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La forêt dormait profondément, illuminé par le faible halo d'une lune presque absente, la végétation des lieux vrombissait au rythme de la légère brise qui balayait tout le sud de Sahawi avec une fraîcheur bienheureuse.

Dans ce calme ambiant, rythmé par le léger caquètement des quelques volatiles colorés qui ne sombraient pas encore dans l'ivresse du sommeil, on entendit bien vite une masse sombre se frayer un chemin au travers des palmiers et de la flore luxuriante qui se rependait a l'ombre salutaire des plus grands arbres de la région. Encapuchonnée, la silhouette gagnait peu à peu le cœur de la forêt, véritable donjon floral recelant des essences de bois les plus prisés et majestueuses du pays du soleil ardent.

Baobab millénaire, Okoumé au tronc gigantesque ou bien Alep majestueux de par la finesse de leur tronc, cette nature florissante se gorgeait également d'un pavé de fleurs et d'essences aux senteurs épicés. Dans ce jardin d'eden, la lune, de sa lumière albâtre, perçait la cime des arbres en une myriade de rayons fantasmagoriques, véritables colonnes de lumières, les nuées de lucioles semblaient s'en enivrer, faisant batailler leur lumière édulcorée dans ce lieu aux saveurs mystique. Cela semblait être également au gout de l'inconnue, puisque celle-ci décida de poser sa sacoche de voyage a la naissance d'un arbre a lianes particulièrement immense, passant au travers d'un des rais de lumière, l'étrangère leva alors les yeux sur l'un des arbres les plus haut de la forêt, tout en passant ses mains pour délier son manteau de voyage.

L'arbre était le bon, la nuit serait bonne et reposante, la jeune femme ébène maintenant pleinement révélée par l'astre de nuit, commença par se dévêtir totalement, pliant ses affaires sur le bord d'un rocher lisse, la belle mystérieuse s'approcha de l'arbre d'une démarche agile et se mua peu à peu, son corps s'étirant et se colorant en un immense dragon paré de plumes et d'écailles dorés, son immense queue serpentant entre les roseaux et les arbrisseaux, la bête mystique semblait s'illuminer sous le reflet de la lune et des constellation qui contribuait a une aura magique et mystérieuse comme seule les nuits de Feu le pouvaient.

Respirant dans un chuintement puissant et a la fois ténu, la créature s'enroula progressivement autours de l'arbre, remuant confortablement pour trouver la meilleure position possible contre l'écorce millénaire de son hôte. Ses yeux dorés et immense grand ouvert sur la clairière qui l'entourait, la gargantuesque Sargonne finit par fermer ses paupières reptiliennes, cédant à la Nature florissante, toute la majesté de son silence.

Naram avait cet âge curieux qui poussait aux décisions les plus imprudentes, enfin, plus que ne pouvait le faire un homme plus âgé d'ordinaire. Il avait huit ans, donc loin d'être un homme, mais il évoluait dans un milieu qui ne lui laissait pas forcément le temps d'être un enfant. Il ne pouvait qu'admirer ses pères sans jamais se joindre à eux, ses yeux sombres miroitant le récit de leurs exploits avec envie et respect à la lueur des flammes du feu de camp. Ce soir-là, il avait porté sur cette femme sortie de nulle part une attention particulière. Il s'en méfiait autant qu'elle le rendait curieux, et son visage juvénile déjà traversé par un certain sérieux n'avait pas offert à cette étrangère une esquisse de sourire. Il agissait comme son père, respectueux mais loin d'être avenant.

Elle n'était pas restée longtemps. Comme un fantôme, elle était apparue et s'était invitée, son passé auprès du clan lui permettant de les approcher, mais aussi vite elle était partie, disparaissant entre les ombres de la forêt. Les réponses que Naram tira de ses questions auprès des siens furent dignes de l'intérêt qu'on peut porter à un enfant un peu trop curieux soudainement. Digne de son caractère susceptible, il n'en fallut pas plus pour que cette tête brûlée se décide à s'éloigner subtilement au détour d'une inattention, rejoignant bien assez vite les traces de l'étrange guérisseuse.

Il faisait nuit mais les rayons lunaires éclairaient bien assez le chemin sinueux au travers de la végétation plus luxuriante que nulle part ailleurs dans Sahawi. Le petit humain évoluait avec une certaine expérience de la traque, quelque chose de presque inné qui lui valait de ne pas s'être fait repérer jusqu'ici. Dans les ombres, il avait l'air d'un jeune félin, ses yeux plissés et ses cheveux bruns les encadrant forçant le portrait d'un animal. Il ne savait pas ce qu'il voulait vraiment, il suivait un instinct ; cette femme cachait une histoire qu'on ne s'était pas donné la peine de lui raconter et elle l'intriguait, bien assez pour qu'il désobéisse ouvertement, à la faveur d'une traque dont il était certain de sortir gagnant.

Naram'kan s'était donc abrité sous les larges feuilles d'une plante qui recouvrait sa petite tête d'un toit qui lui offrait une fenêtre sur la mystérieuse femme, proche d'un arbre qui l'avait arrêtée dans sa marche. Kan ignorait pourquoi il se cachait d'elle ; il ne la craignait pas, et peut-être aurait-il dû, mais il sentait qu'il aurait plus à y gagner en ne se dévoilant pas. Elle, en revanche, se dévoila. Sans crier gare, elle laissa glisser sur sa peau ébène ses vêtements, offrant au traqueur devenu voyeur la grâce d'un corps nu qu'il détailla, retenant son souffle inconsciemment. L'enfant avait déjà vu des corps nus, mais jamais la nudité ne s'était offerte à lui d'une telle façon ; dans leur tribu, elle faisait partie intégrante de la vie, on ne pouvait manquer de la croiser alors qu'ils étaient aussi intimistes. Cette fois-ci, Naram portait ses yeux sur une étrangère qui ignorait sa présence et s'offrait à son regard comme à une nature indifférente, le bousculant et lui arrachant un léger hoquet de surprise lorsqu'elle se changea, s'enroulant autour du tronc centenaire.

Jamais de sa vie Naram n'avait vu telle chose. La créature était gigantesque, à la fois intimidante et intrigante. Entre les feuillages, il ne bougeait pas d'un pouce, immobile statue dont chaque mouvement lui semblait être un séisme dans le silence de la nuit. A vrai dire, il était bloqué. Il ne savait pas ce qu'il devait faire et très vite il se persuada que la chose la plus sage était de ne plus rien faire ; ses yeux étaient rivés sur les paupières fermées du reptile endormi et dans son désir de plus faire aucun bruit, il buta sur sa position pour perdre l'équilibre et tomber plus ou moins habilement en avant, sortant de son abri naturel sous les rayons lunaires. Il resta ainsi quelques secondes, se mordant la lèvre de son imprudence et souhaitant pouvoir revenir en arrière. Il se figea alors une bonne fois pour toute quand il fit face à la pupille du monstre pas endormi, surement dérangé, peut-être affamé.

Aussi peu vêtu et d'apparence frêle que pouvait l'être un humain de son âge, Naram resta les deux mains plaquées contre le sol lorsque les murs d'écailles l'encerclèrent, le réduisant à la même impuissance qu'une musaraigne sous la coupe d'un chat. Lui qui souvent s'était vanté de vouloir affronter le danger comme le faisaient ses pères, il se trouvait bien malin et regrettait un peu d'avoir suivi sans y réfléchir plus que ça cette femme qui n'en était pas une, ou du moins pas une humaine. Puisant dans ce qu'on appelle communément le courage, Naram délivra ses mains de la terre pour se pencher en arrière et rester à genoux devant l'immense créature grondante, accueillant avec autant de surprise que de peur la voix venue des âges. Les mots le frappèrent et touchèrent sa culpabilité, il se sentit honteux d'avoir posé sur elle ses yeux même s'il ignorait ce qu'elle voulait dire exactement ; devait-il s'en vouloir d'avoir dérangé son sommeil, ou faisait-elle référence à ce pourquoi il s'en voulait sans vraiment le regretter ?

Il avait peur, mais aussi terrifiante pouvait être la créature, sa voix féminine et son pacifisme auprès de son peuple rassurait Kan. Il était loin d'être tranquille, il était tremblant sous les décharges d'adrénaline et devait avouer qu'il n'y avait rien qu'il puisse faire pour se sortir de cette situation, mais quelque chose, si ce n'était cette voix en lui qui n'était pas la sienne, lui murmurait que tout irait bien.

« - Yer chomoe anna ! dit-il en levant les bras, autant en signe de soumission que de salut, il était honoré de sa présence. Je ne voulais pas vous déranger, shieraki anni ! »

Dans ses mots, il reconnaissait la divinité de la créature. Devant elle, il se plaçait comme le spectateur d'une étoile et le bénéficiaire de sa présence. Naram avait quelque chose qui le différenciait encore de la plupart des garçons de sa tribu, il était malin et savait quand mettre de côté la fierté aveugle qui les caractérisait. Face à Elle, il n'avait d'autre choix que d'admettre qu'il n'était rien si ce n'était son redevable serviteur.

« - Il en sera selon votre volonté. »

Il ne pouvait être plus docile.

L'immense gueule de l'écailleuse demeura immobile a le fixer. Alors que le garçonnet faisait preuve d'un courage certain, mais aussi, d'une maturité précoce exceptionnelle, la Sargonne se contenta river ses yeux de braise sur sa tignasse brune, imperturbable et aussi rigide qu'une statue, l'éclat vif de ses yeux et le bourdonnement puissant de son corps comme seule trace d'une présence imposante et mystique. Voyant alors que le gamin s'en remettait à elle dans la plus humble des soumissions, la Sargonne releva alors légèrement sa tête, secouant légèrement sa crinière, la créature observa un instant de silence en continuant de l'observer, son regard dépourvu de toute férocité animal mais bel et bien emprunt de celui d'une mère fixant avec dilemme un enfant trop curieux.

" Tu n'as pas voulu me déranger, dis-tu, pourtant, me voilà devant toi, très loin du sommeil que je souhaitais tant. "

Ces mots étaient assénés sous le ton d'une observation neutre de la situation, mais la sargonne ne semblait pas vouloir en venir à ce seul constat, ses prunelles brillaient pour autre chose, de plus profond et de plus secret, aussi choisit t'elle de décrocher sa tête de la hauteur qu'elle s'était donnée. Reposant alors celle-ci a hauteur des yeux du jeune humain, celle-ci commença a glisser sur le pan de son propre corps, en sorte que, dans un mouvement circulaire infini, la bête semblait ainsi songer et réfléchir. De profil face à Naram, la bête tournait ainsi indéfiniment en l'observant de son seul œil visible, son long corps sinueux sifflant contre l'herbe fertile des lieux.

" La curiosité amène le savoir, le savoir accède parfois au secret, le secret donne le fardeau. tu vas devoir garder ce que tu as vu pour le restant de ta vie, Naram'Kan, "

Énonçant son nom comme si cela avait été une évidence, l'écailleuse poursuivait sa ronde mystique, le fil de ses mots avait fait taire le dernier des volatile qui jacassait gaiement, la forêt elle-même semblait s'oublier à vivre, ainsi concentré sur le duo qu'elle habitait.

" J’apprécie la curiosité, à vrai dire, j'en suis dévorée. Mais celle-ci doit être maniée avec sagesse, surtout quand elle ouvre les yeux sur de grands mystères. Tu es trop jeune et bien que d'une étonnante maturité d'esprit... Il y'a devant moi l'esprit débordant et trop agité d'un enfant "

Cette déclare, ouvrit sur une mine divisée bien visible au travers de l’œil de la sargonne, mêlée d’intérêt curieux et avide pour le gosse mais aussi d'une immuable prudence et fatalité. Vivant couverte du secret, la bête semblait déjà savoir que le récit de cette découverte ne pouvait rester bien longtemps au secret de son seul esprit. Il y avait une peine bien visible de cette évidence résolue, la créature ne pouvait laisser ainsi son secret dans ces mains si jeunes, pourtant, le gamin si humble qui se tenait debout devant elle nourrissait tout son intérêt, il y avait en lui un récit passionnant tant par son drame que son caractère épique, ce môme était destiné a de grandes choses comme la bête en avait peu vu. Cependant, il fallait a présent avancer la décision qu'elle avait prise.

" Ferme à présent tes yeux Naram'Kan"

Tournoyant alors autours de lui, l'immense serpent à plume arrêta enfin sa gueule devant la face innocente du garçon, relevant alors l'échine une fois que celui-ci avait docilement obéis, la sargonne avança l'extrémité de sa tête, approchant ainsi la naissance de ses naseaux pour effleurer le front du môme du désert.

" Nous nous reverrons, Naram'kan, alors nous pourrons parler véritablement. Les chemins du Destin ne trompent jamais "

Ces mots filèrent à l'esprit du garçon comme un dernier requiem, annonciateur d'un futur lointain mais également d'une rupture imminente. Déferlant alors comme un raz de marée dans l'esprit du petit homme, une onde psychique d'une intensité féroce le fit basculer à la renverse, atteignant alors le salut du sol douillet et mousseux de la forêt, complètement inconscient, son visage demeurait innocent et pur, étranger a toute douleur ou horreur, tel le dormeur d'un val.

Survivant d'une mer de sang, l'enfant grandira dans la mort et le sang des siens.
Nourris et gavé, Naram'Kan gravira des montagnes, faisant du combat le sein nourricier d'une mère,
Naram'Kan un jour siégera victorieux sur l'amont d'un immense charnier. trouvant sa retraite au service d'une immensité de l’ailleurs. Le vide des siens alors comblé.

A son apogée, la main de fer du démon-premier devra servir le dessein d'un autre a qui il a porté le bouclier.
Car en son esprit libre, se cache l’engrenage et l'arme d'une destinée qui concerne notre monde.
Naram'kan est l'arme d'un destin qui le dépasse, servir ou s'opposer, de ce choix déterminera sa perte ou la réussite de ce pourquoi il est né.

Ainsi est le Livre de Naram'Kan, fils légitime de Feu

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Le garçon était déjà bien loin dans les limbes mystérieuses de l'inconscience, à son réveil, l'immense sensation d'un rêve puissant et annonciateur persistera dans son esprit, comme si toute sa traque n'avait été qu'un tissu flou de son imagination débordante, alors allongé dans l'herbe a la lisière de la forêt, le soleil d'un jour nouveau titillait l'horizon vaporeux de la nuit mystique qui l'avait précédé. Au loin, on entendait le campement nomade de sa tribu qui commmençait a s'éveiller, préparant la journée qui naissait, la Sargonne était désormais bien loin de tout cela. Mais dans ce brouhaha de souvenirs et de sensations chaotiques, à la saveur onirique, une chose pouvait résonner en lui comme le glas clair d'un son de cloche : Les paroles prophétiques s'étaient parfaitement gravés dans sa mémoire, comme des mots de feu gravés au fer rouge sur la chair de son esprit.

Dans ses mains, posée délicatement sous le pouce de sa main droite, une plume dorée reposait contre son ventre, délicate et légère, celle-ci, si on y prêtait attention, semblait battre d'un cœur qui n'était pas le sien. Cet énigmatique présent semblait promis, a l'heure ou tout serait perdu, a retrouver le plumage qui l'avait porté.

Lorsque Naram se réveilla, Elle n'était plus là. Il n'avait pas rêvé, il en était certain, et la plume qu'il obtint de cette rencontre mystique lui prouva qu'il pouvait croire en ce qu'il avait vu, et entendu. Aussi jeune, il était de toute manière loin de remettre en doute sa croyance. Il l'avait vue, lui avait parlé comme dans un songe et elle lui avait promis qu'il la reverrait. Il s'était relevé un peu hébété, essayant de reconnaître les lieux, retrouvant bien assez vite le chemin qui l'avait mené à cet arbre majestueux. Il le savait, il allait recevoir une sacrée correction en rentrant mais son trésor en valait la peine. Peut-être même certains de la tribu lui donneraient des explications ?

Il ne fut pas accueilli avec la joie qu'il avait espéré tirer de sa trouvaille, mais il dut reconnaître que la main de son père fut plus légère qu'à l'accoutumée. Quand les yeux des autres se posaient sur sa plume d'or, on lisait une certaine admiration, et les rares qui savaient d'où pouvait venir un tel trophée avaient bien du mal à reconnaître que l'enfant ait pu s'en faire possesseur. On lui demanda de raconter son aventure et très vite on lui accorda là le signe d'un avenir radieux. Fier, Naram para sa tenue de cette plume qui rappelait alors aux autres, dès ce jour, cet avenir dont il était le seul à connaître la prophétie. Le chemin glorieux que lui avait prédit la déesse encouragea l'enfant à faire de son mieux pour devenir le plus respecté des jeunes de sa tribu.

A partir de ce jour, lorsque Naram accomplissait quoi que ce soit qui puisse rendre fiers les siens, il se réjouissait de penser que, quelque part, Elle savait qu'il accomplissait sa destinée, qu'il se rendait digne de la félicité qui s'était offerte à lui cette nuit-là. Chaque nuit, il y repensait et son cœur battait à l'idée de la revoir ; en prenant de l'âge, le souvenir de cette magnificence s’incrusta en lui et il se surprit à désirer plus que ses pairs. Naram avait touché une perfection que les autres n'étaient pas capables d'imaginer, une beauté si parfaite qu'il était futile de la comparer, et il ne put manquer de ressentir en lui un manque béant. Il n'avait pas les mots pour le décrire, à douze ans comme à trente ; tous ses exploits, tout ce qu'il accomplissait, lui semblait toujours insuffisant, au moins durant sa jeunesse. Naram était insatisfait, car il touchait dans son quotidien la morosité d'une beauté humaine, bien loin de la puissance, de la perfection de l'être magnifique, et assurément divin pour lui, qui s'était offert à son innocence. Avant que ne s'abattent sur lui les malheurs de la destinée qu'on lui avait promise, il n'avait jamais désiré que la revoir.