La pluie s'abattait sans fin dans le sud des Montagnes, rendant encore plus glissants les vallons escarpés parsemés de failles béantes dans le sol. Cela faisait bien des mois que l'Augure et son compagnon le Troll de Pierre s'étaient enfuis de Cœur-de-Granite, en quête de destruction et de pillage. Et c'est bien à cela qu'ils s'étaient adonné.

Par chance, la Montagne connaissait sa première guerre d'envergure depuis longtemps. Les légions des Dreths, des barbares humains commandés par un dragon, remontaient petit à petit vers le nord en terrorisant les villages et hameaux sur leurs chemins. Malheureusement pour les civils, ces villages étaient principalement peuplés d'humains, et en dehors de la juridiction habituelle du Conseil de la Montagne. Nulle raison donc pour les Nains d'engager leurs armées pour combattre cette menace.

Profitant de la confusion et du chaos, les deux GOLEMs s'étaient rendu de cités en ruines en champs-de-bataille désolés, cherchant des habitants laissés-pour-compte et autre blessés à capturer pour leur amusement personnel. Les malheureux connaissaient alors un sort bien pire que la mort, agonisant parfois plusieurs semaines entre les mains de l'Augure avant de finalement expirer par manque de nourriture, de soin, ou par désespoir.

Certes, l'Ange de Pierre aurait souhaité rencontrer les partisans de Nayris, mais il n'avait aucune idée d'où les chercher, si ce n'était en Adhès. Et hors de question de passer à côté de semaines entières de carnage simplement pour trouver quelques Adorateurs. Il avait entendu que plusieurs des disciples de la Déesse se trouvaient dans les Montagnes. Peut-être que, sous la torture, l'un d'entre eux finirait par hurler à Nayris de le sauver. Là, ils pourraient finalement discuter sérieusement. En attendant...

​Le Troll de Pierre se redressa d'un bond, manqua de percuter le plafond de la grotte, à peine assez haute pour le contenir. L'Augure se réveilla de son sommeil profond, passablement chagrinée. Son univers onirique était constitué presque exclusivement de pillages, de mises en pièce et de rituels sacrificiels, mais cette nuit-là était particulièrement savoureuse. Il avait rêvé en détail la mise à sac de Sen'Tsura par des hordes de GOLEMs, avec des torrents de sang emplissant la grand-place jusqu'aux mollets. Décidément un bien beau rêve.

*Que se passe-t-il, encore ? J'espère que tu ne t'agites pas à nouveau pour rien.*

L'avantage de pouvoir user de télépathie, c'était le silence. Les deux êtres étaient constitués de granite, mais les Montagnes étaient parcourus en permanence par de petits éboulements de pierre durant les orages. Par extension, il était presque impossible de distinguer le bruit des pierres roulantes de celles de l'Augure en train de marcher.

Cela avait d'ailleurs été l'une des premières leçons tactiques apprises par l'Augure, au début de sa seconde vie : Marcher à un rythme aléatoire, de façon à ne pas susciter l'intérêt d'éventuels ennemis. Le Troll de Pierre, lui, n'était pas aussi discret, mais tentait également de ne pas trahir leur position.

En réponse à la question de l'Augure, son compagnon se contenta de fixer une direction, à l'horizon, de l'autre côté de la passe. La nuit commençait à tomber, mais on pouvait apercevoir du mouvement. Une patrouille était en train de passer, à quelques centaines de mètres. Des Nains de la Corporation de la Terre et du Bois. Cette puissante famille, régnant autrefois sur l'ouest et le sud de la montagne, avait été délogé de la partie occidentale par une offensive impériale, au plus fort de la guerre Empire-Rébellion. Depuis, ils concentraient leurs efforts au sud de Tilamus, pour récupérer or, pouvoir et influence. Mais le sort s'acharnaient sur eux, et leurs clients humains méridionaux subissaient de plein fouet l'attaque des hordes Dreths. Les Nains de la Corporation, désireux de maintenir leurs marchés, patrouillaient par-delà leurs frontières afin de sécuriser au moins une partie des terres humaines.

*Je sais ce que tu penses, mon ami, mais ils sont trop nombreux. Même nous, contre une cinquantaine de Nains en armure, ne ferions pas le poids. Ne t'en fais pas, Nayris les rappellera bien assez tôt à elle. Ces terres sont parcourues par la mort...*

Comme en réponse à sa pensée, un énorme rocher déboula sur les Nains, séparant la patrouille en deux tout en écrasant quelques infortunés gardes. La façon dont les Nains étaient désormais coupés en deux groupes de même taille... La coïncidence était trop évidente. Pris d'un soudain regain d'intérêt, l'Augure se releva en un instant. Ainsi, c'était cela que le Troll avait vu. Quel dommage qu'il ne fut pas doué de parole.

L'embuscade à proprement parler débuta quelques instants après. Une centaine de Dreths se jeta des hauteurs sur les Nains en hurlant à plein poumon leur cri de guerre. Momentanément désorganisés, les soldats de la Corporation ne purent que grossièrement se mettre en position défensive, avant de réceptionner les humains qui avaient l'avantage de la vitesse et de la hauteur. La sanglante mêlée commença sur les chapeaux de roue, le sang se mélangeant à la boue, tandis que l'orage redoublait d'intensité.

L'Augure, monté sur le dos du Troll, le fit se précipiter en direction de la bataille. Étrangement, il avait du mal à se réjouir du massacre à venir. A dire vrai, il avait du mal à se concentrer sur quoi que ce soit. Ce n'était pas la première fois qu'une telle sensation de malaise s'emparait de lui, sans qu'il ne sache vraiment pourquoi. Peu importait, il mit cela sur le compte de son manque de sommeil, et ordonna à son Troll d'accélérer le pas.

Tandis que le gigantesque GOLEM gravissait le terrain escarpé pour rejoindre les belligérants, l'affrontement n'en finissait pas. Par moment, quelques combattants glissaient et dévalaient le vallon avant de s'écraser en contrebas. Gardant une main sur son Troll afin de maintenir son équilibre, l'Augure tentait en riant d'embrocher les malheureux avec son sceptre, s'ils venaient à dévaler la pente assez près de lui.

Il finit par perforer un Nain, et fut emporté par le poids et l'inertie du garde. Tombant du Troll, sa chute lui sembla interminable, mais il ne lâcha jamais son sceptre, et par extension le Nain. Arrivé en bas de la pente, le soldat était mal en point. La plupart de ses os avaient été brisés, et il souffrait probablement de violente hémorragie interne.

Le Commandant des Légions retira son arme de la poitrine du Nain, laissant un flot de sang s'échapper de la plaie béante. A n'en point douter, le pauvre n'en avait plus que pour quelques minutes avant de rejoindre Nayris. Il fallait profiter de ses derniers instants de vie, tant qu'il était encore conscient.

- Oh, mais tu es blessé, brave défenseur de la Montagne !

Le soldat était trop grièvement meurtri pour pouvoir bouger, ou répondre. Seuls ses yeux restèrent braqués sur l'unique oeil central qui constituait le visage de l'Augure. Ce dernier braqua la pointe avant de son sceptre en direction de la plaie du Nain, tout en commençant à rire.

- Il va falloir cautériser ça.

Un rayon de lumière jaillit dans ce début de nuit, et l'énergie runique se déversa sur le Nain. Paralysé, il fut néanmoins pris de spasmes, et son hurlement ne sortit jamais de sa bouche, se perdant dans sa gorge dans un gargouillis immonde. L'Augure, ne s'attendant pas à un spectacle aussi hilarant, se mit à hululer hystériquement. D'excitation, il donna un grand coup de pied dans chacun des genoux du Nain, les brisant sur le coup.

En attendant que son sceptre se recharge, l'Ange de Pierre jeta un coup d'oeil en haut du vallon. Le Troll de Pierre avait atteint le cœur de la bataille, tailladant dans le vif, massacrant Nains et Dreths avec chaque attaque. L'Augure ne pouvait pas bien voir ce qui se passait, plus haut, mais il pouvait imaginer les visages stupéfaits des deux camps, se demandant s'ils devaient continuer à s'affronter, ou s'unir face à cet ennemi inconnu. Pendant un instant, il regretta de ne pas pouvoir rejoindre son ami Troll dans la mêlée, mais ce dernier fut assez gentil pour tenter de propulser ses victimes dans la direction approximative de l'Augure, en contre-bas, la fournissant en jouets pour le futur proche. Ce Troll de Pierre était un véritable ami.

Se retournant vers son Nain, le sceptre désormais rechargé, l'Augure continua de rire tout en caressant son arme. Quelques spasmes occasionnels agitaient encore le soldat, mais le GOLEM était assez expert à ce petit jeu pour savoir qu'il pouvait se permettre encore quelques amusements avant d'envoyer sa victime dans les Limbes. Parfait, il avait d'autres sujets avec lesquels s'amuser.

- C'est vraiment une belle nuit.

C'est alors qu'un éclair percuta le haut du vallon, directement là où se trouvait le Troll de Pierre. Etant surplombé de deux immenses cornes, il fit office involontairement de para-tonnerre, absorbant toute la puissance de l'impact. La surcharge énergétique fit exploser son système nerveux composé d'or, sans compter que l'énergie cinétique fit s'effondrer tout un pan du vallon. Nains comme Dreths furent entraînés en contrebas, tentant désespérément de s'accrocher à un roc assez stable pour les empêcher de chuter vers la mort.

Mais l'Augure ne vit pas cela. Bien que l'éclair fut tombé à plusieurs dizaines de mètres de lui, l'Augure fut néanmoins atteint par la charge d'électricité statique soudainement présente dans l'air. Son œil central s'éteint, et il chuta sur le sol comme un pantin désarticulé, juste à côté de "son" Nain qui n'expira qu'une fois qu'un rocher dévalant la pente vint lui écraser le thorax.

---

Lorsque l'Augure revint à lui, il était attaché, et recouvert d'un drap. Et vraisemblablement à l'arrière d'une charrette à l'arrêt, de ce qu'il pouvait en juger en bougeant légèrement. Plusieurs voix étaient en train de discuter, et il semblait que les esprits s'échauffaient. Il reconnu l'accent typique des Dreths, qui semblaient-ils comptaient bien se faire payer pour leurs prises.

- Qu'est'qu'ç'peut bien faire, qu'n'as d'monté l'gros ? L'tait trop d'danger! Fil'nous just'l'or pour'l'p'tit.

Ainsi donc, ils avaient mis le Troll de Pierre en pièce ? Voilà qui était un contre-temps regrettable. Cela ne fit ni chaud ni froid à l'Augure, qui n'avait jamais pris la peine ne serait-ce que de lui trouver un nom, mais les massacres risquaient de perdre de l'ampleur sans ce béhémoth de destruction.

- Je me fiche d'un petit GOLEM sans importance. Vous auriez pût m'apporter ce qui était sans doute le dernier Troll de Pierre encore en vie, mais non, vous l'avez tué, et m'emmenez un soldat GOLEM lambda. Bien sûr que je vais vous payer, mais vous autres païens devriez apprendre ce qui est bon pour vous.

D'un coup, plusieurs épées furent dégainées, d'après les sons que l'Augure pouvait entendre. Un instant plus tard, d'autres armes furent sorties bruyamment, un peu plus loin. Sans doute l'escorte du "négociateur", qui semblait humain lui aussi. Plusieurs cris de défi provinrent des Dreths, mais le GOLEM ne parvint pas à tout comprendre. Tout juste :

- C'qui qu't'traites d'paï? C'toi l'paï!

Les violents barbares se jetèrent sur les interlocuteurs à qui ils étaient sensé vendre leur trophée. Une belle preuve d'idiotie. L'Augure n'aurait pas eut besoin de passer par le stratagème de la vente, avant de passer à la violence gratuite. Toujours était-il que l'occasion était trop belle pour la laisser passer. Les cordes qui le retenait étaient solides, beaucoup trop pour qu'un humain puisse s'en défaire. Mais la nature de GOLEM de l'Augure lui permit de les briser en quelques secondes.

Sortant de la charrette où il avait été entreposé comme un vulgaire cadavre, il remarqua d'abord qu'il était sous terre, dans une sorte de planque de brigand. Mais ce qui le choqua fut de voir contre qui la dizaine de Dreths se battait : Des squelettes en armes, protégeant un homme encapuchonné. Un Adorateur! Nayris soit louée. L'espace d'un battement de coeur, l'Augure fut presque déçu de ne pas avoir été vendu avec succès au nécromancien. Cela lui aurait fait gagné du temps. Mais cette impatience fut vite compensée par la perspective d'un nouveau carnage.

Le Dreth le plus en retrait, supposé surveillant la cargaison mais les yeux obnubilés par la bataille, se retourna au dernier moment pour voir l'Augure arriver. Ce dernier lui brisa la nuque d'un coup de tête, avant de chercher frénétiquement la salle de son œil. Aucune trace de son sceptre, de son précieux sceptre.

L'un des Dreths venait, d'un coup latéral, de couper en deux un squelette. Son cri de victoire fut de courte durée lorsque l'Augure, toujours par derrière, lui saisit le bras droit avant de lui arracher violemment. Une partie de la colonne vertébrale, également emportée, fut disloquée, et tua le guerrier sur le coup. Tant pis pour l'interrogatoire.

Le chef des Dreths, remarquant l'Augure, chargea avec ses deux épées courtes avant qu'il ne puisse réagir. Sautant dans le dos du GOLEM, il donna deux coups secs sur haut du dos de l'Ange de Pierre... Sans effet. L'une de ses épées rebondit, et l'autre se brisa proprement. Retombant lourdement sur le sol, il n'eut pas le temps de se relever que l'Augure l'avait déjà saisit par la gorge. Il le souleva au-dessus du sol, le toisant de son oeil luminescent.

- Dis-moi où est mon sceptre, mortel.

Les nombreux coups de poing et de pied du Dreth ne perturbèrent pas l'Augure le moins du monde. Les autres soldats Dreths, désormais en nette infériorité numérique fasse aux squelettes, ne purent venir en aide à leur chef de bande. L'Augure resserra petit à petit sa prise sur la gorge de l'humain, progressant continuellement dans sa pression avec une régularité digne d'un métronome. Malgré cela, il restait aussi inflexible qu'une statue.

- Mon sceptre.

L'homme pointa précipitamment l'une des grandes tables dans la salle, qui était recouverte d'un drap sale. Le GOLEM lâcha sa proie, et se dirigea précipitamment vers son butin. Effectivement, sous le drap, son sceptre l'attendait sagement. Pour la première fois depuis son brusque réveil dans la charrette, l'Augure se sentait heureux à nouveau. Il se mit à rire, tout en retournant vers le chef Dreth.

D'une décharge d'énergie runique dans la poitrine, il le fit se tordre de douleur sur le sol. Il lui brisa ensuite les coudes et les genoux, de sorte qu'il ne parte pas avant qu'il n'en ait finit avec lui. Le combat entre Dreths et squelettes touchait à sa fin, avec un seul survivant humain agitant maladroitement son marteau pour tenir les hommes-creux à distance. Saisissant son sceptre comme un javelot, l'Augure le lança droit au travers du crâne de l'homme qui avait son attention portée sur les squelettes.

Après avoir récupéré son arme, il se retourna vers le nécromancien, qui avait observé la scène avec le plus grand intérêt. Heureux d'enfin rencontrer un Adorateur de Nayris, l'Augure lui fit néanmoins signe d'attendre.

- J'ai un dernier détail à régler. Je suis à vous dans un moment, disciple de la Déesse.

Laissant traîner son sceptre telle une masse d'arme​, il s'approchant lentement du chef de la bande Dreth. Ainsi donc, il avait voulu le vendre ? Vendre l'Augure, comme une vulgaire statue ? Le calvaire de l'homme sembla interminable, ses cris de douleurs se répercutant dans les souterrains pendant près d'une demi-heure. Le GOLEM n'avait malheureusement que peu de temps à perdre, et préféra un plaisir court et intense, plutôt que de faire éterniser cela sur plusieurs jours.

Suite à quoi, il se présenta devant le nécromancien, qui avait attendu patiemment, en s'étonnant des merveilles d'inventivité de l'Augure en matière de torture. L'Augure n'espérait pas non plus tomber sur le dirigeant des Adorateurs, mais il fut déçu. Ce n'était, semble-t-il, qu'un sous-fifre, à en juger par sa première phrase adressée à sa personne :

- Je suis certain d'être bien récompensé en vous ramenant, GOLEM. Mais vous me semblez... Différent. Bien plus puissant. Qui êtes-vous ?

Ainsi donc, ce servant ne pensait qu'à l'or et au pouvoir. Décidément, ces organiques étaient si prévisibles, cela en devenait affligeant. Mais il servait la Déesse, aussi l'Ange de Pierre retint son bras pour ne pas écraser la gorge de l'humain entre ses mains. En le suivant, il rencontrerait enfin un officier des Adorateurs. Et là, il pourrait réellement servir Nayris.

- Le GOLEM originel, mortel. Zéro, zéro, zéro, un. L'Ange de Granite au service de la Déesse de la Mort. Je suis l'Augure de la destruction de ce monde.

Le nécromancien, qui n'en demandait pas tant, baissa la tête en signe d'accord suite à cette déclaration pompeuse outre-mesure. Mieux valait ne pas contrarier l'esprit dérangé de cet être de pierre. Escorté par les quelques squelettes restant, toujours muni de son sceptre, l'Augure s'en alla sans un regard en arrière vers le carnage, ou vers les restes mis en pièce de son ancien ami le Troll.