Histoire
Naissance
Le monde entier était en émoi. Après cinquante années d'hiver, le printemps était revenu. Les premières plantes montraient timidement le bout de leurs nez, les ombres se dissipaient au dessus du monde et tout les peuples fêtaient le retour du soleil. Au quatre coin du monde, on louait sa chaleur réconfortante. Dans chaque ville, dans chaque village, l'on célébrait le retour de la lumière qui chassait cinq décennies de ténèbres.
Rassemblés pour le bien du monde, les souverains et les sorciers confectionnaient l'Harmonium en mettant en commun toute leurs forces, la promesse d'une ère de paix durable et solide.
Mais les dieux ne fêtent pas avec les Hommes, et Lauvaah, terrée dans son refuge, confectionnait elle aussi un symbole de ce renouveau. La magie de la création coulait d'entre ses mains comme de l'eau et elle acheva de donner forme à son oeuvre. Avec la douceur d'une mère, elle se pencha au dessus d'elle et murmura d'une voix apaisante tandis qu'elle donnait la vie à un nouvel être.
- Comme ce printemps, tu illumineras le monde dans ses heures les plus sombres. Comme le soleil, tu guidera les tiens sur le bon chemin.Ces mots furent les premiers que le Séraphin entendit. Ses oreilles venaient tout juste de s'ouvrir, et chaque son lui agressait les tympans. Mais la voix qui éveillait ses sens était agréable. Elle ne pouvait ni ne savait bouger, ni sentir, ni voir, mais elle entendait. Il y avait la voix de la déesse, mais aussi le vent, qu'elle entendait siffler avec les oiseaux du dehors.
- Jamais tu ne resteras sourde aux maux de ceux que tu sers. Une vague de sensations déferla dans le corps du nouveau-né dont le toucher s'éveillait, et après qu'elle l'eut entendu, elle sentit le vent filer sur sa peau, passer dans ses narines et envahir ses poumons. Sa poitrine se souleva tandis qu'elle prennait une interminable inspiration, et elle retomba aussitôt. Son dos toucha la pierre de l'autel sur lequel elle reposait, et elle faillit bondir pour s'écarter du contact glacial. Mais elle n'avait pas la moindre force.
- Tu auras une volonté de fer et un esprit juste et droit. Tu seras bonne envers tes pairs, et sans pitié envers tes ennemis. Pour les distinguer, il te faudra pouvoir les regarder.Les paupières du Séraphin s'ouvrirent en grand et ses rétines se mirent à brûler tandis que la lumière l'aveuglait. Elle ne voyait rien d'autre qu'une intense blancheur, et elle ne parvenait pas à fermer les yeux. Progressivement, les formes du toit ouvert lui apparurent. D'abord vagues, indistinctes et floues; elle pouvait voir les têtes des colonnes et les cercles concentriques du toit, et elle voyait le ciel la regarder. Puis les couleurs apparurent. D'abord le bleu des cieux, intense et clair, puis les différentes nuances de blanc des pierres du bâtiment. Bientôt, les angles se dessinèrent, les précisions se distinguèrent les unes des autres, et elle parvint à observer les différences entre les éléments qui composaient la coupole et la voute céleste.
- Parfois ta vie sera amère. Parfois, elle sera facile. Parfois tu gagneras, parfois tu perdras; tu devras goûter à toute les sensations pour n'en craindre aucune.Dans sa bouche, elle sentit le goût de sa propre chair, de sa langue, de ses lèvres qu'elle mordilla avec envie, de ses joues, et de sa salive. Elle était neutre, et aucun mot ne lui venait à l'esprit. Son nez qui se remplissait et se vidait d'air régulièrement lui parut subitement différent. Une odeur - peut-être la sienne - lui monta à la tête et elle se sentit défaillir à nouveau.
- Tu n'oublieras jamais celle qui t'as donné la vie, et tu lui seras éternellement redevable. Pour cela, je te donne une conscience et une âme pure. Ainsi jamais tu ne t'éloigneras des sentiers du bien que tu sers. Une nouvelle sensation, étrange, se greffa par dessus toute les autres. Elle se mit à se poser des questions. Qui était-elle ? Que faisait-elle ici ? Qui lui parlait ? Où devait-elle se rendre ? Un torrent de questions qui lui balaya l'esprit mais lui fit reprendre pied. Elle balada son regard tout autour d'elle et garda les yeux fixés sur sa Mère qui lui apparaissait floue, distante et proche à la fois. Lentement, elle leva une main vers elle et s'étonna de la souplesse de son propre corps. Elle sentait ses muscles tirer sur sa peau, le contact du vent changer avec sa position.
La déesse lui prit la main et l'aida à se lever pour la première fois. D'autres questions se succédèrent dans son esprit mais elle était incapable de les formuler. Avec lenteur, sa mère se détacha d'elle et recula d'un pas. Pourquoi ?
- Tu porteras des ailes, pour que tu puisses voir le monde dans son ensemble et que nul ne puisse t'écraser. Et elles te porteront aussi, où que tu veuilles aller pour chasser le mal.Une fraîcheur agréable lui traversa l'échine, et le Séraphin eut soudain l'impression qu'un voile de douceur tombait sur ses épaules et lui recouvrait le dos. Par automatisme, elle déploya ses ailes fraîchement acquises et les replia aussitôt, consultant sa mère du regard. Encore une question.
- Tu porteras cette lance pour chasser la corruption et protéger le faible, poursuivit la déesse en refermant les doigts de sa création sur le manche d'une arme dont elle ne se séparerait plus jamais.
Tu leur apporteras l'espoir avec ta voix, ta sagesse et ta clairvoyance, mais tu leur apporteras surtout la lumière. Alors que le Séraphin s'apprêtait à ouvrir la bouche pour poser toute les questions qu'elle taisait jusque là, la déesse posa deux doigts sur son front et une sensation de bien-être qu'elle ne retrouverait plus jamais envahit son corps. Il lui sembla que son corps explosait, se désintégrait et que tout ce qu'elle venait de découvrir partait en fumée, puis une vive lumière jaillit de ses yeux et de sa lance. Ses cheveux qui dépassaient à peine de son crâne poussèrent jusqu'à tomber dans son dos comme une fontaine d'argent, et une lumière de la même teinte lui voila le regard.
Elle resta interdite un moment, puis osa enfin poser la question qui lui brûlait les lèvres.
- Qui suis-je ?Un sourire bienveillant éclaira les traits de la déesse qui couvait son nouvel enfant du regard, et elle lui adressa un dernier regard avant de se tourner vers la sortie et d'amorcer le pas. Elle ne l'avait pas vu jusque là mais un autre Séraphin vêtu d'une armure d'un blanc immaculé se tenait près de la porte.
- Tu es Caliel, séraphin de l'espoir. Un siècle de chasse
Le démon courait à vive allure. Ses pattes de digitigrade lui permettaient d'aller plus vite qu'un homme, mais il n'en restait pas moins bipède. Inquiet, il jeta un coup d'oeil par dessus son épaule et afficha un sourire sardonique quand il constata qu'on ne lui suivait plus que de très loin.
Un vrombissement d'ailes lui fit tourner la tête dans l'autre direction et il freina sa course à toute allure. Trop tard, la lance du Séraphin fendit les cieux et il dut bondir sur le coté pour éviter la mort. Le platine se ficha dans le sol en faisant sauter quelques éclats de terre et le démon détailla brièvement l'ange qui lui faisait face. Une femme au visage sévère vêtue d'une armure d'obsidienne dont la cuirasse se terminait par une jupe lamellée. Elle n'avait pas de casque, et le démon considéra qu'il avait ses chances s'il l'éliminait avant l'arrivée de son équipier.
Enragé, le digitigrade se rua vers le Séraphin qui, d'une impulsion du talon et d'un battement d'aile, se propulsa au dessus de lui en s'enroulant sur elle même, jouant des ailes pour se retrouver dans son dos. Elle s'empara de sa lance et le démon poussa un hurlement enragé tandis qu'il se jetait de nouveau vers elle, levant les deux énormes plaques de chitine qui recouvraient les pinces qui lui servaient de main gauche.
Agile et coutumière de ce genre d'exercices, l'Ange donna un coup d'aile pour faciliter son esquive et se jeta sur le coté en envoyant la tête de sa lance percuter la pince du démon qui manqua de chuter en avant. Il se redressa, lançant son bras entamé vers la guerrière des cieux qui interposa son arme. La pince se referma sur le manche de la lance et un sourire satisfait passa sur le visage du Séraphin.
Le démon lui répondit par un froncement de sourcil et tenta de l'attirer vers lui. Elle se laissa porter et d'un coup d'aile, elle se propulsa dans les airs en entraînant sa victime qui tentait de lui attraper la jambe de sa main libre en remuant les pieds. Sans lui laisser le temps de prendre trop d'attitude, le démon relâcha son étreinte et fut fauché par un second Séraphin dont le fouet s'enroulait autour de sa pince, le ramenant à plusieurs dizaines de mètres du sol.
La prise du fouet se défit et il tomba dans le vide, bientôt rattrapé par son premier adversaire qui lui déchira l'épaule d'un puissant coup de lance. Le second lui donna presque la réplique et passa de l'autre coté de la créature, lui entaillant le flanc avec son épée. Les deux Séraphins dansèrent autour de leur victime jusqu'à ce que l'impact soit imminent et battirent de l'aile de concert pour le laisser s'écraser au sol dans un fracas d'os brisé et de chair ramollie.
- Tu aurais pu le tuer d'un seul assaut, fit remarquer le Séraphin en rengainant son épée, se posant en toute délicatesse pour vérifier que sa victime était bien morte.
Tu l'as fais exprès ? Un sourire fugace éclaira le visage de Caliel tandis qu'elle approchait de son mentor, repliant ses ailes majestueuses en essuyant le sang sur son arme d'un coup de chiffon.
- J'aurais pu, se contenta-t'elle de répondre tandis qu'elle calait son hast contre son épaule, enfonçant son talon entre les côtes déformées du démon. L'autre Séraphin laissa échapper un bref soupir et reprît son envol, bientôt imité par sa consoeur. Depuis près de vingt ans, le jeune Séraphin avait suivi les directives de Camaël. De soixante ans son aîné, il s'exaspérait continuellement de son plaisir de la chasse et lui rappelait sans cesse que leur tâche était un devoir et qu'un devoir rempli avec trop d'enthousiasme était susceptible d'être mal rempli .
Malgré son apparence restée inchangée, Caliel demeurait une femme d'à peine vingt ans et aucun des édits de sa mère ne lui interdisait le jeu. Les démons étaient des créatures maléfiques et devaient être expédiés dans les limbes le plus rapidement possible mais elle préférait leur laisser connaître la peur qu'ils infligeaient à leurs propres victimes.
Pendant encore huit décennies, la jeune femme fit de son quotidien les traques et les chasses aux démons individuels, joignant parfois ses efforts à ceux d'autres Seraphins pour les affrontements les plus remarquables. Les choses se déroulaient toujours de la même manière : Ils quittaient Ciel après avoir reçu les plaintes des habitants du dessous, se renseignaient auprès des villageois impliqués, du seigneur local, puis traquaient leur proie jusqu'à l'abattre. Ensuite, ils retournaient en Ciel, informaient les autorités Angéliques et repartaient dans leur bastion.
Quand elle ne chassait pas, le Séraphin s'exerçait au maniement des armes, s'instruisait en puisant dans les bibliothèques de Ciel et développait ses aptitudes magiques. Pendant les quarante premières années de sa vie, ce fut en compagnie de Camaël, qui la guida avec brio dans la voie des Séraphins, puis elle assista à la naissance d'un nouveau Séraphin qui lui fut confié pour le maintien du cycle.
Ce n'est qu'en enseignant à son tour que le Séraphin découvrit le poids des conseils avisés de son propre mentor. En Saphriel, elle retrouvait ses propres erreurs, et ressentait un semblant de compassion pour celui qui avait du l'éduquer en dépit de son comportement.
Malgré son goût persistant pour la chasse, la nouvelle d'une guerre imminente eut l'effet d'un coup de poignard pour le Séraphin qui n'avait jamais connu une telle situation. Elle eut de longs entretiens avec son ancien mentor, puis avec les autres Séraphins. Parmi eux, certains se refusaient à prendre le parti des Anges et considéraient que leur rôle était de chasser les démons, non pas de faire la guerre; d'autres considéraient ces nouveaux envahisseurs comme des monstres bien plus nocifs.
Il y eut de longs débats mais la situation pencha rapidement en faveur des bellicistes, et les Séraphins entrèrent en guerre avec leurs cousins Angéliques.
Ils se rassemblèrent dans les plaines de Misora, et malgré le fait qu'elle essuyait le coup d'une première bataille douloureuse, le Séraphin parvint à garder la tête froide. La guerre était très différente de la chasse, les combats étaient longs, fatigants, éprouvants et les proies étaient multiples. Et il fallait obéir aux ordres. Naturellement, il lui était déjà arrivé d'être commandée par ses pairs, mais ici, elle l'était par un Ange.
Bien qu'elle n'ait eu aucun mépris pour cette race, il lui sembla inapproprié d'être guidée par quelqu'un qui en savait si peu sur ce qu'elle était. Un commandant pouvait-il seulement connaître tout ses hommes ? Quoi qu'il en fut, la première bataille de Misora fut une glorieuse victoire, et les forces de ce nouvel ennemi furent repoussées sans trop d'efforts.
Elle avait essuyé quelques blessures légères en combattant et son mentor comme son apprenti s'en étaient sortis indemnes. A peine quatre mois plus tard, les forces de celui que l'on connaissait désormais sous le nom d'Aile Ténébreuse revinrent en force et une nouvelle bataille éclata.
Les plaines brûlèrent sur plusieurs kilomètres, les monceaux de cadavres s'accumulaient tout le long de la ligne de front qui ne cessait d'être poussée vers l'intérieur des terres. Les créatures d'Aile ténébreuse gagnaient inéluctablement du terrain, et le dernier ordre fut donné. Caliel et quatre de ses semblables furent détachés de la mêlée et rejoignirent un groupe de vingt anges parmi les plus talentueux guerriers de Ciel pour traverser les lignes aériennes ennemis et atteindre leur commandement pour trancher la tête de l'armée ennemie.
Il s'agissait d'une tentative désespérée mais aucun des guerriers qui furent choisis ne voulait sombrer sous la domination d'un monstre. Saphriel fut choisi avec elle, et ils fendirent les nuages et se ruèrent vers les ailés qui les séparait du commandement adverse. Les sortilèges explosaient tout près d'eux, divisait leur formation qui se reconstituait aussitôt, s'adaptant en fonction des morts; un nuage, stimulé par les flammes qui venaient de s'engouffrer dedans, se mit à cracher une pluie intense et drue, et un orage éclata tout près des serviteurs de Yehadiel.
Si haut dans le ciel, la foudre carbonisa quatre anges avant même qu'ils n'aient eu le temps d'engager les véritables combats.
Les ailes de la formation se détachèrent progressivement du centre, se jetant contre les intervenants qui tentaient de leur couper la route, et ils continuèrent d'avancer. Encore et encore, freinant le rythme à mesure qu'ils progressaient dans les lignes ennemies, forcés de combattre à leur tour. Les morts se multiplièrent, Caliel fut contrainte de céder au combat elle aussi mais poursuivit sa route. Elle pouvait l'apercevoir, comme un roi sur sa montagne; l'Aile ténébreuse, la créature d'ailleurs qui venait conquérir leur paisible territoire.
Elle sentait son but approcher, et ils n'étaient plus que quatre à ruer vers le conquérant. Une nouvelle tentative de freiner leur progression se solda par la séparation du quatuor du dernier Ange qu'il restait de leur groupe, et un nouveau démon, plus imposant que les précédents, s'interposa entre son maître et eux. Il faucha Saphriel et l'entraîna vers un nouveau combat, forçant Caliel à tourner la tête.
Pendant un bref instant, elle fut soumise à un dilemne, et elle se détourna de son objectif en abandonnant son dernier compagnon sur la route pour poursuivre son apprenti dans les cieux. Le démon qui le tourmentait le contraignait à reculer de plus en plus loin, et bientôt, ils s'éloignèrent tant et montèrent si haut dans le ciel que le Séraphin n'entendit même plus les cris de la bataille.
Le ciel était noir et elle avait grand peine à distinguer le duo qui s'affrontait au dessus d'elle sans jamais cesser de s'éloigner. Puis il chût. Son apprenti manqua de lui tomber dessus, les ailes repliées, son arme suivant de près, et le démon se figea dans les airs en attendant sa prochaine victime.
Le Séraphin, enragé, combla la distance qui le séparait du meurtrier de son élève et engagea un nouveau combat. La lance eut le dessus sur l'épée pendant un moment, puis la situation se retourna tandis qu'ils jouaient de leurs ailes pour fendre les cieux, se distancer, se rattraper, se chasser l'un l'autre, esquiver et assaillir tour à tour, infatigables.
Lentement, le démon pris l'ascendant sur le séraphin, et advint l'inévitable quand son épée s'enfonça en les côtes de son adversaire tandis qu'il maintenant son arme à distance d'une main implacable. Il retira d'abord son arme et la regarda chuter tandis que ses ailes cessaient de battre, puis il laissa sa lance tomber avec elle.
Caliel n'était pas morte mais son corps était submergé par la douleur. Sa chute était interminable. Elle avait traversé plusieurs couches de nuages, avait vu son arme lui passer devant, et la douleur ne cessait de croître tandis qu'elle s'essayait à ralentir sa descente en donnant un coup d'aile de temps à autre. Mais la douleur reprenait toujours le dessus.
Quand elle sentit enfin le sol approcher, elle parvint avec peine à reprendre un peu d'attitude, puis elle retomba, et ses ailes amortirent la chute autant que la pente dans laquelle elle dévala jusqu'à s'écraser contre un arbre, sur un sol qui n'était pas celui des plaines de Misora. Des tâches brunes dansèrent devant ses yeux, et elle finit par rabattre ses paupières et par sombrer dans l'inconscience, se laissant aller à sa souffrance.
Plusieurs fois pendant qu'elle reprenait des forces elle rêva de la mort de son apprenti, des centaines de Cielans qu'elle avait vu périr ces derniers mois. Elle rêva si intensément qu'elle finit par se réveiller. Sa régénération naturelle avait fait son office mais la blessure était toujours ouverte et béante. Le sang ne coulait plus, et une douleur insoutenable lui vrillait la moitié du corps.
Il lui fallut encore plusieurs jours pour récupérer suffisamment pour se trouver en mesure de marcher, et dès lors qu'elle y parvint, Caliel répondit à l'appel que son arme exerçait sur elle. Elle marcha pendant plusieurs jours, puisant dans ses ultimes ressources, et s'abandonna finalement à la fatigue, tombant près de la mort en étreignant sa lance recouvrée.
Perdue dans un état entre la vie et la mort, Caliel passa plusieurs heures à délirer, fiévreuse et engourdie, puis pria. Elle pria pendant longtemps, et la lumière jaillit de son corps et de ses yeux, la blessure béante qui marquait son flanc se refermant lentement. Et tandis que la magie faisait son office et restaurait sa plaie, elle sentit ses forces l'abandonner. Ses ailes, sans la moindre douleur, se disloquèrent dans des flocon d'une vive lumière blanche, puis l'argent qui colorait ses cheveux fana et devint noir comme la suie. Ses yeux furent les derniers à perdre leur éclat, et ils finirent par devenir noirs eux aussi.
En suivant, ce fut à ses pensées de s'obscurcir, et elle sombra dans un profond sommeil.
Renaissance
Assise sur une chaise aux accoudoirs stylisés installée sur un large balcon, la jeune femme observait la mer qui s'étendait à perte de vue et sur laquelle se reflétait les étoiles et la lune. Au dessus de cette même mer se trouvait la patrie qui l'avait vue naître et où elle avait grandi. Et pourtant, elle était ici, assise paisiblement à siroter une tasse de thé.
- Madame... fit une voix dans son dos.
Votre père...est mort. Nous vous attendons pour la rédaction de son testament. Elle laissa échapper un long soupir et reposa sa tasse sur le guéridon avant de se relever et d'ajuster le manteau de fourrure sombre qui couvrait ses épaules. Le serviteur s'inclina avec respect puis la conduisit jusqu'à la chambre mortuaire où le cadavre de son "père" avait été entreposé.
Cela faisait plus de dix ans que le duc de la Valériane l'avait trouvée dans son domaine et l'avait accueillie auprès de lui. Quand sa fille unique était morte, emportée par la maladie, il avait profité de leur ressemblance pour que la nouvelle ne se sache pas. Sans héritier, sa lignée se serait éteinte et un successeur qu'il n'aurait pas choisi aurait pris la tête de son duché.
A reculons, Caliel l'avait laissé lui apprendre les subtilités de la noblesse, suivant avec attention l'évolution des conflits qui ravageaient le monde qu'elle avait juré de défendre; puis il lui enseigna les bases du commandement, et elle fut bientôt contrainte de servir celui qui avait causé sa chute. Bien entendu, elle avait contribué à la rébellion avec ardeur et avait tenté d'assister leurs efforts du mieux qu'elle le pouvait.
Mais dans son enseignement, son "père" lui avait appris que la patience était la clé de la réussite, et dans cette nouvelle voie plus subtile, le Séraphin avait réfléchi à de nouvelles manières de défaire son ennemi antique.
Elle avait été contrainte d'admettre que seule, elle n'avait aucune chance de vaincre, et qu'il résidait dans la politique et le jeu de cour des avantages dont elle n'aurait pas entrevu l'existence sans cette opportunité. Cela avait exigé de nombreux sacrifices d'éthique; elle avait du regarder mourir de nombreux innocents et même contribuer parfois à leur mort.
Mais ses desseins étaient supérieurs et servaient un plus grand bien, et cette pensée suffisait à maintenir sa santé mentale au beau fixe.
Si elle avait été incapable de manifester ses pouvoirs de Seraphin pendant plusieurs années, la guerre froide avait subitement réveillé ses instincts primordiaux et elle était parvenue à recouvrer son aspect originel. Elle avait eu presque autant de mal à s'en défaire pour les besoins de son entreprise, et s'exerçait régulièrement à jongler entre l'un et l'autre.
Comme elle s'y attendait, le testament du duc stipulait que tout ses biens revenait à son unique fille et parente, Caliel de la Valérianne, et qu'elle serait seule à décider pour ses terres.
Quelques jours plus tard à peine, on célébra son accession au pouvoir, et tandis qu'elle se tenait devant l'autel sur lequel elle venait de jurer son amour de Zelphos, tournée face à la foule de ses nobles et de sa cour, la couronne ducale posée sur la tête, elle entrevoyait la quantité effroyable de possibilités qui s'offrait désormais à elle tandis qu'un sourire de satisfaction de ceux qu'elle avait quand elle chassait s'installait sur ses lèvres.