La journée avait pourtant bien commencé, il faisait beau, rien de tel qu'une petite promenade pour se laisser aller à la flânerie et en profiter pour découvrir son nouvel environnement. Calliste ne savait plus où donner de la tête, les bâtiments étaient sublimes, les étales chargées, les odeurs divines, elle en oubliait presque les personnes qui l'entouraient. La journée était déjà bien avancée quand un homme retint son attention, c'était bien la première fois que quelqu'un l'électrisait de la sorte. Il l'aborda sommairement mais ça lui importait peu, il avait l'air sympathique et sans en faire un ami, lui permettrais de passer le temps. Malheureusement, elle avait vite déchanté lorsqu'il avait commencé à délirer en lui disant qu'il était un incube et qu'il savait qu'elle était une succube. Et il ne s'arrêtait pas là en lui demandant de la suivre.
Calliste regarda tout autour d'elle, jeta un regard au ciel comme si un miracle pouvait en tomber, gênée, elle força un sourire qui laissait entrevoir toutes ses dents comme attendant la chute de la plaisanterie. Cette dernière ne venant pas, elle fit un mouvement circulaire de la main, comme pour l’inviter à terminer sa drôlerie avant de croiser les bras et de pincer ses lèvres, montrant par là qu’elle n’était plus vraiment réceptive. L’homme devant elle ne pipait mot, un mélange d’agacement et d’incompréhension commençait à l’envahir. Était ce de l’humour dont elle ne saisissait pas les subtilités ou bien une personne douteuse ayant quelques problèmes comportementaux. Après tout, ils ne se connaissaient pas et le bougre débarquait d’on ne sait où et … Son esprit commença à suivre le fil de son imagination, déformant la réalité, imitant son interlocuteur avec une voix nasale et fluette, pas franchement sensuelle mais hilarante *Ooouuuiiieuuuh, tu me connais pas mais moi je te connais, t’es un monstre avide de mentules turgescentes et de souffrance. Je suis sain d’esprit, en plus je suis plutôt pas mal donc suis moi pisque tu ne veux pas me croire, je te montrerais mon gros don !* Elle pouffa de rire, complètement perdue dans ses pensées, un claquement de doigt la sorti de ses rêveries, intérieurement son poil se hérissa, il l’avait pris pour un animal ? Elle expectora une grosse goulée d’air entrecoupée d’un ricanement exagéré, ses mains se joignirent et elle pointa le malotru de ses index, puis prit une grande inspiration avant de s’exprimer calmement.
« Je vais remettre les choses dans l’ordre dès à présent » Ses bras tombèrent le long de son corps, un doigt accusateur resta pointé sur lui « Tout d’abords je ne suis pas votre chienne .» Elle donna un petit coup de hanche contre sa main en se mordant la lèvre inférieure « Donc je vous prierais de ne pas m’interpeller comme telle » Elle recula d’un pas afin d’augmenter la distance qui les sépare « Ensuite, je n’irais nulle part avec vous, vous êtes … Charmant mais, je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas, donc on ne se connait pas et je refuse de suivre un inconnu. Et pour finir … » Elle se pinça les lèvres pour retenir un éclat de rire et fit un pas de plus en arrière « Dans l’hypothèse où je serais autre chose qu’une humaine, ce qui n’est qu’une hypothèse, je pourrais être beaucoup de chose, mais surement pas une succube. Je n’ai absolument rien en commun avec ces … Trucs. Cela dit, je ne vous juge pas, vous avez l’air … De bien vous amuser sur votre petit nuage … Je vais vous laisser d’ailleurs. »
Elle tourna les talons pour se replier à la hâte, mais l'inconnu n'allait pas la laisser s'échapper aussi facilement et lui emboîta le pas. Il voulu l'attraper par le bras pour l'arrêter mais à peine il lui effleura le poignet qu'elle balaya l'air de sa main afin d’empêcher l'entrave, se retournant le poing en l'air. Elle avait le souffle coupé, ce bref contact la foudroya de sensations dérangeantes accompagnées d'un flash d'immondices. L’optique de toucher quiconque la répugnait au plus haut point tant elle appréhendait les émotions et les visions lubriques qui pouvaient en découler. La vérité c’est qu’elle trouvait cela plaisant mais selon Samuel il n’y a que les filles de mauvaises vies qui aiment ça. L’incube sentit de suite le malaise et le désir de Calliste, un sourire vicieux se dessina sur son visage, elle pouvait feindre l’indifférence à distance mais l’effusion d’un contact était trop intense pour qu’elle puisse garder son masque. Il s’avança d’un pas, sure de lui, bombant le torse, le regard insolent pour l’inviter à cogner sachant pertinemment qu’elle n’en ferait rien.
« Vas y, j’adore qu’on me frappe, tu sens comme cette perspective m'excite ma petite succube ? »
Le regard de Calliste s'abattit sur le pantalon du bellâtre, son sourire perplexe devint franc et s'étaya d'un petit rire cristallin : nul besoin de capacité pour savoir dans quel état il était, un simple coup d'œil suffisait pour voir qu'il était à l'étroit dans son pantalon. Elle baissa sa garde, il faisait jour,elle était en pleine rue et bien qu’elle fût peu fréquentée, il ne fallait pas moins quarante-cinq minutes et de l'habileté pour enlever sa combinaison, sa pureté ne risquait rien en somme. Elle releva ses cheveux pour se rafraîchir et par là même, échapper au regard de l'homme, gênant pour elle de le soutenir dans ce contexte. Elle ne détacha pas ses yeux de ses pieds pour s'adresser à lui d'une voix frêle mais amusée.
« Pas besoin de sentir quoi que ce soit, il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte que tu as la demie... Je suis désolée de ne pouvoir t'aider mais ...» Le trouvant presque sympathique elle secoua la tête pour reprendre ses esprits et réussi à relever les yeux « Non je ne suis pas désolée ! Vous êtes qu'un détraqué ! Je vous ai absolument rien demandé ! Vous êtes venu m'aborder comme ça la verge sous le bras, détenteur d'une pseudo vérité dans le but de me poutrer, ah bah il est beau le messie !» Calliste ricana avant de reprendre son souffle, elle étouffait dans ce carcan de cuir. Elle balaya les environs du regard pour trouver un petit coin d'ombre où s'abriter et voulu conclure la discussion d'une voix lasse « Vous pouvez trouver moult femmes qui se feront un plaisir de vous ouvrir leurs cuisses, vous pouvez passer votre chemin car de ma part, vous n'aurez rien.»
Il la regarda s'éloigner, levant les yeux au ciel, il est vrai qu'il lui donnerait bien quelques petits coups de reins à l'occasion, mais s'il lui avait dit tout ça c'était avant tout pour s'amuser. Son comportement commençait un tantinet à l'exaspérer, il se caressa un instant la nuque, pensif, visiblement il ne s'y prenait pas de la bonne manière. Cette affaire devenait une question de fierté, son orgueil mal placé lui interdisait d'abandonner, c'est lui qui avait raison et il allait lui montrer. Il la rejoignit doucement, elle était adossée à un mur et le caressait du bout des doigts pour lui voler sa fraîcheur. Elle ne daigna même pas poser les yeux sur lui. Il se rapprocha brusquement sur elle pour la surprendre et lui lécher la joue, l'effet fût immédiat et paralysa la jeune femme. Il en profita pour lui murmurer à l'oreille d'une voix calme et sensuelle :
« Tu as fini ? Je peux enfin m'exprimer ?» Il commença à passer sa main sur l'intérieur de sa cuisse "c'est vrai que je ne dirais pas non à une partie de jambe en l'air, je ne dis jamais non, surtout pas avec une succube, c'est plus intense» sa main monta davantage « Mais ce n'est pas ce que j'avais en tête lorsque je t'ai interpellé, tu l'aurais senti de suite d'ailleurs» Il cessa son emprise subitement pour se laisser glisser le long du mur et regarda ses doigts d'un air je-m'en-foutiste. « Tu as deux possibilités, tu peux choisir de te murer dans ton ignorance, un jour ou l'autre tu exploseras à force de tout refouler et ce ne sera pas beau à voir» Il jeta un œil furtif sur la jeune femme qui restait figée dans sa précédente position, il lâcha un petit rire, il fallait la voir encastrée dans le mur, les ongles plantés dans la pierre. Il parvint à retrouver son sérieux « Où tu peux choisir d'accepter ta nature, de composer avec elle pour devenir ce que tu voudrais ... Ignorer tes besoins pourrait te nuire, ce n'est pas la solution et je comprends que tu ne puisses pas me croire, tu semble vivre comme une humaine depuis trop longtemps mais je peux te prouver que tu te trompe.» Elle se laissa glisser le long du mur à son tour, épuisée par la chaleur et la crispation, se sentant vidée. Pourquoi insistait-il de la sorte ? Sa main soutenait sa tête, son sourire était fatigué mais cette fois elle était attentive.
« Il faut juste que tu me fasse confiance, je sais que c'est facile à dire mais je jure de ne te demander aucune faveur par la suite.» Leurs regards se croisèrent, elle l'écoutait enfin ! « Mais bon si tu trouve que cette tension sexuelle devient insoutenable je serais ravi de mettre fin à tes souffrances! » Il lui fit son plus beau sourire avant de rigoler de bon cœur. Elle lui rendit son rire, elle dodelina de la tête et prit une voix moqueuse « Oh mais je n'en doute pas !» et lui chuchota « Vous serez le premier informé rassurez vous. » Ils se scrutèrent un instant en souriant, pas d'émotions fortes en vu, mise à part cette attirance, c'était bon signe. L'homme reprit donc ses explications. « J'ai un don, je peux voir et montrer le passé des gens, remonter jusqu'aux souvenirs les plus enfouis, autrement dit je peux forcer les portes blindées de ta mémoire. Tu pourrais ainsi constater par toi même si j'ai tort ou raison, alors bien entendu tu peux dire que c'est une tromperie, mais ton empathie naturelle pourra te certifier que ce que tu vois est vrai." Elle haussa les sourcils en souriant « Et pourquoi tu ferais ça ? Il prit son air le plus noble « Pour la gloire !" avant d'éclater de rire « Non je déconne ... Parce que j'ai raison et que t'as tort, question d'honneur je dirais.» Elle fronça les sourcils et scruta son visage, visiblement il ne mentait pas, en tout cas elle le sentait sincère. Elle soupira avant de lui donner son accord seulement il secoua la tête « Je dois te mettre en garde, je dois établir un contact avec toi, minime mais nécessaire...»
Elle fit une moue de déception, c'était trop beau pour être vrai... Elle jouait avec ses cheveux du bout des doigts, songeuse. Samuel lui avait dit qu'on obtenait rien sans rien, que les choses se méritent, mais l'attraction était telle avec cet être qu'elle avait peur de flancher. Elle entortilla une mèche autour de son index, prit une profonde inspiration et lorsque la boucle glissa du doigt, elle le pointa sur l'incube pour l'inviter. Elle ferma les yeux, sa voix était celle d'une enfant apeurée « Vas-y » Il rigola gentiment " Je ne vais pas te mettre au fer, ne fais pas cette tête !» Il lui attrapa une phalange et dans un premier temps le désir les submergea tout les deux. La première vague passée il se concentra pour pénétrer son esprit et jouer le rôle de récepteur, ainsi ils ne se sentaient plus, ils n'étaient plus l'un à côté de l'autre mais dans son passé. Ils naviguaient dans ses souvenirs à la troisième personne, sa vie était rythmée par la solitude, les sermons et la culpabilité, enfin c'est ce dont elle se souvenait. Plus ils remontaient le temps, plus elle découvrait des facettes d'elle insoupçonnée, la manière dont Samuel l'avait façonné, le jour où elle l'avait rencontré. Après l'avoir nourrit sa mère l'avait laissé gambader avant sa sieste, la petite batifolait dans une carcasse, mâchouillant des viscères, quand quelqu'un entra dans la grange. Calliste décida de rester cachée, l'homme ne voulait pas du bien à sa maman, il était mauvais. Subitement la douleur de sa maman l'envahit, puis plus rien ... Rien que cet homme qui l'attrapait bientôt... Samuel... Elle n'eut pas le temps de se poser de questions, les souvenirs continuaient à défiler en un flot confus d'émotions et d'images. Sa mère était loin de l'image qu'elle se faisait d'une succube, elle l'aimait et avait un comportement humain dans beaucoup de cas. Physiquement c'était tout autre chose, sa vie de démone l'avait déformé mais derrière ses traits diaboliques on devinait qu'autrefois elle était belle, d'ailleurs la ressemblance entre mère et fille était indéniable.
Le désir commençait à monter proportionnellement qu’elle revenait dans le monde réel, complètement chamboulée, les yeux hagards. Ce n’est que lorsqu’il atteignit un certain seuil qu’elle sortit de sa torpeur. L’incube fit mine de vouloir l’embrasser ce qui la paralysa, rapprochant sa bouche de la sienne pour murmurer d’une voix fanfaronne « J’avais raison !» Et d’apposer furtivement un baiser sur son front « Je tiendrais ma parole .» Avant de se relever bien vite. Elle ne bougea pas tout de suite, tremblante elle bafouilla « N… Non ! Seule m… Ma m… Mère est succube ! » Il commença à marcher en rigolant « Bah voyons … J’ai faim ! » Elle se releva en titubant gracieusement « Attends ! J’ai un tas de questions !! » Il accéléra la cadence de ses pas « Si je reste plus longtemps je ne pourrais pas tenir ma promesse, les questions, tu les poseras à ton sauveur ! » Elle tenta de le suivre mais il allait trop vite et elle ne tenait pas bien debout. Elle tomba à genoux, résignée, lui criant ces dernières paroles « Et si malgré tout j’ai besoin de tes services !?! » Il lui lança un regard, souriant à pleine dents « Qui sait, on se reverra peut être, je sais où tu habites maintenant ! » Et disparu au détour de la première rue.
Cette rencontre l'avait plus chamboulée qu'autre chose, un tas de questions se bousculaient dans sa tête. Elle allait devoir s'entretenir avec Samuel... Lorsqu'elle se sentirait prête tout du moins, pour l'heure elle craignait qu'il ne la consigne, ou pire, qu'ils ne retournent en forêt. Et puis e fallait pas agir sous le coup de l'émotion, elle était mauvaise conseillère, il était son mari malgré toutes ses cachotteries. Elle saurait, peut importe le temps que cela prendrait.