De nature chaotique et versatile, Ur se montrera toutefois intransigeant vis à vis de la cruauté, en raison de sa sociabilité, et aura une certaine estime de lui-même quelque soit la situation. Sans attaches, il aime le vent, son cheval et les chemins de sable qu'ils arpentent ensemble.
Originaire de la noblesse misoréenne du Ciel, la naissance d’Ur eut lieu à la jonction de deux saisons le 31 Telniss de l’an 89. Entouré et choyé dès le plus jeune âge, il se révéla très doué dans toutes les activités qu’il entreprenait. Destiné à succéder à son père, l’enfant était dirigé par les meilleurs tuteurs de la région. Littérature, mathématiques mais aussi art du combat constituaient ses journées.
Très tôt confronté à ses obligations, Ur ne connut jamais vraiment l’innocence de la jeunesse. Sans répit, il s’entrainait pour atteindre l’excellence et bien que ses prédispositions fussent impressionnantes, une personne de cet âge ne pouvait tenir de manière saine un tel rythme.
Il rêvait beaucoup, imprégné des histoires exotiques qu’ils pouvaient lire dans les contes qu’on lui prescrivait. Les terres de feu, de glace et le désert peuplaient son imaginaire, hantaient ses nuits, lui permettaient de résister à la pression sociale qui l’entourait. Un jour, il les verrait, ces paysages fantastiques.
Mais bientôt, ces rêves n’étaient plus suffisants, il grandissait et l’entrainement se faisait plus intense. A l’âge de huit ans, on intégra à son éducation de nouveaux volets, plus complexes. D’abord, on changea l’arme très classique qu’il employait, l’épée longue, au profit d’un exotique cimeterre, à la lame courbe et au tranchant unique. On ajouta des difficultés à maitriser l’arc, l’obligeant à l’utiliser en mouvement. Ces épreuves furent durent à surpasser, mais il y parvient.
Une seule matière le tenait en difficulté, la magie. Les plus grands pédagogues avaient tenté de lui inculquer leur savoir, mais rien n’y faisait et on diagnostiqua chez l’enfant un blocage psychologique dû au surmenage. Ses parents n’en restèrent malheureusement pas là et continuèrent d’insister, espérant un miracle.
Son cadeau d’anniversaire fut un poulain, de haute race. Sarnath, un pur-sang arabe, créatures réputées autant pour leur rapidité et leur endurance que pour leur grâce. Celui-ci était noir, rareté entre toutes, et était encore très petit. L’enfant pourrait le voir, mais pas le monter en devoir des entrainements avant qu’il n’ait été dressé et qu’ils ne soient tous deux en parfaite harmonie. L’attraction entre les deux êtres fut immédiate et un profond lien se noua après quelques rencontres, l’un comprenait l’autre.
C’est à cette période qu’Ur commença à entreprendre de sortir du château. Cloîtré dans l’enceinte de sa propriété, il ne connaissait du monde que l’espace entouré par de sinistres murs de pierre et les gens qui fréquentaient les lieux. Ses désirs de voyage le poussaient à aller voir au-delà de cette barrière, à franchir les limites qu’on lui avait imposées contre son gré. Face aux refus répétés de ses parents et tuteurs, il n’eut d’autre choix que d’imaginer un moyen de sortir discrètement et sans autorisation.
Son entrainement avait le mérite de le préparer à ce genre de situation, et il échappa bientôt chaque nuit au contrôle des gardes et surveillants de l’enceinte. Il découvrit que chaque voyage avait sa valeur, peu importe la distance. Son regard s’émerveillait devant chaque nouveauté, ses oreilles semblaient entendre pour la première fois, son nez découvrait à tout moment de nouvelle fragrance.
Ce n’est pas seulement des sensations qu’il vécut, mais des paysages qu’il apprit à maîtriser. Les paysages couverts de la Forêt des Brumes, les créatures des alentours, tels les lutins et les sylphides, mais surtout, le vent. Cette sensation nouvelle qui lui avait été jusque-là cachée par les murs d’enceinte était à présent toute entière à lui, le caressant parfois, ou le pénétrant, lui résistant un instant pour l’aider ensuite. C’était magique.
Bien loin de le fatiguer, ces sorties nocturnes dont personne au château n’apprit jamais l’existence lui insufflaient une nouvelle motivation, bien loin des projets que ses parents lui avaient préparé : partir, le plus tôt et le plus loin possible. Mais il n’en avait pas encore les capacités, et s’entrainait d’arrache-pied pour un jour pouvoir s’enfuir de ce lieu qu’il haïssait chaque jour un peu plus.
A bientôt onze ans, Ur commençait à connaître comme sa poche les lieux qu'il fréquentait la nuit. S'il ne parvenait pas à combattre plusieurs créatures à la fois, il devait parfois faire face à l'une d'entre elle dans un combat singulier qui pouvait lui être fatal. Le jeune garçon évitait ce genre de conflit, conscient que ses aptitudes, bien qu'élevées, devait être relativisé par son âge et son physique encore juvénile.
Une nuit, les choses tournèrent mal. Comme à son habitude, Ur arpentait les brumes de la forêt qui bordait le château. S’aventurant de plus en plus loin au fil de ses sorties, il connaissait maintenant les lieux parfaitement et pensait pouvoir s’échapper de n’importe quelle situation l’opposant à un ennemi imprévu. Malheureusement pour lui, les monstres des bois n’étaient pas tous aussi solitaire que lui et ce soir-là, trois d’entre eux l’attaquèrent de concert.
Fuyant tout d’abord, le jeune homme savait très bien qu’il finirait par être cerné. Il avait beau réfléchir, aucune solution ne lui venait en tête, chaque chemin qu’il aurait pu empreinter était bloqué par une des trois créatures rampantes des brumes. Il s’était résigné à combattre dignement et à mourir dans la fierté. Il pensait à sa famille, à l’incompréhension et à la peine auxquelles elle aurait à faire face.
Quand tout semblait perdu, et que, cimeterre en main, Ur se mettait en garde pour faire face à ce qui serait sans doute son dernier combat, un murmure retentit, on psalmodia dans le brouillard aqueux et une aura sembla entourer le jeune homme. Il ne sentait qu’une différence physique tout d’abord, puis observa ses mains. Elles avaient disparu, à l’instar de son corps.
Une jeune femme sortit des bosquets et s’approcha de lui.
« Tu n’as plus rien à craindre, nous ne sommes plus sur le même plan spectral qu’eux. Suis-moi. »
Cette femme était belle. Ses cheveux laiteux se démarquaient de la brume, éclairés d’une étrange lumière sourde. Sa peau blanche la faisait rayonner dans l’obscurité ambiante, sa présence était réconfortante. Sa voix … Ur ne l’oubliera jamais. Ils parlèrent, des heures, toute la nuit. Ishtar était une femme en quête de découverte. Elle voyageait beaucoup, étudiait beaucoup, et pratiquait une magie basée sur le changement d’état. Elle ne maitrisait que très mal les armes blanches et ne pouvait que relativement se défendre à l’aide d’un bâton.
Il la revit, chaque nuit pendant près d’un an. Elle avait décidé de rester, la région était intéressante. Ils se lièrent d’amitié et elle lui exposait à chaque rencontre l'avancée de ses travaux. Ur, lui, l’aimait de tout son être, mais la différence d’âge criante ne pouvait qu’empêcher leur relation d’évoluer dans ce sens. Et cet amour évolua en amitié profonde, Ishtar fut sa première et unique amie. Et un jour, elle disparut. Sans dire un mot. Sans prévenir.
Il avait 12 ans et ne s’en remit jamais totalement. D’abord de l’incompréhension, peut-être a-t-elle eu un empêchement… Puis des remords, qu’avait-il fait de mal. La haine suivit, jamais il ne pourrait lui pardonner un tel comportement. Enfin, après un an de questionnement, il en ressorti meurtri. Son entrainement ne lui importait plus vraiment, la fougue qu’il y avait investie durant l’année de sa rencontre avec Ishtar l’avait poussé hors de ses limites, et il parvenait même à maitriser un peu la magie des états.
Plus aucun maitre accessible aux ressources de ses parents ne pouvait le faire progresser d’avantage, l’amour avait été un puissant moteur, il s’était surpassé et la motivation lui manquait à présent. Il en avait oublié ses projets, se renfermait, et son entourage ne comprenait pas ces flux étranges qui animaient ou détruisaient sa motivation.
Nostalgique malgré lui, sa maitrise de la magie s’orienta en direction des sorts d’Etat et sur les runes, deux domaines de prédilection d’Ishtar. Le seul moment durant lequel il parvenait à échapper à cette emprise douloureuse était ses montées à cheval en compagnie de Sarnath. L’amour était peut-être le seul sujet sur lequel ils ne pouvaient se comprendre, mais la présence de son animal de compagnie le réconfortait et lui redonnait momentanément la force d’avancer.
Le destin se chargea cruellement de ramener Ur à la réalité. Au début du mois de Rael de l’an 103, trois ans après l’invocation de l’Aile Ténébreuse, le mouvement démoniaque se mit en mouvement pour conquérir le ciel. Excentré par rapport aux grands rassemblements, et sous estimant la menace, les parents du jeune garçon décidèrent de rester défendre le château. Résistance futile, les murs cédèrent après quelques minutes d’assauts, et pour montrer l’exemple, l’Aile Ténébreuse voulu exécuter les responsables des lieux.
Ur savait que l’heure était venue, les soldats ennemis saccagèrent tout, et pénétrèrent rapidement dans le château. Le jeune garçon parti se réfugier auprès de ses parents mais, ouvrant la porte de leur cabinet privé, il découvrit son père à demi-mort, une lance aux armoiries de la famille plantée dans le ventre, agonisant sur le sol jonché des cadavres des plus fidèles gardes de la famille.
Les responsables n’étaient pas des membres de l’armée ennemi, mais bien des serfs du château. La mère d’Ur était quant à elle nue sur le bureau et subissait les sévices sexuels des meurtriers de son père. Implorant leur pitié, elle ne recevait pour seule réponse que leurs ricanements et une violence redoublée de la part de ces hommes devenus bêtes sauvages.
Cet instant d’horreur parut durer des heures, des jours, des mois, et s’arrêta lorsque le regard de sa mère croisa le sien. Il sut ce qu’il devait à présent faire. Venger ses parents, tuer ces brutes, tuer ces hommes cruelles, ces traitres. Dégainant son cimeterre d’un mouvement rapide, il n’eut aucun mal à se débarrasser des trois hommes encore debout autour de sa mère.
L’exécution passée, il comprit. Les os des jambes brisés, sa mère ne pouvait plus marcher. Son bassin était enfoncé, son visage boursoufflé par les coups, son corps profané. Une rage folle envahit Ur, qui tuer pour assouvir sa soif de violence. Comment punir des hommes morts.
Parlant douloureusement, sa mère s’adressa à lui pour la dernière fois :
« Fuis … vis … Oublie ce que tu as vu aujourd’hui ... S’il … te … Plait. »
La porte s’ouvrit dans un grand fracas, l’armée de l’Aile Ténébreuse était là, ou presque. Un paladin portant le blason des assaillants venait de faire irruption dans la pièce et se tut. Il observait la scène, et comprit. Se hâtant, il prit Ur comme un simple enfant, le jeta sur son épaule et sorti sans un mot. Le jeune homme eu beaucoup de peine à rester conscient, tout se précipitait devant ses yeux, dans son corps, dans son esprit.
Le paladin le déposa aux écuries, et machinalement, le garçon se dirigea vers son cheval, l’attela et prit les armes déposées sur son étagère. Sans un bruit, il sortit des lieux et lança son cheval au galop. Il erra des jours, survivant grâce aux connaissances qu’il avait accumulées dans les bois, sans but. Petit à petit, il reprit le goût de la vie, en découvrant de nouvelles régions, loin de la guerre qui faisait rage. Finalement, il prit la décision d’arpenter les routes qu’il avait entreprit de parcourir plus jeune. L’histoire commence neuf ans après ces évènements, neuf ans passés sur les chemins du monde entier, à vivre de mercenariat et de rencontres souvent brèves, quelques fois intenses.