Citation :

« Prenant soudainement peur tandis que la bataille s’était complétement figée, il se tourna vers le Roi qui, comme tout le monde, avait les yeux rivés sur le firmament ; c’est alors qu’il le vit, cet hallebardier, prêt à profiter de la stupéfaction générale pour mieux assassiner le souverain dans son dos. »

Raconte ce passage de ta vie plus en détail, ton ressenti profond face à cet œil dans le ciel, comment tu t'es débarrassé de cet hallebardier pour ton Roi, et ce qui a immédiatement suivi.

C’était comme avaler un mauvais whisky noyé dans des glaçons cul-sec. Le ressentir glisser le long de sa gorge, s’infiltrer dans ses veines, intoxiquer ses sens. C’était nouveau, déroutant et pas tout à fait agréable. Un léger picotement parcourut son échine, et alors Bjørn comprit : il avait peur. C’était un sentiment nouveau, et grégaire : si personne n’y avait prêté attention, sûrement ce serait-il dit que ce n’était rien, qu’une quelconque magie connue était là à l’œuvre pour célébrer il ne savait trop quoi. Néanmoins, quelque chose lui disait que si le combat s’était interrompu, cette éventualité n’avait plus lieu d’être. Il se passait quelque chose de grave, d’inhabituel, quelque chose qui le dépassait et qu’il ne comprenait pas. Oui, il avait peur. Pour lui-même, un peu, puis pour tout le reste : si cet œil annonçait quelque chose de destructeur, comme la fin du Monde ? Il n’aurait même pas eu la possibilité de leur dire adieu – ni de goûter au dernier arrivage d’hydromel de la taverne du carrefour. Il savait bien, quelque part, que ces conneries magiques finiraient par leur retomber sur la tronche, à tous. Et sa mauvaise foi ne l’étonna qu’à peine : il était plus facile de craindre et de mépriser ce qui nous dépassait, a fortiori lorsqu’on pesait cent-cinquante kilos de muscle et qu’on haussait un sourcil au simple mot algorithme.

Le souffle court, Bjørn baissa les yeux sur son Roi, réalisant soudainement que si quelqu’un ici pouvait avoir une explication à ce phénomène, c’était bien ce dernier – ou une femme, parce que celles-ci avaient toujours des avis sur tout, mais allez en trouver une sur un champ de bataille. Il marqua un temps, histoire de formuler sa question et d’avaler sa salive, avant de commencer à ouvrir la bouche pour prendre la parole. Les mots s’étouffèrent cependant dans sa gorge et, d’un geste vif, il posa une main ferme sur l’épaule de son souverain.

Il n’avait jamais pris la peine de réfléchir avant d’agir ; la plupart du temps, il marchait à l’instinct, ou aux ordres. Et alors que les murmures s’amplifiaient autour de lui, articulant des interrogations quant à l’origine de l’événement céleste, Bjørn oubliait déjà sa terreur passée. D’une violente impulsion, il força Harald à se décaler pour mieux laisser le hallebardier, emporté par son élan, plonger sa lame dans le vide ; ne lui laissant pas le temps de se ressaisir, il coupa net le manche de son arme d’un revers de labrys avant de l’assommer de sa main libre, assénant son poing sur la nuque alors dégagée. Cette dernière ne craqua pas, mais Bjørn ne s’en étonna pas ; dans sa précipitation paniquée, il songeait que seul son monarque pouvait décider du droit de vie ou de mort de ce soldat ennemi. Reniflant un mépris certain alors que le corps s’affalait par terre, il ne mit que quelques secondes avant de ressentir une certaine fierté, puis encore quelques autres avant de se rappeler ce qu’il se passait autour de lui. S’il voulut river de nouveau son regard sur le ciel, cependant, celui de Harald intercepta le sien et le fixa avec intensité, lui faisant légèrement balancer la commissures de ses lèvres de droite à gauche d’un certain malaise. Trouver quelque chose à dire. N’importe quoi.

« - Est-ce que ça annonce quelque chose de grave ? s’enquit-il alors le plus naturellement du Monde, fronçant légèrement les sourcils de curiosité. »

Il y eut un flottement d’étonnement, et le souverain leva les yeux au ciel avant de ramener sa concentration sur Bjørn. D’une voix posée, presque dérangeante de calme compte tenu de la situation actuelle, il lui demanda son nom. Un peu froissé de ne pas recevoir de réponse mais oubliant bien vite ses griefs compte tenu la personne à qui il avait affaire, le jeune homme inclina légèrement la tête de respect devant son aîné.

« - Bjørn Janssen, votre Altesse. »

La foule se dispersait ; la guerre n’était pas terminée, mais cette bataille n’avait plus lieu d’être. Les têtes n’étaient plus assez échauffées pour guider les armes comme il se devait, et la mort sur le champ de bataille semblait être dérisoire comparé au poids de cet œil bien assez macabre pour les dissuader de se battre davantage. D’une concentration déjà versatile, Bjørn, lui, se demandait ce qui était plus important à l’heure actuelle : une menace inconnue ou la reconnaissance – si tel était le cas – de son Roi ? La peur s’était diluée dans une sensation beaucoup plus douce, apaisant ses nerfs alors éveillés par les précédents combats et calmant les palpitations de ses nerfs encore trop jeunes pour réaliser auquel caprice égocentrique il se soumettait alors. Lorsque Harald reprit la parole, il lui demanda de le suivre. Répondant un simple ‘Bien.’ docile, le garçon se risqua une dernière fois à lever la tête, observant cet œil quelques secondes encore avant d’emboîter le pas à son souverain, dérangé par une étrange sensation calée dans son estomac. Quelque chose d’abscons, coincé entre l’inquiétude et l’appréhension.

Et ça n’annonçait rien de bon.