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 La fée Morgane [NC18]

 
La fée Morgane [NC18] Sand-g10Sam 14 Fév - 17:43
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Cela faisait six jours que je chevauchais sans m'arrêter avant la nuit tombée. Le couvert rassurant des arbres de la forêt me manquait, et si j'avais apprécié les deux premiers jours de monte dans les plaines, la monotonie du paysage était rapidement venue à bout de mon enthousiasme. D'aussi loin que remontaient mes souvenirs, mon maître n'avait jamais évoqué bibliothèque plus fournie que celle de Sen'tsura, le coeur du monde connu. Si l'Aile ténébreuse s'était imposée au monde et avait conquis la ville, je n'avais eu aucun écho concernant une éventuelle destruction de cette inépuisable source de savoir,
Mon dos était en miettes, mes fesses n'en menaient pas plus large et je regrettais de ne pas avoir investi davantage dans la selle que j'avais acheté aux Elfes. Je m'étais refusée tout au long du voyage à chevaucher de nuit, mais quand les tours de cristal du centre du monde apparurent dans le lointain, fendant les nuages en deux comme des lames qui reflétaient le plus infime rayon de soleil, une dernière vague de courage me fit maintenir l'allure et m'incita à achever mon voyage sans subir une nouvelle interruption.

D'un claquement de langue, je relançais ma monture qui dévala une colline au grand galop, achevant de me briser l'échine, et reprit sur un trot plus lent tandis que nous progressions elle et moi vers la cité de cristal. Si j'avais pris soin d'éviter les routes tout en en longeant les tracés pour éviter de me perdre et de croiser je ne sais quelle créature, cela ne faisait plus la différence ici. La plaine était dégagée et je pouvais percevoir les feux de camp, les torches des voyageurs, des bribes de discussions qui se rapprochaient inéluctablement et dont je faisais abstraction avec peine. La vie, tout autour de moi, me laissa parfaitement indifférente, et j'avançais en épargnant à mes oreilles les blagues vaseuses que laissaient les campeurs dans mon sillage, concentrée sur mon objectif. Le pont de cristal était à l'autre bout de la ville, et je dût contourner le collier de fossés qui en marquaient les frontières, traversant des campements de plus en plus fournis et de plus en plus animés.
Cette atmosphère m'était totalement étrangère, et je jetais aux présents des regards curieux, dédaignant répondre à ceux qui semblaient m'appeler comme à ceux qui se plaignaient de la place qu'occupait mon cheval.
Devant le pont se massaient des groupes plus serrés encore, essentiellement composés de corps déjà allongés à même le sol, couverts par des couvertures souvent crasseuse, et maintenus à bonne distance par des hommes en armure, droits comme des piquets, appuyés sur des hallebardes à la coupe très humaine. Puisqu'ils m'ouvraient le passage, je fis mine d'engager ma monture sur le pont, les yeux toujours rivés sur l'immense porte fermée qui cassait la régularité parfaite de l'imposante muraille de la cité. Sans que je ne le vit vraiment, un garde s'était approché de moi et avait brutalement saisi la bride de mon cheval, qui émit une torsion du cou en hennissant. Déstabilisée, il s'en fallut de peu pour ne pas chuter de ma selle, et je dus me rattraper à la crinière du destrier pour m'épargner cette épreuve.


- Les portes sont fermées, elles seront rouvertes demain, fit-il tandis que je relevais la tête pour confronter son regard de statue. Si il avait une allure martiale exemplaire et un physique avantageux que son armure serrée mettait parfaitement en valeur, son visage respirait la bêtise à plein nez et ses yeux renfoncés semblaient aussi vides que sa tête au front plat et ridé.

- Vous pourriez ouvrir pour moi. Je ne vais pas coucher dehors avec cette horde de traine-savates.

S'il s'agissait pour moi d'une évidence, le soldat ne sembla pas l'interpréter à bon compte et se renfrogna, affichant une mine patibulaire avant de rétorquer d'une voix d'ogre, crachant ses mots comme des injures.

- Fichez le camp, ceux qui méritent mieux que ça ne voyagent pas seuls...Et ils ont de quoi alléger la conscience de notre pauvre corps de garde, qui se doit de contrevenir à ses ordres pour soulager ces braves du contrecoup de leurs péripéties, vous voyez c'que j'veux dire ?

Je ne voyais pas, mais un autre garde intercéda en ma faveur en tempérant les ardeurs de son partenaire. S'il me lançât un regard lubrique dès lors qu'il eut terminé de rabrouer son comparse, il sembla au moins se faire comprendre et le patibulaire s'écarta en ravalant sa fierté.
Courtois, le second garde qui, au vu de la coupe plus développée et subtile de son armure devait être son supérieur reprit les rennes de mon destrier et le guida jusqu'aux portes, s'essayant à faire la discussion sur un ton placide. Je ne sais pas de quoi il m'entretenait car j'avais arrêté de l'écouter parler dès lors qu'il avait achevé ses négociations avec l'autre soldat, mais une fois que nous eûmes passés le second barrage de gardes, il bifurqua et quitta la route principale, m'entraînant dans une veinule située entre deux bâtiments aux murs couleur cendre et aux fenêtres brisées.
Si j'avais d'abord ressenti une certaine frustration à être baladée comme une fillette, couplée à celle engendrée par la privation de la vue du coeur de la ville dont les tours émergeaient à l'horizon depuis la rue principale, je m'étais dit qu'il devait y avoir une nouvelle étape indispensable à mon intégration en ville. Un formulaire à remplir, un droit de passage à verser, quelque chose de cet ordre là; mais plus nous progressions dans la ruelle, plus je m'interrogeais sur les intentions de mon guide.
Je n'eut cependant pas le temps d'éclaircir la situation auprès de lui qu'il arrêtait ma monture et posait une main pressant sur ma cuisse. Saisie d'effroi et submergée par une vague de terreur, je lui lançait mon talon en plein visage, tirant par mégarde sur les rennes de ma monture qui se cabra et me projeta en arrière, ayant au moins, dans sa fuite, la décence de bousculer le soldat qui se retrouva jeté au sol à son tour.

Une hésitation de trop me fit perdre quelques secondes tandis que je me demandais s'il valait mieux tenter de rattraper ma monture en passant devant mon agresseur ou fuir dans la direction opposée. Je pris le second choix quand je vis qu'à peine sonné, il se redressait et avançait vers moi en titubant, et je me mis à courir à en perdre haleine en remontant la ruelle dans la direction opposée. Je n'étais pas particulièrement endurante mais son armure le ralentissait autant que mon manteau quand il me passait devant les pieds. La peur me donnait des ailes et, confiante, je poursuivis ma course sans me retourner, jusqu'à entendre les claquements métalliques de son armure se rapprocher et à sentir l'étreinte froide de sa mains agripper mes cheveux. Il s'arrêta brutalement et je fut retenue par sa poigne, tombant à genoux sur le pavé abimé et glacial. Submergée par la terreur, je me retourna pour lutter contre sa prise, lui agrippant le poignet avant de lui mordre le pouce tandis qu'il se jetait sur moi et m'écrasait au sol, écrasant ses genoux sur mes cuisses et son autre main contre mon plexus. Un grognement sourd monta dans sa gorge tandis qu'il rétractait sa main mutilée et qu'il armait son poing pour me punir, et si je n'avais aucune notion de combat et que la peur me conduisait à l'erreur, elle me fit aussi protéger mon visage par automatisme, et je levai les bras en me recroquevillant sur moi même pour parer à l'assaut qu'il donna presque aussitôt.
Le métal de son gantelet mordit mon poignet comme les crocs d'un chien et j'eus l'impression que mes os allaient exploser sous l'impact. Une vague de douleur envahit mon bras tout entier et un hurlement aigu me déchira la gorge, les larmes me montant presque instantanément aux yeux. Mon esprit s'embruma pendant un instant qui me sembla durer une éternité, et, tandis qu'il agrippait ma main en me broyant les doigts pour l'écarter de mon visage, je tendit l'autre vers ma ceinture et la glissa dans une des sacoches qui y était suspendue. Le soldat, probablement agacé par mon entêtement, écarta mon bras prisonnier et l'écrasa contre le pavé, remuant les jambes jusqu'à écraser ses genoux contre les os de mon bassin, me retenant bloquée au sol dans l'étau de ses jambes tandis qu'il se penchait dangereusement vers mon visage.
J'avais peur. Terriblement peur, et mes pensées perdaient progressivement en cohérence. De petites tâches noires dansaient devant mes yeux et il me fallut m'immobiliser un instant pour réfléchir. Je sentis ses lèvres sèches et fendues brûler la peau de ma joue tandis qu'il relâchait à peine son attention, séduit par la soumission dont je faisais preuve pour mobiliser ce qu'il me restait de bon sens, et il se déporta sur mon cou en se tordant bizarrement pour ne pas altérer sa position, toujours méfiant.
Lentement, je le sentis descendre jusqu'à ma poitrine, et mes yeux se posèrent sur une fenêtre qui se trouvait à quelques mètres au dessus de nous. Une sueur froide me traversa l'échine devant la perspective d'une nouvelle tentative, mais celle de devoir subir l'humiliation qu'il m'infligeait me semblait plus absurde encore. Une vague de calme presque inhumain m'apaisa pendant un bref instant, et je parvint à oublier sa proximité et à faire fi de son empressement et de la rudesse de sa main qui glissait sous le tissu de ma tunique comme un serpent, moite, glissante.
Mes doigts se refermèrent sur un des flacons qui y était rangé et, faisant appel à un ultime effort, je me redressait brutalement et lui asséna un coup de tête en plein nez tandis qu'il s'essayait à prendre mes lèvres dans sa bouche. Le choc le fit reculer et il poussa un gémissement agacé, détachant ses mains de mon corps un moment pour les plaquer contre son visage, les yeux fermés, braillant à gorge déployée. Comme un animal, son jeu reposait essentiellement sur l'intimidation et la peur qu'engendrait sa force. Si j'éprouvais des difficultés à respirer aussi bien qu'à agir, je parvins tout de même à pulvériser le flacon contre sa tempe, me redressant presque dans le même mouvement pour profiter de son déséquilibre et le pousser sur le coté.
En un éclair, j'étais debout, et si mes jambes peinaient à soutenir le poids de mon corps encore endolori. Même s'il ne m'écrasait plus, je sentais encore un poids comprimer mes poumons et l'étau de ses jambes me broyer les cuisses. Je devais fuir. Je voulais fuir, mais j'avais peine à produire le moindre effort,
J'étais monté dans des centaines d'arbre durant mon adolescence, et ils présentaient bien moins de prises que le mur qu'il me fallait escalader. Mais jamais je n'avais eu la mort aux trousses, et la terreur me faisait hésiter sur les décisions à prendre. Je parvint à me hisser à hauteur d'une première prise, je faillis retomber aussitôt alors que la talonnette de ma bottine ripait sur la pierre d'appui que j'avais choisi. Je tendis le bras vers la corniche à moitié effondrée d'une fenêtre bloquée par des débris et je m'y suspendit avec peine, perdant pied et manquant de chuter une seconde fois. Je pendais dans le vide comme un linge sur son fil, et malgré l'effort de mes deux bras conjugués, j'eus la plus grande peine à me hisser sur mon nouvel appui.
Pendant un moment, je me sentis victorieuse, mais un regard vers le bas suffit à me contredire. Il aurait suffit à mon agresseur d'un saut et il pouvait m'atteindre. Un nouvel élan me fit me redresser et il me fallut enrouler mes mains sur une poutre saillante, monter les pieds sur le cadre supérieur de la fenêtre, tendre une jambe vers une pierre saillante et, après une ascension brève mais suffisante, je me retrouvait dans une pièce poussiéreuse et partiellement effondrée, avec une vue imprenable sur un étage ravagé dont les poutres brisées en deux formaient une ligne de pieux qui menaçaient ma position.
J'avais espéré un certain répit, mais la voix nasillarde et altérée du garde monta depuis l'étage d'en dessous, et s'il n'y avait plus d'escaliers, je ne doutais pas qu'il parviendrait à trouver un moyen de me rejoindre. L'étau s'était desserré mais je n'étais toujours pas sauve.
Des perles salées et brûlantes sillonnèrent mes joues tandis que je me redressais après un bref répit allongé, et je dut réprimer mes sanglots alors que je m'essayais à la discrétion, traversant la pièce pour rejoindre le pont qui s'était formé entre cet étage et celui d'au dessus avec l'effondrement du sol. Le bois s'ébranlait à chaque pas, et le sentiment que la maison était sur le point de s'effondrer rendit mon état de panique plus oppressant encore.
Une fenêtre à l'étage suivant me servit de porte de sortie et me permit de rejoindre un toit presque collé à la bâtisse. Si sa stabilité n'avait rien de rassurante, je n'eus d'autre choix que de ramper jusqu'au bout et de glisser entre les murs d'une nouvelle ruine. Je fut contrainte de mordre ma propre main pour étouffer de nouveaux sanglots rappelés par une vive douleur dans la jambe. Des échardes avaient ponctuées ma descente et avaient déchirés la chair de mon mollet sur jusqu'au genoux; si bien que je dut poursuivre mon périple en clopinant et en rampant.
Ce n'est qu'après avoir traversé deux ruines de plus que mon corps céda. J'eus l'impression qu'il se rompait tandis que je m'échouais avec mollesse sur le bois d'une petite tourelle partiellement démolie, dont l'unique espace suffisait à peine à abriter deux personnes de ma stature.
L'épuisement engendré par cette course poursuite vint à bout de la souffrance et mes yeux se fermèrent sans que je n'eus le temps d'examiner mes propres blessures. Je me fis avant de sombrer une dernière réflexion : Non, je n'aimais définitivement pas les Hommes.

Morgane Palsdottir

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