De la neige à perte de vue. Une neige qui recouvre tout, arbres, montagnes, villages... tout, jusqu'aux moindres nuances du paysage. Je trouve cela si... fade. En plus de me rappeler de mauvais souvenirs, cette étendue immaculée me donne une impression de pureté qui contraste avec la noirceur de mon âme, et cela me déplaît au plus haut point.

« Une impression de pureté qui contraste avec la noirceur de mon âme », vous m'en direz tant... il semble qu'aujourd'hui je sois d'humeur poète. Poète dépressive, certes, mais poète tout de même. Enfin, au sommet de la seule petite colline que j'ai pu dénicher, je n'apprends rien de plus que je ne sais déjà : les Glaces sont, comme leur nom l'indique, un continent gelé. C'est assez logique, mais cette uniformité commence à m'énerver autant que m'ennuyer. Cependant, si je traverse ce long courant d'eau qui sépare les deux continents de Terra Mystica, je parviendrais sûrement à trouver chaussure à mon pied, ou plutôt contrée à mon aise. L'idée m'a l'air en tout cas particulièrement savoureuse, assez pour que je prenne pendant plusieurs minutes le temps de la savourer. Peut-être rencontrerai-je d'autres Adorateurs de Nayris comme moi, et même si ce n'est pas le cas, je découvrirais toutes ces cités dont on vante les mérites, surprenantes, sublimes et splendides d'après les légendes.

Mais une idée, aussi belle soit-elle, n'est rien face à la dure réalité. Avec un soupir, je détourne le regard de ce morne et blanc paysage et entreprend la descente de la colline. Je manque de tomber plusieurs fois mais, fait étonnant, je ne me casse rien ni ne me fait mal. La chance serait-elle de mon côté aujourd'hui ?

Je marche. Comme d'habitude. Je n'ai aucune idée de la direction que j'ai prise. Comme d'habitude. Je m'ennuie. Comme d'habitude. Bon, à ce rythme là, on en a pour un moment.

C'est alors que j'aperçois une autre colline, un peu plus haute que la précédente. Espoir utopique, puis-je espérer, du haut de celle-ci, y voir autre chose que de la neige ? L'espoir m'a quitté depuis longtemps en réalité, mais je n'ai rien d'autre à faire, et ça ne coûte rien d'essayer. Va pour la colline. J'escalade donc l'un des versants, ce qui est au demeurant relativement facile. J'aime bien l'escalade pourtant. Cela me détend.

Au faîte de la colline, je constate, à ma grande surprise croyez-le bien, que le paysage n'a pas changé d'un pouce depuis tout à l'heure. Fantastique. Il y a juste quelques petits points noirs là-bas, qui grossissent à vue d’œil et s'avancent dans ma direction. Une bande de voyageurs égarés, sans doute... Je m'apprête à descendre et amorce un premier pas en ce sens quand la neige, cette maudite neige, cède sous mon poids et me précipite dans une chute mouvementée qui m'entraîne jusqu'à mon point de départ.

Je n'ai pas eu le temps de crier, ni même de me transformer. Me voilà, en piteux état, le postérieur en l'air et la tête dans une congère. Je baisse le bas de mon corps et relève le haut en crachant et toussant de la neige. Quelle saleté ! J'entends alors des bruits de voix et de pas qui m'informent que la bande de voyageurs que j'ai aperçue était plus proche que ce que je croyais. Il ne manquait plus que ça...

En avant, pas d'arrêt jusqu'à Miraclion!
Les étendards chatoyants de la Cour des Miracles se relevèrent au son des vivats de la population du village. Pour la première fois il avait testé l'attaque-sauvetage, une parodie d'attaque de brigands permettant l'entrée en scène triomphante de Kerns et de la troupe, venant sauver les infortunés villageois.

Il semblerait que le public villageois ait plutôt apprécié... Un sourire hautain aux lèvres, Kerns lança son cheval en direction de la Toudnra, suivi de ses fidèles.

Tel était le grand retour du Kerns en terre Silenaste. il avait attendu dans l'ombre pendant des années, il avait accepté de voir son trône occupé non seulement par sa fourbe cousine puis par une usurpatrice sans aucun nom.

Mais maintenant les choses avaient changé.. Les armées des Glaces s'étaient rassemblés à Selian afin de préparer l'attaque finale sur les hordes démoniaques d'Aile Tenebreuse. Ils avaient hissé la bannière rebelle et suivant Galaad et son cristal ridicule s'apprêtaient à livrer le plus grand combat de leur temps.

L'Orage ne pouvait qu'espérer que les armées coalisées soient écrasées par la puissance démoniaque d'Azrael. Car alors tout aurait changé..

Mais si il perdait.. Alors les yeux des souverains se pointeraient à nouveau dans leur dos, désireux d'exterminer définitivement la sombre menace qui les observait depuis les étendues gelées.

Et l'Orage avait tout intérêt à avoir les soutiens nécessaires à sa survie, peu importe le cas de figure.

Soudain, Kerns aperçut au loin une forme isolée. Celle-ci, à l'approche de la compagnie, sembla étrangement se jeter dans la neige.

Kerns était méfiant au possible. C'était sa première excursion en Silena depuis son amère défaite devant Luutra et il était resté assez parano.

Était-ce un espion , une guetteuse? Il ne pouvait laisser de place au doute. Il donna donc un puissant coup d’éperons et s'élança vers le mystérieux individu.

Qui n'était autre qu'une femme... Elle ne portait pas les couleurs d'une quelconque armée et Kerns en fut quelque peu rassuré. Néanmoins, la laisser ainsi après s'être autant approché aurait été extrêmement inconvenant.

Le Roi des Rois mit donc pied à terre et s'approcha d'un pas vif, lance au clair, on ne sait jamais. Il dit alors

Ola Dame! Bien vilaine chute que vous avez fait là! Tout va bien?

L'homme qui se tient devant moi possède un visage à la beauté surprenante, ce genre de beauté que ne peut atteindre le commun des mortels et qui sera toujours inaccessible, peu importe les efforts que l'on fait pour l'atteindre. Beauté glaciale et surnaturelle. Un incube peut-être ?

L'apparence négligée de cet inconnu n'enlève rien à son charisme et à sa prestance, signifiant qu'il est plus qu'un citoyen lamba, bien plus. Dans ses yeux bleus acier, on peut distinguer une pointe de mépris et de supériorité, et ses cheveux encadrant son visage font ressortir la pâleur de sa peau. Cela faisait depuis longtemps que je n'avais pu contempler une personne aussi sublime.

– Ola Dame ! Bien vilaine chute que vous avez fait là ! Tout va bien ?

De la compassion. Non, pire, de la pitié. Non, pire encore, de la condescendance. Me prend-il pour une demoiselle en détresse ? Je m'en vais lui expliquer de ce pas que c'est loin d'être le cas, et que je n'ai nul besoin d'aide.

Je me relève d'un bond et essuie rapidement la neige qui s'est glissée sur mes vêtements.

– Oui, tout va bien, ne vous inquiétez pas pour moi, je réponds avec un sourire.

Mon regard s'attarde sur les soldats qui entourent ce si bel homme. Sur les nombreux étendards qui se dressent fièrement, je distingue un blason qui me rappelle vaguement quelque chose. Je ne m'étais donc pas trompée, cet homme se démarque du commun des mortels. Non seulement tout en lui clame qu'il est de descendance noble, mais il a également une armée entière à son service. Suis-je obligée de préciser que devant tous ces combattants en armure qui me toisent du haut de leur monture, je ne peux m'empêcher de me sentir légèrement mal à l'aise ?

– A qui ai-je l'honneur ? je demande en le regardant dans les yeux.

Ce n'est pas que ça m'intéresse mais je veux simplement savoir à qui j'ai affaire. Est-ce un ami ou un ennemi ? La dernière hypothèse est la plus probable, reste à l'écouter pour savoir s'il infirmera ou confirmera mon raisonnement. Et à voir son attitude arrogante, je suis presque certaine qu'il me révélera son identité sans aucune hésitation.

Tout en continuant à plonger mon regard dans le sien, je mets mes autres sens à l'écoute et essaie de déterminer dans quel pétrin je me suis fourrée. Ses soldats nous entourent, et seule la colline derrière moi peut m'offrir une porte de sortie, ainsi que la voie des airs si je me métamorphose en oiseau quelconque. La situation est loin d'être désespérée pour l'instant. Dans tous les cas, ce n'est pas dans mon habitude de fuir. Si c'est un rebelle ou un partisan d'Aile Ténébreuse, je tenterai un duel, et s'il décide, en lâche, d'utiliser ses hommes comme bouclier, je m'en irais. Rien de plus simple.

Rien de plus simple en effet, cependant, l'expérience m'a appris qu'une situation est généralement plus compliquée qu'il n'y paraît. Que me réserve cette fois-ci les sournois entrelacs du destin ?