Sen’Tsura est vraiment une belle ville. Assise sur un toit de rempart, Lara contemplait un coucher de soleil à son aise. Certes la lumière l’affaiblissait, mais il fallait l’avouer, un coucher de soleil sur la resplendissante Sen’Tsura était quelque chose dont elle ne se passait pas. Elle s’allongea, et fit jouer entre ses doigts fins un poignard dont le manche comportait un flocon de neige, exactement le même symbole qui était gravé sur son cou. On pouvait commencer à voir les étoiles, ces magnifiques astres qui lui donnaient toujours envie de sourire, ne serait-ce que pour les entendre rires. Lara souri. Elle avait retrouvait quelques uns de ses souvenirs d’humaines, et lorsqu’elle était enfant, elle disait tout le temps que les étoiles chantaient et riaient pour elle. Lara ferma les yeux et savoura cet instant presque parfait. Il ne manquait plus qu’une personne et elle n’allait pas tarder à arriver. La vampire ne s’était que rarement senti aussi bien, et cela, elle le devait à Djidane. C’était lui qui lui avait permis de redécouvrir un peu ce que c’était la vie.

C’est à ce stade là de ses réflexions que Lara entendit un bruit étouffé sur le toit où elle se tenait. Son sourire s’agrandit, et elle tendit la main vers l’origine de ce bruit.

-Tu n’est vraiment pas discret Dji, mais je t’apprendrais, ne t’inquiète pas, se moqua-t-elle.

Elle entendit un grognement mécontent, et elle ouvrit les yeux lorsqu’elle sentit sur sa peau le cuir des gants de Djidane. Elle se releva, et lui fit face avec un grand sourire. Cela faisait un peu plus de trois mois qu’ils se connaissaient, et Lara nourrissait pour lui des sentiments d’une rare puissance. Seulement, ne préférait rien dire, de peur de gâcher la grande amitié qui les liait tout deux.
Elle pencha sa tête sur le côté avec une moue ironique, tout en le détaillant des pieds à la tête. Djidane était un voleur, et habile avec ça. Il était encore plus agile qu’elle qui travaillait pourtant depuis bien plus longtemps que lui, mais il était hybride, mi-homme mi-singe. Enfin, tout était relatif ! Des singes, il n’avait que la queue, et l’incroyable agilité… ainsi qu’un don certain pour embêter l’impassible vampire. Le jeune homme d’allure simiesque pouvait se vanter d’être un des rares à faire sortir Lara de ses gonds, et il s’y amusait souvent.
Ce soir là, Djidane portait une tenue de couleur différente. D’ordinaire, il ne portait que du bleu clair que Lara lui déconseillait souvent car cela était décidément loin d’être discret, seulement, il ne semblait jurer que par cette couleur. Cependant, ce soir, sa tenue était bleu, soit, mais bleu nuit. Lara se mordit la lèvre. Cela lui allait drôlement bien, et faisait ressortir à merveille ses longs cheveux blonds et ses yeux bleu clair.

-Qu’est-ce qu’il y a encore ? S’enquit le jeune homme en écartant les bras d’impuissance. C’est pourtant sombre que je sache ! Ma tenue se fondra bien dans le noir ! Qu’est-ce que…
-Rien, le coupa Lara en détournant son regard. C’est parfait… ça… ça te va bien même.

Avant que le jeune homme ne puisse répondre quelque chose, elle sauta dans le vide, se rattrapant à une corniche, pour atterrir souplement au sol. Djidane la rejoignit rapidement, mais Lara était déjà en chasse. Comme chaque soir, où du moins, comme chaque soir où il y avait eu marché, les habitants semblaient euphoriques et se promenaient sans songer un seul instant que leur bourse pleine ou les bijoux fraîchement achetés pouvait être volés. Djidane et Lara profitait toujours de ce moment là pour entrer en scène et se servir dans une ou deux poches un peu trop garnies. Oh, ils ne s’attaquaient jamais au plus pauvre ! Mais c’était devenu un jeu entre eux : Celui qui récupère le plus.
Lara repéra alors un homme gras, et visiblement pas bien clair. Il devait être passé par la taverne, et exposait fièrement un poignard serti de diamants ainsi qu’une bourse auditivement pleine de phénix d’or. Le bruit n’est pas le même lui avait appris Djidane, et Ciel qu’il avait raison ! La vampire s’approcha alors de l’homme, se servant de son habileté à disparaître dans l’obscurité, et lorsqu’elle posa son pied sur l’ombre du bourgeois, Djidane récupéra la bourse vivement tandis qu’elle récupérait le poignard. Les deux complices se retrouvèrent alors dans une ruelle bien tranquille pour regarder un peu leur butin.

-Hey Dji, regarde ce poignard, il est merveilleux tu ne trouve pas ? S’exclama Lara en auscultant l’arme.
-Ce qui m’intéresse davantage, c’est l’or que contient cette bourse ! Regarde ça ! C’est de la peau de dragon ! Lara, nous sommes riches !

La jeune fille éclata de rire, et fit claquer un baiser sur la joue de Djidane avant de se lancer à nouveau dans la rue, le poignard désormais à sa taille. La nuit était parfaitement tombée, et ce qui arriva lui sembla presque irréel. Comment d’ailleurs cela pouvait arriver ? Elle et Djidane étaient bien trop discrets pour se faire attraper ! Et pourtant, au détour d’une rue, on l’attendait, et elle fut tellement surprise qu’elle s’y laissa prendre.

-Djidane, cria-t-elle en apercevant le jeune homme. Part, vite !

Mais il n’en fit rien. Les deux cimeterres qui l’accompagnaient toujours furent sortis, et il affronta seul deux hommes dont ils ne connaissaient rien. Lara assista impuissante à ce combat, se débattant tout de même avec autant de rage qu’un chat sauvage, mordant et griffant quiconque y risquez son bras ou sa main. Lorsqu’elle senti qu’enfin on la lâchait, elle fit volte-face, et se retrouva nez à nez avec Djidane, fatiguée mais souriant.

-Alors demoiselle, fit-il moqueur avec une moue à laquelle Lara ne résistais d’ordinaire jamais.
- Non mais ça ne va pas ! Cria-t-elle soudain. Tu te rends compte que tu aurais pu te tuer ? Espèce de sale babouin !
-Tiens, on ne me l’avait jamais fait celle-là.
-Mais… mais arrête de prendre ça avec désinvolture ! Tu te rends compte qu’ils auraient pu te tuer ? Mais tu pensais à quoi ?

Djidane la regarda alors d’une façon qui fit frissonner Lara, mais pas de peur. Elle s’apprêta à ouvrir à nouveau la bouche pour lui crier dessus, mais le jeune homme posa ses lèvres sur celles de la vampire, et y mit tant de passion et d’amour que Lara ne put que répondre à ce baiser dont elle avait rêvé à de nombreuses reprises. Lorsqu’ils se séparèrent pour reprendre leur souffle, Lara pouvait entendre les battements désordonnés du cœur de Djidane.

-A quoi j’ai pensé ? A des tas de choses à la fois. Mais je dois t’avouer que j’avais une furieuse envie de les faire souffrir pour avoir oser te toucher alors que cela fait près d’un mois que je m’en empêche pour ne pas t’indisposer à cause de mon sang. Quand je suis avec toi, j’ai l’impression que mon cœur ne m’obéit plus.

Lara souri. Il l’aimait. Il l’aimait lui aussi ! Que pouvait-elle rêver de mieux ?



Lara était allongée dans un lit, seul un drap la couvrait, mais ce n’était pas à cela qu’elle songeait. Toutes ses pensées étaient redirigées vers le jeune homme âgé de désormais vingt ans allongé à ses côtés. Cela faisait plus d’un an qu’ils étaient ensemble. Vingt-et-un mois pour être exact. Depuis aujourd’hui. Elle souri. Djidane était la meilleure chose qui lui était arrivé depuis un bon moment. Lara avait récupéré un bon nombre de ses souvenirs, il ne lui en manquait que quelques uns, dont sa transformation qui demeurait un véritable trou noir. Elle s’en moquait désormais. Elle avait Djidane. Elle tourna la tête vers lui. Il dormait. Elle l’embrassa doucement, et se retourna pour se lever, lorsqu’un bras l’enserra à la taille, et la ramena vers le jeune homme. La vampire souri, et se blottit dans les bras de Djidane tandis que celui-ci entrelaçait leur doigt.

-Salut toi, lui souffla-t-il à l’oreille. Bien dormi ?
-Pas beaucoup, mais la nuit n’en était pas moins appréciable, dit-elle à son tour.

Djidane ria, et c’est alors qu’elle senti quelque chose de chaud à son annulaire gauche. Surprise, elle leva sa main jusqu’à ses yeux, et y vit avec étonnement une fine bague en argent avec inscrit dessus : A toi pour toujours. Elle cligna des yeux, se releva à demi, et senti des larmes couler sur ses joues pâles comme le marbre. Elle se tourna vers Djidane et l’embrassa afin de lui faire comprendre ce qu’elle ressentait. Elle n’avait pas assez de mot pour lui dire combien elle était heureuse. Visiblement le jeune homme comprit le message… après tout, la nuit n’était pas encore finit.


Lara était assise sur le toit d’un rempart, et contemplait avec joie un couchée de soleil sur la magnifique ville de Sen’Tsura. Non, décidément, elle ne se lasserait pas de ce paysage. Tout était parfait. Elle regarda sa bague, qu’elle aimait plus que tout, et souri. Deux semaines qu’ils s’étaient promis un amour profond et infini, deux semaines de bonheur encore plus fort que les vingt-et-un mois qu’ils avaient passé ensemble. Lara plongea son regard dans ce vaste ciel où on pouvait voir des étoiles qui semblaient apprécier le bonheur de la vampire. Elle entendit alors un son étouffé et familier. Elle ouvrit les yeux et se releva, profitant de ce moment pour détailler Djidane.

-Salut, dit-il d’une voix dont Lara n’arrivait plus à se passer.
-Salut, répondit-elle avec légèreté bien qu’elle n’ait qu’une envie : l’embrasser.

Djidane parut comprendre, et se pencha doucement pour un baiser court, mais passionnel. Lara en eut le souffle coupé. Elle se mordit la lèvre en voyant qu’il s’était habillé de vêtement bleu nuit. Elle adorait cet ensemble ! Ils se regardèrent un instant, puis Lara sauta dans le vide avec une moue malicieuse, sitôt suivi de Djidane. Lorsque le jeune homme la rejoignit, elle posa sa main sur son torse pour l’arrêter.

-Chut, souffla-t-elle, sur ses gardes. Il y a quelque chose qui cloche…

Lara regarda la rue central de son recoin, surprise. Elle était vide. La jeune fille fronça les sourcils lorsque soudain…

-Tiens donc, mais qui avons-nous donc là ? S’enquit une voix amusée.

Les deux amants firent volte face, et Lara écarquilla les yeux. Se tenait face à eux deux un régiment entier de soldat à moitié démon qui affichait un emblème que Lara ne connaissait pas.

-Que faîtes vous ici gamins ?
-Nous profitions de la nuit pour une ballade, répondit Djidane sans se démonter.
-Ne saviez vous pas qu’il y avait un couvre feu ?

Lara et Djidane se regardèrent, étonnés. C’était quoi cet histoire encore ?

-A partir de ce soir, fit le soldat meneur en un sourire carnassier. Notre Seigneur Ténébreux a pris possession de votre si cher capital.

Lara tiqua. Djidane et elle avait passé la majorité de leur temps loin de toute vie humaine pour n’être que tout les deux. Ils étaient revenus il y a deux semaines, mais étaient resté terré dans leur chambre. Ils ne savait rien de tout ce qui avait bien pu se passer à Sen’Tsura !

-C’est contraignant, répondit Lara d’une voix on ne peux plus ironique, nous avions l’intention de profiter de la fraîcheur de la nuit pour s’amuser un peu…
-Joue pas à la maligne avec moi vampire !

Lara tiqua. L’homme l’avait deviné si aisément ! Elle échangea un regard avec Djidane, et ils se mirent d’accord d’un seul coup d’œil : Ils s’enfuirent en courant dans les rues qu’ils connaissaient si bien.

-Rattrapez les ! Tuez les ! Je veux leur tête et vite ! Cria le soldat qui devait en fait être un général vu la façon dont les autres lui obéissaient.

Lara et Djidane ne perdait pas de temps, ils tournaient, évitaient, feintaient, mais ils finirent par tomber sur une autre brigade, et ils sortirent les armes. Lara serra les dents, et sortis ses poignards. Le combat s’engagea. Ils n’avaient aucune chance ! En face d’eux, il y avait une cinquantaine d’hommes dressés pour tuer. Pourtant, ils combattirent avec toute la force du désespoir. Djidane pourtant veillait à ce que Lara ne soit pas trop blessé. Lara aurait voulu lui crier de la laisser, mais rien n’y faisait. Elle sentait son sang, et elle avait beau disparaître, réapparaître, immobiliser, lancer, tuer, rien ne changeait. Les soldats étaient trop nombreux.

-Lara, tire toi de là, il faut que tu vives ! S'exclama Djidane du haut de ses vingt ans.
-J'étais justement en train d'y penser, répliqua la vampire avec son ironie.

Les deux adolescents étaient en train de se battre contre ces soldats à la solde d'Ailes ténébreuses. Les guerriers étaient plus nombreux qu'eux, et Djidane était déjà bien blessé. Le combat avait l'air perdue d'avance, pourtant aussi bien Lara que le jeune homme se battaient comme deux beaux diables.

-Lara bon sang ! Pars !
-Pour le meilleur et pour le pire Djidane ! Rétorqua-t-elle. C'est toi même qui l'a dit.

Le jeune homme évita une épée, et poussa Lara de façon à ce qu'elle s'éloigne. La vampire se rapprocha pour parer un coup d'estoc, mais Djidane se mit devant elle pour l'éloigner encore. Seulement, il avait mal prévue sa défense, et lorsque l'épée lui traversa le ventre, le jeune homme cracha du sang.

-Dji ! s'écria Lara en s'approchant à nouveau.

Seulement les soldats étaient déjà en train de l'achever. Lara se figea, et ne se rendit même pas compte qu’elle avait disparu de la vue des soldats. Tout autour d’elle n’était que désolation et douleur. Elle n’entendait ni ne voyait plus rien. Elle sembla juste s’endormir, éveillée, mais toujours invisible. Si quelqu’un pouvait la voir, il ne verrait se refléter que le vide, et le gouffre apparut dans son cœur. Si ce dernier ne battait plus depuis longtemps, en revanche, elle avait l’impression qu’on venait de lui arracher. Lorsqu’elle repris conscience, il ne restait de Djidane que ses cimeterres. Elle les serra contre elle jusqu’à s’entailler les mains, et s’endormie ainsi, vidée de toute volonté. Dans son cœur, ce n’était plus qu’un immense trou noir, tracé par les griffes impassibles de la souffrance. Lara avait mal. Très mal, mais elle ne s’en rendait pas compte. Seul importait Djidane, et il n'était plus. Un habitant, la trouvant ainsi, l’amena chez lui jusqu’à ce qu’elle se réveille. Si en effet, elle rouvrit les yeux, la vampire était morte. Elle était à nouveau morte. Plus rien ne vivait en elle, et ses yeux d’ordinaire pétillants de joie étaient mornes et éteints. Le citadin entreprit de nourrir Lara sans jamais rien lui demander, ayant parfaitement compris la situation. La vampire finit par partir. Elle retourna à sa cité d’origine : Sola, et elle jeta dans une des failles la bague en argent que lui avait offert Djidane avant de s’endormir pour un sommeil comateux dont elle se réveilla sans souvenir aucun. C’était là sa réaction. Elle n’avait eu plus qu’une envie : se tuer. Face à cela, elle avait préféré s’endormir pour se réveiller vierge de tout souvenir avec Djidane.

Désormais, si Lara ne le montre pas, penser à Djidane la fait énormément souffrir. Dans son cœur s’est ouvert une faille qu’elle ne refermera sans doute jamais et que personne d’autre ne pourra combler.

L’amour est un sentiment puissant et dévastateur. Tel un tyran, il ravage les cœurs et les fait brûler. L’amour, c’est beau, c’est fort, ça nous rend invincible… Mais lorsque l’on se retrouve seul, l’amour, c’est une bombe à retardement.