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Raconte-moi un voyage où les choses auraient presque mal tournées, mais heureusement tout ce serait réglé sans trop de mal

Il est des vieilles personnes rompues à la marche et à la "translation spatiale armé d'un bout de bois long et solide" qui souvent déclament sans vergogne que les voyages forment la jeunesse ... Souvent ce sont les mêmes qui vous sortent subrepticement que c'est en forgeant qu'on devient forgeron, que les cordonniers sont les plus mal chaussés et qu'il ne sert à rien de courir, qu'il faut juste partir à point ... Les vieilles personnes ont la sagesse ...

Et il n'y a rien de plus ennuyeux que la sagesse !

Prenons une jeune personne au hasard ... Tenez, regardez-moi celle-là ! Guillerette, pleine de vie, aimable, amicale, polie, bien sous touts rapports ... et promenant avec elle un spécimen de Tapoyos qui lui-même promène dans sa petite gueule une branche qui fait deux fois sa taille ... Rien de plus normal en somme ...

Cette jeune femme est une Être de Floraison. Mais si, puisque je vous le dis ! Regardez bien l'arrière de sa robe ... Attendez un peu ... LA ! Vous voyez, ça bouge ! C'est sa queue, cachée sous le tissu, qui vit parfois sa propre vie, mais qui le plus souvent reste enroulée autour de la jambe gauche de cette délicieuse enfant. Cette Être de Floraison, disais-je, se nomme Sythandra Owlydh, et telle que vous la voyez, elle se dirige vers LA ville de ces terres, Sen'tsura, pour y faire commerce de ses talents. Mais non, pas ceux-là voyons, vils polissons ! Je parle de dons dans la couture ...

Bien que ce ne fusse pas la première visite de la jeune femme dans cette florissante cité, ses yeux chaque fois sont submergés par l'émerveillement. Il faut dire que cela la change des paysages forestiers au sein desquels elle vit ...

La voici donc à faire le tour des étals remplis du marché, parcourant de son regard curieux tous les produits qui semblent ici être en abondance. C'est rapidement que sa vue est attirée par le vendeur de tissus, ou plutôt par sa magnifique marchandise : se côtoient en douceur soies, satins, velours, lins et toutes sortes de tissus incroyables ... Regardez son regard avide trahissant son envie folle de travailler tout cela ...

Mais que c'est mièvre tout cela ! Que c'est calme !

Allons, rajoutons du piquant à cette histoire et faisons-la passer à une folle aventure ! Tenez, regardez ce gaillard-là. Oui, le petit maigrichon tout de noir vêtu. C'est cela, visez un peu sa main ... Là, ça c'est fait, hop, par ici la monnaie ! Bien ... A présent ... Voyons, quelle heure est-il déjà ? Midi pile ? Parfait ! Attention, on tend l'oreille ... BINGO ! L'appel du ventre, il n'y a rien de plus fort que cela ! Ha ! Je sens que nous allons bien nous amuser !

Voici donc notre petite amie quittant les douces soieries pour s'en aller quérir de quoi se sustenter et faire taire son prolixe abdomen. La quête improvisée n'est pas des plus ardue : la ville, le quartier même, regorge de quoi satisfaire tous les appétits - oui, tous - et la belle fille de fleurs voit vite la devanture qui ne paye pas de mine d'un petit restaurant offrant sur sa carte une farandole de variations autour des végétaux, et dont les spécialités contiennent toutes du miel - suivez un peu, vous savez bien que les Êtres de Floraison en raffolent ...

Je sais que vous imaginez déjà la suite, mais ne mettons point la charrue avant les boeufs - oui, les vieux du début sont de retour - et laissez-moi vous contez ce qui va bientôt se dérouler ...

Notre belle amie s'installe donc sur la terrasse ombragée de l'établissement, juste à côté d'un massif de pensées multicolore et de narcisses vives et fraîches. De son point de vue, elle peut ainsi observer les allers et venues d'une population qui ne sait pas se reposer et qui sans cesse se meut sans but apparent autre que courir, toujours courir ... Sythandra, elle, sait ce qu'est le calme et la tranquillité, elle sait en jouir et ne cesse d'en profiter dans sa contrée verdoyante et feutrée. Voyez comme elle mire les choses avec détachement, sans toutefois laisser tomber son air amusé. Car oui, les gens des villes l'amusent, la fascinent. Si la compréhension de la nature n'est qu'une peccadille pour elle, celle des citadins recèle encore bon nombre de mystères pour la jeune aventurière.

Ah, mais voilà une serveuse ! Voyez, notre petite victime passe sa commande ... Ah, je vous l'avais dit : que des mets au miel ! Un péché mignon, n'est pas ... mignon ? Ahem ... Laissons donc notre amie à son repas sucré, ce qui nous intéresse vient après ...

Hop hop hop, avançons dans le temps ... Hum ... Voilà, ça devrait faire l'affaire !

La voilà ... Sythandra repue se prépare à comprendre ce que "se retrouver dans la mouise" veut dire ... Et le voici, l'instant fatal, empli d'embarras, ces quelques minutes durant lesquelles la jeune innocente fouille avec fébrilité son petit sac et ne retrouve point cette petite bourse dont elle a été délestée précédemment. Le rouge aux joues, les yeux humides, les frissons dans le dos ... tout y est. La honte fige la jeune femme durant un instant, elle ne comprend pas ...

Et voilà la matrone, la tenancière aigrie, qui vient mettre fin au supplice et s'enquérir de son paiement. Tout cela risque de mal se finir : la femme est de celle qui se font obéir par tous les moyens, qui aime voir ses employés courber l'échine, qui aime profiter de la gentillesse des autres pour ne pas trop se fatiguer. La mine est sévère, autant que son chignon est serré. Le regard est noir, mauvais. Les mains se crispent, elles ont envie de venir rencontrer à grande vitesse le visage de la petite voleuse. Mais finalement le plus jouissif est d'aller prévenir les autorités ... Et ici on sait ce que cela veut dire. Vous ne le voyez pas, mais à cet instant la queue de Sythandra se serre autour de sa jambe : la peur lui noue le ventre qu'elle vient de remplir de délices. La peur la cloue au sol, faisant défiler devant ses yeux des pensées qui la glacent jusqu'aux os ... Au point de faire se cacher Koïa - si, vous savez, la boule de poils qui depuis le début mâchonne sa branche - sous les jupes de sa moitié

Mais l'adrénaline est le meilleur moteur pour les esprits malicieux. Et celui de l'Être de Floraison que nous étudions l'est énormément ... La panique est donc subitement - et heureusement - supplantée par un élan de génie. Sans réfléchir outre mesure, la voilà qui file comme une furie se jeter aux devant de la patronne excédée :

Tout ceci n'est qu'un affreux malentendu ma Dame. Je ne suis pas de celles qui, mal éduquées, finissent aux crochets des autres. J'ai été, comme vous le voyez, victime d'un odieux larcin qui de fait nous met toutes deux dans l'embarras. Mais n'allons point déranger ces gens qui ont sans doute des affaires plus importantes, alors que je suis en mesure de vous rembourser mes consommations. Voyez plutôt ...

Sur cette belle parole, elle attrape le bras d'une serveuse passant à côté avec son plateau vide et l'attire vers elle.

Regardez cette tenue : elle est rapiécée, vieille, usée, et ... oh, là, un accro, une tache qui semble là depuis des semaines ... Non, vraiment, vous ne pouvez point tolérer cela. Il suffit de vous admirer pour se rendre compte que vous êtes une Dame de qualité. Voyez la dentelle de votre col, la douceur du velours de votre manche ... Non, vous exigez pour vous-même la perfection, et vous y arriver, cela va sans dire.

Sans sourciller ni se laisser perturber par le regard plein de questionnement de son interlocutrice interloquée, la voilà qui fourre sa main dans sa sacoche pour ne ressortir aussi vite armée d'un de ses carnets. Feuilletant avec vigueur elle trouve alors une page blanche et griffonne à la hâte un croquis des plus attrayant. Se faisant, la dame en colère voit son caquet rabattu et écarquille les yeux.

Voyez, ceci conviendrait parfaitement à vos gens. C'est à la fois élégant et strict, pratique - voyez, je peux même y adjoindre des poches, ce sera bien plus seyant que les affreuses ceintures qu'elles portent aujourd'hui. Et le tablier, regardez le tablier. Rien ne vaut un tablier blanc sur une robe noire. Vous aurez la classe et le standing avec cela, je vous l'assure ! Voyons, combien avez vous de serveuse à rhabiller ?

Euh ... Hein ? ... Euh ... cinq ... mais ...

Cinq ? Parfait ... Voyons ... elles ont l'air toutes du même moule, le patronage sera rapide ... Il faudra probablement retoucher un peu à la fin ... Si je coupe tout en une fois ... Oui, c'est ça, je peux aisément en faire une par jour.

Hein ? ... De ... Quoi ?

Et bien, dans cinq jours vous aurez une nouvelle robe pour chacune de vos employées. Toutes identiques, un uniforme à la hauteur de votre maison, ma Dame ! Vous ferez fureur, je vous l'assure ! Et cela va sans dire qu'avec ce travail, mon repas sera amplement remboursé, ne croyez-vous point ?

Ah ça, quel retournement de situation ! Même la vieille bique ... euh je veux dire, la dame d'un certain âge, n'ne revient pas ! Comment voulez-vous refuser quoique ce soit face à un tel débit de parole et à un regard aussi sûr de lui ? Voyez comme la dame accepte l'affaire, sans toutefois bien comprendre ce qui vient de se passer. La petite à de la suite dans les idées, elle va même jusqu'à écrire un contrat reprenant ses dires, reconnaissance de dette à l'appui, pour prouver sa bonne foi - et entraver toute éventuelle poursuite - à la tenancière étonnée.

Et c'est toute guillerette, le rouge toujours sur ses pommettes toutefois, que la jeune femme s'en tira fort bien de cette situation rocambolesque ... Et si je vous disais que cela se produit relativement souvent, me croiriez-vous ?