Plusieurs semaines durant, Trataïr et Iryo voyagèrent ensemble en direction de la magnifique Sen’Tsura. Le commandant y était convié lors d’une réception organisée par un noble terrien. Outre l’ennui infini que s’imaginait vivre le lycan, il s’inquiétait en permanence de sa décision. En effet, il avait concédé à sa belle de l’accompagner durant ce voyage qui pouvait s’avérer périlleux. Non pas que les routes qu’ils traversaient étaient plus agitées que d’ordinaire, mais le risque est relatif à la distance parcourue, et celle-ci était somme toute très importante. Il fallait encore compter une bonne semaine au couple pour arriver à destination. Car non-contents de voyager « à pieds », ou plutôt « à pattes », Trataïr avait pensé opportun de profiter de ce long périple pour aller faire un tour dans la féérique Drayame.

Les immenses arbres séculaires laissaient à peine pénétrer le soleil à travers l’épaisse canopée qu’ils formaient tous. Côtes-à-côtes, comme des frères, ils rendaient la progression des deux voyageurs plus pénible que les derniers jours passés à traverser de vastes plaines et champs. Bienheureusement pour eux, leur condition de lycan les aidait quelque peu à s’adapter à ce nouvel environnement bien plus riche en obstacles. Il fallut un peu de temps à Trataïr pour « former » Iryo à l’escalade des immenses branches et au saut en longueur d’un arbre à un autre, mais au final son élève se révéla assez douée pour évoluer seul sans qu’il ait besoin de lui porter assistance. Pareils aux elfes qui occupaient alors l’endroit, le duo d’acrobate faisait de la forêt leur terrain de jeu. Néanmoins, cela restait un terrain bien plus difficile que les routes de Terre. Il fallait donc compter sur un plus grand temps de repos entre chaque escapade sylvestre, et donc rallonger le temps de voyage. Mais cela… Trataïr ne s’en préoccupait pas, encore moins Iryo qui n’avait aucune idée de ce que pouvait être le courroux d’un noble qui a invité absent pour cause de papillonnage forestier.

Mais passons, le commandant impérial trouverait bien une excuse pour justifier son absence, si absence il y avait. Pour le moment il profitait de ces moments de paix et de sérénité dans cette forêt antédiluvienne avec sa moitié. Ils étaient plus souvent sous forme de loups qu’autre chose. Trataïr apprenait à sa compagne à maîtriser cette forme qui était déstabilisante pour tous les nouveaux transformés, il parlait d’expérience. C’est donc avec patience et empathie qu’il soutenait sa douce alors qu’elle peinait souvent à réfréner sa part animale qui, sans cesse, voulait se libérer de cette conscience humaine pour ne laisser que les instincts primaires et sauvages aux commandes. Il l’aidait alors que, sans explication, elle ne parvenait plus à articuler de mots, trop obnubilée par quelques odeurs alléchantes. Il lui offrait des bras réconfortants lorsque l’afflux nouveau de sensations intenses qui envahissait son cerveau lui infligeait d’horribles migraines, allant jusqu’aux vomissements. Il était son épaule, parfois même ses jambes dans les pires moments. Un travail de longue haleine mais qui, il le savait, porterait un jour ses fruits. Car jamais, ô grand jamais il n’avait considéré sa transformation comme une malédiction. Les dons qui lui avaient été offerts étaient bien trop précieux pour les oublier et ne garder que les mauvais côtés.

Alors que le couple essuyait encore une fois une longue journée de marche, ils avaient décidés de se reposer au bord d’un lac tout proche. Tous deux avaient besoin de se rafraichir et de souffler un peu. Malheureusement, ils ne pouvaient pas goûter tout de suite à la caresse de l’eau sur leur peau. Une odeur, très légère, flottait à proximité du point d’eau. Il était, de surcroît, aisé d’entendre qu’une créature était en train de se baigner. D’un geste de la tête, le jeune homme demanda à sa compagne de ne plus bouger des buissons dans lesquels ils étaient cachés. Silencieusement, comme un félin, il grimpa à l’arbre tout proche pour prendre place sur l’une de ses larges branches. A califourchon, il banda son arc en direction du vagabond qu’il voyait désormais très nettement. Il n’avait aucune odeur familière au voyageur, et cela l’inquiétait. Il préférait donc faire fuir le géant plutôt que de risquer d’avoir de mauvaises surprises. Il décocha sa flèche qui se ficha dans l’eau, à une dizaine de centimètres seulement du baigneur. Sans attendre, l’archer prépara une autre flèche en décalant cependant son arc de quelques millimètres vers la droite. La prochaine ne serait pas une sommation. D’une voix qu’il essaya de faire plus musical, il lança en direction du géant son dernier avertissement.

- Heca ! Heca sí ! Pars ! Pars maintenant !

Son accent elfique n’était pas des plus travaillés, mais il espérait que le voyageur ait suffisamment peu de connaissances en langue elfique pour ne pas faire la différence. L’archer fronçait les sourcils de manière concentrée. Un geste de trop de la part du baigneur et il n’hésiterait pas un seul instant à l’abattre. Si le parlé elfique de Trataïr laissait quelque peu à désirer, il n’en était rien de sa maîtrise de l’arc, qui pouvait parfaitement l’apparenté aux autochtones de cette forêt.

Iryo était toute excitée à l'idée de passer sa vie auprès de Trataïr. Loin de son village à Sahawi, une nouvelle page de son histoire allait s'écrire. Et cette page n'allait pas être de tout repos.

Pendant le voyage qui devait ramener Trataïr et sa compagne à Sen'tsura, le commandant avait jugé bon de faire un crochet par la forêt de Drayame, prenant ainsi le risque de faire enrager le nobliau qui avait réclamé sa présence en lui envoyant un messager à Aeb. Non pas qu'Iryo s'en préoccupait, mais dans le fond, même si elle se doutait que c'était autant pour se poser et profiter du paysage que pour qu'il lui apprenne à maîtriser sa nouvelle forme lupine, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il risquait un peu gros.

En arrivant à Drayame, ils se mirent en forme lupine la majeure partie du temps, et Iryo souffrit. Un certain nombre de fois. La moindre émotion forte, que ce soit la peur de faire du mal, la peur de ne pas se contrôler, la moindre odeur réveillait sa partie lupine, inondant son cerveau de nouvelles sensations au point d'atteindre la migraine, voire les vomissements. Autant dire qu'à chaque fois, Iryo restait sur les genoux, soutenue par son compagnon qui lui offrait ses bras et ses jambes chaque fois qu'elle flanchait. Mais dans l'ensemble, l'herboriste apprenait vite.

Voilà quelques jours qu'ils étaient dans la forêt, et alors qu'ils venaient d'essuyer une nouvelle journée de marche, ils s'arrêtèrent près d'un lac. Enfin un endroit où Iryo allait pouvoir se décrasser et se rafraîchir ! Cependant, une odeur révélant la présence d'une tierce personne la fit se figer, et aussitôt, sa moitié lupine lutta pour prendre le dessus. Elle n'entendit que d'une oreille distraite les recommandations de Trataïr, qui lui demandait de rester là où elle était, et resta immobile, cherchant à refréner son nouvel instinct.

Immobile dans ses fourrés, Iryo sentit plus distinctement l'odeur : elle venait du lac, quelqu'un s'y baignait. Un être humanoïde, pas un simple humain. L'herboriste essaya de se concentrer sur autre chose, mais le flux de sensations qui lui parvenait l'empêchait de rester calme, et elle poussa un petit cri, sentant son cerveau marteler sa boîte crânienne avant de tomber à genoux, épuisée. Qui était le baigneur ? Peu lui importait ; tout ce qu'elle voulait, c'était que ça s'arrête, et vite...

La tentative de sommation de l’archer n’avait, semble-t-il, aucunement portée ses fruits. Au départ, le regard furibond du baigneur avait attisé l’espoir de Trataïr quant au succès de sa manœuvre, mais très vite celui-ci se radouci considérablement pour arborer un sourire charmant à l’encontre de celui qui l’avait agressé. Il lui répondit dans une langue-sœur de celle parlée par l’archer. C’était celle des plébéiens de ce peuple, des chasseurs, des artisans, des rodeurs de la forêt. Le commandant, pour des raisons d’étiquettes, mais aussi de bon sens, avait appris le langage des elfes plus… nobles. Ceux de la capitale. Ceux, donc, qu’il côtoyait le plus. Ce dialecte, il l’avait appris au côté de la grandissime reine Elwing, qui à l’époque n’était considérée que comme un simple capitaine exalté de pourfendre les morts-vivants des Terres Infectés par dizaines. Pendant un très bref instant, ce souvenir égaya le cœur du jeune homme qui, à l’instar de Rägmor, atténua quelque peu l’hostilité qui marquait son visage.

Néanmoins, une petite plainte provenant d’en bas ramena Trataïr sur terre, littéralement. Il se dépêcha de redescendre de son perchoir, alerté par ces bruits inhabituels, oubliant ainsi complètement de répondre au voyageur. Il revint auprès d’Iryo qui était complètement accablée par l’afflux de sensations qui lui parvenaient de toute la forêt. Le commandant jura grossièrement à voix basse. C’était de sa faute ! Il aurait dû se douter que, pour un lycan à peine transformé, la forêt séculaire de Drayame représentait une trop grosse mine d’informations pour ses sens toujours en éveil.

Il s’agenouilla auprès d’elle et lui chuchota doucement des mots pour l’apaiser. Conscient que l’effet serait minime toutefois. Il fallait la sortir de là, au plus vite. L’ancien chasseur balaya l’environnement du regard, cherchant avec une pointe de désespoir un endroit susceptible de calmer le cerveau en surchauffe de sa bien-aimée. Finalement, ses pupilles émeraude se posèrent de nouveau sur l’homme dans le lac. Il sourit légèrement et revint chuchoter à l’oreille d’Iryo. Dans la langue "commune" cette fois.

- Ma douce, ça te dit une petite baignade ? Ça va te faire du bien, je peux te l’assurer.

En effet, le lycan se remémora un réflexe qu’il avait lors de ses première transformations, aller dans l’eau. Au départ, il ne savait pas pourquoi cela lui faisait autant de bien dans ces moments de détresse. Puis, en réfléchissant un peu, il se souvenait que certains animaux allaient dans l’eau pour échapper à leurs prédateurs. En effet, l’eau masque l’empreinte olfactive, et permet à l’animal de se sentir plus serein, plus en sécurité. Hors donc, un lycan qui s’immergeait complètement dans l’eau voyait ses sens passer à l’état de repos, puisque ni odeurs, ni sons ne passent la barrière de la surface.

Iryo ferma les yeux, à quatre pattes sur le sol, pour tenter de juguler le flux d'informations qui lui parvenait par vagues successives. Tremblant comme une feuille, elle sursauta lorsqu'elle sentit une main se poser sur son épaule, et la voix familière et lointaine à la fois de Trataïr, qui essayait de la rassurer, de la calmer. L'herboriste de Sahawi prit son inspiration, gardant toujours ses yeux fermés, et respira calmement, plusieurs fois, tout en se focalisant sur la voix de son compagnon.

Son vertige finit par passer, et la danseuse de Feu se redressa doucement, remerciant Trataïr du regard ; celui-ci lui proposa d'une voix douce :

Ma douce, ça te dit une petite baignade ? Ça va te faire du bien, je peux te l’assurer.

Iryo posa un regard fatigué sur sa moitié, le temps que l'information parvienne à son cerveau et que celui-ci traduise ; au moins, sa voix n'était plus lointaine, c'était déjà ça. Une fois qu'elle eût - enfin - compris ce que lui proposait Trataïr, elle jeta un coup d'œil au lac, voyant l'homme qui y était déjà, et fronça les sourcils :

T'es sûr ? Oh, mais attends une minute... tourne-toi mon cœur, s'il te plaît.

Comme il était hors de question qu'un homme autre que son compagnon la voie dans le plus simple appareil, elle venait d'avoir une idée. Restant bien cachée dans les fourrés et ayant attendu que Trataïr s'exécute docilement, elle retira ses vêtements, ne gardant que ses dessous, et une fois en tenue, alla piquer directement une tête dans l'eau du lac.

La morsure glacée de l'eau la ramena à la réalité, et elle salua l'idée lumineuse de son compagnon. Aussi à l'aise dans l'eau que sur la terre, elle se mit à nager comme un poisson, restant un moment sous l'eau avant d'en surgir, un large sourire sur les lèvres : un pur bonheur.

Se remettant à nager, mais cette fois gardant la tête hors de l'eau, elle avisa l'homme qui s'y trouvait depuis un moment et, poliment, lui lança :

Bonjour. Que faites-vous en ce lieu ?

Elle qui pensait que Drayame était essentiellement composée d'Elfes et autres créatures de la forêt assez discrètes... Il devait sûrement s'agir d'un voyageur en quête de repos, un humain comme un autre.

Trataïr était satisfait de lui. Il avait convaincu sa moitié d’aller se baigner, malgré la présence de l’étranger. Ce dernier, d’ailleurs, semblait n’avoir accordé aucun crédit à la menace de l’archer puisque jamais ô grand jamais il ne fit de remarque, ne menaça, ou fit preuve de méfiance envers le commandant. Ce dernier exprima sa reconnaissance en redevenant celui qu’il était lors des jours ordinaires, un homme bienveillant et éloquent. Il rejoignit sans hésitation sa compagne et le géant dans l’eau glacée en s’ébrouant de plaisir à la manière d’un cheval. L’eau était certes glacée, mais elle était revigorante et le sang chaud de notre lycan rendait la baignade un peu plus agréable.

Ce fut Iryo qui brisa la glace entre le couple et Rägmor. Sa courtoisie fit sourire le jeune homme qui, pendant ce temps, admirait discrètement sa compagne habillée de seulement quelques étoffes. Mais son œil revint très rapidement vers l’étrange voyageur qui répondait à la demoiselle. Il ne donna pas son nom, seulement sa nationalité. C’était un indigène. Preuve en était qu’il parlait le langage des elfes « communs » et que, de surcroît, il le parlait fort bien. L’homme prétendait ne venir ici que pour la paix qui émanait de l’endroit. Malgré ses explications crédibles et convaincantes, Trataïr conservait une toute petite pointe de méfiance à l’égard de cet être étrange. Son odeur ne lui revenait décidemment pas. Elle lui chatouillait désagréablement le nez, comme une épice inconnue dont on a pas vraiment envie de savoir la composition… L’archer s’employa à lui répondre avec le ton le plus aimable qu’il avait en stock.

- Il n’y a qu’en vivant des décades ici que l’on peut connaître se repérer parfaitement, à mon avis. Nous, nous venons des plaines arrosées de soleil de Sahawi, loin derrière la cime de ses arbres majestueux.

Un sourire ornait son visage alors qu’il faisait un geste large du bras en désignant le nord, qu’il repérait parfaitement à la brise chaude qui soufflait de cette direction. Se faisant, il rejoignit le duo de quelques brasses. Restant plus près d’Iryo que de l’étranger, il présenta quand même à celui-ci un sourire franc tout en passant distraitement ses doigts dans les mèches couleur ébène de sa compagne. Il se tourna vers elle et baissa la voix d’un ton.

- Ça va mieux que tout à l’heure j’espère ?

L'étranger répondit à la question d'Iryo, qui continuait à nager, attentive :

Salutations, étrangers. Je suis un habitant de Drayame, tout comme de nombreuses autres races que vous avez pu rencontrer ici. Je suis venu trouver un peu de réconfort dans ce plan d'eau. Vous ne semblez pas connaitre les environs, je me trompe? D'où venez-vous?

La danseuse se tourna vers Trataïr ; elle était en mesure de répondre, mais ne connaissant rien de l'étranger - qui avait refusé, ou oublié, de décliner son identité - elle préférait ne pas prendre de risque et laisser son compagnon répondre :

Il n’y a qu’en vivant des décades ici que l’on peut connaître se repérer parfaitement, à mon avis. Nous, nous venons des plaines arrosées de soleil de Sahawi, loin derrière la cime de ses arbres majestueux.

Iryo sourit lorsque, après avoir désigné une direction au-delà des arbres de la forêt, Trataïr se rapprocha de la danseuse, de façon à ce qu'elle puisse se blottir contre lui, ce qu'elle ne manqua pas de faire en souriant. Elle était déjà beaucoup plus détendue depuis qu'elle avait piqué une tête dans le lac ; sans l'intervention de son compagnon, elle serait encore en train de se tordre de douleur sur la berge.

Elle l'entendit lui demander si elle allait mieux que quelques instants plus tôt, jouant avec ses mèches de cheveux, et la danseuse lui répondit en plongeant son regard dans le sien, oubliant quelque peu l'étranger :

Ça va beaucoup mieux, merci.

Puis elle lui embrassa le bout de son nez avant de reporter son attention sur l'étranger, souriante, pour lui proposer :

Restez avec nous pour le dîner, ce soir. Vous pourrez nous raconter votre histoire, si vous le désirez bien entendu.

Un vieux réflexe du temps où elle vivait encore dans son petit village de Sahawi, où les soirées étaient dédiées à la danse, au chant, au conte...

Trataïr esquissa un sourire tendre lorsque sa moitié lui embrassa le nez. Un geste enfantin, mais qui n’avait pas moins de valeur que si elle avait conquis ses lèvres. C’est ce qu’il fit néanmoins en retour, emporté par son amour, il n’eut cure de la présence de l’étranger. Embrassant tendrement sa belle. Un moment romantique reflété par l’eau claire comme le plus pur des verres. Cependant, il fallait quand même ne pas reléguer le pauvre baigneur au simple rang de figurant, et il reporta finalement son attention sur lui. Quand même !

Le discours de ce dernier était d’ailleurs risible. Malgré la noblesse de sa mise en garde, il était drôle de voir à quel point il sous-estimait le couple de lycans. Oh certes, on pouvait lui laisser le fait qu’il ne connaissait aucunement la nature de ses deux interlocuteurs, mais quand même ! S’ils étaient parvenus à un coin aussi reculé de la forêt séculaire de Drayame ce n’était pas en se nourrissant d’amour et d’eau fraîche ! Quoique... Tout en affichant un sourire aimable, l’archer lui répondit.

- Ne vous en faites donc pas à ce point pour nous. Nous n’avons pas trimbalé notre maison depuis Sahawi, ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’on dort dehors ! Aller, acceptez s’il vous plait ! J’ai vu du très bon gibier pas très loin. Gras comme des cochons et pas très farouches ! Ça sera une merveille !

Tout en scandant sa tirade digne d’un boucher sur une place publique, le jeune homme entreprit dans le même temps de sortir de l’eau. Oh oui, la baignade était agréable et vivifiante, mais il ne voulait pas que quelques farfadets ou autre créatures malicieuses de ces forêts séculaires ne lui volent ses possessions. Il sortit donc, à demi-nu, et alla s’allonger contre un arbre à deux pas de leurs affaires. Il avisait Iryo et l’étranger encore dans l’eau avec une bouille tranquille. Il aurait pratiquement pu dormir.

- Mais on a encore du temps devant nous. Alors voyageur ? Vous avez bien deux-trois aventures à raconter ! On ne parcourt pas Drayame sans rencontrer quelques dangers ou curiosités ! La forêt est si mystérieuse et surprenante… Aller, venez ! J’vous promet que je vous rendrais la pareille !

Puis il partit d’un rire franc, tout en claquant vigoureusement son bras pour enlever les brins d’herbes qui s’étaient collés dessus à cause de l’humidité. Oh que oui, c’était une belle journée que celle-ci !

Iryo frissonna de plaisir lorsque les lèvres de Trataïr vinrent saisir les siennes dans un baiser tendre et passionné ; pour un peu, elle en oublierait presque la présence de l'étranger dans le lac avec eux... Mais son compagnon, lui, avait encore les idées claires et ne l'avait pas oublié. Après le baiser, elle reporta son attention sur l'étranger, auquel Trataïr déclara, en réponse possiblement à un discours :

Ne vous en faites donc pas à ce point pour nous. Nous n’avons pas trimbalé notre maison depuis Sahawi, ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’on dort dehors ! Aller, acceptez s’il vous plait ! J’ai vu du très bon gibier pas très loin. Gras comme des cochons et pas très farouches ! Ça sera une merveille !

La danseuse de Feu leva les yeux au ciel en souriant, avant de reprendre sa nage quelques instants. Elle sentait que son compagnon était d'excellente humeur, et rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de le voir sourire et faire de l'humour. S'installant sur la berge, il reprit :

Mais on a encore du temps devant nous. Alors voyageur ? Vous avez bien deux-trois aventures à raconter ! On ne parcourt pas Drayame sans rencontrer quelques dangers ou curiosités ! La forêt est si mystérieuse et surprenante… Aller, venez ! J’vous promet que je vous rendrais la pareille !

L'herboriste se rapprocha de la berge à son tour, ragaillardie par son passage dans le lac, et s'autorisa à lancer au voyageur avec un sourire :

Si vous voulez, je vous propose un marché : si vous nous racontez une histoire, soit mon compagnon soit moi-même raconterons une histoire. Si vous en racontez deux, vous aurez droit à deux histoires. Cela vous va-t-il, messire dont nous ignorons le nom ?

Puis elle sortit de l'eau et entreprit de se sécher, un peu à l'écart, mais de façon à toujours avoir la voix du voyageur et celle de son compagnon à portée d'oreilles. Cachée derrière les fourrés, elle attendit d'être bien sèche avant de se rhabiller et de se rapprocher de Trataïr pour préparer le foyer. La soirée promettait d'être fort intéressante...

Marché conclu ! Les trois voyageurs allaient vivre, c’était certain, une soirée fort sympathique grâce à la proposition faite par la jeune demoiselle et que le colosse avait accepté avec beaucoup d’entrain. Ce serait une soirée d’aventures racontées, de douleurs silencieuses et de joies tonitruantes. Mais il était parfois bon de secouer le lac tranquille de son esprit pour en remonter les secrets les plus enfouis. Les heures qui suivraient seraient un hommage adressé à Nielhing, le dieu si bienveillant qui permet depuis des temps immémoriaux à tous les voyageurs de vivres d’aussi belles aventures. Quelle meilleure façon de le remercier pour cela que de partager tout ce que l’on a entreprit grâce à lui, et ce autour d’une bonne table, avec des amis ?

Le couple de lycans suivit nonchalamment leur compagnon de fortune pendant quelques dizaines de minutes. On sentait que l’après-midi était bien avancée, et que le crépuscule n’allait pas tarder à noyer les sombres forêts de Drayame de sa chaleureuse lumière ambrée. Les fourrées résonnaient des paroles de mille créatures invisibles. Du chant d’innombrables cigales. De la traque silencieuse de quelque prédateur en mouvement constant. Si ils se concentraient très fort, Trataïr et sa compagne pouvaient même entendre la respiration de quelques elfes zélés qui les surveillaient avec la plus grande discrétion depuis la cime des arbres gigantesques. Savoir qu’il pouvait repérer les plus talentueux rôdeurs fit sourire l’archer.

Ils continuèrent ainsi à arpenter les sentiers toujours plus ténus de la forêt. Sans savoir le moins du monde où le géant les conduisait. Il était sympathique et éloquent, pour un voyageur, et cela questionna le commandant impérial. Il conclut au bout d’un certain temps qu’il n’avait pas affaire à un vagabond ordinaire et que, qui qu’il soit, cet homme était au moins noble, au mieux occupait-il une fonction importante au sein de quelque royaume que ce soit. Mais le couple serait bientôt fixé sur l’identité du mystérieux inconnu, auquel ils n’avaient toujours pas demandé le nom !

Après une longue marche qui avait le mérite d’ouvrir l’appétit, le trio arriva finalement au pied d’un arbre immense ! Mais le plus étonnant dans ce colosse de la nature, c’était qu’il était entièrement couvert de constructions en bois d’une beauté rare pour de simples cabanes. Celui, ou ceux, qui avaient fait ça devaient être des architectes extrêmement talentueux ! L’ingéniosité de la construction était à couper le souffle ! Sans manifester de quelque manière que ce soit sa surprise, le jeune homme continua d’emboîter le pas du propriétaire des lieux. Suivit de près par Iryo qu’il veillait toujours à rassurer de temps à autre par d’habiles petits murmures au coin de l’oreille. Ce devait être plus inquiétant pour elle que pour lui.

Pendant quelques longues minutes, le couple s’autorisa de visiter l’imposante bâtisse, et c’est avec émerveillement qu’ils découvrirent le riche ameublement de l’endroit. C’était incroyable qu’une demeure aussi luxueuse soit construite au milieu de cette forêt séculaire réputée inviolable grâce à la protection farouche des elfes qui l’habitaient. Trataïr se demanda même comment ils avaient pu laisser des étrangers investir leur forêt pour construire un palais de bois aussi magnifique. Mais c’était là une autre question qui allait sûrement être élucidée durant la soirée.

Les deux amants s’installèrent auprès de leur hôte, à une table tout aussi luxueuse que le reste de la maison. Elle était d’ailleurs couverte de mets et de boissons plus opulents encore. Cela en devenait presque gênant. On aurait dit que le géant provenait d’un de ces contes pour enfant où un richissime seigneur invite des gens à s’attabler auprès de lui, promettant qu’ils pourraient manger et boire les plats et vins les plus fameux, sans rien lui devoir en retour. Ce genre d’histoires finissait souvent par la mort des naïfs badauds qui périssaient dévorés par le monstrueux nobliau la nuit tombée. Si le propriétaire était effectivement une personne aussi malintentionnée, il aurait la surprise de découvrir qu’à la place du prédateur il était la proie des deux plus redoutables chasseurs du coin.

Mais ce n’était guère le lieu ni l’endroit pour ce genre de théories paranoïaques ! Et le couple profita donc de l’hospitalité du géant en savourant un gibier cuit à point et un cru des plus raffinés. Ils apprécièrent aussi l’histoire épique racontée par le voyageur. Alors donc, ils se trouvaient en face d’un guerrier qui avait passé une bonne partie de sa vie à combattre divers ennemis. Intéressant… Il avait même provoqué un roi, le bougre ! Aucun doute, il devait avoir une sacrée dose de folie dans son crâne recouvert par sa longue tignasse noir.

Lorsque ce fut au tour de Trataïr de raconter les fois où il avait risqué sa vie, il hésita quelques instants. En effet, il y avait des histoires qu’il n’était pas bon de raconter, autant pour le conteur que le spectateur. Il fit donc un choix parmi les innombrables fois où sa vie fut mise en danger et sélectionna les trois plus intéressantes.

- Eh bien ! On peut dire que vous êtes un casse-cou, dis-donc ! Enfin… Moi aussi j’ai eu ma dose de dangers dans ma vie. Je ne vais pas vous citer toutes les fois où mon existence a failli me filer entre les doigts, mais je vais vous conter les trois qui méritent d’être entendues !

Sur ces mots, il avala une gorgée de vin avant de s’éclaircir la voix.

- On va commencer doucement. Dans ma jeunesse, j’étais chasseur dans un petit village forestier, quelque part dans les plaines. Un jour –j’avais même pas encore de poil au menton- je suis parti chasser seul, dans mon coin. Je pensais juste ramener un lapin ou deux ! Et bien figurez-vous que je suis tombé sur un lynx ! La bête était immense ! Enfin… un très gros chat quoi. Sur moi j’avais seulement mon arc et un couteau. La bestiole a failli me taillader vivant, mais j’ai remporté le combat ! J’ai toujours sa dent d’ailleurs, là.

Il sortit de sous sa tunique, un pendentif de fil noir auquel était accrochée une dent jaunie, mais qui, c’était sûr, appartenait autrefois à un redoutable prédateur qui pouvait aisément trancher des gorges grâce à de pareilles crocs. Le jeune homme remit son collier sous sa chemise et raconta sa seconde histoire.

- Pour continuer sur les moments douloureux, quelques années seulement après cette victoire face au lynx, je rencontrai lors d’une partie de chasse deux individus des plus étranges. On les appelle aujourd’hui Chioné et Victo Féral. Tous les trois, on s’est retrouvé face à une dizaine, voire deux dizaines, d’orcs assoiffés de sang ! Faut comprendre qu’à l’époque, j’étais qu’un petit chasseur ! Mais avec moi j’avais quand même l’actuelle grande inquisitrice de l’Empire et le général ! Dans ces conditions, on pouvait que gagner !

Avec vigueur, Trataïr frappa la table du poing droit. Le choc résonna en écho dans la pièce. Au loin dans la forêt, on entendit quelques créatures nocturnes qui répondirent plus ou moins amicalement à cet élan de violence. Un peu gêné par cet excès d’entrain, l’archer frotta maladroitement l’arrière de son crâne avant de reprendre une gorgée de vin et d’entamer la troisième et dernière péripétie.

- Pour conclure, je vais vous raconter le plus douloureux de mes souvenirs. L’été dernier, la famille Féral, avec l’aval de l’Empire, avait organisée une expédition dans les Terres Infectés pour débarrasser la région des saloperies de morts-vivants qui l’habite encore aujourd’hui. J’y étais allé en tant que messager au début, mais très vite ils m’ont recruté pour combattre. C’est comme ça que je me suis retrouvé au rang de capitaine, sous les ordres de Victo –comme on se retrouve- à désinfecter un village infesté de ces vermines. Mais y’avait pas que des cadavres ambulants là-bas. De véritables monstres infestaient les lieux. Je me suis retrouvé, avec d’autres hommes, à cribler de flèche une sorte de géant de chair putréfiée. C’était un véritable cauchemar ambulant. Avec son immense hache, il tailladait mes compagnons les uns après les autres. Il m’a fallu trois flèches, je crois, pour enfin le mettre au sol. C’était horrible, j’ai bien cru que mon heure avait sonné.

Soudain, le ton de son discours était devenu étrangement mélancolique, presque morose. Ce n’était pas le genre de souvenir dont il aimait se rappeler. Mais de toutes les fois où il avait risqué sa vie, ce devait être la plus noble et la plus épique. Il fallait bien contenter son public ! Après quelques instants, il posa les yeux tour à tour sur le visage de Rägmor, puis d’Iryo, se demandant si il n’avait pas violemment cassé l’ambiance avec ses histoires.

- M’enfin ! C’est passé tout ça ! A ton tour Iryo, tu nous dois trois histoires !

L'étranger accepta l'invitation d'Iryo, et conduisit le couple jusqu'à un petit pied-à-terre au cœur de la forêt. Il s'agissait là d'un vrai travail d'architecte, et la danseuse ne put retenir un bref petit cri d'admiration.

Lorsqu'ils se mirent à table, quelques instants après leur arrivée au refuge, la nuit commençait à bien tomber ; le géant, pendant leur visite des lieux, en avait profité pour dresser une table digne d'un roi, ce qui gênait un peu la demoiselle. Après tout, elle ne connaissait pas le luxe...

Le repas se passa sans encombre, et fut délicieux : la viande saignante à souhait, comme l'avait toujours aimée Iryo, même dans sa vie d'humaine. A la fin du repas, le géant accéda enfin à la requête de la danseuse et raconta trois histoires où il avait échappé de peu à la mort :

La première fois, c'était lorsque mon village fut rasé par des envahisseurs. Ma famille et mes amis n'y avaient pas réchappé : sauf moi qui m'étais enfui de justesse après que le chef du village me l'ait ordonné. Le village est aujourd'hui recouvert par la mer de la Muerta et il ne reste plus aucun édifice.

La deuxième fois, c'était dans le caveau du Roi Wallah. J'avais voulu lui faire un coup-bas... Et je peux vous dire que j'avais bien de la chance de connaître son bras droit. Sinon, je ne serais pas en train de parler à l'heure qu'il est. Erreur de jeunesse !

La troisième fois, c'était dans l'arène. Tout le public me haïssait et hurlait à ma mort. J'avais combattu 3 ennemis à la fois, trois ! Et... j'ai eu la chance de pouvoir me sauver d'entre les morts pour reprendre là où je m'étais arrêté. Sacré aventure !

A chacune de ses histoires, il désignait un point cardinal qui était facile à distinguer, le refuge étant assez haut pour que la vue soit dégagée. Iryo était impressionnée de voir qu'il avait un sacré bagage, pour se balader un peu partout et en ressortir vivant...

Ce fut au tour de Trataïr de raconter trois histoires. La danseuse les écouta toutes avec attention, fronçant les sourcils très légèrement lorsqu'il énonça un nom de femme : Chioné Féral, une inquisitrice... A quoi pouvait-elle bien ressembler, pour marquer autant l'esprit de son compagnon ?

Elle resta silencieuse quelques instants, le temps de le laisser finir, essayant d'imaginer la femme. Elle entendit la voix de Trataïr lui lancer :

M’enfin ! C’est passé tout ça ! A ton tour Iryo, tu nous dois trois histoires !

L'herboriste esquissa un sourire, toussota et commença :

Ma foi... J'ignore si j'aurais de quoi faire trois histoires, mais j'en ai au moins deux, ce sera déjà bien pour commencer.

Je suis née il y a donc un peu plus de vingt ans, vingt-quatre ou vingt-cinq, à Dahalia, en Feu. Ma famille était une famille très modeste, et depuis mon plus jeune âge j'ai dû apprendre à me débrouiller pour me nourrir et nourrir ma famille.

Pendant dix ans, j'ai été serveuse à l'auberge du Guépard amnésique. Et quand je ne servais pas les clients, je les divertissais en dansant, comme il m'arrive encore de le faire aujourd'hui, ou je les soignais. Un jour, je suis passée du statut de salariée relativement libre - très mal payée, mais libre quand même - à esclave...

Elle se tut quelques instants, son beau visage s'assombrissant : qu'est-ce qu'elle aimerait pouvoir retrouver ces esclavagistes et les envoyer à leur juste place... Elle reprit :

C'est une lycan qui m'a sauvée des griffes des esclavagistes, m'emmenant ensuite à Sahawi où j'ai pu m'occuper de ses blessures. A Sahawi, j'ai pu finir de grandir en paix, herboriste et danseuse, jusqu'à très récemment encore.

Avant de quitter définitivement Feu, je peux me vanter d'être devenue une danseuse reconnue au moins dans mon village... Je me souviens, une fois, j'avais été demandée pour égayer la lune de miel d'un couple venant de Glace. Hé bien, j'ai eu l'honneur d'apprendre, ce soir-là, une danse venant de leur pays. Une danse bizarre, qui ne fait pas un avec le feu comme je fais, mais une danse agréable à exécuter et à regarder.

Il fallait bien mettre un peu de couleur dans l'histoire un peu sombre de la jeune femme... Ramenant ses jambes contre elle, elle resta muette quelques instants avant de reprendre :

Par contre, il est une chose dont je ne suis pas très fière... J'ai été enrôlée dans une bande qui circulait dans cette forêt, et je suis restée en vie uniquement parce que j'avais des connaissances en plantes médicinales. J'ai pu négocier en demandant à ce qu'on me libère de mon engagement dès que l'on apercevrait la lisière de Drayame... Mon compagnon connaît la suite : arrivée à Aeb, m'apprêtant à rentrer chez moi, j'ai voulu me rattraper en sauvant des gens pris dans un incendie. Et sans lui, je ne serais pas là pour en parler.

Et elle lança un regard tendre et plein de remerciements muets à Trataïr avant de poser sa tête sur son épaule, fermant les yeux pour refouler les larmes que les souvenirs avaient fait remonter à ses yeux.

Le commandant grinça des dents lorsque sa compagne évoqua avec douleur son passé d’esclave. Il connaissait malheureusement les penchants des pirates d’Abran Kaï et condamnait vivement ce genre de pratiques. Mais qui était prêt à l’écouter au sein de l’Empire ? Les Sables Brûlants étaient de précieux alliés qui permettaient à Aile Ténébreuse de dominer les océans du nord et offraient une plateforme commerciale plus qu’intéressante. C’était risquer la pendaison que de critiquer les alliés de l’Empire. Trataïr devait donc ruminer seul sa haine contre les pirates nordiques et essayer le plus possible de faire oublier à Iryo cette étape malheureuse de sa jeunesse. Il ne pipa mot lorsqu’il vit son visage s’assombrir doucement à l’évocation de ces souvenirs. Il eut un malheureux blocage, aucun mouvement réconfortant ne lui vint à l’esprit. Il le regretta plus tard.

Néanmoins, la jeune femme fit aussi profiter à la tablée de ses réussites professionnelles. Elle était effectivement, dans les souvenirs de l’archer, une excellente danseuse, et il sourit un peu bêtement en se remémorant les chorégraphies langoureuses que sa moitié exécutait gracieusement sur scène. Soudain anxieux, il venait de se rappeler que cette vie de lumière n’était plus que du passé pour Iryo. Et tout ça par sa faute. C’est pour le suivre qu’elle avait abandonnée tout ça. Mais lui, que pouvait-il lui promettre pour le futur ? Il n’était même pas sûr de rester en vie jusqu’à l’aube lorsque le soleil disparaissait derrière l’horizon. Alors pouvait-il vraiment lui offrir autre chose ? Elle allait vivre l’attente, l’inquiétude, la tristesse… Tout ça parce que son conjoint risquait sa peau chaque jour, parce que c’était là son métier.

Lorsque la jeune femme acheva son récit, Trataïr se dépêcha de la serrer contre elle pour la réconforter, mais surtout pour se rassurer. Elle était toujours là, oui, elle était toujours là. Ce bref moment d’émotion dû suffire à leur hôte puisqu’il décida de cesser prestement les festivités et d’éteindre les bougies pour s’octroyer une bonne nuit de repos. Accablé par une longue journée de voyage, ce serait mentir que dire que le soldat était contre une telle idée. Mais il avait espéré continuer davantage cette agréable soirée. Enfin… C’était le maître de maison qui décidait, et puis Iryo devait aussi attendre avec impatience de se glisser sous des draps frais et propres.

- Merci de votre hospitalité, ça nous touche vraiment. Personnellement je vous souhaite une bonne nuit et vous reverrais demain. Tu viens Iryo ?

Trataïr tendait une main galante à sa compagne puis l’accompagna jusqu’à la chambre indiquée par le colosse. Montant doucement les escaliers de bois, ils arrivèrent dans une magnifique pièce toujours aussi paradoxalement luxueuse alors que les alentours n’étaient que forêts sauvages et faune tout aussi hostile. Un lit double à l’air, ma foi, très confortable trônait au centre d’une pièce meublée avec goût. Rien ne manquait : commode, tapis, et même paravent pour se changer. Trataïr se dépêcha de poser ses affaires dans un coin de la pièce puis de s’asseoir sur le lit et de tendre les bras vers sa magnifique moitié, espérant passer une tendre nuit dans ses bras chaleureux.

Iryo se blottit dans les bras de sa moitié à la fin de son histoire, et se sentit rassérénée ; parler de son passé l'avait quelque peu secouée, mais le contact de Trataïr la rassura et elle poussa un léger soupir de soulagement, de fatigue et de bonheur mêlés. D'ailleurs, elle ne devait pas être la seule à être fatiguée, à en juger la déclaration de leur hôte :

Vous semblez tous deux avoir connu une vie pleine de péripéties. C'est à la fois surprenant et dramatique. La journée fut très éreintante pour moi, et même si votre compagnie me réchauffe le cœur, je sens mes paupières se refermer toutes seules. Vous trouverez une chambre à l'étage du haut. Je vais débarrasser la table avant de me coucher.

Merci de votre hospitalité, ça nous touche vraiment. Personnellement je vous souhaite une bonne nuit et vous reverrais demain. Tu viens Iryo ?, répondit Trataïr en se levant.

La jeune femme s'exécuta à son tour et s'inclina devant le maître de maison avant de prendre la main que lui tendait son compagnon pour le suivre jusqu'à l'étage, là où les attendait une chambre luxueuse, en comparaison avec la nature sauvage qui entourait la maison. Un lit double trônait au centre de la pièce, et des meubles de goût étaient dispatchés çà et là de façon à faire un ensemble harmonieux. Il y avait même un paravent où se changer si nécessaire.

Regardant la pièce, impressionnée, la danseuse sourit en voyant sa moitié lui tendre les bras, assis sur le lit, et vint le rejoindre sans se poser de questions, se lovant contre lui, la tête posée sur son épaule, fermant les yeux. Elle souffla :

La nuit promet d'être tranquille... Tu ferais bien de dormir, tu as l'air fatigué toi aussi.

Puis elle déposa un tendre baiser sur le coin des lèvres de Trataïr, avant de s'abandonner au sommeil. Elle ne risquait rien, avec lui.