Le nain avait besoin d'oublier sa journée. Et quoi de mieux que de la noyer dans l'alcool. C'est ce qui l'avait conduit dans cette auberge qu'il ne connaissait pas. Il lui avait fallu trouver un nouveau lieu de cuite car suite à une bagarre, trop violente selon les dires du patron, il s'était fait refoulé de son endroit habituel. Un bar aurait très bien fait l'affaire, mais seuls les ivrognes trainaient dans ces établissements. L'avantage d'une auberge est qu'il y était plus facile de se maintenir au courant de tout ce qui se passait en dehors des murailles de la ville. De plus, il pourrait éventuellement y trouver quelqu'un qui aurait besoin de ses services. Mais dans l'immédiat, une grande dose d'éthanol saura suffisante.

Il n'était encore que sur le pas de la porte, patientant quelques secondes que sa vue s'adapte à la pénombre de la pièce, que l'aubergiste avait reconnu un nain en lui avant de s'éclipser derrière une lourde porte de bois. De son côté, il aurait été bien en peine de décrire le responsable des lieux ; il ne s'avait de l'homme, car même si sa voix était claire c'était celle d'un homme, qu'une tête lumineuse qui tranchait avec la l'obscurité ambiante, posée sur un corps fin qui ne semblait pas beaucoup plus grand que lui. Il ne reconnaissait pas cette espèce. Il en apprendrait plus quand l'aubergiste reviendra.

À peine assit à l'une des nombreuses tables qui trônaient dans la pièce, il vit une ombre, qui n'imposait pas par sa hauteur, entourée d'une longue cape noire à capuche rabattue sur son visage, qui patientait sur le seuil, enregistrant tous les détails avant de s'aventurer plus loin. Brath essaya d'apprendre quelques choses sur elle, mais sentant le regard de l'inconnue peser sur lui il détourna rapidement les yeux, voulant éviter une confrontation dans l'immédiat. Cependant, quand celle-ci bougea pour se diriger vers un coin sombre il parvint à voir les bottes de la silhouette : des bottines vertes à écailles. À sa connaissance, seuls les habitants de l'Eau utilisaient ce matériau.
C'est dans un silence glacial que le patron revint avec la bière.

Au son des paroles et de la bienveillance de son hôte, le nain remercia rapidement le frêle homme qui venait de le servir. Homme. Non il ressemblait à un adolescent à s'y méprendre, mais dans ses yeux on pouvait y voir une vieillesse que seul l'âge conférait. Le voyant de près il put le détailler un peu, mais n'appris rien de plus. Il appartenait sûrement à une race peu connue en ville comme il en existait tant d'autres. Cependant l'absence de bijoux sur l'homme et la simplicité de la taverne tendait à croire qu'il vivait dans la simplicité. Il ne pourrait sûrement pas l'avoir comme client, mais peut être qu'il connaissait des clients qui nécessitaient ses talents de forgeron.
Perdu dans ses pensées de projet il portait sa chope à ses lèvres et but négligemment le breuvage dont l'odeur lui rappelait le pays. C'est alors que deux événements survinrent en même temps. D'une part, Brath s'étouffa en avalant l'horrible liquide et fit claquer sa chope sur le bois de la table et d'autre part, le patron s'étala de tout son long sur le sol. Dans n'importe quel bar de la ville plus rempli, cela aurait été le départ d'une bagarre générale, mais ici, on était loin des exubérances coutumière à ces établissements. Ailleurs, il aurait râlé, pris à témoins tous ses voisins jusqu'à obtenir réparation et insulter copieusement le tavernier, mais cela n'était pas le lieu ni le moment pour ce comportement.

Du coin de l’œil il surveillait l'étranger qui ne restait dans son coin sans avoir rien commandé ni même ne réagit aux différents éléments qui s'étaient produits. Très étrange cet étranger. Brath avait soudain envie d'en savoir beaucoup plus sur cet inconnu. Notamment faire connaissance avec lui au contact de l'acier. Mais pour le moment il avait quelque chose de bien plus important à régler. Un affront inadmissible à laver. Il lui fallait statuer sur le sort de sa boisson immédiatement. Il se contenta alors de ramasser la chopine avant de s'avancer vers le bar où il la déposa avec dédain tout en montant lentement sur l'une des chaises, trop haute comme toutes les chaises des bars.

Enfin assit sur le tabouret, il fit glisser son verre vers le patron qui terminait de prendre la commande du troisième homme avant de l'interpeller, coupant ainsi la discussion qui avait l'air de captiver les deux hommes :
« Vous pouvez me rappeler ce qu'est cette... ce liquide et d'où il provient ? Je crois qu'il y a eu un malentendu quelque part. Voyez vous, ce n'est pas parce que je vis ici depuis un certain temps loin de mes semblables que j'en ai pour autant oublier le véritable goût de mon pays. Vous me ferez extrêmement plaisir en m'apportant une véritable bière. »