mon entraînement pour devenir assassin, tout m'était indiqué et prouvé que je ne fonderais aucune famille. Ma famille regroupait ceux qui ont bénéficié de mes talents. Le temps, source de sagesse et de prudence, éclaira ma vieille lanterne et je me suis rendu compte que ma vie perdait tout son sens. Je veille pour la protection de tous. Mais pour cela, je ne puis le faire seul. Je dois être guidé pour pouvoir guider, tout comme être protégé pour pouvoir protéger.»

Un temps, Relon lança à nouveau un regard autour de lui.

«J'ai peut-être l'air d'un marin d'eau douce comparé à vos carrures, à vos trophées... J'ai moi-même mes talents, et je peux les mettre à contribution pour vos projets. Avec les assassinats, ma réputation a grimpé dans les régions de Glace et Feu. Mes compétences sont telles qu'avec mes relations je puisse aider à améliorer les vôtres. Je me souviens avoir croisé une lycan ayant parlé de Voëlkara comme un groupe de mercenaires, payés pour exécuter les ordres. J'aimerais donc au-delà de mes capacités apporter un soutien particulier à l'image de la guilde par rapport aux autres. Que les personnes aient une totale confiance en nous, qu'ils nous respectent à notre juste valeur. Qu'il n'y ait personne pour penser ce que m'avait dit cette lycan.»

Le temps passait tranquillement dans la crypte et Relonzi commençait à prendre conscience de son recrutement, car chaque personne allait lui poser sa question, sans arrières pensées, ou non, histoire de le juger, de le mesurer à la guilde. Un paradoxe à son état d'esprit, il y prenait presque goût. Lui qui n'aimait pas rester les bras croisés, il se plaisait à argumenter à la voix plutôt qu'à la lame. Pour une fois. Deux femmes avaient surgies derrière lui, la première restant dans le ton dans la discussion, l'autre complètement entreprenante. Relon flaira la blague décalée et suivit du regard ceux des autres membres de la guilde. Il posa les yeux sur les hanches de la jeune femme, puis remonta lentement la tête jusqu'à contempler son visage.

«Me déranger ? Je ne vois pas pourquoi... Je dirais plutôt que ca me motive. »

Le sourire aux coins des lèvres, l'assassin se tourna vers sa voisine plus stricte et lui fit un bref résumé de sa vie de tueur. Au-delà du coureur du jupon, Relonzi était un fin acrobate, utilisant la moindre façade, le moindre toit pour effectuer des cascades. Fuir à n'importe quel ennemi était pour lui un jeu d'enfant. Entraîné par son père pendant une dizaine d'années, il lui raconta en détail ce qu'il lui appris, de la résistance physique à la résistance mentale. Il est vrai que ses assassinats prenaient le plus gros de son temps, mais il était également un bon espion et pouvait mourir torturé sans délivrer un mot. Relonzi évoqua ensuite sa manière de tuer, par derrière et par habitude, le cou étant sa cible préférée.

Relon acquiesça sans plus attendre à Baarl pour lui faire comprendre que ses intentions restaient nobles.

«La magie est une chose que je connais par ma mère. Vous n'avez peut-être pas remarqué mais mes yeux n'ont pas la même couleur. »

Relonzi abaissa sa capuche qu'il avait gardée jusqu'à présent.

«Depuis mon accident, je peux percevoir à travers mon oeil droit les esprits. Ca me permet de mieux cerner les personnes, à m'y fier ou non. Je vois leur part de sainteté et leur côté maléfique si je puis dire simplement. Cela m'a été fort utile pour ne pas me tromper au cours de mes assassinats. Si je veux, je peux vous voir de la sorte mais ce ne serait que par pure curiosité.»

Un temps, puis il reprit.

«La guilde d'assassins ? J'ai entendu parler de ce clan, mais n'ai toutefois prit connaissance de leurs intentions. J'étais à l'époque bien trop jeune pour m'y intéresser. Cela ne répondait pas à ma volonté... Laquelle a bien changé depuis, vous pouvez le croire.»

Il se retourna vers Baarl.

«En ce qui concerne l'image de votre guilde, je ne veux pas vous importuner. Ce ne sont que des dires, non mes propres pensées. J'attends voir pour pouvoir interpréter contrairement à d'autres. J'avais juste entendu parler de Voëlkara comme d'un groupe de mercenaires sans états d'âme. Je souhaiterais régler ce détail pour qu'il n'y ait personne pour nous juger comme des outils. Je ne dis pas qu'on n'en est pas, mais on reste des humains qui ont des objectifs particuliers. Si vous le voulez bien, je prends immédiatement contact avec le chef de cette guilde et l'affaire est réglée ? »

Relonzi écoutait Baarl avec attention et sentait le regard de chaque membre posé sur lui. Il savait qu'il ne ferait pas marche arrière. Ce n'est pas parce qu'il ne le pouvait plus, mais plutôt parce qu'il ne l'avait jamais fait au cours de sa vie. Abandonner ou reculer devant un objectif aussi superficiel soit-il lui était inacceptable et revenir sur une telle prise de décision lui serait impardonnable. Intégrer une guilde était une récompense, la chance de pouvoir compter sur quelqu'un, chose pour laquelle il avait au final tant espéré, après avoir tant tué pour une justice arbitraire.

«Ne vous méprenez pas : mon oeil peut déceler bien des secrets, ce qui sera fondamental pour décider de notre confiance aux employeurs. Aucune relation ne pourra être douteuse si vous m'autorisez à y jeter un oeil. Je me porte donc garant de mes talents pour le bien de Voëlkara.»

Il enleva le gant blanc de sa main droite et se mit à siffler avec son pouce et son index. La mélodie portée par sa bouche amena une corneille sur son bras levé.

«Et lui, c'est mon troisième oeil. A première vue il peut vous paraître calme mais il reste certes très utile pour rendre l'ennemi confus.»

Relonzi se tourne à nouveau vers Baarl.

«Je suis prêt dès que vous l'êtes pour une mission d'épreuve pour faire foi de mes dires sur mes capacités.»