Bon - Pacifique - Sage - Cultivé - Patient - Parfois bourru - Obstiné - Intransigeant.
Les premières pensées des garçons de Cardrak vont à leurs mères, avant qu'ils n'embarquent pour leur premier voyage. On les voit disparaître dans la brume du port, leurs embarcations bousculées par les flots moqueurs et avides. La mer riait de leur manque d'expérience ; certains sur ces cercueils de bois l'appréhendaient pour leur première fois, et autant dire qu'une terreur sans nom envahissait leurs frêles corps alors que le crachin et l'écume glaçaient leurs os. Debout parmi eux, une tête dépassant du lot, Harald remontait ses yeux vers les hauteurs de la forteresse, son père portait surement un œil sur leur rafiot. Etre le fils du roi ne le désengageait pas des épreuves de l'éducation de Cardrak, au contraire. Plus qu'aucun ici, il y était préparé, car un futur roi devait être fort pour mener ses hommes.
Le silence glaciale était accompagné des ronflements de l'océan, et seul l'ordre du maître perça l'opacité totale dans laquelle évoluaient les éprouvés. Tous savaient qu'il s'agissait là d'un passage obligatoire, d'une traversée qui enclencherait leur transformation, qui ferait d'eux les futurs défenseurs de leur pays. Mais, pour la plupart, ils ne pouvaient s'empêcher de fermer les paupières avec toute la force qui leur restait, incapables d'affronter les morsures de l'océan avec la même dignité que leurs pères. Si jeunes, et ils pouvaient déjà entendre le râlement insatisfait de la mort, conscients de l'histoire de ces océans, et des esprits qui hantaient ses abysses.
Lorsque leur bateau quitta les côtes, avec pour unique horizon leurs peurs et les spectres qu'elles faisaient naître dans le brouillard, ils se mirent à ramer. Leurs mains glacées serraient avec la force de leur tout jeune courage les rames de bois, et seule la mélodie de leurs souffles accompagnait le crissement de la coque. Harald acceptait la douleur, et cherchait l'effort, car si ses voisins de fortune rencontraient pour la première fois les eaux noires et inhospitalières, ce n'était pas son cas. Bien sûr, il n'était pas le seul à avoir une certaine expérience, d'autres ramaient comme deux, mais il se rappelait des mots de son père. « A Cardrak, on reconnait le fort, et on oublie le faible » était un phrase qui revenait souvent dans la bouche de son paternel et souverain. Ainsi, il fallait qu'il soit le fort.
La petite île apparut après une heure, obscure et menaçante. Personne sur l'embarcation ne désirait y accoster et pourtant, il le fallait. En jetant un regard derrière lui, Harald put se rendre compte que leur bateau était en tête, et de loin. Les efforts des garçons de son bord leur assurait la gloire du premier pas sur la terre. La peur le galvanisait, le poussait à donner tout ce qu'il avait. Lorsque la rocaille racla le bois de la coque, les premiers rameurs se jetèrent au dehors, l'eau pétrifiante jusqu'à la taille, et tirèrent vers la terre. Assez vite, ils furent accostés, et assez tôt pour admirer avec effroi les vagues naissantes et furieuses de la mer lointaine. Les retardataires, les faibles, allaient regretter leur retard, car plusieurs des derniers arrivants durent faire face à la colère de l'océan, et, inévitablement, leurs embarcations se déchirèrent sous la puissance de la houle. Certains évoquaient les dieux en pareille situation, ainsi Harald et ses compagnons pouvaient se considérer bénis. Trempés mais vivants, ils assistaient en toute impuissance à la mort de ceux dont on ne se souviendrait pas.
~ ~ ~
Le souvenir de ses débuts ne fit pas naître un sourire sur le visage d'Harald. Agé de ses dix-huit ans, et déjà aussi fort que la plupart des hommes du navire dont il était capitaine, ses lèvres salées n'exprimèrent qu'un léger pincement, une moue qu'il ne fallait pas confondre avec du chagrin, mais du regret. Les garçons de cette journée d'incitation à la rudesse de la mer n'avaient pas été les seuls à disparaître, emportés par les bras dévastateurs de l'océan. Le futur roi ne comptait plus le nombre des siens engloutis sous ses yeux, ou tués par la brutalité des combats qu'ils finissaient malgré tout par gagner. Si mourir dans l'océan n'était pas une mauvaise fin en soi, se faire tuer par un pirate n'était pas la plus belle qu'on puisse imaginer. La fierté des Salinéens leur valait de détester ces prétendus fils d'Azuria, une déesse qui les soutenait dans leur sordides actions, puisse-t-elle se faire emporter par ses propres eaux. Harald n'obéissait qu'aux principes de son peuple, à son bien, et aux caprices des Glaces. Ceux des autres mers que la sienne ne pouvaient pas comprendre le lien qui unissait les fils de Cardrak aux flots glaciaux, il fallait avoir vécu les épreuves qu'on leur faisait endurer pour ne saisir qu'une once de cette âme. Tous les futurs guerriers de l'empire des Glaces se souvenaient de ce jour où ils avaient embarqués sur les radeaux, et empoigné les rames. Il restait gravé à jamais dans leur mémoire et à chaque regard qu'ils portaient sur l'horizon, ils se rappelaient des vagues immenses, de l'écume furieuse qui avait dévoré les silhouettes de quelques camarades qu'ils avaient peut-être croisés des heures précédant le départ.
« La mer est calme aujourd'hui, les canons feront mouche ! annonça l'un des marins, posté derrière lui alors qu'il fixait au bastingage la gorge de l'engin. »
Harald n'aimait pas tuer. Depuis toujours, il rejetait la violence pourtant inhérente à son peuple, mais ses obligations, et les actes d'êtres tels que les pirates, le poussaient à se servir de cette force incroyable dont il faisait preuve. On ne le lançait plus sur un bras de fer, c'était peine perdue. Déjà, on reconnaissait en lui son père, même si ce dernier n'avait pas ce rejet pour la violence, au contraire. Tous savaient qu'Harald avait été éduqué de la même manière que tous les guerriers de Cardrak, et plus durement encore à ce que l'on disait. Il suffisait de se taire et d'observer sa façon de porter ses yeux sur l'océan pour comprendre que les enseignements du Roi l'avaient forgé pour qu'il soit capable de remplir son rôle.
« Larguez les amarres ! »
Les hommes s'exécutèrent, faisant jouer cordes et voiles, et ramant puisque le vent semblait absent en cette matinée. Il était rare de faire face à un horizon aussi dégagé et rosé que celui qu'ils rejoignaient, ainsi ils avaient confiance, même si une tempête ne suffisait pas à les décourager d'ordinaire. Le spectacle des dix navires l'accompagnant, voguant à ses côtés entre les icebergs d'une mer placide, était plaisant. Mais il était certain que cette satisfaction d'un temps clément prendrait fin bien vite pour laisser place à l'intensité du combat. Onze navires de Cardrak, avec pour meneur Harald Wallah, jeune héritier du trône, contre une floppée de misérables meurtriers et pillards. Ce ne serait pas avec le plaisir de tuer qu'Harald lèverait sa hache, mais avec la satisfaction d'accomplir son devoir, de punir les crimes de ces hommes, et de sécuriser les mers des Glaces.
La réunion des meurtriers de la mer se déroulait aux alentours des côtes éloignées du royaume, là où les pirates pensaient attirer le moins possible l'attention des guerriers de Cardrak. Mais il ne fallait pas compter sur ces dernier pour laisser passer l'occasion de planter leurs haches dans la chair de ces pilleurs. Les bateaux étaient ancrés, et à l'agitation que provoqua l'arrivée des navires Salinéens, tous devinèrent qu'ils n'étaient pas attendus. Quelques-uns rirent de voir s'agiter les enfants d'Azuria alors que le vent se levait, gonflant leurs voiles pour les rapprocher de leurs ennemis. Harald fixait ces hommes qui meurtrissaient son peuple sans aucune vergogne. Il avait beau ne pas aimer user de sa force, de tels êtres ne pouvaient que mériter ce qu'il leur préparait. Sentant monter en lui la colère, il ordonna un rapprochement suivi d'une volée, suite à quoi ils aborderaient ; il fallait que l'action soit totale, qu'ils ne laissent pas le temps à ces flibustiers de s'échapper.
Les canons rugirent, frappant les coques de boulets redoutables, trouant les voiles, et arrachant les hommes du bord. On prépara les grappins et les balistes, et bientôt, la flotte fondit sur sa cible, à grand renfort de cris et de coup de rames énergiques. A cette époque, le rechargement des canons se faisait plus lentement qu'aujourd'hui, et les Salinéens favorisaient donc un abordage après les premières salves. Le sang coulait alors sur le pont comme l'écume les jours de houle, et c'est dans la furie d'un combat acharné qu'Harald asseyait son autorité de futur roi de Saline. On reconnaissait la force, et sa hache était de loin la plus meurtrière en cette journée ; elle fendait les airs, le jeune guerrier la soulevant comme s'il eut soulevé un pied de chaise. Son visage ne portait pas le rictus enragé des satisfaits, ses sourcils s'étaient froncés, ses yeux voyaient au delà de la chair qu'il tranchait. Si certains comblaient leurs instincts grâce au fer qu'ils maniaient, Harald accomplissait son devoir, et savoir son peuple libre et sauf était une satisfaction bien plus grande que tous les régals de l'existence. Au final, ils achevèrent le dernier des pirates sans aucune pitié pour son impuissance, comme un boucher aurait saigné sa brebis. Ils portèrent leurs yeux vers l'horizon agité, et après un sabordage qui impliquait la disparition des navires criminels dans les eaux noires des Glaces ainsi qu'un regroupement des corps de leurs frères, ils s'en retournèrent chez eux.
~ ~ ~
Approchant de cet âge qui le définissait aux yeux de son père comme un homme, Harald bénéficia alors de l'attention de ce dernier dans l'apprentissage de la politique. Bien sûr, même si l'enseignement du Salinéens avait été principalement militaire, le roi avait toujours complété les leçons qu'il tirait d'une dose de politique, et de géographie. Un roi se devait de tout connaître du monde dans lequel prospérait son peuple, et il était primordiale d'étendre ses connaissances au-delà des mers et des glaces, car il existait des terres qui nourrissaient des espoirs de conquêtes, on ne savait jamais. Ainsi, en plus d'être un guerrier craint malgré son jeune âge, Harald possédait une culture et une science des relations diplomatiques notables, agrémentées d'un esprit pacifique mais pas naïf. Ce dernier point, s'il avait inquiété son père aux premiers abords, l'avait ensuite conforté ; Harald ne désirait pas la guerre, mais il ne la craignait pas. Il semblait être doté d'un calme stupéfiant face aux obstacles, un sang-froid digne d'un fils des Glaces en somme, mais qui surprenait toujours davantage son paternel, plus réputé pour son caractère intraitable et vindicatif.
Jusqu'ici, le jeune homme ne s'était jamais intéressé plus que cela aux filles. Il les regardait passer, toutes conservaient en tête l'idée qu'il faisait un parti idéal, chose qui le rebutait. Mais celle qui vola son cœur tomba sur lui de la plus inattendue des manières. Une matinée de printemps, son père lui avait demandé de s'occuper d'un noble très influent arrivé de Selian et qui comptait investir dans la construction d'un dizaine de nouveaux navires de pêche. C'était l'occasion de se familiariser avec la politique, lui avait-il dit. En arrivant sur les quais, il accueillit l'homme, et sa fille.
Elle s'appelait Agnès. Elle s'était distinguée des autres, faisant jouer sa chevelure de jais. Ses pupilles étaient deux maelstrom à son attention, le captivant de leur intensité, brillantes mais ténébreuses à la fois. Son teint, d'une blancheur ravissante, contrastait avec cette noirceur et sa robe, de velours et aux reflets bleutés. Elle avait rappelé au prince les émotions qu'avaient pu faire naitre chez lui la mer ; l'effarement, l'émerveillement. Cela parait trop gros, propre à ces histoire qu'on réserve pour les jeunes filles, mais ce fut ainsi et pas autrement. La tranquillité d'Harald s'était dérobée pour laisser place à des hésitations, et une attention toute particulière pour Agnès. Le temps de son séjour, ils se donnèrent rendez-vous aux heures les plus propices, celles qui leur laissaient savourer le temps et cet amour réciproque qu'ils cultivaient avec passion. Harald semblait flotter, loin de la brutalité de la mer, hors du temps, échappant aux règles qu'il connaissait pourtant si bien. Mais quelques semaines plus tard, Agnès dut partir. Harald la vit s'éloigner du rivage avec un mélange confus de sentiments qu'il avait jusqu'ici ignorés. Il la reverrait, c'était certain, mais il ignorait quand.
Au fur et à mesure des années, autant passées sur mer que sur terre, Harald devint un successeur digne de ce nom, son amour de jeunesse enterré. Sa stature impressionnante l'avait fait surgir de l'ombre de son père, aussi surement que ses actions lors des campagnes militaires avait faites résonner son nom sur les flots et les landes gelées de leur pays. Les jours de tempête son regard d'acier transperçait les vagues immenses, dessinant un horizon que chaque homme du bord pouvait déjà apercevoir. A vingt-cinq ans à peine, il inspirait une sagesse héritée de ses ancêtres, et personne n'imaginait la défaite aux côtés du Fort, comme on commençait à l'appeler. Ce tableau impressionnant qu'on commençait à peindre du guerrier-roi ne fut jamais plus fort que le jour où son père s'éteignit.
C'était un 8 de Mélina. Jamais les profondeurs de l'océan n'avaient semblées autant vouloir briser le calme des terres. Le ciel déchainait sa fureur, faisant s'abattre la foudre sur quiconque attisait son rage. On était en pleine mer, dans les eaux plus inhabituelles de l'océan Noir, bien plus loin que d'ordinaire. A cette époque, Harald ne s'était pas souvenu avoir connu eau plus chaude que celle-ci, ni pluie si rafraichissante. Les vagues dévorantes des flots, balançant leurs navires comme pour les écraser les uns aux autres, ne l'avaient pas perturbé, mais encouragé. Au loin, quand la hauteur des eaux leur permettait, ils, la flotte de son père et lui, pouvaient apercevoir les pavillons de leurs ennemis ; la plus grande flotte pirate qu'ait jamais vu Harald. Même à ce moment précis, il était resté calme, mais il ne pouvait nier qu'une certaine excitation s'était emprise de lui, et surtout de ses hommes. Il n'aimait pas la guerre, il l'avait toujours dit, mais cette réunion des êtres les plus violents des océans dans un tel cadre était une ode à cette dernière.
Les premiers échanges furent un concert de bruits sourds, les canons, orchestrés par le tonnerre. Les boulets stridents coupaient la lourde pluie qui battait leurs épaules, et trouaient leurs voiles. Il arrivait que le bastingage se dérobe et qu'un homme soit arraché du bord pour sombrer dans les eaux sombres et tumultueuses, une petite partie de chacun priait alors pour son âme. Enfin, quand les nuées agitées de pirates furent à leur portée, les premiers grapins fendirent les airs pour accrocher cordages et ponts, dans un maelstrom de rage et de cris. Les dizaines de navires s'entrechoquèrent, la rencontre de leurs pesantes coques semblables à une brindille craquant dans une tempête. Tout n'était que déchaînement, le temps et les hommes œuvraient à la destruction à cet instant ; Harald était lui-même l'incarnation de ce qu'il y avait de plus brutal en lui. Débarquant sur le pont ennemi, sa silhouette gigantesque écrasa les rangs des meurtriers amassés, l'ombre de sa hache, parfois trahie par un bref éclair, frappait le tas de chair dans la plus grande indifférence. Il y avait toutefois quelques-uns qui tentaient l'usage de quelconque magie à son encontre, mais il avait tôt fait d'étouffer leurs sortilèges en un mouvement de bras rapide. Le fer dominait, et le sang.
Serrant les rangs et avançant dans les bâtiments ennemis, les Salinéens perçaient les défenses croulantes de la piraterie. Toute cette bataille aurait pu s'achever en une victoire cinglante, mais une lueur naissante brisa son obscurité, déjà parsemée par quelques éclairs et les bouches étincelantes des canons de tous horizons. Un feu grandissait à l'arrière, un balais de flammes ardentes que les eaux agitées ainsi que la pluie battante n'arrivaient pas à éteindre. Était-ce l'œuvre d'un sort ? Ou une réserve de poudre venait d'être touchée ? Personne n'avait le temps ni le besoin de répondre à cette question, car les conséquences importaient alors plus que les causes. L'arrière de la flotte prenait feu, les flammes évoluant par le biais des larges voiles qui se frôlaient. Harald, en même temps qu'il éteignait des vies, pouvait contempler le désastre, l'horreur de ses hommes pris dans le piège insoupçonné de cette chaleur dévorante, sortie tout droit d'un cauchemar, naît de la violence des sentiments de leurs ennemis. Mais plus que tout, alors que la mer prenait feu, ce fut la vision de son père, le Roi Wallah, bataillant avec tout la force de son expérience, qui retint son attention. La masse de ce dernier brisait les crânes à tout va, son épée tranchait la chair de ses ennemis, mais le brasier grandissait. Et bientôt, trop vite pour qu'Harald puisse y faire quelque chose, les flammes gagnèrent les réserves du navire royal où combattait son père, à l'arrière de la flotte. Il explosa, éclairant les cieux d'un halo orangé, disparaissant en une fumée noire alors que le cor Salinéen hurlait la mort du Roi, faisant naître dans le cœur de ses guerriers peine et haine.
Ceux d'un autre peuple vous diraient qu'il est impossible que le fils du Roi n'ait pas alors défailli, qu'aucune peine ne l'ait atteint, ou même que ses hommes n'aient pas été affectés par cette mort soudaine. Mais il n'en était rien. Harald Jérone Wallah, désormais roi de Saline, s'était redressé aussitôt que les cendres rougeoyantes avaient touchées la surface de l'eau, contemplant les marées véhémentes de la piraterie avec dureté. Son regard sage et glacial s'était porté sur ses ennemis, un prélude à une nouvelle tempête qui frappa par la suite les meurtriers de l'Océan Noir, si violemment que les vétérans de cette bataille se souviennent encore de cette ombre gigantesque, se mouvant dans les rangs ennemis avec une aisance meurtrière, une facilité insaisissable. Encouragés par la grandeur de leur nouveau roi, les fils de Cardrak firent pleuvoir sur leurs adversaires de toujours des coups vengeurs et justiciers d'une douleur nouvelle.
Le renom d'Harald gagna les Glaces. La main de fer de son père était tombée, et avait laissée place à une autre, plus protectrice, qu'il incarnait. Le nom des Wallah perdurait, mais le portrait était différent. Certains regrettaient la philosophie de son père, on lui reprochait son dédain pour la guerre, mais au bout de quelques années, les plaintes s'étouffèrent. Harald était soutenu par les guerriers qui avaient combattu à ses côtés, il était légitime et aimé, et craint de ses ennemis, ce qui était le plus important à Cardrak. A trente ans, il incarnant tout l'espoir qu'avait fondé en lui son père.
Agnès réapparut alors. Etrangement, ce fut elle qui avait repris l'affaire de son père, qui, lui, étendait son empire commercial à d'autres pays, même si on aurait préféré qu'il se restreigne aux Glaces. La jeune femme avait gagné en beauté, en charme, et en intelligence. Ses mots, autrefois timides, trouvaient alors leur juste place, comme chantés. Inutile de dire qu'on oublia bien vite l'aspect économique de sa visite. Harald, profitant de cette période paix, accueillit bien plus chaleureusement qu'aucune autre cette invitée et, très vite, les deux renouvelèrent ce lien qu'ils avaient rompu des années auparavant.
Elle lui donna un fils, Alrik, qui grandit selon les mêmes principes que son père. Harald lui prodigua les enseignements d'un prince, avec la même dureté, et la même justesse. Agnès, en devenant reine, avait accepté cette marche à suivre, mais le roi ne pouvait manquer de temps en temps d'apercevoir dans son regard un soupçon de peine ; elle connaissait l'épreuve que lui ferait affronter son père, à lui et aux autres futurs guerriers de Cardrak.
Alrik, à dix ans, ne partageait pas les mêmes traits que son père. Il était plus chétif, brun, mais incontestablement attiré par les exploits du roi. Le jeune prince tirait une grande fierté des actions de son père, de son rang, et de sa destinée. D'autant plus que les temps actuels étaient bercés par l'apparition d'un démon, une horreur qui menaçait leur monde. Quelques mois auparavant, lors d'une bataille terrestre, un œil avait déchiré les cieux, captivant l'attention de tout ses combattants. C'était notamment à cette époque que Bjørn Jansson lui sauva sa vie, et qu'il en fit son bras droit. Plus que jamais, Alrik avait ressenti le besoin d'être fort, et son avidité pour les enseignements militaires avait été notable. Si le don d'Harald pour la violence était inné, celui de son fils était enseigné ; son père avait pris grand soin de lui fournir les leçons des meilleurs épéistes de l'empire, tout en ne négligeant pas les parties plus culturelles de son enseignement. Ainsi, le Roi en vint à faire la rencontre d'Albar Tlassin qui éduqua son fils aux ruses de l'escrime. Le maître d'armes et le Roi, s'ils entretinrent des rapports avant tout professionnels, s'apprécièrent au fil des années, notamment après qu'Albard devienne garde du corps d'Issendra, puis Maréchal, bien plus tard.
Le prince réussit son épreuve. Par la suite, il suivit le même parcours que son père, remplaçant peu à peu ce dernier dans certaines tâches. S'ils n'avaient que faire d'Aile Ténébreuse et de ses démons, les évènements qui suivirent et connus de tous aujourd'hui remirent en cause leur intégrité, et donc leurs impératifs. Harald ne désirait pas cette guerre, mais après avoir combattu les nuées sombres de leurs ennemis, il dû faire face à l'évidence qu'il ne pouvait laisser Selian combattre seul. Depuis la trahison de Selina, l'impératrice ne pouvait compter que sur son soutien, et il lui avait prouvé que Cardrak répondrait présente.
Harald ne partait pas en guerre avec la même hâte que son fils ; ce dernier, fort de ses batailles passées, ne cherchait que l'affrontement avec le démon et ses partisans. Le Roi se souvenait des paroles de son père, alors qu'il fixait l'horizon, les frontières de son pays. On se souviendrait du fort, et on oublierait le faible. En ces heures noires de l'histoire des Glaces, ils devaient être les forts, ils devaient vaincre l'obscurité du démon, être la lumière, taire le nom de l'abomination dans l'oubli, que sa silhouette néfaste ne soit plus que le fantôme de ceux qui veulent bien la craindre.
- Citation :
- Raconte en détail la réaction d'Harald face à l'annonce de l'entrée en guerre officielle des Glaces.