Pressant les mais sur ses tempes, Syllas se tenait accroupi dans les plus hautes salles du château, là où plus personne ne venait excepté un serviteur consciencieux pour vérifier que tout ce qui y avait été entreposer était toujours là à prendre la poussière. En l'occasion, tout avait été non pas fracassé mais démantelé, les boiseries débitées, les tentures déchirées sur toute leur longueur, même le sol et les murs étaient marqués. D'immenses griffures zébraient l'endroit, entamant même la pierre.
Prostré depuis un temps indéterminé, Syllas n'avait pas meilleure mine : sa tunique était elle aussi déchirée et ses gants percés. Pourtant, il était indemne, aucune blessure ne semblait le faire souffrir. Il jeta un regard affolé à ses doigts. Les gants qu'il avait enfilé il y avait deux jours - trois ? - pour cacher ses ongles brusquement effilés et coupants n'avaient pas été d'une grande utilité. En tout cas, les griffes avaient percé sans difficulté. Ces mêmes griffes qu'il sentait revenir. Pourquoi se sentait-il si mal depuis quelques jours ? Une brusque sensation de brûlure lui traversa le corps. Qu'était cette malédiction ?
Syllas poussa un grognement de souffrance, sa voix montant en même temps anormalement dans les graves, ça recommençait. Il s'affaissa un peu plus sur lui-même tandis que la peau émettait des bruits de déchirure et que les os craquaient, s'allongeant ostensiblement sous la chair. Un poil épais et rêche perça la peau avec rapidité, se teintant de sang tant cela malmenait le corps. Submergé par la douleur, Syllas savait que cette sensation allait bientôt se dissiper, se répétant de tenir et de ne pas crier. Il fallait qu'il se contrôle...
Puis ses yeux s'injectèrent de sang et les dents devinrent des crocs, ornant une gueule avancée, un museau qui n'avait plus rien d'humain, comme tout le corps de Syllas. Il hurla, non pas de douleur - celle-ci disparaissait - mais de colère. Un instinct nouveau supplantait ses pensée, annihilant toute raison. Une fois encore, la bête qui apparaissait prenait le contrôle sur lui. Le hurlement traversa le château, faisant sursauter tous ceux qui s'y trouvaient. Au loin, dans les salles plus bas, Syllas entendit claquer le métal des armures et des armes. Son instinct lui souffla de s'enfuir rapidement, maintenant, ils savaient où le chercher.
D'un coup d'épaule, il jeta à bas la porte la plus proche et parcourut le couloir qui suivait à toute jambe, ses pattes arrières dérapant sur les dalles tandis qu'il exhibait les griffes de ses mains. Une nouvelle rage l'emplissait, il devait chasser. Il huma l'air et sentit des relents de cuir bouilli. Quelques uns des gardes devaient approcher. Se précipitant dans ce qu'il jugeait être leur direction, il enfonça une nouvelle porte et surgit, gueule grande ouverte, grognant devant deux soldats. Ceux-ci, porteurs des couleurs d'Eren sur leurs armures, reculèrent précipitamment, brandissant leurs épées pour se protéger, mais trop tard. Syllas agrippa la gorge du premier - lui qui était d'ordinaire de taille moyenne, voilà qu'il surplombait tous ces hommes - et le précipita contre le mur sans aucun effort, le tuant dans le même temps, puis écarta l'épée du second en frappant la lame de sa main avant de le mordre cruellement, extirpant sa vie entre ses crocs. Sa sanglante tâche accomplie, il leva les yeux vers sa paume : la balafre occasionnée par l'épée se refermait déjà.
Maintenant, d'autres proies. Il se jeta dans l'escalier, dévalant les étages.
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L'homme d'arme se présenta devant Meneas et salua.
- Mon seigneur, nous l'avons trouvé. Il court vers la salles des armoiries.
- Dégagez lui le passage et encerclez ces salles. Nous l'y enfermerons.
Meneas gronda, d'une manière très similaire à Syllas, les crocs en moins, et ceignit sa ceinture où pendait l'épée dans son fourreau. Il était de grande taille, un peu plus que la moyenne, et d'une constitution affinée. En fait, il était d'une ressemblance frappante avec Syllas, avec un plus grand âge, quelques rides dus à cela et une barbe courte mais épaisse et grisonnante.
Terminant de s'équiper, il eut un geste d'autorité et la vingtaine de soldats qui patientaient à ses côtés lui emboîta le pas, se dirigeant vers la source du carnage tandis que les serviteurs apeurés restaient ici sous la protection du reste de la garde.
Sur le chemin, tout était vide, excepté les traces de griffes qui, en trois jours, avaient colonisées la plupart des surfaces du château - foutue saloperie ! - ainsi que le cadavre d'une bonne, apparemment abattue en passant par la bête déchaînée - foutu Syllas !
D'abord lointains, les rugissements de fureur du loup se rapprochèrent tandis que la petite troupe se rapprochait de l'endroit où ils le piègeraient. Enfin, ils atteignirent le grand hall, celui où les murs étaient couverts d'armoiries diverses, grands symboles de ce monde, et s'arrêtèrent devant la porte. Meneas eut un geste et la moitié de ses suivants fit un détour afin d'aller verrouiller l'autre entrée, de l'autre côté, puis poussa violemment les battants de l'entrée.
A l'intérieur, tout en fourrure et en colère, Syllas, passablement réduit à l'état de bête sanglante, s'escrimait à dévaster les lieux, détruisant le mobilier à grands coups furieux. Une bonne partie était déjà répandue au sol, une fortune inestimable en petits morceaux.
Le lycanthrope se tourna brusquement vers lui et poussa un rugissement de défi. Hautain, Meneas tira l'épée tandis que les soldats s'alignaient devant la porte, en retrait. L'homme et la bête se jaugèrent du regard puis Syllas leva les griffes et se précipita, bien décidé, dans son accès de folie, à tuer son père et mentor.
Celui-ci ne bougea d'abord pas mais, comme Syllas allait bientôt l'atteindre, il fit tounoyer l'épée et, au lieu de frapper, la lança. Celle-ci perça la jambe de Syllas, fracassant l'os et l'obligeant à s'écraser au sol où il se retrouva étendu, la lame toujours enfoncée dans les muscles et la chair.
Avec dédain, Meneas le rejoignit et lui décocha un coup de botte dans le museau tandis que Syllas lui hurlait dessus, suite à quoi il attrapa son poignard et le planta dans un des poignets de Syllas, le laissant également dans la blessure. Le loup gémit.
- En trois jours, tu t'es rendu responsable du meurtre de dix-sept de nos loyaux serviteurs, dont ton ancienne nourrice et le capitaine des gardes, ce qui m'a obligé à prendre en charge, personnellement, ton cas.
Meneas tournait autour de Syllas, parlant lentement et avec un mépris de plus en plus perceptible. Et, quand Syllas parvenait à reprendre quelque peu ses esprits - du moins ceux de bête - il lui décochait un nouveaux coups qui le paralysait pour quelques instants supplémentaires.
- Tu as ravagé nos terres, la demeure d'Eren et, pire que tout, tu as bafoué ses règles. Ces mêmes règles que je t'enseignes depuis ta naissance et auxquels tu n'aurais jamais du faillir, Syllas. Pour cette traîtrise, nos lois sont claires : tout traître, quelque soit son rang, doit être exécuté pour payer ses fautes et en répondre en Charnéon.
Insensible à la dangereuse proximité des griffes et de la gueule du lycanthrope, il s'accroupit à ses côté et lui tira la tête en arrière, lui tordant violemment le coup.
- Néanmoins... Tu es mon fils, Syllas... Mon unique fils et le seul que j'aurai jamais. Alors à qui remettre ma succession quand je devrai rejoindre nos descendants ? Certainement pas à un autre, un de ces nobles du Royaume, incapables et bornés ! Ni à nos serviteurs, loyaux, certes, mais faits pour obéir et non pour guider nos terres ! Alors, à qui confier le futur si notre lignée s'éteint avec moi ?! Un seul Erenold dirige, un seul Erenold lui est accordé comme descendant, c'est la règle ! Lorsque tu seras mort, cela signifiera le glas pour nous tous. Triste fin...
Bien qu'il ait crié, laissant percer une profonde colère, Meneas avait terminé sur un ton radouci, résigné. Il relâcha la tête de Syllas, qui s'affaissa, ses blessures ne pouvant se refermer le tiraillant insupportablement, et se releva.
- Ainsi... voici ce que nous allons faire, Syllas. Nous allons reprendre ton éducation, revoir les principes d'Eren, afin que plus jamais tu ne les oublies et que, enfin, tu te comportes comme celui que tu es destiné à être. Tu es l'unique héritier, Syllas, j'ai donc tout mon temps à te consacrer...
Il saisit un deuxième poignard, le dernier à sa ceinture et fit un nouveau geste vers l'entrée. Des deux portes de la salle, l'une était verrouillée et l'autre barrée par les gardes mais ceux-ci se reculèrent, quittant le lieu, et refermèrent les battants sur Meneas et Syllas, les laissant seuls.
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Durant deux jours, le château et les terres alentours cessèrent leurs activités. Tout était suspendu à ce qui se passait dans cette salle mais, l'ayant verrouillée, ceux qui restèrent à proximité n'entendirent que les hurlements bestiaux de Syllas et la voix de Meneas durant tout ce temps, cette dernière dominant peu à peu les cris qui s'éteignirent. Enfin, des coups furent frappés et les gardes retirèrent les verrous et ouvrirent. Meneas sortit d'un pas vif sans prêter un regard en arrière. Ceux qui entrèrent dans la salle virent Syllas, indemne comme d'habitude, mais ayant repris forme humaine et titubant. Personne ne l'arrêta lorsqu'il sortit et se rendit docilement à ses appartements puis les serviteurs entrèrent afin de remettre le hall en l'état, nettoyant le sang et emportant les débris jonchant le sol, dont un poignard avec la lame brisée et très émoussée, comme rongée.
Depuis, Meneas n'eut plus jamais à se plaindre de son fils.