La matinée était plutôt agréable sous ces fins rayons de soleil naissants. Doucement, la rosée agglutinée sur les feuilles et les pétales des fleurs se déversait goutte après goutte, jusque sur le sol meuble. Dans les feuilles des géants à l'écorce centenaire, le vent s’engouffrait par petites brises fraîches et douces et, loin en dessous de ces colosses, une étrange créature s'éveillait. Nul ne sait s'il fut le premier de sa race à ouvrir les yeux dans cette forêt sublime. Tout ce dont Asphalgarius était sur, c'est qu'il préférait mille fois cet endroit à tous ceux qu'il avait déjà put voir durant toute sa vie.
De fines gouttelettes irisées parsemaient l'ensemble de son corps, accrochées aux aspérités de ses écailles et elles frémirent à peine lorsqu'il bailla, ouvrant grand une gueule pleine de crocs acérés, n'émettant pas le moindre bruit, sauf lorsqu'il la referma en un claquement bref et sonore. Il avait prit pour habitude de dormir allongé, la moitié du corps baigné dans une rivière où un lac. Mais cette fois-ci, il avait passé sa nuit bien au sec au pied d'un arbre immense, enfouis sous des buissons tellement feuillus que nul œil humain n'aurait put le distinguer.
Il avait fait un long voyage de Sen'tsura jusqu'à la si mythique forêt de Drayame où, avait-il entendu dire il avait de grande chances de rencontrer une faune et une flore exotique et inédite. A présent qu'il s'y était un peu enfoncé et qu'il avait put juger de l'opulence de cet endroit il n'en doutait pas un seul instant ! Armé d'une besace en cuir - étanche et spacieuse – d'un crayon à mine de charbon et d'un carnet qu'il avait acheté à Sen'tsura avant son voyage, il était bien déterminé à faire de grandes découvertes. Le seul ennui, c'est que, désormais, il n'avait plus personne à qui montrer tout ce qu'il apprenait. Il n'avait plus d'endroit où entreposer le savoir qu'il grappillait ici et là et il se demanda s'il trouverait un endroit propice dans cette forêt luxuriante. Y avait-il une cité dans ces bois séculaires ? Un endroit avec des êtres qui comprendraient son but et l'aideraient dans sa tache ? Ou tout simplement un lieu où il pourrait se recueillir les temps troubles ? …
Il fut tiré de sa réflexion par une drôle de sensation. Il était observé ! Il se redressa lentement et fit craquer les os de son cou en le bougeant de gauche à droite. Puis il laissa échapper un long soupir de satisfaction lorsque, bien étiré, il laissa retomber ses gros bras verts. Il regarda alors en direction des branches basses d'un arbre voisin de celui au pied duquel il avait dormi, puis il écouta. Un bruissement imperceptible faisait bouger les feuilles. Il avança et découvrit un petit mammifère, peut-être un rongeur, qu'il n'avait encore jamais eut l'occasion d'observer. Le petit être, terrifié, voulu s'enfuir mais il ne réussi qu'à se traîner sur quelques centimètres avant de tomber de la branche à laquelle il ne parvint pas à se rattraper. Asphalgarius eut le réflexe de porter ses mains en coupes et recueillit le petit animal qui, en guise de remerciement, lui mordit sauvagement le doigt. Le Reptilien saisi alors le rongeur aux dents voraces de sa grosse main qui n'avait nullement souffert de la morsure et le porta à son visage afin de mieux l'observer. Il couinait furieusement, à la fois de rage et de peur et se débattait vainement. Tout observateur extérieur aurait put penser qu'il allait le dévorer. Au lieu de quoi, il reposa le petit animal par terre et s’accroupit à côté de lui tout en lui tendant une main rassurante qu'il posa sur son ventre chaud. De son autre main, qu'il avait posé au sol, il commença à canaliser l’énergie, si puissante ici, que dégageait la forêt. Ce n'était pas difficile, il avait déjà fait cela des centaines de fois, mais cette fois-ci, c'était différent. L’énergie était différente, plus pure, plus concentrée et puissante. En quelques minutes d'un effort restreint, Asphalgarius répara ce qui avait été brisé. Les os qui, quelques minutes auparavant, n'avaient aucune chance de guérison, furent ressoudés, comme si de rien n'était. Et le petit animal, condamné par la nature, fut sauvé.
Sans demander son reste et le coeur tambourinant comme un diable, ce dernier se rua vers la cime de l'arbre auquel il ne pouvait même pas tenir quelques minutes plus tôt. Heureux de sa découverte, et heureux aussi d'avoir accompli un nouveau miracle, Asphalgarius sourit à sa manière de crocodile et laissa échapper un long râle de satisfaction.
Mais il n'était plus seul. Alors qu'il s’affairait sur le rongeur, quelqu'un en avait profité pour se glisser derrière lui. Il se retourna plus vivement que d'habitude pour faire face à l'inconnu ...