Une débauche de victuailles, de boissons plus goûteuses les unes que les autres et de tenues riches, provocantes et, à force de perles et de rubans, ridicules. C'était cet étalage d'argent que Tyssania contemplait depuis son entrée dans cette fête. Une fête, une mascarade, une couverture que l'espionne était reconnaissante de pouvoir utiliser. Une simple bourse de pièces sonnantes lui avait suffit à acheter une mèche de cheveux d'une des invitées, une jeune fille éloignée qui n'avait pas envie de se déplacer de l'autre bout de la terre du Feu pour venir voir son vieil oncle. Les gens faisaient toujours grand cas de leur famille ici à ceux qu'on disait... sauf quand on en venait à l'argent. Bien sur, la jeune femme n'avait jamais vu l'espionne et ne devait même pas se douter de qui lui avait proposé ce marché si arrangeant. La polymorphe avait tout fait par lettre et avait bien fait attention à ce que personne ne la voit sortir de l'auberge où elle avait pris une chambre sous les traits de la riche héritière du fin fond du pays.

Ensuite, passer les gardes de l'entrée n'avait pas été difficile sous ses traits. Ces derniers avaient dû recevoir une description des invités et Tyssania s'était même laissé aller à quelques oeillades pour le plus musclé des deux. Ce qui lui avait quand même permis d'apprendre que le maître des lieux ne s'était pas encore montré et, plus important, quand est-ce qu'il le ferait. Une bonne chose selon elle, il serait plus discret de recueillir ses informations à l'abri des oreilles indiscrètes et surtout il était plus facile de rester en vie cloîtré que dans une foule. D'autant qu'avant cela, elle pourrait profiter de la fête. Au moins, assez pour que tous se souviennent de l'avoir vu jouir de l'outrancière hospitalité de son hôte.

Une fois cela fait, sans oublier un prétendant un peu trop insistant et un peu trop aviné raccompagné du côté du buffet, Tyssania se reconcentra sur sa mission. Elle avait mieux à faire que d'écouter les petites jalousies des notables du pays du Feu. D'autant qu'il ne devait pas rester plus d'une heure avant l'apparition du maître de la fête. Déposant son verre sur une déserte, elle repéra rapidement un serviteur qui n'avait pas l'air -à son avis- d'avoir mieux à faire que de l'aider. Après tout, les tables croulaient déjà sous les plateaux et il avait les mains vides, elle se glissa donc à côté de lui pour plus de discrétion. ••• Excusez-moi. Si vous êtes de la maison j'ai besoin de votre aide. Je cherche la chambre du propriétaire... ••• lui sussura-t-elle à l'oreille pour attirer son attention. Elle se recula ensuite légèrement et lui fit signe de la suivre jusque dans un couloir qui longeait la pièce de réception. Une fois, la porte refermée derrière eux, la jeune fille soupira d'aise de retrouver l'anonymat et le silence. ••• Merci. Il faut que j'ai une discussion avec mon oncle à propos de ma mère. Vous comprenez... et puis si vous m'y menez, je pourrais toujours vous récompenser d'une petite pièce pour votre peine. ••• ajouta-t-elle avec un sourire de fausse excuse.

Le calme retrouvé dans le couloir était appaisant. Tyssania pouvait sentir un léger courant d'air sur sa peau. Ici l'air était respirable, débarrassé de la chaleur humaine des centaines d'invités et des effluves des milles parfums qu'ils pouvaient porter. Plus léger, il semblait jouer avec les bras nue de la jeune fille où se dressaient naturellement les quelques poils blonds et apparaissait une chaire de poule agréable. Et c'est tout en profitant de ce repos qu'elle trouvait si méritait que Tyssania s'adressa au serviteur. Sa demande semblait après tout naturelle... Peut être trop empressée mais celle dont elle avait pris l'apparence était connu pour ses caprices. Au moins de ses serviteurs à elle... Un avantage pour que sa lubie de voir son oncle n'attire pas trop l'attention.Tout le monde trouverait ca normal à travers les porteurs de ragots de la campagne.

Pourtant, il ne semblait pas l'entendre de cette oreille. Ses sourcils se froncèrent, boudeurs sous le coup du mécontentement. ••• Je comprends parfaitement. Pourtant, et je suis certain que vous comprendrez aussi, je ne peux en aucun cas vous y conduire, peu importe la raison. L’on m’a demandé de ne le déranger sous aucun prétexte. Je ne peux que vous conseiller d’attendre son arrivée, et de l’emmener à part dès que possible. ••• Non, mon pauvre t'as rien compris du tout... rala l'espionne intérieurement. Sérieusement il restait des domestiques discrets dans les maisons de riches? Ou elle était juste tomber sur le seul qui faisait du zèle? Normal... Une mission qui avait si bien commençait ne pouvait pas continuer de la même façon. Ce devait être la volonté de Nayris que rien ne roule jamais comme un tonneau rempli de vent, elle qui aimait tellement torturer les humains. ••• Non mais... ••• Et si possible, essayez d’être rapide, je suis certain qu’il sera fort accaparé par ses invités.

Parfois, rarement, Tyssania regrettait de ne pas se transformer plus souvent en homme. C'était une sensation désagréable d'être un homme. Un machin qui ballotait entre les jambes et ne restait jamais en place dans le pantalon, une envie de frapper sur tout ce qui bouge, de faire pipi de manière hautement inpudique et inconfortable, le sang qui s'enfuit du cerveau si une succube passe -non les femmes ne reflechissaient pas plus devant un incube mais au moins aucune autre partie de leur anatomie n'absorbait le liquide vitale...-. Bref, elle savait très bien pourquoi, elle préférait se métamorphoser en femme. Mais un aspect plus viril aurait au moins eu un avantage dans cette situation: faire ravaler à ce misérable petit serviteur son sourire condescendant à grand renfort de baffes. Elle n'en avait profité qu'une seule fois c'était vrai. C'était inutile, inélégant, primaire mais qu'est ce que ça pouvait soulager !!!

Mais en ce moment, elle n'avait que le corps d'une jolie demoiselle un peu trop gatée et ces demoiselles là ne donnaient pas de coups de peur d'abîmer leur ongle. Non, elles avaient une autre technique parfois encore plus efficace et toute aussi facile à maitrîser. Tyssiana observa le serviteur quelques instants d'un air étonnée avant que ses yeux ne s'embuent d'eux même. Lentement une larme coula le long de sa joue et elle éclata en sanglot se prenant le visage dans les mains pour cacher son immennnnnse détresse. ••• Je ne pourrais jamais lui dire tout ca devant tout le monde ! C'est tellement honteux. ••• hoqueta l'espionne entre deux sanglots. ••• Vous ne vous rendez pas compte vous! Vous ne savez même pas ce que c'est que d'être une femme. Si... si ... si ca continue et qu'il ne m'aide pas je vais surement mourir !!! ••• de quoi pouvait-elle bien parler, elle n'en avait elle même aucune idée. Mais après tout, Tyssania se considérait comme la reine de l'impro. Pour une mission si courte elle pouvait bien raconter un bobard différent à chaque domestique, elle serait loin avant qu'il n'ait le temps de comparer leur version...

S’était-elle attendue au refus du jeune homme? Non, mais elle ne s’attendait pas non plus à ce qu’il accepte en même temps. Eclatée en larme sur commande, elle avait appris à le faire depuis longtemps. Façon comme une autre de détourner l’attention quand les gens regardaient de trop près une cible de renseignement ou qu’on la surprenait à fouiller tel ou tel endroit. Elle sentit les larmes coulaient sur son visage. Le serviteur était-il désarçonné, agacé, gêné ? Elle ne releva pas la tête pour le savoir, elle continua son numéro jusqu’à ce que la voix masculine perce à nouveau jusqu’à ses oreilles entre deux sanglots. ••• Ecoutez… Je n’ai pas le droit de faire ça. Cependant, comme cela a l’air vraiment grave…••• Parfait, c’était exactement ce qu’elle lui demandait un peu de bonne volonté pour aider une jeune femme en détresse.

Ne relevant pas la tête, Tyssania baissa légèrement les mains pour venir étouffer le bruit que faisait sa propre bouche reprenant bruyamment son souffle. ••• Je vais faire une exception. Promettez-moi simplement de vous faire discrète. Si des gardes nous remarquent, c’est ma place qui est en jeu ! ••• La jeune fille releva un visage surpris et totalement soulagé vers lui. Au moins ça elle n’avait pas besoin de le feindre, cela lui évitait réellement d’aller se cogner la fouille de toutes les chambres de cette immense baraque. ••• Ca l’est, je vous le jure… ••• murmura la jeune femme. Elle prit une profonde inspiration pour essayer de contrôler ses pleurs malgré les larmes qui ruisselaient encore le long de ses joues blanches. Et lui fit un pauvre sourire. ••• Je ... Je ne ferais pas de bruit, je ne veux pas qu'on me voit comme ça. Même pour des gardes ou pour vous je dois être horrible. •••
dit-elle d'une voix rendue atrocement aigue par les pleurs et les respirations saccadées.

Pour ce qu'elle en avait à faire! Ce n'était même pas son vrai corps, mais du moment que ce serviteur lui montrait la chambre du propriétaire et qu'elle pouvait s'en débarasser rapidement ensuite, elle n'aurait rien à redire au service de son hôte. Ah si, il fallait encore que les idiots qui gardaient la porte la laissent repartir sans poser de question... Elle essuya à nouveau ses joues d'un revers de main, ne coupant pas les vannes tout de suite. Heureusement qu'elle avait pu se désaltérer avant cette comédie où elle aurait été déséchée maintenant. Puis elle se dirigea avec le jeune homme vers un escalier plus loin dans le couloir. ••• Merci d'être si compréhensif avec moi. Tout le monde me prend toujours pour une sale gamine superficielle qui n'a rien d'important à dire... Alors que cette fois, c'est différent... Je ne peux plus supporter ce qu'il m'arrive... ••• marmonna-t-elle en guise d'excuse à moitié pour lui, à moitié pour elle. La seule chose qu'elle ne supporterait pas ce serait de rapporter un échec à son lieutenant. S'appuyant à la rambarde, elle renifla assez peu élégamment en se hissant sur la première marche de l'immense escalier menant au premier étage.