– C'est dégueu ça !
Nawel a trois ans. Trois ans seulement. « Comment sera-t-elle quand elle sera grande ? » se demande ses parents. Difficilement imaginable. A son âge, elle a la langue plus pendue que bien des adultes...
– Qu'est ce qui est dégueu ? s'amuse son père.
– Ce truc, là, dit-elle en désignant du doigt une chrysalide accrochée à la branche d'un arbre.
– Tu sais, ce « truc » comme tu dis, donnera bientôt un magnifique papillon.
Nawel fait la moue.
– Pas possible, c'est trop moche !
– Et pourtant c'est vrai.
– Mais elles sont où ses ailes ?
– A l'intérieur.
– Je peux voir ?
– Non Nawel, tu...
Trop tard. L'impatiente petite kitsune a déjà touché la chrysalide du doigt, avec la légèreté et la finesse d'un troll en plein combat. La paroi est éventrée, et ce qui ressemble à une chenille s'agite faiblement à l'intérieur.
Nawel prend une expression terrifiée.
– Qu'est ce que c'est ?
– Ce qui prévoyait d'être un papillon, lui reproche son père. Tu es humaine Nawel, et les humains ne respectent rien, certes, mais tu es aussi un renard qui suit le cycle de la nature et ne fait aucun mal par simple curiosité ou méchanceté.
– Mais je ne voulais pas...
– Je sais. C'est une remarque à appliquer pour la prochaine fois. Nous sommes kitsunes, et il nous faut nous comporter comme tel, d'accord ?
Nawel hoche la tête d'un air contrit.
– D'accord papa. Je referais plus, promis.
Ce dernier sourit et dépose un baiser sur son front.
– Allez, oublions ça. Tu viens ? Maman nous attend.
Nawel s'apprête à suivre, quand soudain quelque chose la retient.
Non. Pas quelques chose. Une idée. Une simple idée.
– Nawel ?
Cette dernière lève la tête et regarde son père, ses grands yeux ambres emplis d'espoir.
– Et si je guéris ?
– Comment ça ?
– Si je guéris la chenille, et puis que comme ça elle devient un papillon ?
– Tu es sûre que ça marchera ?
– Je veux essayer.
– Alors essaie. Si tu le sens.
Nawel prend une profonde inspiration. Un air sérieux est à présent peint sur son visage de petite fille. Elle s'approche de la chrysalide et, cette fois-ci avec une extrême délicatesse, y pose le doigt. Elle se met à chanter.
Son père regarde, émerveillé, l'incroyable alchimie qui se déroule devant ses yeux. Au départ, le changement n'est pas perceptible. Puis, la chrysalide se déchire et un magnifique papillon aux ailes multicolores en émerge et s'envole dans le vent.
– Ça a marché, papa ! Ça a marché ! s'écrie Nawel. Je l'ai guéri !
– Et même plus que ça, fait doucement remarquer son père. Tu as accéléré sa transformation.
Nawel n'écoute plus. Son temps de concentration de la journée s'est écoulé. Elle improvise une danse de la joie en chantant « Je l'ai guéri ! Je l'ai guéri ! Je l'ai guéri ! ». Soudain, elle s'arrête brusquement.
– Papa, c'est ça mon pouvoir ?
– Il semblerait. Le pouvoir de guérison. Un pouvoir très rare, mais très puissant... On dit qu'un kitsune à neuf queues possédant se pouvoir a réussi un jour à faire revivre un mort... C'est un don exceptionnelle que tu as eu là, ma fille. Prends-en grand soin et...
Le père s'interrompt et soupire. Encore une fois, Nawel ne l'a pas écouté, et est partie en courant rejoindre sa mère pour lui annoncer la nouvelle. Il a un petit rire. Il la préviendra des dangers plus tard, autant qu'elle en profite.
Et de toute façon, pourquoi se presser ? Ils ont toute la vie devant eux...