Il fait noir. Si noir. Anormalement noir.
Eve panique, se retourne, cherche un repère.
Une voix glacée l'immobilise.
- Tu croyait m’échapper en sortant des Limbes? On a passé de si bons moments ensemble toi et moi, et tu voudrais tout oublier?
Telle une complice d'un méfait d'enfant, elle ajouta;
-Heureusement que je suis là moi, et que je n'oublie pas! Je suis partout, Eve, chaque nuit est à moi! Alors, dit moi, quel est ton meilleurs souvenir?
-Non, je ne veux pas! Non, laisse moi!
-Moi je crois que c'était le jour ou on a jouer à l'or.. l'ortopo... l'ortie... l'orthoptiste!
Eve gémit doucement en se souvenant de ce jour. Un parmi tant d'autre, un souvenir parmi tout ceux qui la terrorisait.
-Ça piquait les yeux? Hihihi, tu criait, tu ne voyait plus rien, c'était trop cool! Juste une petite poudre qui fait des merveilles! Et quand je t'ai arraché les paupières... Mmm, c'est tellement passionnant les globes oculaires! Et ça à le gout d'un bonbon! D'ailleurs, j'en reprendrais bien un peu!
La main de la déesse s'approcha du visage d'Eve, paralysée par la peur et la douleur psychologique. Les ongles violets étaient si près de ses yeux, elle pouvait le sang séché dessus.
Eve hurle.
Se réveille en sursaut. Dans l'obscurité. Paniquée, le cœur battant, elle se redresse en demandant d'une voix angoissée;
- la lumière, où est la lumière! Orian! La lumière!
-Eve, calme toi. La voix de son familier est apaisante, elle offre un repère salvateur pour Eve qui s'en empare et supplie:
-De la lumière, n'importe quoi. Orian, j'ai peur, elle est là, elle va revenir!
-Eve, lève la tête, respire.
Incapable de reprendre le contrôle de son esprit sereinement, elle jeta un coup d'oeil vers le ciel. Le noir, toujours le noir.
-Orian! A l'aide!
-Eve, la lune!
Eve releve une nouvelle fois la tête. L'astre nocturne est là, bienveillant et lumineux, et le nuage qui le dissimulait s'éloigne, poussé par le vent.
Le sang encore plein de l’adrénaline libérée en réaction à sa phobie, Eve se rallonge, tremblante.
-Je suis désolée, je suis stupide...
-Stupide? Sourcilla Yehadiel a la fin du récit d'Ingwë
- Oui, c'était un lapin! Et j'ai hurlé si fort que même Eve m'a entendu!
-Dit donc, ça veut dire quoi ça?
-Que tes oreilles sont aussi sensibles que ton odorat est fin!
-Hey, monsieur l'elfe, y a pas de comparaison a faire! Et en attendant c'est toi qui à paniquer pour un lapin! Et c'est moi qui ait accourut pour aider!
-Pour aider? Tu l'as pris pour ton dîner! Sans partager!
Faussement outrée, Eve chercha de l'aide du coté de Yehadiel qui les regardait avec amusement.
-Bien sur qu'elle a partagé, il était succulent!
-Vous?
Ingwë ouvrit la bouche mais se ravisa et haussa les épaules:
-Bref, tout ça pour dire que la peur est quelque chose d'inutile, et même pénalisant puisqu'on en perds son dîner!
-Demande une ablation de ton neurone de la peur pendant que tu y es! Et une fois que tu sera devenu parfait, t'aura plus qu'a t'ennuyer! Sans la peur, on pourrait pas rire de ta mésaventure!
-Et bien, je propose que l'on laisse la peur aux humains et nous autres elfes, nous viendrons rire avec vous de vos mésaventures!
-C'est ça, et vous voulez aussi une foret rien que pour vous, avec une reine des elfes et un beau palais pour messieurs les elfes? Pendant qu'on y est, ne vous gênez pas!
Ingwë se contenta de lui tirer la langue, qui exaspéra Eve au plus au point.
-Bien, c'est fini? Demanda Yehadiel, patiemment mais sans leur laisser le temps de répondre.
-Mettez vous debout au centre de la clairière, à 3 mètre l'un de l'autre.
Ils s'executèrent, habitués au exigences étranges du conteur.
-La question est donc “la peur est-elle utile?”.
-Et la réponse est “non, elle est même handicapante”
-Doucement, l'exercice n'est pas …
Deux énormes félins jaillirent des buissons, sautant sur chacun des deux elèves qui tombèrent sur le dos, sous le poids des prédateurs qui ouvrèrent leur gueule autour du cou de leur victimes... et disparurent.
-… Terminé!
-Woaw, je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie!
-Et ça n'as jamais été aussi inutile d'avoir peur! Personnelement, je n'ai pas l'impression que c'est la peur qui a fait disparaitre ces … trucs!
-Donc, la peur est inutile?
-C'est ce que j'essaie de vous faire comprendre depuis tout à l'heure!
-Quand tu nous parlais du lapin? Releva ironiquement Eve.
-Remettez vous debout, coupa le conteur pour eviter une nouvelle joute verbale, même positions que tout à l'heure.
Eve grimaça, peu tentée par l'idée d'avoir à nouveau affaire aux grosses boules de poils qui venaient de les agresser, même sous le contrôle de leur mentor. A quelques mètre d'elle, Ingwë ne semblait guère plus rassuré.
Après quelques secondes d'attente, une boule de feu surgit derrière l'elfe qui fit volte face et se plaqua contre terre, évitant de justesse l'attaque.
Eve tourna sur elle même pour tenter de découvrir d'où viendrais sa propre boule de feu, mais ce ne fut qu'en revenant a sa place initiale qu'elle la vit arriver, plus lentement que celle d'Ingwë, mais tout aussi menaçante. Figée sur place, elle leva instinctivement une main pour protéger son visage.
-Eve, bouge!
La boule de feu s’arrêta à quelques centimètres de l'humaine, rétrécit jusqu'à n’être plus qu'une étincelle et disparut.
-Eve, tu n'es pas l'exemple le plus convaincant pour ce que j'essaie de vous faire comprendre. Qu'importe, revenez ici, on en a fini avec la pratique pour aujourd'hui.
-Pour une fois, je suis bien contente de retrouver le coté théorique, chuchota Eve à son frère.
-La peur est-elle utile? Relança le Dieu une fois les deux élèves assis.
-Oui, affirma Eve
-Non, contredit immédiatement Ingwë
-La peur t'as permis d’être suffisamment aux aguets pour éviter l'attaque!
-La peur t'a paralysée sur place!
Eve sourit et se tourna vers le conteur.
-Aidez nous, sans quoi nous serons encore en train de débattre demain matin.
-La faim.
-Quoi?
-La faim est inutile. Elle distrait les pensées, elle peut même être douloureuse, et jamais le fait d'avoir faim n'a fait apparaître le moindre repas.
-Vous avez déjà fait des comparaison plus poétique que celle-ci.
-C'est cruel de nous rappeler notre dure dépendance charnelle.
-Surtout que la faim est utile, elle nous signale que notre corps a besoin d'être nourrit.
Yehadiel sourit, les encourageants a poursuivre ce raisonnement.
-Alors qu'on ne peut pas dire que la peur nous signale grand chose.
-Si, on peut dire qu'elle signale que notre corps a besoin d'etre sauvé.
-Un peu tordu comme raisonnement.
D'un seul mouvement, ils tournèrent leur regard vers le conteur qui haussa les épaules:
-Je ne peut pas vous aider, je n'ai jamais eu peur moi!
Les élèves retirent un sourire et gardèrent le silence pour obtenir les explications attendues. L'homme aux yeux bleus soupira et repris la parole, d'une voix marquée par la sagesse.
-La Peur est une arme, une épée. Complètement inutile si vous la laissez rangée dans un coffre. Dangereuse si vous la prenez par la lame; vous vous couperez la main. Mais utile si vous la prenez par le manche et que vous vous exercez au combat.
Ingwë et Eve écoutaient attentivement, bien que la métaphore de l'épée leur parle peu, n'ayant jamais connu de réels affrontements.
-La Peur qui a paralysée Eve mais qui a sauvé Ingwë est un instrument comme un autre que la nature vous a confié. Au même titre que vos mains, vos oreilles, vos yeux, votre cerveau. A vous de décider si vous voulez l'utiliser!
Au ton de sa voix, ils sentirent que le conteur allait disparaître. Des que ce fut chose faite, Ingwë taquina sa sœur:
-T'as entendu ça Eve, t'as le droit d'utiliser ton cerveau! N'hesite plus, lance toi!
En se chamaillant, ils marchèrent une demi heure jusqu'à la maisonnette d'Eve. Ingwë repartit directement vers le campement elfique, laissant l'humaine s'activer à réparer son toit endommagé par une tempête violente survenue la nuit precedente.
Elle etait perchée sur une branche servant de support aux branchages provisoires quand Il l'interpella:
-Pourquoi n'avez vous pas bougé?
Surprise, mais ravie, Eve se retourna vers Yehadeil qui l'observait depuis le sol. Avec plus ou moins d'agilité, elle redescendit sur terre et s'avança vers lui, les poings sur les hanches.
-C'est une manie ne jamais prévenir avant de passer?
-On peut dire ça comme ça. Pourquoi n'avez vous pas bougé?
-Parce que j'avais peur.
-Vraiment?
Les yeux brillants de malice, Eve soutint le regard du Dieu sans répondre.
-Pourquoi? Insista t-il. Je sais que ce n'était pas la peur.
-Parce que. Elle sourit et ajouta: bonne soirée!
Comprenant que la jeune humaine serait trop têtu pour lui livrer si facilement ses pensées, Yehadiel la laissa remonter dans l'arbre avant de s’éloigner. Eve l'observa un instant en se mordant la lèvre inférieure, hésitante.
-Yehadiel! Appela t-elle finalement
Il se retourna, victorieux et curieux.
-Un jour je vous ferais un cours sur la Confiance. Et je vous apprendrais qu'elle est bien plus puissante que la Peur.
-Eve?
Elle emergea de ses souvenirs, le regard vague. La colombe blanche était posée près d'elle et la regardait avec inquiétude.
- ça va, ça va aller, merci Orian.
-Pas de quoi. Mais si c'est une simulation pour que j'accepte de dormir dans tes bras, tu peut toujours rever!
- Je t'ai déjà dit que tu étais l'exact opposé de ce que je rêve d'avoir dans mes bras la nuit?
- Oh, avec qui voudrais tu dormir? Révèle moi tes fantasmes, je suis tout ouïe!
- Orian! Je ne parlais pas de ça! Protesta la jeune femme en rougissant sur ce sujet qui la mettait mal à l'aise. Juste que si il me fallait une peluche, elle serait silencieuse et n'aurais pas l'esprit pervertit!
- Tu fantasmes sur les hommes muets? Détourna malicieusement la colombe.
- Orian!