Depuis qu'il s'était levé, Vaelh attendait. Il évoluait lentement dans son occulte établissement, inspectant ses cohortes de créations comme l'aurait fait quelque coriace officier pointilleux de l'armée pour ses troupe de vétérans. Où que son regard ne se pose, il n'y avait que le beau, la splendeur, la magnificence, la divine perfection. Plissant les yeux, il se rapprocha d'Inexpugnable, ce mastodonte d'acier d'une demi tonne qui contribuait à sa fierté. Une armure-forteresse de trois mètres de haut, de la semelle de ses solerets jusqu'à son impérieux cimier écarlate qui partait du sommet de l'antre blindée dans laquelle se nichait un casque au faciès impassible, jusqu'au milieu du dos. Une jupe de latte de cuir bordeaux ceignait la taille du monstre, soulignant la superbe sculpture de tête de taureau à même son ventre. Ce puissant animal était représenté en divers endroit de l'armure, tels les épaulières, les genouillères et les avant-bras, souvent accompagné d'une poignée de courageux lanciers et épéistes qui se dressaient contre les plus affreux des maux le tout dans un ton noir mat qui contrastait avec l'or lustré des plaques ridiculement épaisses du mastodonte de fer.

Le regard aussi perçant que celui d'un aigle en chasse, Vaelh se pencha vers la cuissarde massive de son oeuvre. La pureté de sa couche d'or faisait se refléter l'intérieur de la sombre tanière du Démon avec une époustouflante clarté. On y voyait une salle ronde, anormalement immense comparée aux dimensions extérieures du bâtiment. Les murs filaient vers un haut plafond en adoptant des trajectoire subtilement courbées, comme celle d'une cruelle flèche acérée tirée à la parallèle du sol. Sur l'équivalent de deux étages reposaient dans des vitrines épaisses un nombre tout bonnement incalculable d'objets merveilleux qui ne pouvait venir que d'une dimension fabuleuse seulement peuplée de Dieux. Armures, casques, bijoux, armes, robes, accessoires en tout genre, reliques et d'autres choses indéfinissables mais tout aussi fantastiques s'étalaient à perte de vue sur des présentoirs doucement éclairées. En fait, hormis les lumiglobes magiques dans les vitrines et un lustre pendu à plusieurs mètres du sol, si acéré qu'on aurait plutôt dit quelque affreux outil de torture, les seuls sources de lumière provenaient des fentes qui faisaient offices de fenêtres. Ces dernières étaient haute du sol au plafond, mais aussi fine qu'une pièce de monnaie. L'ambiance s'en trouvait tamisée, et cette endroit prenait d'avantage des allures de temple ésotérique que de musé.

Loin de s'intéresser à son intérieur qu'il connaissait bien, l'Incube et sa maniaquerie avaient repéré sur la cuissarde géante un grain de poussière solitaire qui, par sa simple présence, insultait tout son génie. En soupirant de frustration, Vaelh tendit sa main qui, grâce à quelque incroyable procédé magique, franchit la vitrine comme s'il ne s'agissait que d'une voile d'eau. Il s'empara de l'affreux petit corps étranger avant de le laisser tomber au sol et de lentement l'écraser sous son talon. Un geste d'apparence puéril, mais qui servirait sans doute d'exemple à tout corps poussiéreux clandestin dans le coin ! Satisfait de son petit accès de cruauté, il retourna rôder vers le centre de la pièce couvert par un large tapis pourpre cousu de mille et une runes étranges.
Et il se remis à attendre, non sans une douloureuse impatience.
Peut être n'aurait-il pas dû obliger celui qu'il voyait comme son petit protégé à venir jusque là. A bien y réfléchir, c'était de l'inconscience pure. Quoi que... En fait, ce qui serait vraiment inconscient, ce serait que ce Roxo tente de venir jusque là, dans la capitale de l'Empire d'Aile-Ténébreuse, dans son quartier le plus réputé et fréquenté par la haute société et les patrouilles aguerries. Puis, tandis qu'il réalisait cet état de fait, il s'accorda à penser que si Roxo avait la folie pour se décider à venir jusque là pour, et surtout s'il y parvenait malgré qu'il rien de moins qu'un ennemi publique qu'on voulait mort ou vif, alors il méritait que l'artiste se penche sur son cas.
Puis, dans le fond, s'il faisait tant d'effort et se mettait tant en danger, c'est bien que Vaelh devait lui manquer.

A qui ne manquerais-je pas de toute manière ? demanda-t-il pour lui même et ses œuvres.

Finalement las de rester debout, Vaelh se détourna pour aller s'installer derrière son colossale comptoirs, baigné dans les ténèbres. Seules le reflet de ses prunelle d'or donnait encore un vague indice sur sa position.
Ainsi, au couvert des ombres, l'Armeator Artisis attendait que les hautes et étroites doubles portes de son antre s'ouvrent pour laisser entrer son jouet de création. Et instinctif qu'il était, Vaelh avait la certitude qu'il n'allait plus devoir attendre bien longtemps.