Depuis son exil, Eolia allait et venait à travers les bois. Pour le moment, elle n'osait quitter Flore. Etait-ce par sentimentalisme ou par crainte, nul n'aurait su le dire. Quoiqu'il en soit, elle s'éveilla cet unième matin là abandonnée sous la protection des champignons. S'étirant, elle se rendit compte qu'il avait plu et que sa tenue, tissée à la main grâce à quelques fils que araignées avaient bien voulu lui donner, était toute tachetée. Elle avait beau être une princesse déchue, elle tenait quand même à rester propre. Aussi, comme à son habitude, elle se leva, remercia le champignon qui l'avait veillé cette nuit et s'en fut vers un petit lac dont elle connaissait l'existence et qui abritait ses débarbouillages depuis qu'elle s'était réfugiée dans ce coin de la forêt.

Certaine qu'il n'y avait personne, elle défit ses vêtements, ne gardant sur elle qu'une chemise blanche lui arrivant à mi-cuisses et s'immergea dans l'eau, à la discrétion des roseaux qui bordaient les berges. Elle aimait ses moments de tranquillité et de paix pendant lequel le corps et l'esprit se réconfortaient et où elle pouvait penser à elle sans s'en vouloir d'avoir encore des élans narcissiques. Parfois, quelques poissons et deux-trois grenouilles venaient lui tenir compagnie et elle aimait rester là à les écouter lui raconter les derniers potins du coin. D'ailleurs aujourd'hui, l'une des grenouilles, celle qui avait une petite tâche jaune sur le côté droit, était en train de lui conter l'histoire d'un couple de mésange quand un grand bruit derrière eux les firent tous sursauter.

Sans demander leur reste, les animaux fuirent, laissant là la jeune fille qui se retourna pour chercher l'origine de cet éclat. Elle n'avait aucune conscience du risque qu'elle pouvait prendre et peu lui importait. Elle était surtout curieuse de savoir qui était là puisque depuis le temps, les seuls signes de vie par ici étaient les animaux, les plantes et elle-même. Et puis, aux rires qui résonnaient, comment aurait-elle pu avoir peur ? Ce fut donc dissimulé derrière une barrière de plantes qu'elle découvrit un homme. Ce n'était pas la première fois qu'elle en voyait un mais... si elle comparait l'armée d'AT et celui-ci, il était inutile de dire que celui-ci la fascinait un peu plus.

Ce dernier nageait, totalement insouciant de ce qui l'entourait, et cela fit sourire la nymphe. Au contraire, elle continua à l'observer et remarqua sa longue chevelure ébène et son torse musclé. Elle aurait également voir ses yeux et d'autres détails mais de là où elle était, cela lui était impossible, aussi se contenta-t-elle de rester là. Finalement, l'inconnu quitta l'eau et la jeune fille, par une impulsion soudaine, fit de même. Quittant son refuge, elle rejoignit sa berge et s'inspirant de sa nature, prit la forme d'une joli oiseau au plumage blanc strié de bleu qui s'envola au-dessus du lac pour retomber sur le rocher que le jeune homme avait choisi pour se poser. Doucement, calmement, farouchement, elle sautilla afin de s'en approcher au maximum... jusqu'à être face à son visage.

Fille de la nature, Eolia n'avait pas peur. Personne n'aurait pu reconnaître là une nymphe... enfin, pas avant une vingtaine de minutes. Mais pour l'heure, elle étudiait cette "race" très intrigante.

L'homme pleurait. Bien que sous la forme d'un oiseau, Eolia avait bien vu quelques larmes couler le long des joues de cet individu qui semblait en apparence si fort et si sûr de lui. Intriguée, elle ne put que s'approcher davantage. Cela eut pour effet d'attirer l'attention de son sujet d'observation. Dégageant ses mèches en arrière, l'inconnu dévoila un visage aux traits marqués et plutôt charmant ainsi que deux beaux yeux bleus couleur du ciel qui attirèrent l'oiseau encore plus près. Celui-ci put voir quelques instants ces deux joyaux se troubler le temps d'une fugace seconde. Se rappelant qu'elle était dissimulée sous une forme animale, Eolia avait oublié qu'elle aurait probablement du réagir mais pour une fois qu'elle rencontrait quelqu'un.

D'ailleurs ce quelqu'un tendit son doigt vers l'animal mais une fois encore le volatile ne bougea pas. Au contraire, il pencha la tête sur le côté et se laissa doucement caresser. Que cela faisait longtemps que personne n'avait eu un geste de tendresse envers elle. Fermant les yeux, la jeune femme se laissa doucement aller contre la main de l'homme qui se mit à parler.

- Tu es venu m'écouter, petit oiseau? Ou est-ce le vent qui t'as guidé par hasard jusqu'à mes pas, afin que tu viennes me sauver de mon cauchemar? Quoi qu'il en soit, je te dois une fière chandelle.

Roucoulant, Eolia ne put lui répondre mais n'en pensa pas moins. A la voix caressante qu'il avait pris, elle était heureuse de voir que malgré tout, elle avait pu l'aider. Même inconsciemment. Aussi se laissa-t-elle encore un peu cajoler avant de s'éloigner en sautillant.

La nymphe ne voulait pas encore s'en aller, pas maintenant, mais elle voulait au moins changer d'angle pour continuer cet instant presque surréaliste. Qu'il était étrange de rencontrer sa première forme de vie sous la forme d'un animal... D'un air probablement trop sérieux pour un oiseau d'ailleurs, elle se promenait par petits sauts, agrémentant sa "promenade" de petits dodelinements de la tête et de petits piaillements aussi doux que la bise d'un vent printanier.

Finalement, à bout de force - ben oui, c'est beaucoup plus fatiguant de bouger tout le temps sur place pour un oiseau que pour un humain - elle se décida à reprendre son envol. Avant, elle se déposa sur la main de l'inconnu en signe d'amitié puis dans un piaillement, pris son envol. Malheureusement épuisée, celui-ci fut fort maladroit et l'oiseau retomba à peine quelques pas plus loin, derrière quelques herbes hautes. Là, la nature fit son travail et l'oiseau fit place à la femme, toujours vêtue de son unique chemise blanche et trempée qui laissait paraître les courbes de son jeune corps.

[hrp : en italique sont mes pensées]

« Flûte ! » se dit la belle en retombant sur le sol sous sa forme humaine.

Heureusement qu'elle n'était pas très haut sinon elle aurait pu se blesser. Voilà ce que c'était que de se laisser distraire par de beaux yeux. Vite, il lui fallait à présent se relever et partir. Avec un peu de chance, elle ne serait pas... re-pé-rée... mais trop tard. L'homme émergea et, comme tout être normalement constitué, fut surpris de trouver une jeune femme au lieu d'un oiseau. A son regard, elle vit qu'il cherchait le fameux volatile, ou du moins qu'il s'assurait qu'il n'y en avait pas avant de reporter son attention sur elle.

- Vous allez bien..? Vous ne vous êtes pas fais mal? Pourquoi songer à prendre une forme volatile pour vous cacher, si cela vous cause des séquelles, damoiselle?

Ouhlaaaa, voilà qu'il semblait vouloir discuter avec elle. Autant était-elle à l'aise sous une autre forme, autant se sentit-elle intimidée sous cette forme. Alors que le barbare s'accroupissait face à elle, se rapprochant dangereusement, la nymphe replia ses jambes galbées contre elle tout en tirant quelque peu sur le morceau de tissu traître qui se relevait sur ses cuisses, menaçant de dévoiler sa féminité.

- Je... je vais bien, merci, mais pourriez-vous... re..

Eolia ne finit jamais sa phrase. A force de tirer sur sa chemise mouillée, ses doigts glissèrent et la jeune femme ne put que se retenir en arrière, s'appuyant sur ses bras, les jambes repliées sous elle. Quelle étrange scène que nous présentaient ces deux êtres diamétralement opposés. D'un côté la force et de l'autre la fragilité. Choc de deux mondes différents et pourtant si proches. Plongeant son regard bleu nuit dans celui aussi limpide que le ciel, la nymphe se troubla et d'une habile roulade sur le côté, s'esquiva à ce contact tout de même un peu trop intime pour elle. Après tout, elle n'avait que 17 ans...

Se relevant rapidement, elle sauta par dessus les buissons et courut plonger dans le lac, probablement dans l'espoir d'y retrouver un peu d'assurance. Une fois l'eau l'ayant entourée, elle se sentit en effet bien mieux. Légère comme une bulle, elle ne s'enfuit pas et resta à flotter là sans vraiment savoir quoi faire. D'un côté, l'inconnu l'intriguait... de l'autre, sa conscience lui demandait d'être prudente en raison des derniers évènements. Dilemme douloureux. De là où elle était, telle une naïade émergeant de l'eau, elle pouvait voir le barbare dans toute sa hauteur. Imposant, il ne devait probablement n'avoir rien compris.

« Flûte ! Que dois-je faire... » pesta-t-elle intérieurement une nouvelle fois.

Le barbare s'était approché de la berge et semblait décontenancé par sa réaction. Complètement immergée dans l'eau, la nymphe regretta quelque peu d'avoir été aussi impulsive mais c'était dans son caractère. On l'avait toujours connue ainsi. Même s'il lui arrivait parfois de réfléchir, en général, elle n'écoutait que ses sens et ses impulsions. Le reste venait après alors bon... Se mordant la lèvre inférieure, signe évident de son repenti, elle se rapprocha également du bord du lac dans l'espoir peut-être de rassurer l'inconnu.

- Vous pouvez rester, dit-elle d'une voix calme. Je n'aurai pas la prétention de dire que ces lieux m'appartiennent. La nature n'appartient à personne. J'ai juste été un peu...

Elle ne trouvait même pas le mot pour se qualifier aussi haussa-t-elle les épaules dans un geste qui voulait probablement tout dire pour elle, c'est-à-dire pas grand chose. En tout cas, sous l'eau, elle se sentait bien mieux que tout à l'heure. Et puis, décemment, elle était plus présentable nimbée d'eau qu'avec sa courte chemise rendue transparente d'être mouillée. Brassant l'eau pour se maintenir à la surface, elle eut cette mimique qu'avait eu l'oiseau plus d'une fois et pencha la tête sur le côté pour observer à nouveau l'homme qui lui faisait face.

- Qui êtes-vous ? osa-t-elle enfin demander.

Etrange conversation quand on observe de l'extérieur. Une nymphe à la chevelure argentée flottant dans l'eau et un barbare aux cheveux d'ébène debout auprès d'elle. Elle, à la peau pâle malgré sa vie au soleil, et lui le teint buriné pour la même raison.

- Pour ma part, on me nomme Eolia. Eolia Caladwen.

La jeune fille ne savait pas s'il était très sage de donner son nom entier mais en tout cas, elle ne dirait rien de plus. Et puis après tout, elle n'était pas encore assez reconnue lors de la chute de Flore pour s'inquiéter que son nom soit recherché. On pouvait rechercher son image, sa chevelure, ses manières, mais pas son nom. Ses soeurs ne l'auraient jamais trahie. Du moins, elle l'espérait.

Plongée jusqu'au cou dans l'eau, la nymphe observa le géant de muscles à quelques mètres d'elle s'accroupir pour lui parler. Légèrement rassurée, elle consentit à se dévoiler davantage et se rapprocha quelque peu, histoire de pouvoir discuter avec lui.

- Je suis Rägmor. Je voyage depuis l'Eau, dans l'intérêt de découvrir de nouvelles ambitions qui me donneront une raison de me battre pour elles. l'Aile Ténébreuse a rasé mon village dont je fais partie des quelques rescapés. Je me bats pour la survie, et dans l'espoir de redonner l'honneur à ma défunte tribu !

A l'en croire, lui aussi était une victime d'Aile Ténébreuse. Pleinement rassurée à présent, Eolia lui adressa un joli sourire qui creusa sa joue droite d'une petite fossette puis prise d'une impulsion subite, elle émergea de l'eau, nimbée de reflets de lumière sur les gouttelettes qui glissaient sur sa peau et s'assit sur le bord de la berge aux côtés même de celui qui se faisait appeler Rägmor.

- Je suis moi aussi une rescapée des attaques des armées d'Aile Ténébreuse, dit-elle d'une voix calme, le regard plongé vers l'horizon. Sauf que je suis née ici. Flore est ma maison, je ne suis encore allée nulle part. Mes... mes soeurs sont encore ici vous comprenez ? Alors je ne peux m'en aller.

Sa voix se perdit quelques instants, au moment même où le soleil faiblit derrière un nuage passager, laissant le vent les faire frissonner. Puis, comme si la jeune personne se rappelait qu'elle n'était pas seule, elle se tourna vers son voisin et lui demanda :

- Dîtes-moi, comment est-ce dans la contrée de l'Eau ? Est-ce que... tout n'est qu'eau là-bas ?

La nymphe avait quelque peu peur de passer pour une inculte mais en même temps, elle n'avait encore rien vu aussi était-elle intriguée par toutes ces choses que son interlocuteur devait savoir. Il avait l'air tellement plus mature qu'elle...

Assise sur les genoux de sa mère la terre, Eolia écoutait religieusement ce que lui contait son compagnon impromptu. Au fond d'elle, la nymphe pouvait ressentir à travers les mots qui lui parvenaient toute la douleur mais également la colère et la frustration que ressentait Rägmor. En même temps, cela ne lui était pas plus difficile car elle ressentait exactement la même chose pour son propre peuple. Dans un élan de sympathie, la jeune fille déposa sa main sur celle de celui qu'elle considérait à présent comme un ami et lui dit d'une voix douce que probablement personne n'aurait entendu si le vent ne s'était pas arrêté quelques secondes.

- Je suis désolée pour toi Rägmor. Je peux te tutoyer n'est-ce pas ? En tout cas, je comprends parfaitement ce que tu ressens. Je pense profondément que toutes les victimes d'Aile Ténébreuse doivent ressentir le même chagrin et le même désir de vengeance. Enfin, moi je suis surtout triste mais je ne nourris aucune autre ambition...

La délicate créature aux cheveux lunaires ne termina pas sa phrase. Non pas qu'elle ne sache pas comment la finir mais plutôt parce que sa condition de nymphe l'empêchait de chercher vengeance ou lui interdisait de nuire à toute vie, même si celle-ci était néfaste. Elle n'avait donc d'autres solutions que d'attendre et d'espérer qu'un jour sa terre et son royaume lui seraient rendus.

Au-dessus d'eux, un nuage passa, accentuant le silence les environnant et faisant frissonner la jeune fille. Mouillée comme elle était, l'ombre lui faisait froid mais au moins cela la tira de sa léthargie. Retrouvant toute sa malice, elle esquissa un nouveau sourire à son nouvel ami et l'invita à nager.

- Tu viens nager avec moi ? lui lança-t-elle. J'ai froid et l'eau me réchauffera. Si tu viens de l'Eau, tu devrais savoir nager.

C'était une taquinerie sans méchanceté et dans un rire cristallin, elle se leva et plongea avant même qu'il n'ait le temps de comprendre quoique ce soit. Nimbée de gouttelettes, elle émergea quelques mètres plus loin, aussi souple et agile qu'un poisson et attendit qu'il la rejoigne. Après tout, malgré tout le mal qui rodait autour d'eux, il n'en était pas moins qu'ils étaient jeunes et que certains instants n'appartenaient qu'à eux.

Apparemment, le barbare avait de la ressource car il la rattrapa sans gêne et eut même le temps de l'attraper pour la faire basculer plus loin. Heureusement qu'Eolia était une habituée de ce genre de pirouette sinon elle aurait pu se noyer. Au lieu de ça, elle ressortit de l'eau en riant et de sa main droite, repoussa les mèches folles qui lui collaient au front.

- Ce n'est pas juste. Tu ne peux pas être fort et agile en même temps, se plaignit-elle amusée. Et puis, je n'ai pas envie de t'attraper à mon tour, tu finirais encore à m'envoyer valser en l'air je ne sais où. Que ferais-je si j'y perdais ma chemise ?

La nymphe rit à gorge déployée après cette tirade et plongea à nouveau sous l'eau. En bonne nageuse, elle se repéra facilement et une fois derrière l'homme qui battait des pieds pour se maintenir hors de l'eau, elle jaillit de l'eau, son rire se déversant telle une cascade dans son dos. Elle n'avait pas voulu lui faire peur mais juste s'amuser un peu.

- Alors, l'eau n'est-elle pas merveilleuse ? demanda-t-elle en brassant l'eau pour se maintenir à son niveau.

Puis d'un geste quelque peu agacé, elle repoussa à nouveau ses cheveux mouillés. Si elle l'avait pu, elle se les aurait probablement coupés court mais ses soeurs n'auraient pas aimé aussi les laissait-elle libre comme le vent même si parfois ils pouvaient être gênants. Face à elle, le barbare, lui, avait retenu ceux-ci sous une forme de catogan et n'était nullement dérangé. D'ailleurs, il la regardait et Eolia se demanda ce qu'il pouvait bien imaginer.

« Probablement quel sera le meilleur moyen pour m'attraper et me jeter une nouvelle fois au loin... » se dit-elle sans pour autant bouger.

En voilà une femme bien agile ! Il riait et passait du bon temps avec cette gente demoiselle. Ils s'amusaient, et profitaient de ces belles chamailleries dans l'eau de la source. Quand la nymphe, après avoir été balancée dans l'eau, revint à la surface en envoyant des marées sur le barbare, ce dernier se frotta les yeux pleins d'eau, car il ne s'attendait pas à ce genre de retournement de situation.

Ainsi voyait-il qu'il la fixait. Elle semblait pensive, ou se questionner. Cela ne l’empêcha pas de répondre de son "attaque" par un même jet d'eau en pleine figure, tout en riant à pleines dents. Ah, qu'il semblait jovial dans les contrées si paisibles qu'offraient la verte nature, aux côtés de cette nymphe tout aussi naturellement construire que les arbres qui étaient autour. Tient d'ailleurs, qui était-elle vraiment?

Il mit fin à la bataille d'eau, et vint s'approcher d'elle en la fixant de ses yeux bleus ciel. Il cherchait à en savoir plus.

-Dis-moi.. Qu'es-tu réellement? Je n'ai pas rencontré de femmes comme toi, auparavant.

[Désolé si c'est un peu court >< ]

Alors qu'Eolia divaguait, la question du barbare la surprit. Heureusement qu'ils nageaient - et encore - sinon elle serait probablement tombée par terre. Elle qui pensait qu'il préparait un nouveau jeu s'interrogeait en fait sur sa personne. Prudente, Eolia réfléchit. Elle ne voulait pas lui mentir mais en même temps, elle se devait de faire attention aussi prit-elle soin de bien choisir ses mots.

- Qui je suis ? Ne t'ai-je point donné mon nom ? murmura-t-elle le regard voilé. Eolia Caladwen, c'est ainsi que m'ont nommée mes soeurs... et je suis une nymphe.

Ceci dit, elle se tut, ne sachant quoi rajouter de plus. Elle estimait inutile de donner son statut, qui plus est quand celui-ci ne valait plus rien aujourd'hui. Du moins, plus rien dans les circonstances actuelles. Les seules personnes pour qui cela devait encore de l'importance était probablement les soldats d'Aile Ténébreuse qui gagneraient tout à la faire disparaître mais sinon révéler son ascendance princière ne lui apporterait rien.

- Est-ce la première fois que tu rencontres une nymphe ? questionna-t-elle. Je n'ai pourtant pas l'impression d'être bien différente...

Et dans un dernier sourire, la jeune fille se mit sur le dos et se laissa doucement dériver entre les fines vagues du lac en attendant les réponses de son compagnon de bain.

Rägmor semblait surpris d'apprendre que les nymphes existaient aussi quand il lui fit part de sa curiosité, un petit rire secoua la belle et ce fut avec complaisance qu'elle s'appliqua à lui parler à son tour de son peuple. Elle attendit qu'il prenne place sur un rocher et pendant qu'elle continuait sa brasse sur le dos, elle se mit à conter.

« Les nymphes sont surtout des femmes. Nous naissons toutes enfants du Grand Chêne sous forme de fleur et tombons quand l'heure est venue pour nous de prendre forme humaine. Bien sûr, nous pouvons enfanter mais nos enfants sont tous humains. Ils peuvent hériter de certains de nos traits physiques ou de caractère mais n'héritent pas des pouvoirs que nous possédons. »

Là, la nymphe s'interrompit. Elle avait appris tout cela dans les livres et dans l'enseignement que ses soeurs lui avaient donné mais les mots comme "enfanter" ne lui disaient absolument rien. Après tout, elle n'avait pas fini son enseignement vu que les armées d'Aile Ténébreuse avait attaqué sa cité avant qu'elle n'ait eu le temps d'en savoir plus sur ce passage. Bien sûr, elle avait déjà vu certaines de ses soeurs tomber amoureuse d'humains et quitter leur peuple pour vivre parmi eux. Certaines étaient revenues, d'autres jamais... mais les rapports homme/femme qu'on avait mentionné devant elle n'avaient encore jamais été approfondis.

« Chaque chose en son temps... » se dit-elle avant de couler un regard vers l'homme qui semblait l'écouter avec grande attention.

« En terme de pouvoirs, nous avons celui de nous transformer en une créature animale ou en plante selon nos désirs mais ces transformations sont temporaires. Autrement, nous pouvons guérir les blessures, même très graves, mais cela dépend de notre état physique et moral sinon mieux vaut ne rien tenter. Enfin, les plantes, les animaux, les bois, les lacs et autres lieux liés à la nature nous sont connus et eux-même nous reconnaissent.

Que je sache, nous avons toujours vécu ici. Depuis que le Grand Chêne s'est en Floire implantée, ces sous-bois ont toujours abrité et protégé notre peuple et... même si Aile Ténébreuse l'a envahie, Flore reste quand même notre terre car on peut occuper une terre, on ne peut occuper un coeur et le coeur de Flore est représenté par toute la vie qui grouille en son sein. »

Ses paroles résonnèrent dans l'air ambiant et la nymphe se tut d'avoir autant parlé.

Abandonnant la planche, Eolia se replongea avec délice dans l'eau chaude du lac et sourit face à l'allusion du barbare. Il était vrai que cela devait paraître étrange qu'une personne se transforme en oiseau pour approcher un autre être humain.

« Pourquoi ? Il n'y a pas vraiment d'explications si ce n'est la prudence très cher » dit la jeune fille en esquissant un sourire franc et malicieux.

A cet instant, le soleil commença sa lente descente dans le ciel. Le ciel se voila de nuage et les oiseaux commencèrent à entamer leurs chants du soir. Frissonnante, la nymphe regarda autour d'eux et décida qu'il était peut-être temps de sortir se sécher sous peine de finir toute fripée.

« Nous sortons ? J'ai laissé mes vêtements là-bas. Tu m'attends ? »

Et sans même vraiment attendre de réponse, la nymphe reprit la forme du bel oiseau qui avait intrigué le barbare et fila en direction d'un tas d'herbes hautes derrière lequel elle disparut. Une dizaine de minutes plus tard, elle en émergea vêtue d'une tunique blanche à taille haute, un ruban serrant et mettant en valeur sa taille fine, son décolleté retenue par un autre ruban laissant transparaître deux globes harmonieux et parfaitement dissimulés aux regards. S'essorant les cheveux, elle revint en souriant à l'endroit où le barbare avait émergé.

« Alors, que faisons-nous d'autres ce soir ? As-tu des projets particuliers ? »

Inconsciente des regards que le barbare avait, la nymphette finit d'essorer sa longue chevelure couleur de lune et s'avança en souriant jusqu'à lui.

« Marcher à la pleine lune ? Oui, pourquoi pas. Si tu n'es pas pressé alors marchons » répondit-elle tout en finissant de remettre en place ses longs cheveux qui flottèrent librement derrière elle pendant qu'ils entreprenaient leur marche nocturne.

Sous leurs pas, l'herbe tendre se plissait avec délicatesse tel un roseau se pliant sous la brise. Nul bruit alentour si ce n'était le chant des derniers oiseaux et ceux des criquets qui rythmaient la nuit. Côte à côte, ils avancèrent de front, silencieux, attentifs l'un à l'autre et s'aidant mutuellement à passer à travers les feuillages épais qui se présentaient parfois sur leur chemin.

« Alors ? Me diras-tu ce qui t'amène dans notre jolie contrée ? »

Sans même vraiment l'avoir voulu, ses pensées avaient franchi ses lèvres. Eolia était une fille de la nuit lorsque celle-ci tombait et comme elle, elle appréciait le silence mais là, elle estimait qu'en telle compagnie, elle ne pouvait indéfiniment se taire. On lui avait appris que parfois le silence pouvait exprimer bien plus que des mots aussi fit-elle attention à ne pas laisser celui-ci trop s'éterniser.

Prise à cette promenade nocturne, Eolia suivait son compagnon sans rechigner et sans ennui. Elle aimait ces petits moments où Aile Ténébreuse n'avait pas d'emprise sur eux car même la réalité était tout autre, son caractère de nymphe aimait aussi à se complaire dans des plaisirs simples de la vie. Ils durent marcher plus d'une vingtaine de minutes quand elle posa sa question et que Rägmor y répondit, prenant soin de l'aider à s'asseoir sur les racines d'un gros champignons.

Cette seconde fut suivit d'un long récit dans lequel le barbare lui confia plein de fougue et de sincérité son récit ainsi que celui de son peuple et de son village. Sans un mot, la nymphe l'écouta et plus d'une fois son coeur se serra. Leurs histoires étaient si semblables... seul le temps et le lieu différait. Quoique lui avait un objectif alors qu'elle ne savait même pas ce qu'elle devait faire. A l'entendre parler ainsi, elle sentit le poids de sa propre histoire peser de toutes ses forces sur ses propres épaules mais ce fut courageusement qu'elle se releva afin de ne pas laisser paraître son chagrin.

« Je suis désolée pour toi et pour ton peuple, dit-elle doucement à Rägmor. Les guerres apportent toutes leur lot de peine et de morts, et dans nos cas, c'est d'autant plus dur car nous n'avions rien demandé mais je ne saurai quoi dire de plus pour apaiser ta colère étant donné que je pense qu'aucun mot ne pourra jamais combler ce vide. »

Puis, ne sachant comment combler davantage ce moment de tristesse, Eolia ne put que lui adresser un petit sourire contrit qui, elle l'espérait, en dirait assez long sur ce qu'elle ne savait exprimer à son compagnon.