Le levé du matin était une véritable bénédiction. La flore s'épanouissait de jours en jours, agrandissait son cercle et laissait ressortir sa beauté naturelle qui ne s'éteindrait jamais, et qui persisterait toujours. Les quelques zéphyrs venaient s'abattre contre les feuillages des arbres, ce qui les débarrassait des restes de gouttelettes coriaces qui ne voulaient pas se laisser tomber. Plus en dessous, cachés sous les troncs, les rochers et la terre, quelques animaux et insectes se réveillaient en même temps que le soleil. La journée serait rude pour chacun, comme tous les jours, car la nature n'a que deux lois : Survivre et procréer. Il fallait espérer que leur repos les ais suffisamment requinqués pour qu'ils puissent tenir jusqu'à la prochaine nuit.

Cependant, quelque chose serait différent aujourd'hui. Des bruits tonitruants raisonnaient à travers les bois depuis la plaine qui s'étendait au loin. La faune n'avait pas encore pris l'habitude que sa maison soit traversée par ceux qui ont préféré évoluer d'eux-même, mais il fallait faire avec. Les plus faibles se cachaient pour leur survie, alors que les plus forts se cachaient pour guetter les futures proies qui pourraient servir de repas.

Les brouhahas s'accentuèrent, et la vision des deux individus devenaient plus nette. L'un était déjà en train de conter les quelques scènes comiques qu'il avait vécu dans sa petite vie à sa compagne qui, visiblement, semblait s'intéresser avec intérêt à ses histoires.


Rägmor, dans toute sa "splendeur" habituelle, sa "grâce" et sa "douceur" dans le ton qu'il prenait dans chacune de ses paroles, s'arrêta net quand ils arrivèrent devant la forêt. Il arqua un sourcil, se gratta la nuque qui le démangeait par la même occasion, et comprit enfin qu'ils avaient parcouru un bon terrain depuis les montagnes.

Il tint ces trois dernières phrases avec un ton humoristique. Il était évident que cet homme était tout sauf prétentieux et n'oserait jamais faire sa propre éloge de la sorte. Il reprit la marche en entamant les bois, sifflotant, tandis que d'un geste harmonieux, sa main vint trouver appui sur son arrière-train pour soulager une autre démangeaison.
Rägmor s'était ouvert depuis le parcours dans la montagne. Il était très facilement visible - il cachait très mal ses sentiments - que voyager à deux lui procurait une joie intense. Il n'était pas du tout habitué et profitait de cette occasion pour s'amuser et en savoir plus sur Luz. Il était à son aise, parlait, riait à pleines dents, blaguait.. Il ne se cachait pas, et n'avait aucune intention de se cacher. Voilà le véritable Rägmor qui se découvrait aux yeux de Luz. Mais il fallait savoir que derrière toute cette jovialité pouvait se cacher une force aussi terrible que les montagnes elles-mêmes. Ce personnage avait visiblement deux extrêmes, et il était préférable d'avoir le bon.

Rägmor se retourna une dernière fois et s'exprima d'un même ton comique et enjoué, toujours adressé à sa compagne.


C'est dans ces dernières exclamations qu'il trottina et s'enfonça plus profond dans la forêt. La joie et la fougue étaient réellement ancrés jusqu'au plus profond de son âme et ne semblaient ne jamais s'estomper. Luz avait certainement choisi un compagnon bien original, qui saura l'occuper à temps plein mieux que quiconque ne saurait le faire.. Mais il lui faudrait certainement beaucoup de courage pour le supporter.

Rägmor qui s'était tu jusqu'à maintenant réagit à cette question. Il releva légèrement la tête, avala son dernier morceau de viande et jeta le bâton qui avait servi de brochette au loin. Il s'allongea sur le lit de feuilles préparé spécialement pour lui, à côté de celui de Luz, plaça ses mains derrière sa nuque et croisa les jambes. Son regard rejoignit l'immensité des astres qui se prolongeaient dans le ciel nocturne au-delà des feuillages. Il pris une grande inspiration et commença son récit au fur et à mesure que défilaient ses souvenirs. Devant lui, le ciel était un écran géant où se reflétait chacune des situations qu'il revoyait comme s'il les vivait en temps réel.


Le visage de Rägmor commença à reprendre des formes qui étaient plus sympathiques. Le feux et le ciel se reflétaient tous deux dans les yeux scintillants du barbare, hypnotisé par tous ces souvenirs qu'il détaillait sans ne jamais s'arrêter. Ses lèvres s'agrippaient à ses fossettes afin de laisser ressortir un léger rictus qui accompagnait parfaitement ses récits.

Il s'arrêta net, bouche entrouverte, puis termina son récit par un simple mot :


Il se retourna vers Luz, cette fois-ci serein mais sérieux.

Enfin, après quelques secondes de réflexion où il fixait la demosielle sans réellement la regarder, il se recoucha calmement dans la même position placide que précédemment. Il posa ses yeux brillants et légèrement mouillés vers la dragonne, et se décida à finalement lui avouer ce qu'il avait sur le cœur.


Il soupira, rougissant encore légèrement, et reposa son regard sur les astres. Jusqu'où lui mènerait ce voyage? Qu'adviendrait-il de lui après son passage sur les terres du feu? Il se posait bien trop de questions et avait cessé de s'en préoccuper. Il avait un destin à suivre, et il le suivrait pour l'honneur de son peuple.

« Et kidnapper une demoiselle de temps en temps, ça marcherait non ? D'après ce que tu m'as raconté des femmes de ton village, nombreuses sont celles qui de par le monde ne demanderaient qu'à se retrouver dans tes bras fermes ! »

Rägmor haussa un sourcil en guise de réponse. Puis progressivement, son visage se marqua d'un rictus qui accompagnait celui de Luz. Décidément, dans toutes les situations, elle semblait ne jamais prendre quoi que ce soit au sérieux, et apportait toujours cette touche d'humour qui rendait Rägmor d'autant plus jovial.

La température baissait progressivement dans la forêt. La nuit se faisait fraiche tandis que les journées se faisaient souvent très chaudes. Le barbare cessa son sourire pour aller chercher de quoi se mettre sur le dos. Il récupéra la vieille cape trouée qui avait protégé Luz durant la chute. Désormais sèche, mais trouée de partout, il tenta de se réchauffer du mieux qu'il pouvait.

Un moment de silence complet s'installa entre les deux protagonistes. Rägmor fixait une fois de plus le feu, mais cette fois-ci il s'agissait là de raisons différentes. En effet, l'homme emmitouflé dans sa cape trouée prenait un temps de réflexion sur un sujet qui le tenait à cœur. Il ne tarda pas à en faire part à sa compagne :

Rägmor réajusta sa cape. Sa longue crinière noire cachait la lumière des braises, et ne laissaient ressortir que deux lueurs brillants d'un bleu ciel parfait qui fixaient sans relâche la dragonne. Un léger rictus avait imprégné le visage de Rägmor : Celui de la curiosité et de la soif de savoir.

Les bois embrumés et à peine éclairés brouillaient la vue correcte de Rägmor. Dans une certaine logique, elle pouvait aussi brouiller toutes les pistes de quelconques brigands qui souhaiteraient dépouiller les deux guerriers. Mais Rägmor n'avait qu'une parole et il la tiendrait jusqu'au bout. Il devait faire correctement le gai jusqu'au petit matin, quoi qu'il advienne et qu'elles en soient les situations. Le soleil était encore trop bas dans le ciel pour oser parler de "matinée", car seuls quelques rayons à peine intenses éclairaient généreusement les bois de leur très faible lumière.

Cette heure-ci était la plus difficile quand il s'agissait d'être en tour de garde. En plus d'une fraîcheur assez envahissante et d'une humidité omniprésente qui était la rosée du matin, Rägmor devait rester à l'affût du moindre bruit ou mouvement suspect à une heure où il était difficile de se concentrer. Les quelques bouffées d'air frais qui se déplaçaient avec légèreté et dans un silence le plus complet, comme si les vents étaient vivants et ne souhaitaient pas réveiller la faune dans son sommeil, venaient faire virevolter les mèches de cheveux du barbare qui était assis comme serait assis un roi sur son trône. Son épée plantée dans le sol servait d'appui pour son bras, le bruit de sa cape qui s'agitait, bercée par les mouvements des vents, il avait décidément l'apparence d'un véritable guerrier intrépide, même au beau milieu de la nuit.

Puis, soudainement, Rägmor détourna son regard vers un point précis. Qu'avait-il vu ou entendu? Quelle malédiction l'avait frappé pour que son attention se capte aussi rapidement vers un endroit suspect? Les actions furent trop rapides pour pouvoir les comprendre aisément : Le guerrier décrocha son épée et s'élança à vitesse époustouflante dans la brume de la forêt et sans aucun bruit.

Le soleil éblouissait Luz, déjà suffisamment haut au petit matin. Ses rayons cette fois-ci intenses et imposants éclairaient pleinement la forêt qui s'était déjà réveillée et qui était déjà bien agitée. Une ombre se plaça au-dessus des yeux de la dragonne, et elle pouvait aisément la reconnaitre ! Cette grande crinière, ce corps imposant, ça ne pouvait être que Rägmor. Il apparaissait devant elle comme s'il apparaissait en digne conquérant, revenant d'un ultime combat qui aurait pu lui coûter la vie. Sourire en coin, il jeta, de sa main droite, deux têtes fraîchement découpées aux pieds - ou plutôt aux pâtes - de la "vieille dame".
Enfin, de son autre main, il lui présenta une carte, une lettre et une clé, toutes les trois liées directement par un même trésor caché qui annonçait à Rägmor et sa compagne de nouvelles aventures époustouflantes.

Le barbare ne tarda pas à expliquer le pourquoi du comment, tout en restant placide car la bête se réveillait à peine, l'emplacement exacte du lieu, les ennemis qu'ils y avaient, et le trésor qu'ils gardaient. Afin de prouver ses dires, il lui donna la lettre et la carte afin qu'elle puisse elle-même se faire un avis à ce sujet.

(HRP : Je te laisse le loisir d'inventer le-dit lieu, les-dits ennemis et le-dit trésor en lisant tout ça ! )

Rägmor se préparait de son côté avant d'aider à débarrasser le campement. Il prit le temps de se débarbouiller dans l'eau et de se rincer avant de se mettre en route. Il récupéra la carte afin de mettre au point les lieux où ils devraient passer. La marche prendrait bien quelques jours, mais ils connaissaient tous deux parfaitement les territoires forestiers. A vrai dire, peut-être avaient-ils déjà vu l'arbre dont il était question dans la lettre, sans en avoir pour autant le souvenir?

Ils entamèrent le pas. Le chemin était tout tracé pour des aventuriers comme eux, et ils avaient leurs repères de partout. Par ailleurs, Rägmor s'amusait à lui conter ses fabuleuses histoires et ses mœurs qu'il avait vécu et dont les souvenirs ressurgissaient là où il repassait.


Il s'esclaffait. Sa voix était si lourde et puissante qu'elle en faisait fuir les oiseaux qui ne demandaient pourtant que de vivre dans le calme, et que cette placidité soit respectée, chose que ne faisait visiblement pas Rägmor. Quelques animaux par-ci et par-là se tournaient vers le barbare qui faisait trop de bruit et lui auraient balancé des jurons si la nature leur avait fait don de parole ! Au lieu de ça, ils préféraient sagement se taire et s'en aller un peu plus loin.

Le colosse de muscles soupira. Il riait, mais au fond de lui, il savait qu'à cette dure époque où il devait se trouver une place parmi la nature, sa vie n'était pas aussi amusante. Il frôlait la mort chaque journée, et priait son Dieu la nuit pour espérer se réveiller en bon état au petit matin. Mais comme il disait toujours : "Mieux vaut-il en rire qu'en pleurer !"

Rägmor, ébahit, se retourna. Un nain en pleine forme de l'âge s'avançait vers eux, le sourire jusqu'aux oreilles visible malgré son immense barbe qui s'élançait jusqu'à ses chaussures - On se demandait même comment il arrivait à ne pas marcher dessus -. Il n'était habillé que de tissu sale, troué et dégoulinant de transpiration, ainsi qu'un énorme tonneau de bière qui était attaché à son dos. Désormais devant les deux aventuriers qui se regardaient avec cette même sensation d'incompréhension, il attendait une réponse aussi joviale que son intervention de la part de ses nouveaux compagnons.

Luz reporta son regard sur le concerné, faisant ainsi la navette entre Rägmor et lui. Le fier petit nain marchait devant eux comme si sa vie en dépendait, son tonneau de bière brinquebalant d'un côté à l'autre de sa silhouette... On avait peine à comprendre comment tant de masse faisait pour se maintenir debout aussi loin du sol, dans une sorte d'équilibre précaire et roulant comme la carcasse d'un navire ! Éprise d'un très étrange sentiment de sympathie soudaine, Luz ne répondit que d'un léger « Hum hum... » pensif et tâcha d'accorder méthodiquement ses pas dans ceux du nain. Après quelques instants de silence, elle reprit pourtant :


Elle ajouta presque aussitôt dans un sourire taquin, sur un ton très trèès douteux :


L'illustre inconnu devant eux -car oui maintenant qu'elle y pensait il ne lui semblait toujours pas connaître son nom- profita de cet instant précis pour faire volte-face, brandissant un... Saucisson (oui, toujours le même), ou du moins ce qu'il en restait...


La dragonne leva les paumes de ses mains en l'air en signe de reddition, affichant un air théâtralement épouvanté :


Et ma foi c'était bien vrai que sa bière n'était pas mauvaise !
Elle écarta une branche de son passage, évita un enchevêtrement difficile de racines... Et elle se fit soudain acérée, se penchant sensiblement en direction de leur guide d'un air trèès intéressé :


Elle les désigna, lui, Rägmor, et elle, affichant une mimique de lutin parfaitement effronté. Elle l'aimait bien ce nain, en fin de compte !

Rägmor fut comblé et touché par les remarques de Luz. Ces dernières le motivaient à avancer dans ce périple dans lequel il se lançait et à ne jamais reculer. Il y avait déjà quelqu'un qui croyait en lui. Et bien qu'elle s'exprimait, comme à son habitude, avec une touche d'humour (qui faisait partie importante de la personne), elle n'en restait pas moins franche et directe. La tâche n'aurait peut-être pas été la même avec quelqu'un d'autre, et c'est comme ça que Rägmor avait compris ses explications.

Mais il avait également noté un point important : Luz, meneuse d'un groupe de marchands, s'il avait bien compris, avait les moyens de faire échanger ses lettres et donc de le faire connaitre. Il comptait sur leur amitié pour bénéficier de cette aide, et quand bien même sa logique de marchande l'obligeait à le faire payer, il préférait mettre son épée à son service plutôt que de déverser une seule pièce d'or qui deviendrait désormais trop importante pour la mise en place de l'Aurore. Il en vint au but :

Rägmor rangea ses quelques bouquins dans sa sacoche en cuir et se tourna de manière à pouvoir être face à Luz : Quand il s'adressait à quelqu'un, il aimait le faire en face. Et puis la conversation devenait trop intéressante pour qu'il se permettre de ne s'y concentrer qu'à moitié en tournoyant les pages des ses livres tout en discutant.


Pas de doute dans sa demande : Son visage allait de paire avec la tonalité de sa voix. Sérieux comme jamais, ce sujet le tenait à cœur et il ne raterait aucune chance de se faire connaitre.