- Vraiment, Alyna, vous devriez aller le voir.

Elle répondit alors à sa demande de chasse, et il écouta attentivement ses explications, s’attardant sur l’empreinte qu’elle avait dessinée sur le sol. Certains auraient pût être vexé d’être considéré si mauvais chasseurs qu’on leur proposait une espèce de poule en guise de gibier, mais Donovan ne s’en formalisa pas. Ca lui irait très bien, pour commencer. Et le défi de pister un animal, lui qui était si mauvais à ça, suscitait un grand intérêt pour lui.

- Empreinte, et cri de volaille, compris !, s’exclama t-il.

Et c’est avec l’enthousiasme d’un enfant de dix ans qui découvre un nouveau jeu qu’il se précipita farfouiller dans les buissons environnants. L’idée qu’un grand tétras n’était peut-être pas passé par là depuis plusieurs années ne lui effleura même pas l’esprit.

Il fouina ainsi durant une dizaine de minutes. Il se figea alors soudainement et poussa un « Ha ! » d’exclamation. Il avait trouvé quelque chose, une trace dans la terre, et il se tourna alors vers Alyna, un immense sourire aux lèvres.

- J’ai une empreinte, j’ai une empreinte !

Il se rua sur celle qu’avait tracée la lycan dans la terre… et son visage prit une mine de déception profonde.

- C’est pas la même, maugréa-t-il.

Son regard se posa alors sur le cadavre de l’ours, un petit peu plus loin, et il fit un sourire penaud.

- Mais je crois que j’ai retrouvé l’empreinte de notre ami l’ours. C’est un début, non ?

Il passa une main dans ses cheveux et se remit à chercher.

- Et une fois que j’ai trouvé sa piste, comment procède t-on ? Un piège, encore ? Ou il faudra nous approcher discrètement ? Ca a bon flair, ces bestioles-là ?

Son visage prit soudain une expression de surprise et il pointa le sol du doigt.

- Tenez ! Là ! C’est ça n’est-ce pas ? C’est la patte d’un tétras, non ?

Spoiler:

Alyna bougea avec aisance, s’avançant vers la branche, puis se baissant tout en continuant son chemin. Elle avait eu un mouvement fluide, comme si elle se déplaçait en accord avec la nature. Donovan comprit alors qu’elle faisait partie du tableau. Peut-être son côté animal qui ressortais… Ou alors, ses talents de chasseresse, tout simplement. Quoiqu’il en soit, elle avait l’air parfaitement à sa place dans cet endroit. Pas lui.

Il s’avança vers la branche d’un pas décidé, se baissa pour éviter la branche… et y resta accroché. Un juron s’échappa de sa bouche, et il regarda Alyna d’un air désolé.

- Excusez-moi pour heu… ma grossièreté occasionnelle.

Depuis qu’elle lui avait donné ce conseil, à l’Adhès, de porter son carquois à la hache, Donovan avait pris l’habitude de l’y placer à cet endroit. En revanche, son épée, dont le pommeau et les quillons étaient présentement accrochés à la branche, était toujours sanglée dans son dos. Ne pouvant se retourner, il passa en force. Un crac retentit ; il craignit d’avoir entendu la sangle en cuir lâcher, mais ce n’était que la partie de la branche que l’avait retenu prisonnier.

- Pas encore ça, hein ? , lança-t-il à la lycan.

Il prit une grande inspiration et examina le terrain devant lui. Il allait avoir du travail…La piste avait tendance à disparaitre de çà et là sous les touffes d’herbes et dans les buissons, un peu plus loin. De là où il était, il pouvait voir quelques empreintes aller contourner un arbre.

- Vous me dîtes, si je fais quelque chose de mauvais.

Il poussa un bref soupir et se mit en marche. Son premier obstacle fut une autre branche, qui lui arrivait au niveau du cou. Il se baissa plus que nécessaire, évitant ainsi que ne se répète sa précédente expérience, et parvint à passer sans difficulté. Il eut un petit sourire ; il avait réussi à passer sans s’arrêter, et même s’il se doutait bien que son mouvement n’avait pas été aussi élégant que celui d’Alyna, c’était un bon début.

-Vous devriez considérer votre…ami… comme une proie. Une proie vers laquelle il vous faudra avancer, en franchissant les obstacles. Qu’il devienne un but, non pas une fatalité.

Il se retrouva face à un buisson- et il avait perdu la piste. Il s’accroupit et tâtonna le sol, jusqu’à sentir un creux dans la terre. Il écarta une touffe d’herbe et y vit les traces laissées par la volaille. Celles-ci s’enfonçaient dans le buisson, et semblaient ressortir de l’autre côté. Il eut en tête, le temps de quelques secondes, de se mettre à ramper pour suivre la piste avant de se raviser.

Il contourna donc l’obstacle et reprit la piste. Il la suivit pendant plusieurs minutes, perdant la notion du temps et restant silencieux, son esprit entièrement consacré à la tâche que la lycan lui avait assigné. Et… alors qu’il commençait à s’impatienter sérieusement, il entendit un petit cri de volaille. Il se redressa alors vivement, et se tourna vers Alyna.

- C’est ça ?, murmura-t-il.

Donovan hocha la tête en écoutant d’une oreille distraite les instructions d’Alyna. Ne pas lâcher sa proie des yeux, faire attention à tout ce qui l’environnait, se déplacer silencieusement, profiter que les feuilles bougent… Cela faisait beaucoup de choses à faire en même temps, et vu sa capacité de concentration limitée, c’était un sacré exercice pour lui. Mais la présence de la lycan, derrière lui, l’encourageait. Aussi prit-il une profonde et silencieuse inspiration en scrutant la forêt autour de lui.

S’en remettre à sa seule ouïe n’était pas chose aisée, mais il ferma les yeux un instant, et, au bout de quelques secondes, il eut une direction approximative. Pratiquement tout droit, légèrement à gauche. Il plissa les yeux, cherchant à trouver sa proie, mais il ne vit rien. Il regarda un instant le sol à ses pieds – des feuilles et de la terre, ainsi que des brindilles, principalement-, et examina le mouvement que le vent faisait faire aux feuilles. C’était comme si… comme si la forêt respirait.

Il avança dans le rythme de cette respiration, profitant du mouvement des feuillages qui s’écartaient presque naturellement de son passage ; ou du moins, ce fut l’impression qu’il en avait. Il parvint à faire quelques mètres sans s’accrocher nulle part, sans faire bruisser les feuilles. En revanche, les brindilles, elles, ne s’écartaient aucunement de sa route, et il dut en écraser quelques-unes avant de prendre le coup.

Par chance, le Grand Tétras continua à pousser ses piaillements, ce qui laissait penser à Donovan qu’il n’était pas encore repéré. Quelques mètres plus loin, et sa marche silencieuse devenait plus aisée ; tout son esprit était concentré sur cette tâche. Il avait l’habitude des marches forcées et bruyantes, et il en tant que soldat, il n’avait jamais eu à se déplacer en silence : un homme en armure ne se déplace pas sans bruit. Certes, parfois une mission nécessitait qu’un groupe se déplace discrètement, mais dans ce cas on se passait volontiers de ses services.

Le cri s’interrompit soudainement, et Donovan s’arrêta net. Dans sa prudence, il n’avait pas prêté attention au fait que le piaillement se rapprochait de plus en plus. Le Grand Tetras ne devait plus être très loin, maintenant, et il scruta la forêt attentivement. A travers les trous dans le branchage d’un buisson, à une vingtaine de mètres de là, il crût voir bouger quelque chose fait de plumes. Ses lèvres formulèrent un juron inaudible. Il n’avait pas pensé à sa position- et ça, même pour un soldat, c’était stupide. Il se retrouvait complètement à découvert, incapable de bouger de peur que sa proie ne se rende définitivement compte de sa présence et ne fuit. Il jeta un regard autour de lui. Il était près d’un petit arbre qui étendait ses branches, comme s’il voulait l’attraper. Etrangeté de la nature mise à part, il vit qu’il était surtout pratiquement empêtré dans les branches du dit arbre, et que sortir une flèche dans ses conditions ferait remuer toute cette verdure.

Il se baissa et s’accroupit, se retrouva à la hauteur du trou qu’il voyait dans le buisson. Il pouvait toujours voir remuer ce qu’il pensait être le Grand Tetras, mais celui-ci ne faisait plus un bruit. Tirer à travers le buisson serait difficile ; et, même s’il y parvenait, il n’était même pas sûr de toucher sa cible à un endroit mortel. Pour autant qu’il le sache, il pouvait tout aussi bien le tuer sur le coup que le voir partir en courant en trainant une flèche dans son plumage.

Il chercha des yeux un meilleur angle, mais restait tiraillé par l’envie de tenter le tir. S’il se déplaçait, il risquait d’effrayer le Tetras. S’il tirait, il risquait de le perdre pour de bon. Ne sachant que faire, il jeta un regard interrogateur à Alyna. Qu’était supposé faire un vrai chasseur dans ce genre de situation ?

Donovan ne pût s’empêcher de se sentir quelque peu désavantagé de sa condition d’humain lorsqu’il vit Alyna grimper habilement à un arbre, sans fournir beaucoup d’efforts, et surtout sans faire beaucoup de bruit. Forcément, si on avait ce genre de capacités là… Heureusement que la lycan ne lui ait pas demandé de faire de même ; c’était un coup à faire fuir tout être vivant à des centaines de mètres à la ronde.

Il la regarda faire avec étonnement, admirant la façon dont elle se mouvait- on aurait dit que la forêt se pliait à sa volonté, se laissait apprivoiser pour lui permettre de bouger plus facilement. Rien d’étonnant, pensa-t-il, à ce que les chasseurs d’Alyna aient pût le surprendre, plus tôt. Si tous étaient de sa trempe, il aurait fini en charpie sans même se rendre compte de ce qui lui arrivait.

Il détourna le regard de la louve et reporta toute son attention sur la volaille. Il se demandait bien comment son maître de chasse parviendrait à rameuter la bête vers lui, mais il se tenait prêt, bien décider à suivre les instructions qu’on lui avait donné. Pas bouger, attendre, sortir de sa cachette- vu sa position, ce ne serait pas très difficile- et décocher. Un nouveau coup d’œil dans les hauteurs, alors qu’il armait son arc, lui montra que déjà Alyna n’était plus visible. Une vague excitation le gagna : l’idée de savoir que, pour la première fois, il avait gagné sa nourriture autrement qu’en la payant avait un goût agréable. Il pouvait presque déjà voir le Grand Tetras avec une flèche dans les plumes.

Ce qui lui fit penser qu’il n’avait pas demandé à Alyna où il devrait tirer. Ne risquait-il pas de gâcher la proie en touchant un organe trop sensible, un mauvais nerf ou quelque chose de ce genre-là ? Il n’avait pas pour habitude de manger les hommes qu’il tuait- et pour les tuer, le moyen le plus simple de passer à travers une carapace de fer et d’acier était de viser la gorge. Il supposa que c’était pareil, pour un animal ; sinon, il ferait mieux la prochaine fois.

Il vit quelque chose tomber derrière le Tetras ; ce dernier tourna la tête vivement, puis se mit à courir droit sur Donovan. Qui, un mince sourire aux lèvres, n’attendait qu’une ouverture de tir- et qui ne la manqua pas. Le Tetras, dans sa frayeur, le remarqua légèrement trop tard. Avec ce geste souple et vif qu’il était tant habitué à faire, Donovan releva son arc, visa… et laissa filer sa flèche, trait qui vrilla l’air pour aller se flanquer à la base du cou de l’animal, le décapitant presque. Il avait supposé que c’était là un point sensible, et de toutes façons l’épaisseur de son cou était trop mince, surtout pour une cible en mouvement.

Le Tetras fit quelques pas encore, avant d’aller s’écrouler dans un buisson. Donovan se précipita à sa suite et écarta les branchages, plongeant sa main dans un tas de verdure pour agripper une des pattes de l’animal et tirer. Même morte, cette sale bête continuait à lui tenir tête. Il finit par la récupérer, mais y laissa sa flèche, qui, coincée sous les branches, fini par se briser. Il poussa un soupir de soulagement lorsqu’il eut enfin complètement récupéré sa proie.

Il se redressa, tenant l’animal par les pattes, comme il avait vu certains hommes le faire, et, avec une joie apparente, le brandit en direction de la lycan.

- Alyna ! Regardez ! Je l’ai eu ! Je l’ai chassé !

Sur le coup, il se sentait prédateur.

La louve suivit l’action du regard en se redressant tranquillement, elle s’approcha lentement de Donovan alors que celui-ci tirait sa proie des buissons avec un air enfantin sur le visage, ce qui la fit sourire. Étrange impression de voir quelqu’un de son âge se comporter aussi puérilement qu’un bambin de son âge. Quoi qu’à la réflexion Lyän était plutôt du même genre. L’instinct d’ailleurs ponctua la réflexion de la jeune femme d’un « je t’emmerde » bien pensé.

-Eh oui, vous l’avez chassé. Et pratiquement sans mon aide, ne reste plus qu’à le préparer. Mais ce n’est pas le plus compliqué.

Alyna reprit ses tics qu’elle s’efforçait de contrôler habituellement, elle s’accroupit sur une pierre en jouant avec une de ses mèches rouges, fixant l’archer avec l’air de rire que c’était sa prise donc s’était à lui de la préparer. Pour une fois son loup ne protesta pas, il était tout à fait d’accord avec sa partie humaine, d’autant plus qu’elle avait un honneur très porté sur ce genre d’égalité. Elle tourna la tête quand un battement d’ailes se fit entendre et tendit son poignet pour accueillir Fylia sur son poing. La louve lui caressa le bec, puis le plumage, mimant un faux mécontentement sur son visage.

-Tu en as mis du temps à revenir,  murmura-t-elle à l’oiseau.

La chouette lui répondit par un hululement de protestation qui lui valut une caresse sur le ventre duveteux. Elle battit doucement des ailes et frotta sa tête contre la joue de la lycan qui rit doucement. Malgré cette courte séparation Alyna était heureuse de retrouver son amie, elle était sa seconde âme, ses yeux lorsque elle-même ne pouvait pas voir, si elle avait été là elle aurait pu prévenir de la présence de l’ours et ils auraient évité des problèmes. La lycan jeta un coup d’œil à Donovan et dit sur un ton de plaisanterie :

-Elle ne se mange pas par contre elle, trop de carne. Aïe Fylia ça fait mal ! s’exclama-t-elle en riant lorsque la chouette protesta en lui picorant la main.

Préparer ? Voilà autre chose… Jamais il n’aurait crût que la vie en pleine nature puisse être si compliquée. Une fois enlevé tout le soutien que pouvait apporter l’armée- direction à suivre, nourriture rapportée et cuisinée…-, il avait tendance à être un peu perdu. Oh, bien sûr, il s’était déjà retrouvé dans des situations dans lesquelles il avait dû se débrouiller par lui-même. Généralement, dans les Glaces, le meilleur moyen de survivre restait la viande séchée ; et quand il n’en avait plus en provision, il pouvait en faire lui-même. Préparer un Grand Tétras ne pouvait pas être bien plus difficile que de faire sécher la viande d’un ours, si ?
 
Il posa son arc contre un arbre, s’assit en tailleur par terre, dégaina son épée et tenta de se mettre à la tâche .Il resta perplexe quelques instants, réfléchissant à la manière de s’y prendre, et nota du coin de l’œil qu’une chouette vint se poser sur le poing d’Alyna. C’était un bel animal, et Donovan remarqua vite la complicité qui semblait régner entre l’oiseau et la lycan. 
 
-Elle ne se mange pas par contre elle, trop de carne. Aïe Fylia ça fait mal
 
- Elle a l’air comestible, pourtant, répondit Donovan avec un demi-sourire.
 
Il en oublia quelques secondes le Grand Tétras qu’il tenait dans la main.
 
- C’est un animal de compagnie ? Elle est apprivoisée, ou reste avec vous par… heu, amitié animale ?
 
Il réalisa alors qu’il avait toujours sa volaille en main, attendant d’être… plumée ? Il écouta la réponse d’Alyna en se demandant comment il pourrait s’y prendre. Quand il voulait faire de la viande séchée, il dépeçait- très grossièrement- l’animal avant de le couper en tranches. Mais il savait, pour avoir déjà mangé des dindes ou des oies, que pour une volaille, on faisait cuire le tout… Il planta alors son épée dans la terre et entreprit d’arracher les plumes du Tétras par grandes poignées.
 
L’opération prit un certain temps, et il se retrouva très vite couvert des plumes qui virevoltaient autour de lui. Quand il eut finit, le Grand Tétras ne ressemblait plus à grand-chose, ainsi dépossédé de son plumage, et Donovan ne pût retenir un rire en le voyant ainsi. Il jeta alors un coup d’œil à la chouette d’Alyna.
 
- J’espère qu’elle ne le prendra pas pour elle… En tous cas, c’est un très bel oiseau !
 
Il enleva quelques plumes de Tétras de ses cheveux.
 
- Ca a l’air bon, non ? Vous auriez de quoi faire un feu ?

L’apprenti chasseur lui posa plusieurs questions suite à la plaisanterie d’Alyna, la louve sourit amusé et préféra attendre qu’il les ait toutes posées pour y répondre. Elle l’observa retirer les plumes de l’animal avec amusement, au moins il s’y prenait plutôt bien pour un débutant. Lorsqu’il eut terminé et regarda en direction de Fylia qui se lissa les plumes, le petit commentaire sur la beauté de la chouette lui fit gonfler fièrement son plumage et la lycan se mit à glousser, elle se reprit rapidement quand il lui demanda si elle avait de quoi faire un feu.

-Pour te répondre en premier lieu elle est apprivoisée si on veut, je l’ai sauvé de braconnier à Glace et depuis elle me suit, j’entends ses pensées quand elle me parle et elle entend les miennes.

Elle marqua une pause pour observer la tête de la volaille se balancer pitoyablement. Il voulait faire griller la viande, intéressant. Comme ceci ? Un sourire gentiment moqueur illumina le visage de la jeune femme.

-Oui j’ai de quoi allumer un feu, mais vous souhaitez vraiment manger la bête comme ceci ?

Elle le regarda, il ne semblait pas comprendre quel était le problème et elle étira encore un peu le coin de ses lèvres.

-Poumons, cœur, cerveau, reins, intestins, estomac, œsophage, gésier… elle hésita essayant de ne pas rougir avant de poursuivre, appareil reproducteur, je ne pense pas que vous les consommiez, mais alors vraiment pas.

Ses yeux brillaient de cette lueur joyeuse et elle caressa Fylia sous le bec avant de laisser place à une certaine impatience sur son visage.

-Même si c’est délicieux !

« Moi aussi j’en veux… je peux avoir le cœur, les poumons et… »

Alyna l’interrompit avant que la chouette n’essaye de la faire rougir, sachant pertinemment que sur certains sujets la jeune femme était très timide. Le rouge lui montait rapidement aux joues et elle n’en avait pas la moindre envie devant l’humain. Autant rester impassible et donc empêcher son amie de se moquer d’elle ainsi.

-Fylia… chut… oui tu les auras je n’aime pas particulièrement ça, je parlais du tube digestif, elle s’adressa à nouveau à Donovan. Je peux vous montrer si vous voulez.

Elle avait alors la même expression que si elle remuait la queue sous sa forme hybride, impatiente de manger ces mets de choix qu'étaient les viscères, du moins à son goût.

Un lien mental ? Donovan jeta un regard surpris à la louve. Effectivement, la chouette n’était pas un simple animal de compagnie. Il était étrange de découvrir toutes les capacités d’Alyna, et, quelque part, il l’enviait. Ne pas être seul la plupart du temps n’était pas quelque chose de négligeable. Ce devait être bien, d’avoir un… ami tel que celui-ci.

Son air surpris se transforma cependant en air penaud lorsque la lycan lui demanda s’il comptait vraiment manger la volaille comme ça. Il faillit bien répondre que oui- c’est déplumé donc c’est bon, non ? – mais il se doutait bien que si elle lui posait la question, c’était que quelque chose n’allait pas. Mais il avait beau réfléchir, il ne voyait pas… Enlever la peau ? Non, il avait déjà mangé des animaux de ce genre-là, et la peau restait. La tête peut-être ? En général, on coupait bien la tête, non ? Pourtant, il ne voyait pas en quoi cela pouvait bien être gênant.

Il eut rapidement sa réponse, et son visage s’éclaira. Oui, bien sûr, les tripes ! Il avait lui-même éventré suffisamment d’hommes pour savoir que chez un être vivant, il y a tout un tas de choses guères appétissantes. Et, effectivement, déguster les entrailles et autres organes internes du Tétras ne le tentait guère. Et le vider lui-même ne lui disait pas plus.

Il remarqua, légèrement amusé, la petite pause qu’avait pris Alyna avant de parler des appareils reproducteurs, mais ne fit aucun commentaire, ne voulait la mettre dans l’embarras.

- Je veux bien vous croire, mais oui, effectivement… Je crois que je peux m’en passer.

En revanche, la chouette montra une certaine agitation lorsqu’ils parlèrent de tripes- probablement que l’oiseau, lui, adorait cela. Comme Alyna, apparemment.

- Je suppose qu’une volaille, ça ne se vide pas n’importe comment ?

Il réfléchit quelques secondes, tournant et retournant l’animal mort entre ses mains, cherchant à visualiser comment s’y prendre. Il ne se voyait pas plonger son épée dans le ventre de l’animal pour l’ouvrir ; et de toutes façons, il ne savait comment faire pour enlever tout le surplus d’organes. Il ferait probablement un sacré carnage, là-dedans.

Il finit par tendre le Tétras à Alyna.

- Je veux bien que vous me montriez comment faire… je crois que je n’ai jamais vu personne vider une volaille. Ou alors, je n’y ait prêté aucune attention.

Donovan se dit, sur le coup, qu'il avait bien de laisser Alyna s'occuper de préparer l'animal. D'une part, parce que j'avais il n'aurait pût deviner les gestes à faire. D'autre part, parce que la voir vider le Tétras lui coupa presque l'appétit. C'était une chose de manger de la volaille toute prête, déjà cuisinée. C'était autre chose que de voir comment celle-ci arrivait dans votre assiette.

Elle sépara les abats en deux tas; l'un semblait être destiné à la chouette, l'autre... il espérait qu'elle les gardait pour elle. Il n'était pas certain, lui, de pouvoir manger ceci. Elle finit par tendre ce qu'il restait du Tétras avec un sourire. Il prit l'animal, le tenant éloigné le plus loin possible de son corps. Soudainement, la volaille avait quelque chose de... perturbant. Voir les tripes des hommes lors de combats ne l'avait jamais déranger; mais là, il allait manger ce qui avait été vidé.

Son attention fut vite attiré par Alyna, qui s'activait à allumer un feu. Il ne sût comment elle s'y prit; elle frotta deux morceaux de ferraille... et fit naître une flamme.

-Aller à vous de jouer pour le faire cuire.

Donovan lui sourit en hochant la tête- et, plein d'entrain, il se leva d'un bond tandis que la lycan se transformait. Il dénicha dans les buissons une branche qui lui paraissait robuste; il en enleva les feuillages et en tailla une extrémité en pointe. Il en chercha ensuite une autre, plus petite, et avec une branche plus petite en diagonale. Il fit également une pointe et planta la branche d'un côté du feu.

A côté de lui, Alyna, sous sa forme de louve, se régalait des entrailles du Tétras. Il essaya de ne pas y prêter attention, empala la volaille sur la branche robuste, et posa la pointe de celle-ci à l'intersection que formaient les deux autres branches, de l'autre côté du feu. Il s'assit et posa les coudes sur ses genoux afin d'assurer sa prise sur la branche- le Tétras était à seulement quelques centimètres au dessus du feu.

Lorsqu'elle eut finit, la lycan s'allongea à côté de lui et sembla s'endormir paisiblement. Seules ses oreilles continuaient à bouger, et Donovan supposa qu'il ne fallait pas se fier aux apparences- que quelque chose approche, et elle se lèverait immédiatement. Elle veillait sur lui, en quelque sorte, réalisa-t-il. Il eut un petit sourire et se concentra uniquement sur la cuisson du Tétras.

Ce fut plus facile que la chasse et la préparation. Faire cuire quelque chose, ça, il avait déjà fait. Les minutes s'écoulèrent paisiblement, tandis que rôtissait le Tétras. Au bout de quelques temps, une odeur délicieuse se dégagea de l'animal; ce qui eut pour cause de faire gargouiller le ventre de l'archer. Il 'était réellement reconnaissant envers la louve; elle était une véritable chasseuse, et elle lui avait appris les bases de son art. Il ne serait jamais un grand chasseur- il ne se berçait pas d'illusion là-dessus. En revanche, il saurait se débrouiller tout seul. L'idée qu'il n'aurait plus à manger des racines et des fruits pour survivre dans la forêt lui arracha un sourire.

Donovan fit tourner plusieurs fois le Tétras sur lui-même, afin qu'il cuise en sa totalité, surveillant à ce que l'ensemble soit égal. Au bout de quelques temps, alors que le feu commençait à s'apaiser, le Tétras fut prêt- ou du moins, il lui sembla l'être.

Il posa la partie de la branche qu'il tenait par terre, et le Tétras se retrouva à l'oblique au dessus du feu.

-Je crois que c'est prêt, Alyna, fit-il doucement.

Donovan eut un léger soupir de soulagement lorsqu'Alyna confirma que le Tétras était bel et bien prêt. Ca avait peut-être l'air de rien, mais il avait réellement l'impression d'avoir fait un pas en avant dans sa vie. Pas pour la cuisson, non- dans les campements de soldat, on vous donnait souvent de la nourriture, mais personne ne la cuisait pour vous.

Il avait chassé sa proie, l'avait préparée, l'avait cuite... Effectivement, il n'aurait rien réussit de tout ceci sans l'aide de la louve. Mais il avait bien mémorisé tout ce qu'elle lui avait dit, et était à peu près certain de pouvoir recommencer au besoin.

-À toi l'honneur, c'est ta proie.

Il acquiesça avec un sourire. Il faillit bien la servir en premier, me se reprit en se disant que si elle lui avait dit cela, c'est qu'elle avait ses raisons. Peut-être un code de chasseurs... Il aurait probablement été impoli de sa part de ne point s'y plier.

Avec ses manières rustres d'ancien soldats, il attrapa une cuisse de volaille et l'arracha. D'un geste de la main, il invita la lycan à se servir, avant de mordre dans la chair du Tétras. La viande avait un goût savoureux, et il en appréciait d'autant plus la saveur que c'était le résultat d'une chasse.

- Je vous remercie pour tout, Alyna, vraiment, fit-il jetant un regard sincère à la louve. On avait bien déjà essayé de m'apprendre la chasse, mais ma vieille caboche a du mal à retenir les leçons. Jamais été un élève très doué.

Il leva les yeux au ciel.

- Je vais devoir reprendre ma route après le repas. J'aimerais trouver un village avant la tombée de la nuit, et il me reste encore quelque vagabondage à faire. Mais j'ai apprécié cette chasse. Et probablement nous rencontrerons nous à nouveau, si vous chassez encore dans les plaines... Je ferais attention à pas effrayer vos proies, à l'avenir !

Oui, il lui faudrait être un peu plus vigilant. D'autant que si des meutes de lycan avaient l'habitude de chasser dans les plaines, il pourrait facilement tomber nez à nez avec d'autres. Et Alyna ne serait pas toujours là pour lui sauver la mise.

- J'espère que vous arriverez à retrouver... votre homme ? Et que vous arriverez à accepter vos sentiments. Un peu d'amour ne pourra pas faire de mal au charnier qu'est ce monde.

Elle se servit après qu’il l’y ait invité et mordit dans la chaire de la volaille, ses canines plus développées que les humains déchirèrent les fibres musculaires cuites sans mal, tout comme elles l’auraient fait pour une viande crue. Elle se délecta de la prise avec un sourire et nota intérieurement qu’elle devrait rentrer avec une proie, sinon ses chasseurs se moqueraient d’elle. Elle songea à sa prochaine cible et opta pour le sanglier blessé dont elle avait repéré les traces plus tôt dans la journée. Elle termina ensuite tranquillement son repas, puis se redressa en s’étirant, écoutant l’apprenti chasseur.
La louve sourit amusée en entendant les remerciements de Donovan et s’inclina légèrement par courtoisie pour le remercier pour ses éloges indirects. Elle attendit qu’il ait terminé sa tirade pour lui jeter un regard bienveillant et se décida à lui répondre.

-Mais de rien. Vous n’êtes pas mauvais élève Donovan, simplement vous manquez de confiance en vous. Vous vous débrouillez très bien croyez-moi, ma propre première chasse était… plus une course-poursuite qu’une véritable traque. Mon père en était dépité d'ailleurs... il m'a fait chassé jour et nuit pendant trois jours, jusqu'à ce que j'arrive à surprendre ma proie.

Elle leva les yeux vers le ciel, observant les nuages rêveusement, ne sachant ce qu’elle devait répliquer au sujet de son « homme » comme l’avait appelé l’archer. Arriverait-elle à faire enfin le point sur ses sentiments ? Entre la savane et le désert… n’était-ce pas ce qu’elle lui avait dit ? Alors elle irait l'attendre là-bas, même si cela prenait des années avant qu'il ne vienne la retrouver. S'il ne venait pas, elle retournerait à la Meute et se consacrerais à la rébellion.

-Je crois que je vais aller le retrouver, peut-être que pendant le voyage je pourrais comprendre si j’ai réellement des sentiments pour lui.

Elle laissa la brise emmêler ses cheveux bruns mêlés de rouge, puis se tourna vers Donovan en souriant avec reconnaissance.

-Merci de m’avoir aidé, je suis aussi âgée que vous, pourtant j’ai l’impression d’avoir à peine dix-huit ans concernant ce sujet. On ne peut pas tout savoir j’imagine, ajouta-t-elle d’un air amusé. Que l’on ait cent ans ou dix il y a toujours quelque chose à apprendre, même à la dernière heure on apprend à pousser le dernier soupire à ce qu'on dit.

Si au moins il pouvait, comme Alyna, garder un apparence plus jeune...

- Vous avez probablement raison. Et ce fut un plaisir de vous aider avec ça. J'ai eu de la chance... par deux fois, déjà, de ressentir de tels sentiments. Vous méritez de vivre quelque chose comme ça.

Jamais il n'aurait crût être indiqué pour parler de ce genre de relations. Lui qui s'était montré si égoïste, si souvent, envers les rares personnes qui lui étaient proches...

Il termina sa part de volaille en repensant aux paroles d'Alyna concernant ses capacités à la chasse.

- Je vais moi aussi suivre vos conseils. Votre aide m'a été précieuse, et j'essaierais à l'avenir d'être plus confiant. Il faut dire... jamais été très à l'aise dans les forêts ou les grandes étendues où l'on ne trouve pas grand monde. Je suis un solitaire... citadin. J'ai été éduqué pour me fondre dans la masse, pas pour survivre seul.

Il se leva et s'étira un peu. Luz était de plus en plus présente dans son esprit... Avec tout ce qu'il racontait à la lycan, la présence de la dragonne lui manquait de plus en plus. Il avait hâte de la retrouver. De plus, il préférait trouver un village avant la tombée de la nuit. Dormir à la belle étoile ne le tentait pas.

- Je dois aller de mon côté maintenant, Alyna. Je vais faire comme vous. Je vais retrouver la femme que j'aime.

Il décrocha un sourire sincère à la louve.

- Je vous souhaite bonne chance dans votre voyage. Et j'espère que vous arriverez à être en paix avec vos sentiments. Peut-être nous retrouverons nous dans les Plaines... je l'espère, en tous cas ! J'arpente pas mal cet endroit... en prêchant la bonne parole de L'Aurore. Une idée qui a émergée de ce bas-monde.

Il tendit la main, avec l'idée de donner à la lycan le traditionnel salut de guerrier- il avait du mal à se défaire de ses habitudes de soldat.

- Au revoir Alyna. Et quand nous nous reverrons, nous aurons tout deux appris de nouvelles choses !

L'air commençait à se rafraîchir, et il entreprit de s'enfoncer dans la forêt... avant de s'arrêter, au bout de quelques pas seulement.

- Ah et heu... Est-ce que vous sauriez dans quelle direction est le village le plus proche ?

Et, lorsqu'il eut sa réponse, il fit un dernier salut d'adieux à la louve, avant de disparaître dans la végétation des plaines...