Lorsque l’on se sent subitement seul, au bord d’un tournant majeur de sa vie, il est fou de constater à quel point sa propre respiration est bruyante, au point de vous irriter vous-même.
D’ailleurs, ce que Bordeau aimait par dessus tout c’était entendre ce bruit agaçant s’arrêter. Elle pensait au souffle de ses adversaires bien sûr, car nulles envies suicidaires ne s’étaient encore manifestées dans son esprit dérangé…
Mais si ce jour devait marquer la fin de son existence, alors entendre sa propre respiration se taire, saurait lui apporter un brin de joie lors de son entrée dans les terres de Nayris.

Ce qui amenait tant la guerrière de Foam à songer à sa propre mort, n’était ni plus ni moins qu’une convocation officielle pour rencontrer le Tout Puissant Ailes Ténébreuses. Non, elle avait relu le fichu papier, encore et encore. Pas de mention d’un quelconque laquais ministre ou quoi. Non… Le Divin Seigneur avait demandé à la voir elle, dans son immense palais au cœur de Sen’Tsura !

Pourquoi ? Et bien, en voilà une bonne question, que la démone se posait depuis l’aube où ce fichu coursier officiel avait déposé cette maudite lettre officielle, avec un sceau tout aussi reconnaissable et indéniablement véritable… Non il ne s’agissait pas là d’un canular ! Inutile d’y repenser.

Mais revenons-en à la question du pourquoi ? Et bien, elle avait tout de suite pensé que le Divin Seigneur ne pouvait en arriver à la rencontrer en personne que s’Il avait vraiment envie de réduire à l’état de pulpe sanglante de sa propre main… Idée qui avait été renforcée par le fait qu’on lui avait ordonné d’attendre ici, à quelques pas à peine de la salle de torture, dont tout le monde connaissait la funeste existence… Sans parler des milles rumeurs sur les pratiques « particulières » dans cette charmante pièce…
La prenait-on pour un espion rebelle ? Cela courrait les rues en ce moment ! Presque qu’autant que les rats dans les recoins de l’arène… Et elle leur accordait tout autant d’intérêt.

Mais voilà, en écoutant son propre souffle, décidément trop rapide, elle se rendit rapidement compte, qu’elle n’avait rien fait qui puisse courroucer le Maître de tout Terra, et encore moins au point qu’Il eut envie de l’occire de sa divine personne.
Non cela devrait-être autre chose mais quoi… Aucunement des félicitations pour son travail dans l’arène, Il enverrait sans nul doute le premier clampin du coin…

Oh, sans doute une mission secrète, car avec les espions on ne sait jamais… Oui ! Cela devait être cela ! Ainsi en prenant l’information directement du bouche à oreille, si quelques mots arrivaient aux oreilles de ces pisse-culotte de rebelles, alors le responsable est tout trouvé !

La démone n’avait même pas prit le temps d’admirer l’architecture splendide du palais, bien trop occupée à garder autant de constance que possible. Là, derrière la lourde porte de bois sombre et finement décorée, se tenait la réponse à ses mille-et-une questions.
Quand enfin, les laquais du Divin Seigneur lui demandèrent d’entrer dans la pièce, elle était prête et résolue. Si sa tête devait rouler sur le sol qu’il en soit ainsi. La jeune femme avança avec fierté, le corps droit et la tête haute.

Certains et surtout certaines, face à une telle personnalité se seraient inclinés avec grâce et auraient usés de jolis mots tels que « Vous m’avez fait demander, Ô divin Ailes Ténébreuse. » Mais Bordeau n’était pas de ce gens là, c’était une guerrière. Un genou à terre pour montrer sa soumission, car connaissant sa force, elle ne quitta pourtant pas un instant son visage.
-Pourquoi as-tu besoin de moi, grand Roi Divin ? Cette démone est à ton service.
Son regard rougeâtre planté dans le sien, elle attendait, sereine, de constater ce que le destin lui avait réservé cette fois.

Debout, les bras lâches et les ailes repliées, le Roi Démon regardait la gladiatrice qui se prosternait devant lui, comme le font les guerriers. S'il n'avait d'estime pour nul autre que sa propre personne, les combattants avaient cette simplicité, ce sens de la hiérarchie qu'il appréciait. Face à des gens comme cette Bordeau, il ne fallait pas composer avec les mensonges, les intrigues politiques, les courbettes de cérémonie et tout un tas de simagrées destinées à endormir la méfiance de Démon. Non, avec eux, il n'y avait que peu de non-dits, et il savait clairement à quoi s'en tenir. Ils étaient moins énervant.

Il vit la souffle de la guerrière se condenser en une petite fumée blanchâtre. Là où le démon passait, il faisait toujours froid. Lui même n'y pouvait rien, à moins de déclencher un feu évidemment. Mais partout sur son passage, et en fonction de son humeur, la température baissait, voire chutait violemment. C'est assez ironique, la plupart des gens voyant le démon comme rayonnant d'une chaleur infernale...

Il avait adopté sa forme humaine pour recevoir Bordeau, et l'avait faite convoquer dans la salle de torture, qu'il utilisait souvent quand il avait à faire passer des entretiens privés. Une fois, lors qu'il avait fait venir un autre combattant, celui ci s'était tout bêtement enfui par la fenêtre de son bureau. Certes, ça n'avait été qu'un piège et il l'avait fait suivre pour retrouver la trace d'un groupe rebelle, mais la rumeur avait tout de même couru, et c'est le genre de "faiblesse" apparente qu'il ne pouvait laisser passer. Aussi, dans la salle de torture, au delà de l'impact psychologique évident, il était assuré que personne ne pourrait s'enfuir, pas sans passer par la porte tout du moins. Et la porte était gardée.

Il s'approcha de la jeune femme et lui ordonna de se relever, la toisant de toute sa hauteur, la jaugeant, la jugeant. La détermination qu'il lisait dans ses yeux lui laissait clairement entendre que sa décision ne serait pas la mauvaise. Mais... Pas encore.

"Tous les démons sont à mon service. Tout citoyen de la Terre, du Feu, et de l'Eau est soumis à mon autorité et à mon bon vouloir. Je dispose d'armées entières, d'assassins par dizaines, d'espions si nombreux que je ne peux le compter, et de fidèles dévoués. Et pourtant je t'ai faite convoquer en personne, toi, une petite combattante perdue parmi la mass grouillantes de tes homologues."

Il marqua une pause, le temps de voir ce que son regard lui disait. Elle s'était déjà posé toutes ces questions

"Je ne vais pas te tuer. Je ne vais pas te punir. Au contraire. Je t'ai fait amener car tu as quelque chose que bien peu peuvent apporter à l'Empire. Mais avant cela, je dois être certain d'une chose."

Il s'avança encore un peu, jusqu'à se tenir à quelques centimètres à peine d'elle, irradiant d'un froid glacial et de mauvais augure. Son ton était mesuré, il aurait presque pu sembler charmeur s'il ne sonnait pas pas aussi malsain.

"J'ai besoin de savoir a quel point tu crois en ma divinité. Montre moi que je suis ton Dieu"

Bordeau écouta sa tirade sans plus d’intérêt que cela, et ne savait d’ailleurs pas cacher ce manque d’attention. Elle savait déjà tout cela, seul la réponse l’intéressait. Aussi la démone manqua de trépigner en attendant qu'il se décide à lui révéler la raison de sa venue.
Le regard glacial du Dieu des Démons était certes impressionnant, mais Bordeau n’était vraiment inquiétée que par les regards qui criaient « je vais te tuer ! ».
Là il y avait tant de subtilité dans les yeux du Maître des Ténèbres qu’elle n’essaya même pas de comprendre… A quoi bon. Il avait dit qu’Il n’avait pas l’intention de lui faire de mal, alors il pouvait s’amuser autant qu’Il le souhaitait avec les expressions machiavéliques, elle n’en avait cure…

Mais lorsque le Seigneur de tout Terra posa sa dernière question, Bordeau lui lança un regard intrigué, lançant un bref « Mais par Nayris de quoi parlez-vous ? » pendant que sa bouche se décalait sur le côté pour marquer plus encore son incompréhension.
Lui montrer qu’il est son Dieu ? Et bien déjà s’il était un simple roi elle n’aurait même pas pris la peine de se déplacer… Mais ce n’est sans doute pas le genre de réponse qu’Il attendait. Elle était sûre qu'Il pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert et comprendre ce que signifiait son regard, néanmoins elle eut tout de même la politesse de reformuler sa pensée.

-J’avoue, Divin Seigneur, que vous me perturbez avec cette demande des plus étranges… Pour moi il s’agit là de quelque chose d'évident, normal, voire banal qui n’a même pas besoin de quelque preuve que se soit. Un peu comme on sait que l'eau mouille et le feu brûle...
Vous êtes à mes yeux le messie venu relever le niveau dans ce monde en le purgeant de ces insectes grouillants qui pourtant se permettaient d’étouffer les forts par leur nombre pour protéger leurs écœurantes existences… Mais, certes, voyons…

La jeune femme plaça la main sous son menton, réfléchissant au moyen le plus rapide d’imager sa pensée sans pour autant avoir des airs d’andouille illettrée.
-Comme je ne suis pas très douée avec les mots, je ne vais pas chercher à user de philosophie… J’ai pour démonstration un élément des plus simples.

Oui, elle ne pouvait penser qu’à cela, après tout… Bordeau sortit son épée de l’encoche de rangement dans son dos et la planta au sol.
-Ma vie entière je la consacre à une seule chose, nourrir cette épée démoniaque. Un artéfact rare, mais surtout l’esprit qui l’habite hante mon esprit constamment et m’obsède…
Aussi, quiconque tenterais de me prendre cette épée se verrait subir les foudres de mon courroux. Et cela, quand bien même il serait plus puissant que moi ! Si ce combat me ferait perdre mes jambes, je ramperais tout de même vers ma cible, et si on me coupait les bras je mordrais tant que je le pourrais encore.

Mais vous Divin Seigneur, vous êtes bien au dessus tout cela jamais je ne pourrais saisir vos intentions, cela c’est mon instinct qui me le martèle peut importe comment j’essaye de penser Aussi si vous Monseigneur me demandiez de vous céder cette épée, et bien je prendrais sur le champ et sans détour ma propre vie avec cette lame, afin que vous puissiez par la suite en user comme bon il vous semble. Ma vie n’aurait plus aucun sens sans cette épée, et j’aurais été fière de la renforcer de ma propre vie pour votre usage par la suite.

La gladiatrice ne mentionna pas qu’elle en aurait fait de même si Nayris lui était apparu avec la même requête. Mais la déesse enfant ne c’était jamais manifestée après tout.
Elle ignorait si cette réponse était la bonne. Puissance et pouvoir, elle ne pouvait décrire ces mots. Mais oui il était une personne pour laquelle elle sentait qu’elle pouvait se sacrifier. Crimsus le démon de sa lame avait après tout pour but d’avoir un manieur puissant et ainsi de se repaître d’autant de sang que possible. Même si le Roi Démon n’en faisait pas usage lui-même nul doute qu’une si belle lame se retrouverait dans la main d’un de ses plus puissants acolytes. Aussi en prenant sa vie avec cette lame pour lui, peut-être qu’elle serait toujours en quelque sorte avec le démon de l’épée…

La démone secoua la tête, c’était un peu trop à penser pour elle, surtout que ce n’était pas vraiment l’avenir le plus plaisant. Elle se sentait fière de servir Crimsus, et aimée aussi. Mais elle savait que les desseins du démon étaient sur un plan bien supérieur et serait tout aussi fière que son épée prenne part à ce genre de projet.
Sa petite existence égoïste aussi n'était rien après tout...

La guerrière se concentra à nouveau sur le visage du tout puissant, attendant que le verdict tombe.

Pas très douée avec les mots disait-elle... Pourtant elle savait bien les choisir et les assembler. Elle avait la sincérité tranquille de ceux qui n'ont jamais eu à mentir plus de quelques minutes, à la suite desquelles soit on dit la vérité, soit on tranche des têtes. Les combattants, les militaires, les religieux... Des gens bien pratiques en général. Il ne fallait bien souvent pas espérer en recueillir de bonnes idées, mais ils étaient doués pour accomplir les ordres. Bien qu'en la présence du Démon, personne n'était véritablement apte à donner des conseils, et encore moins des conseils utiles...

Pour un animal comme elle, son interlocutrice était assez intelligente. Elle avait su trouver les bons mots pour exprimer sa foi, et il la sentait en elle. Une sensation bien différente de celle qu'il éprouvait quand l'ancienne archevêque, la vampire, était encore en poste, car la foi qui expirait d'elle n'était pas la sienne, mais celle des fidèles dont la foi était exacerbée en sa présence. Tous les sentiments des inférieurs étaient tellement semblables que tous s'y étaient laissés prendre. Il avait bien entendu senti que quelque chose n'allait pas avec elle, mais il avait laissé cette responsabilité à son entourage et, bien évidemment, ils avaient encore trouvé le moyen de se montrer indignes de lui. C'est depuis ce jour qu'il avait décidé seul d'éprouver les futurs archevêques. Il n'accordait pas encore son approbation à la démone, mais disons qu'elle s'éloignait de l'échafaud à chaque mot qu'elle prononçait.

"Ainsi donc, vous seriez prête à me donner votre vie et votre épée si précieuse sur une seule de mes paroles? Je perçois l'attachement que vous portez à cet embryon que vous nourrissez, un peu comme les mères de ce monde qui donnent le sein à leur progéniture mollasse et frétillante. Cette épée est la seule chose qui importe à vos yeux. Je perçois aussi la soif de sang de la chose qui est piégée dans votre lame. Elle serait plus heureuse entre les mains d'un assassin que d'une archevêque, vous ne trouvez pas?

La foi, la vraie foi, c'est de ne se poser aucune question. D'aucuns disent souvent avoir éprouvé la sincérité de leur croyance en surmontant les épreuves et les doutes qui leurs avaient été envoyés par leur dieu. Ceux là, s'ils ont nécessité une épreuve, étaient déjà de mauvais croyants, et pour cela, il seront pour toujours tenu éloignés de la vie éternelle, qu'importe leurs actions futurs, car jamais une bonne action ne saura racheter un péché. Lorsque l'on a insulté son Dieu, on en assumera les conséquences, et rien ne pourra permettre à cet individu d'en réchapper : il subira la punition qui sied à son blasphème. Non, voyez vous, le vrai croyant, c'est celui qui sait ne pas penser quand ce n'est pas nécessaire. Si son dieu lui dit : "jette toi du haut de la falaise", il doit se jeter du haut de la falaise, sans prendre le temps de se demander pourquoi, quand, comment.

Et j'ai l'impression que vous vous posez plein de questions, dont la plupart sont de toute façon au delà de votre capacité de réflexion. Maintenant, je vais vous en poser une, et vous allez me répondre immédiatement, sans prendre le temps de penser : si je vous disais de me donner votre épée et de rester en vie pour me servir, en me voyant la briser en deux, que feriez vous?"

Durant un instant elle se figea. Son esprit avait rejeté la question au premier abord laissant son esprit aussi vide qu’une vielle coquille de noix. Donner son épée, la voir détruite, mais poursuivre sa vie ?
Néanmoins sa bouche parla pour elle, sans même qu'elle ne se souvienne avoir émit le commencement d'une pensée concrète, et elle déclara le regard vide :
-Vous m’arracheriez le cœur à mains nues que cela aurait le même effet. Mais au plus profond de mon être, je sais bien qu'on ne refuse rien à un Dieu, pas même de lui sacrifier son enfant, sans cessez de le servir par la suite.

Quand enfin elle reprit le contrôle totale de son mental elle se rendit alors compte de l’état conflictuel de son mental. Deux force s’affrontaient, son envie de satisfaire cette puissante créature d’un autre monde et celle de conserver son bien aimé.
Peut-être que s'Il lui avait donné le temps de réfléchir alors elle se serait embrouillé et le conflit dans son esprit serait apparu évident.
Pourquoi le sauveur voulait-il lui prendre sa raison de vivre et lui en donnez une nouvelle ? Pourquoi s'intéresser à elle ou à son épée ? Deux poissons quelconque dans l'océan. Était-ce un de ses caprices que les Dieux imposent à leurs sujets… Ils étaient leur créations et donc avait tout droit sur eux, mais ô combien cruelle leur jeux pouvaient être…

Bordeau poussa un profond soupir, une main sur le torse, alors qu’elle tentait d’évacuer cette soudaine montée d’adrénaline.
-Mon Seigneur, vous devez savoir que, pour cette démone qui n’a vu les meilleurs jours de sa vie que depuis votre arrivée, rien n'a plus de valeur que votre considération. Et sans nul doute, vous savez aussi que suis une brute, certes, mais pas une idiote.
J’ai conscience bien de n’être qu’un pion et en même temps j’en éprouve une certaine fierté… Sans doute est-ce ce qu'on appelle la folie. Néanmoins, j’espère que votre divine personne connait la force du sacrifice, et cette douleur qui l'accompagne, que nous les insectes ne ressentons que trop bien... Ainsi que les ravages qu'elle peut causer en ces pitoyables créatures que nous sommes.

Néanmoins, la démone s’agenouilla devant lui et lui tendit son épée, ne pouvant empêcher ses mains de trembler, lui donnant un air pathétique qu’elle haïssait plus que tout. Elle serra les dents pour se reprendre face à cet être divin qui la poussait dans ses plus extrêmes retranchements. Ses canines crissèrent les contre les autres, l’arme démoniaque lui brûlait presque les mains en laissant échapper un sentiment étrange, très primaire, que seule la démone pouvait comprendre après l’avoir côtoyé tant de temps.
-S’il fait parti de vos desseins de faire subir la pire des souffrances à votre servante, qu’il en soit ainsi. Je suis prête à payer le prix qu’il faut pour vous servir.

Mais la gladiatrice gardait la foi, elle croyait que ce Dieu était leur sauveur, et qu’il n’avait pas l’intention de lui faire du mal… Ou s’il lui en faisait, qu’il avait une raison hors de sa portée de compréhension, et qu’il lui rendrait son bonheur. Tout son esprit voulait croire qu’il ne serait pas si cruelle envers sa plus dévouée subordonnée.
Son souffle trahissait sa crainte sous-jacente, mais son peuple avait toujours eu un respect également basé sur la crainte de Nayris leur créatrice. Son regard néanmoins brûlait du feu de la passion. Pour elle, aucun démon ne pouvait possiblement refuser de se soumettre… Pas à Lui. Quand bien même elle devait perdre sa raison d’être.
Et justement, la jeune femme ne pouvait néanmoins garantir que son âme ne sombrerait pas dans la folie et qu’elle ne lui serait ensuite plus d’aucune utilité.
D'ailleurs soudain son cerveau tilta sur quelque chose... La guerrière n'avait rien compris à cette histoire d'archevêque et d'assassin... Avait-elle manqué quelque chose? Cela ne l'étonnerait pas...

Gardant un visage impassible, le Roi Démon sentait en sourire poindre en lui. Elle avait bien répondu, exactement ce qu'il avait souhaité entendre. Il ne craignait pas un seul instant qu'elle ait pu lui mentir pour s'attirer ses faveurs : jamais un inférieur n'aurait assez d'intelligence pour comprendre ce qu'il attendait de lui, et surtout pas avec autant de précision. Non, la démone ne lui mentait pas. Sa foi était véritable. Il le savait, il ne se trompait pas, lui.

Elle lui tendait son épée. Elle en souffrait, mais elle le faisait, là, maintenant, sans même qu'il n'ait eu à lui demander quoi que ce soit. Elle état prête à sacrifier ce qu'elle avait de plus cher en ce monde simplement pour lui prouver qu'elle croyait en sa divinité. Il regarda le tremblement de ses mains avec une fierté mêlée de dégoût : ce genre de faiblesse le révulsait toujours, mais face à lui, comment pourrait-il en être autrement?

"Vous êtes un pion, en effet. Mais il me semble que dans ce monde, dans le jeu que vous appelez échecs, les pions ont deux façon de servir leur roi : en mourant au combat, ou bien en traversant l'échiquier pour se muer en quelque chose d'autre, de plus puissant, plus utile. Vous êtes un pion, répéta-t-il, et vous vous êtes démenée sur le damier pendant bien longtemps, sans véritable but, autre que celui d'avancer. Telle que vous vivez, vous allez mourir au combat dans quelques mois tout au plus, car sans un but fixe, ultime et lointain, on finit par aller à sa propre perte. Ceux qui croient en moi ont un but : le mien."

Laissant planer un silence après sa dernière réplique, il s'approcha de la démone, et, lentement, tendit sa main griffue vers elle pour se saisir de son épée, la levant jusqu'à ses yeux pour l'examiner. Il sentait le démon qui y survivait, pâle reflet de la puissance de sa race. Il n'était plus qu'un nourrisson incapable de survivre seul, et seul le petit contrôle qu'il avait sur son hôte lui permettait de se sentir à nouveau puissant. Il ne tenta pas d'user de son pouvoir sur le Roi Démon cependant : même un embryon comme lui comprenait sa divinité.

"Votre épée est animée d'une volonté propre : elle demande du sang, elle le hurle avec toute la force qu'elle possède. Je pourrais lui apporter ce qu'elle désire. De bien des façons. Je pourrais la garder avec moi et m'en servir dès que l'envie m'en prendrait. Je pourrais aussi la donner à l'un de mes généraux ou de mes assassins, qui saurait lui aussi accomplir cette tâche. Ou bien... Je pourrais vous la rendre, et vous apporter assez de sang frais pour qu'elle achève enfin de retrouver sa misérable gloire d'antan. C'est ce qu'elle désire, alors c'est ce que vous désirez aussi."

Il reposa l'épée sur ses mains encore immobiles. La décision du démon était prise.

"Je n'ai aucune intention de vous faire subir une quelconque souffrance, animal. Cela ne servirait pas mes intérêts, et vous m'êtes plus utile en pleine possession de vos moyens qu'entravée par la douleur. Car oui, vous pouvez m'être utile, et pas en tant que sacrifice.

Je rendrai à votre épée sa puissance si vous me servez bien. Et vous allez bien me servir, je n'en doute pas, car vous croyez en moi, plus que beaucoup de mes plus fidèles adorateurs. Et vous avez su en parler avec des mots assez simples pour que les plus idiots comprennent, et avec assez d'emphase pour galvaniser des foules entières. Et c'est désormais votre travail.

Vous êtes une de mes archevêques. Vous disposez désormais d'un palais, d'une fortune, et d'un accès à nos conseils de guerre et infrastructures. Dans les temples érigés à ma gloire, vous aurez préséance sur n'importe quel prêtre, et vos mots seront toujours écoutés par le troupeau qui y siège.

Vous recevrez vos ordres directement d'Alastair ou de moi même. Et votre premier ordre, le voici : soulevez les foules et communiquez leur votre foi, par tous les moyens que vous jugerez nécessaires."

Décidément, le système nerveux de la jeune démone était soumis à rude épreuve en ce jour où sa destiné allait changer du tout au tout.
Comment, plait-il c’est quoi cette histoire, est-ce qu’il avait dit archevêque ? Hein ? Quand comment, pourquoi… Qui ?

Bon une chose déjà, elle avait récupérer sa lame. Crimsus bouillait d’excitation. Lui avait visiblement compris ce qui se passait, à défaut d’elle-même…
Est-ce que ce Dieu venait de la choisir comme porte-parole de sa divine personne ? Comme responsable en chef du culte de Zelphos ? Quand bien même c’était un être sur un plan physique supérieur, elle aurait presque douté de sa décision un instant. Mais son jugement était perturbé par son manque d’estime en soi pour accomplir cette tâche, différente de celle qui l’occupait d’ordinaire, c'est-à-dire de découper ses ennemis…
Sans nul doute ce nouveau travail ne manquera pas de jouxtes… Tant mieux !

-C’est trop d’honneur que vous me faite Divin Seigneur, mais votre servante saura se montrer digne de la fonction que vous lui confiez. Je répandrais le culte qui vous honore dans tout Terra, par ma voix, et s’il le faut par ma lame. Moi Bordeau, je fais le serment solennel de ne vivre que pour vous servir. Seule la mort m’éloignera de ma divine mission.

Aussi elle se releva, nul doute que le Roi Démon n’avait plus une seconde à perdre avec elle. Son ordre avait été donné, et elle l’avait, bien entendu, le contraire n’étant pas envisageable, accepté avec une fierté qui la faisait marcher sur des petits nuages…

Elle ne pouvait pas rester vêtue de la sorte, comme une jeune gladiatrice paumée… Il était tant de revêtir la tenue des Conchas les plus renommé. C'est-à-dire de se faire une armure noire sur mesure, mélange de métal et de la carapace typique de son espèce.

Alors qu’elle réfléchissait à tout cela en revenant dans son antre à l’arène chercher le peu d’affaire dont elle avait besoin et ses dernière économie elle fini par réaliser ce que contenait la totalité du discours du Seigneur Démon.

-Une minute… Est-ce qu’il a dit palais et fortune ??