Ven 1 Juin - 19:55 | | | | Claquement du fouet dans l'air, alors qu'il dépasse la lumière du son. Claquement qu'elle entend, avant même de ressentir, une seconde plus tard, sa brûlante, terrifiante, et cruelle morsure. D'un mouvement involontaire, dirigé par son inconscient, en un rélfexe de survie millénaire, en réponse à cette souffrance qui enflamme jusque ses membres, son dos se cambre, arqué comme si elle s'étirait à l'aube. La chaleur torride de ce jour-là la fait suffoquer. Son souffle se fait court, haletant. Une brume envahit son esprit. Le fouet claque de nouveau, et la douleur empire, si cela se peut. C'est le trente-et-unième coup, et pourtant elle ne crie toujours pas. Soudain, un murmure s'élève; c'est l'incrédulité. Un sourire se dessine sur les lèvres de la jeune femme, malgré la souffrance. Une larme, la première, et la dernière, coule sur sa joue, et alors que le fouet le frappe encore, elle compte avec l'exécutant. Trente-deux. La lanière brûle sa peau, le sang vermeil goutte au sol, mais son sourire ne disparait pas. Elle se souvient.
Je suppose que c'est un flashback ? Mission sans danger... tu parles !
Mission simple. Avec cinq autres hommes, Alba était sous les ordres du capitaine Harris. Sans danger. Sans problème. Juste du repérage. Voilà ce qu'on lui avait dit. Mais dans son esprit, sans danger signifiait ennuyant, et sans problème rimais avec sans adrénaline, et mission simple était synonyme de patrouille inutile. Tout cela la confortait dans l'idée que ce n'était pas son rôle. Qu'on l'envoie se battre, tudieu ! Mais pour atteindre son but, et malgré son esprit fortement rebelle et anti-autoritaire, mieux valait obéir sans broncher.
Une petite bourgade, nommée Falgon. Située près du grand Lac, bien qu'à deux heures de trajet à cheval. Entouré de plaines, de champs, de cultures et de prés, ce petit village à l'allure chaleureuse et rustique plaisait à Luce. Ici, tout le monde se connaissait et s'appréciait, ou presque; en cas de problèmes, on pouvait compter sur ses voisins; on vivait en paix, sans se soucier des grandes choses; rien d'autre que ce qui arriverait le lendemain ne nous préocuppait.
En inspirant profondément, la Tylwyth sentait déjà l'odeur du pain du boulanger sortant du four, à peine cuit, à laquelle se mélangeait celle des fleurs qui renaissaient en ce doux printemps, et la senteur d'un village animé, et cette ... Luce rouvrit les yeux. Une odeur s'élevait dans l'air, une odeur qu'elle n'aurait pas dû sentir. Une odeur de charbon, de souffre, de bois, de paille, brûlant, une odeur de feu... En confirmation de ses pensées, elle vit s'élever une épaisse fumée noire qui montait dans le ciel en un amas sombre. Falgon brûlait.
Quarante-deux. Quarante-deux coups. Ses yeux restent secs, ses lèvres demeurent closes, et son sourire semble s'élargir au lieu de s'évanouir. Plus que huit coups. Un rire monte et s'échappe de sa bouche. Pendant un instant, plus rien ne se passe, comme s'il y avait un moment de flottement. Elle rit. Devient-elle folle ? Puis le bourreau crie à nouveau, reprenant son macabre compte. Quarante-trois. Le fouet claque sa chaire à vif, laissant encore une autre marque sur la peau mauve de son dos, et ses souvenirs reprennent leur cours.
Rentrer ?! Dans tes rêves, pain d'mie ! Cette gosse a besoin de moi !
Les ordres étaient clairs; il leur fallait rentrer au camp. Luce, affligée, tira sur les rênes de Murmure. Elle jetait un dernier regard en arrière lorsqu'elle la vit. En contrebas, devant les portes de cette bourgade. Elle devait avoir, oh, peut-être, six ans ? Ses longs cheveux ébènes volaient, et sur son visage se lisait une peur terrible alors qu'elle courait vers le groupe qui s'éloignait, tenant dans ses mains une poupée. Le jouet, en tissus décoloré, avait sûrement été fait par la mère de la petite. Elle semblait y tenir très fort, en tout cas, et la serrait comme si sa vie en dépendait. Luce, une boule au coeur, la regardait, attendant qu'elle soit en sécurité. Derrière elle, Harris lui ordonnait encore de faire demi-tour, mais la Tylwyth ne pouvait pas... Presque, la petite y était presque...
Et patatra. Un démon apparut, sortant du village avec sa serpe à la main. Aussitôt, la jeune femme sut ce qui allait se passer et vit rouge. Alors que son supérieur hurlait son nom, certainement hors de lui, Luce fit s'élancer sa jument. Sous le crépuscule, la robe ébène de Murmure s'assombrit encore. Elle fila vers le démon, le doux vent printanier sifflant aux oreilles pointues de sa cavalière et faisant voler les poils de sa crinière.
À sa droite, la petite trébucha. La Tylwyth lui jeta un regard et ressentit comme un pincement au coeur, mais ne ralentit pas. La vie avant les pansements sur les genoux. Sa langue émit un claquement contre son palais. L'air se distordit, et sa double-lame apparut. D'un mouvement de poignet, elle fit tournoyer l'arme meurtrière, et l'abattit sur le bras du démon. Un flot noir sortit de la blessure, innondant le sol. L'immonde créature tenta une feinte, mais la Tylwyth glissa sur le côté et lui coupa la tête, en évitant de justesse la lame courbe de la serpe. Éclaboussée, elle s'essuya mains et avants-bras sur le sol verdoyant. Elle claqua de la langue, et Améthyste disparut. Elle jeta ensuite un regard au corps. Il était mort, et elle, vivante.
Plus loin, l'enfant pleurait. La jeune femme sentit son coeur se serrer, et se précipita vers elle. Agenouillée, elle lui releva la tête et essuya ses larmes, en silence. La pauvre était sûrement devenue orpheline, et Luce savait qu'aucun mot ne pourrait apaiser sa tristesse. Elle la prit dans ses bras, et la fit grimper sur sa jument, avant de monter avec elle. En revenant vers son capitaine, elle vit qu'elle allait le payer cher. Très cher. Murmurant des paroles rassurantes à la petite fille, Luce lui donna la poupée qui était tombée au sol.
Il va falloir être courageuse, maintenant.
En lui murmurant ces paroles, la jeune femme ne sut si elle parlait de l'enfant, ou bien d'elle-même.
Libération (de la Femme ?) Cinquante. Délivrance. Son sourire est toujours là, bien présent. Malgré son sang vermeil sur le sol, coulant de son dos et de la lanière de cuir. Malgré la brûlure atroce de la douleur. Elle n'avait pas crié, n'avait pas imploré, n'avait pas demandé grâce. La sentence n'était pas juste, pourtant. Mais son but n'était pas atteint, et tant qu'il ne le serait pas, elle assumerait ses actes, les revendiquerait s'il le fallait, et accepterait la souffrance. Ce jour-là, elle avait sauvé une âme pure et innocente. Elle en était fière, et un bout de peau de vache tannée ne l'atteindrait pas.
Kate, la petite, fille, serait adoptée, par une famille aimante, Luce y veillerait. Et cela valait bien de souffrir un peu. Pour le bonheur d'une enfant. Et plus tard, pour la mort d'un tyran.
Pour la liberté.. et contre lui...
Telles furent ces paroles, lâchées en un souffle, avant qu'elle ne s'évanouisse. Après tout, elle n'était pas divine, et chaque souffrance nécessite soins et repos...
Sur ces dernières pensées de vengeance, elle ferma les yeux, pour un sommeil réparateur...
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