Donovan frémit alors que le froid glaçait jusqu’à ses os. L’épaisse fourrure qu’il portait autour de son armure habituelle ne lui suffisait même plus pour le garder au chaud. Il était loin de tout, seul en pleine campagne, au cœur de la nuit, et le pire étant qu’il ne s’en souvenait même pas.
Il aurait dû faire chaud, surtout en cette saison là, mais cette nuit-là semblait particulière. Il le sentait dans l’air, comme une vibration qui chantait à son oreille, se répercutant dans chaque fibre de son corps. Quelque chose de malsain… oui, la nuit s’annonçait mauvaise.
Il arrêta son cheval, démonta, puis alla attacher sa monture à un des arbres du bord de la route. Ici, il ne s’inquiétait même pas pour l’animal. Il n’y avait que lui. Que lui et cet espèce de grande bâtisse qui se dressait au sommet d’une petite butte. Un lueur émanait de derrière, ainsi que des rires, de la musique. Une fête- et pourtant, il savait ne pas être attendu.
Sois prudent.
- Trop tard pour cela, petite princesse.
On lui donnait un accès facile. Trop facile : la porte du mur entourant la maison était même ouverte. Donovan pénétra dans un jardin, avança jusqu’à la porte principale. Un puissant coup de pied suffit à la fracasser, et pourtant, malgré le vacarme, personne ne vint à sa rencontre.
C’était mauvais. Il dégaina ses armes, son marteau de guerre dans la main droite, la hacha dans la gauche- il se préparait au carnage. L’amnésique traversa la maison, et en vint au lieu des festivités. Il déboula dans une cour, avec un buffet sur la gauche, une dizaine de personnes autour, et des musiciens dans un coin. Son arrivée discrète fut remarquée- un homme s’avança vers lui.
- He bien, je pensais bien que Sullan enverrait quelqu’un. Je ne pensais pas, en revanche, je ne pensais pas qu’il serait suffisamment stupide pour n’envoyer qu’un seul homme…
Les lèvres de Donovan se fendirent d’un sourire… Il bougea avant même que l’archer, depuis une fenêtre, n’ai décoché sa flèche. Laquelle se brisa sur le mur de pierre, alors que d’autres hommes armés sortaient de tous les côtés.
Et alors qu’une douce musique résonnait dans la cour un instant avant, c’était maintenant au son du bruit des armes qu’ils dansaient tous. Il y avait une bonne quinzaine d’hommes qui emplissaient l’endroit, en plus des fêtards qui regardaient le spectacle depuis leur festin.
Donovan donna tout ce qu’il avait, retrouvant se réflexes de guerrier- c’était la première fois, depuis qu’il était revenu à la vie, qu’il vivait un dur combat. Le marteau fracassa, la hache trancha- l’armure offrait une certaine protection, mais découvrait trop d’endroits. Son propre sang macula rapidement sa fourrure, se mélangeant à celui des ennemis.
La souffrance se fit bientôt forte- il eut l’impression que son corps brûlait à mesure que sa peau se découpait. Et pourtant… et pourtant, plus la douleur était forte, plus il en voulait- cela l’excitait. Il ne sentait même pas ses bras devenirs lourds, ne sentait pas son corps faiblir sous les coups. Il voulait tuer, encore, et encore…
- Je veux qu’il sorte, siffla-t-il entre ses dents.
Il y avait quelque chose en lui, qui luttait pour apparaître. Il voulait se libérer, se libérer totalement- et le tuer, tous.
Tu es sûr ?
- Oh, que oui !
L’Ombre-Sang apparut soudainement dans la mêlée, fit reculer ce qui restait d’adversaires, frappés de stupeur. Un long rire s’échappa de sa gorge torturée. Il était une ombre sadique dans la nuit- Donovan s’abandonna totalement à ses pulsions.
Il voulait du sang, il en voulait plus encore. Il passa une langue décharnée sur des lèvres qui n’existaient plus- ne restait plus qu’un masque de mort à la place de son visage. La seule lueur de ce corps maudit : ses deux yeux, qui brillaient d’une lumière bleutée.
Et alors qu’il se jetait sur les corps, cette lueur s’accentua. Il les tua tous- hommes, femmes. Certains tentèrent bien de s’enfuir, mais l’Ombre-Sang était plus rapide. Plus fort. Sa faux les trancha tous, et il ne resta bientôt des autres que des masses rougeâtres.
Il aimait cette sensation. Donovan, pour la première fois depuis que le mal l’avait atteint, ne faisait plus qu’un avec le monstre en lui. Il était un monstre- sous cette forme ou sous l’autres. Et cette osmose morbide, c’était à la Petite Princesse des Limbes qu’il la devait.
L’Ombre-Sang repartit aussi vite qu’il était arrivé, et Donovan retrouva forme humaine. Il se trouvait dans une cour, et était entouré de cadavres. Seul survivant- un homme, qui rampait à ses pieds. Celui-ci fit un dernier effort pour lever son regard vers le sien.
- Vous… un monstre… cette lumière… dans vos yeux…
- Oui, un monstre…
Sa hache s’abattit une dernière fois.