Voyager seul était toujours une épreuve dure. Bien que la nature soit l'amie du solitaire, car elle se délivre dans toute sa magnificence uniquement aux esseulés, Trataïr n'aimait pas voyager seul. L'ennui était omniprésent et, de surcroît, cela faisait quelques mois que des cauchemars le hantaient chaque nuit ou presque et que son âme torturée lui demandait humblement de faire quelque chose pour oublier toutes ces épreuves. Il voulait tant répondre favorablement à sa requête... mais il ne pouvait rien faire en l'état. Son devoir consistait à détruire pour maintenir la paix. Un paradoxe qui n'en était pas vraiment un car c'est par la domination et le pouvoir que l'on peut conduire à la paix. Sans ces deux facteurs, il est impossible d'envisager un quelconque changement. Il ne voulait pas être seul, décidément non. Il pria donc silencieusement Nielhing qu'ils acceptent sa proposition et lui promit un magnifique récit de voyage si cela était le cas. Les deux amis échangèrent finalement quelques paroles silencieuse et le renard tourna subitement le dos pour partir sur le chemin.

- Bon, c'pas tout ça, mais on a un loup à escorter jusqu'à Sen'tsura. Z'avez l'intention de lambiner là longtemps ? La route est longue !

Trataïr ne put s'empêcher d'esquisser un large sourire. Ils ne se rendaient pas compte à quel point ils sauvaient son âme perdue. Il remercia silencieusement le dieu voyageur avant d'aller en hâte décrocher le cheval de son arbre et de disposer les divers affaires dessus. Il ne grimpa pas sur la selle, préférant marcher aux côtés de ses amis en tenant la bride. Il rejoignit bien vite ses deux compagnons sur le chemin.

- Je vous remercie les amis. Vous ne serez pas déçus du périple, je vous le garantie !

C'était davantage une promesse faite à Nielhing qu'à l'elfe et son renard. Il lui avait fait la promesse d'avoir une belle histoire à raconter, et il la tiendrait. Il savait que le dieu aimait beaucoup les récits des voyageurs et qu'en les voyant ainsi, parcourant la forêt en quête, sans se l'avouer, d'aventures, il serait contenté. Le chasseur respectait et révérait beaucoup le dieu. Nombre de prières à celui-ci passaient la barrière de ses lèvres tous les jours et il se plaisait à parler de lui auprès d'autres vagabonds de grands chemins. C'était sa religion, son culte.

Profitant de la douceur du crépuscule descendant, ils progressèrent rapidement sur les différents chemins. Trataïr connaissait quelques raccourcis, allez savoir comment, et ils purent réduire considérablement la distance qui les séparaient de la capitale de Terre. Sur la route, quelques chants résonnèrent entre les arbres, preuves de l'éternelle gaieté qui accompagnait l'archer lorsque celui-ci taillait la route avec des amis. Il était toujours heureux de parcourir le monde en bonne compagnie et cette journée ne faisait pas exception. Ils étaient sortis de la forêt pour entrer dans une vaste plaine recouverte ici et là de quelques éminences de verdure. Rien de bien méchant. Cependant, après quelques dizaines de minutes de marche dans cette vaste étendue Hooker, le groupe décida d'une même pensée qu'il était temps de bivouaquer. Ils choisirent pour cela le bord d'un ruisseau et profitèrent du bois mort offert par quelques arbres pour faire un feu. Cependant, point de vivres, une bien mauvaise situation... Le chasseur se proposa alors d'aller essayer de trouver de quoi manger.

En apparence lupine, il partit chercher aux alentours quelques bestioles promptes à faire le bonheur de leurs estomacs. En passant devant l'entrée d'une grotte, il hésita un peu avant de passer son chemin. Il était un peu tard pour s'aventurer dans pareils endroits et ses compagnons devaient s'impatienter. En repartant, il sentit subitement une odeur forte à côté de lui, il se retourna et vit un immense ours lui faire face de toute sa hauteur. Rapidement, celui-ci poussa un rugissement impressionnant avant d'envoyer une de ses puissantes pattes en direction du loup blanc, bien décidé à anéantir cet intrus. D'un habile bond sur le côté, Trataïr esquiva mais l'ours revint bien vite à la charge et il ne put esquiver tous les coups. Les griffes de l'ours se plantèrent avec force dans le flanc du loup qui fut envoyé quelques mètres plus loin. Désormais allongé, une entaille béante sur le côté, Trataïr sentait sa fin arrivée, et pria tous les dieux qu'il connaissait que celle-ci arrive vite...

Trataïr eut un large sourire qui fendit son visage avant qu'il ne déclare :

Je vous remercie les amis. Vous ne serez pas déçus du périple, je vous le garantie !

Le trio se mit en route à cet instant précis. Ils marchèrent pendant dix minutes avant de décider, d'un commun accord, de s'arrêter pour bivouaquer. Trataïr se proposa d'aller chasser, ce qu'Alys et Heylë acceptèrent sans broncher.

Le jeune homme se transforma en loup et partit chasser, pendant que l'Elfe et le renard montaient un bivouac. Rien de particulier ne vint troubler leur attente pendant quelques instants, jusqu'à ce qu'Heylë se fige, reniflant l'air, avant d'entendre un hurlement. Hurlement d'ours...

Le duo ne chercha pas ; Alys prit son arc et son carquois avant de suivre Heylë au pas de course. L'odeur du sang vint les frapper à nouveau, et ils découvrirent un Trataïr en piteux état, prêt à être envoyé ad patres par un ours mal léché. Alys lança quelques flèches dans le dos de l'ours, détournant son attention de Trataïr, et Heylë choisit ce moment pour mettre à Alys d'enduire ses flèches de poison, grâce à la belladone qui se trouvait à côté d'elle, en mordant le plantigrade aux pattes arrière pour le déstabiliser.

Tout s'enchaîna ensuite très vite. Alys envoya ses flèches empoisonnées sur l'ours, dont deux dans les yeux, ce qui finit par le faire tomber dans un ravin tout proche et le tua sur le coup, avant de se précipiter vers Trataïr, qui avait une plaie béante sur le flanc. Sans chercher à tergiverser, elle appliqua les premiers soins au jeune homme en marmonnant :

Surtout ne meurs pas...

Quand elle eut fini de soigner la blessure, elle sortit sa gourde de son sac et en fit avaler un peu du contenu à Trataïr, Heylë lui léchant le visage pour qu'il reprenne ses esprits.

Le loup blanc baignant dans son propre sang n'entendait déjà plus ce qui se passait autour de lui. Il flottait entre deux mondes séparés par le mince fil de la vie qui s'acharnait à se briser un peu plus à chaque seconde. Il entendait vaguement des cris, des sifflements, un énorme fracas, des paroles prononcés par une voix familière... mais toutes ces choses restaient hors de sa portée. Comme si le destin essayait ardemment de lui ôter toute joie, toute satisfaction, pour ne laisser que ce qu'il y avait de pire en lui. Un bien cruel châtiment mais il devait être mérité. Il était parti du droit chemin pour s'aventurer dans celui du combat où la seule chose que on y fait est de semer mort et destruction. De laisser sa haine prendre le pas sur sa conscience et de se satisfaire de toutes les âmes que l'on envoie au ciel...

Soudain, une sensation étrange, bien présente et qui tentait de le ramener à la vie. Le loup étendu au sol ouvrit finalement ses yeux d'émeraude pour admirer le visage si doux d'Alys. Une symphonie de tourment se lisait sur son visage. L'inquiétude, la tristesse, la peur... Il aurait donc provoqué tout ça en trépassant ? Comment ? Il a passé les derniers mois à enlever des vies. Il serait donc juste que la sienne prenne enfin fin ! Pourquoi les vivants ne voulaient pas le voir partir ?... Il tourna un peu son regard vers celui du renard qui exprimait les mêmes angoisses... Une vision qui le torturait bien plus que tous les bourreaux des Adorateurs pourraient le faire.

Avec peine, il entreprit de reprendre la forme d'un humain. Il était toujours allongé sur le sol et, bizarrement, les soins que lui avaient apportée l'elfe avaient accélérés la régénération naturellement rapide des lycans. Il ne restait plus de cette confrontation qu'une longue cicatrice sur le côté qui ne disparaîtrait probablement jamais. C'est cela quand on change de forme pendant la guérison... Mais cela n'était pas important. Il se leva péniblement pour s'asseoir sur la terre humide du sang versé. Il dévisagea à nouveau, avec une expression sombre, les visages de ses deux amis. Il prit enfin la parole après un long silence.

- Je suis désolé... vous sembliez peinés de me voir ainsi... mais vous ne devriez pas. La mort fait partie intégrante de la vie et je n'aurais jamais peur de la voir arrivée. Ce serait stupide.

Il tourna plus son regard vers Alys.

- Mais je te remercie de m'avoir sauvée. Ton cœur est bon même envers ceux qui ne le méritent pas... Il posa ensuite ses yeux dans ceux d'Helyë. Toi aussi tu es bon. Je suis sûr que si les dieux t'ont donnés la parole ce n'est pas pour rien. Mais je ne suis pas devin. Seulement j'espère être là quand ton destin s'accomplira.

Il se releva enfin complètement. Craquant nonchalamment ses articulations avant de regarder le cadavre de l'ours qui était constellé de flèches.

- Et bah ! Si seulement j'avais plus d'archers comme toi sous mes ordres, je serais un homme comblé !

Ceci était évidemment dit sur le ton de la plaisanterie. Pour détendre l'atmosphère. Espérons que ça ait marché...

- Bien, je crois que nous avons nôtre repas ! Dit-il tout en affichant un franc sourire en regardant les deux compères.

Alys poussa un soupir de soulagement lorsqu'elle vit que Trataïr ne partait pas encore pour le royaume de Nayris. Ses soins lui avaient permis de survivre... Il dévisagea le duo silencieusement pendant quelques instants avant de souffler :

Je suis désolé... vous sembliez peinés de me voir ainsi... mais vous ne devriez pas. La mort fait partie intégrante de la vie et je n'aurais jamais peur de la voir arrivée. Ce serait stupide.

Puis il planta son regard dans celui d'Alys et lui dit doucement :

Mais je te remercie de m'avoir sauvée. Ton cœur est bon même envers ceux qui ne le méritent pas...

Puis il regarda Heylë :

Toi aussi tu es bon. Je suis sûr que si les dieux t'ont donnés la parole ce n'est pas pour rien. Mais je ne suis pas devin. Seulement j'espère être là quand ton destin s'accomplira.

Puis Trataïr se releva, faisant craquer ses articulations avant d'aviser l'ours mort qui se trouvait à côté. Il lança sur le ton de la rigolade :

Et bah ! Si seulement j'avais plus d'archers comme toi sous mes ordres, je serais un homme comblé !

Alys rosit sous le compliment, et sourit lorsqu'il désigna l'ours comme leur repas. Sortant un coutelas de sa besace, elle entreprit de dépecer l'animal, prenant soin de le vider et d'en brûler les entrailles avant de découper la viande en quartiers, qu'elle passa à Heylë et Trataïr, avant de s'occuper de la peau.

Lorsqu'elle arriva au camp, elle posa la peau sur le sol et demanda :

Bon, qu'est-ce qu'on peut faire de cette peau ?

Ils pourraient la vendre au marché de Sen'tsura, l'ours étant assez réputé pour la chaleur que sa peau pouvait procurer à ceux qui pouvaient se l'offrir. Ou la garder pour eux, mais c'était assez encombrant tant qu'on ne l'avait pas transformée en manteau ou autre...

Les compliments de Trataïr avaient toujours eus leur effet et ce sur n'importe qui. Allez savoir pourquoi... peut-être parce qu'ils étaient des plus sincères. L'archer n'aimait pas l'hypocrisie et répugnait d'en user un jour. Mais voir les joues de l'elfe rosir était tout de même plaisant. Il la regarda ensuite dépecer l'ours avec un couteau. Brûlant l'immangeable et découpant la viande et l'épaisse graisse de l'animal en quartiers. Elle avait tout d'une bonne chasseuse, ce qui réveilla la curiosité du jeune homme qui avait toujours entendu dire que les elfes répugnaient de, ne serait-ce que, toucher à de la viande. Un nouveau préjugé qui s'averrait faux.

Les minutes passèrent pendant lesquelles Trataïr méditait sur les évènements de la journée. Il était parti au matin avec la ferme intention de rentrer en communion avec la nature et qu'aucun nuage ne vienne noircir le ciel de ses pensées. Au final, une immense quantité de sang avait abreuvé le sol de cet endroit si paisible. Étrangement, il prit la réflexion avec un stoïcisme inquiétant. Aucun remord, pas une once de regret. Qu'était-il devenu ?

En repartant au campement, ils se partagèrent tous les trois le fardeau qu'était l'ours. Le renard fut celui qui en avait le moins, bien que ce ne fusse pas pour lui plaire. Il aurait aimé en prendre plus mais le chasseur avait soulevé l'impossibilité du projet par une petite pique sur le ton de la plaisanterie.

Tous arrivés auprès du foyer, la jeune elfe déposa le butin de sa chasse au sol. Une immense peau qui ferait une parfaite couverture ou autre. Trataïr sourit devant ce spectacle. Cela lui rappelait ses tendres années de chasse. Il connaissait l'art de transformer les peaux pour en faire des objets utiles et cette fourrure d'ours était le moyen parfait de se dérouiller un peu.

- Bon, qu'est-ce qu'on peut faire de cette peau ?

- Je pourrais passer la nuit à en faire une couverture pour vous deux, et surtout pour toi Alys. Ce sera ma façon de te remercier. J'en garderais un morceau pour me faire une spalière pour les jours de batailles...

Il regardait ses deux amis avec un sourire franc. Il comptait bien les rétribuer pour tout ce qu'ils avaient fais.

Heylë vint renifler la peau de l'ours pendant que Trataïr déclarait :

Je pourrais passer la nuit à en faire une couverture pour vous deux, et surtout pour toi Alys. Ce sera ma façon de te remercier. J'en garderais un morceau pour me faire une spalière pour les jours de batailles...

Le renard ne put s'empêcher de pouffer :

Autant je ne dis pas que les renards sont insensibles au froid et n'ont donc pas besoin de couverture, autant les humanoïdes comme Alys... Eux en ont besoin !

Il se roula par terre en riant, très satisfait de son trait d'humour, faisant soupirer sa sœur d'âme qui se plaqua la main sur le front ; il y avait des moments où quelques fois, elle regrettait presque qu'Heylë ait reçu le don de parole, depuis qu'il parlait comme tout le monde il en profitait pour faire de l'humour douteux...

Elle se tourna vers Trataïr, un sourire un peu pincé sur les lèvres, et lui lança :

Excuse-le, ce genre de traits d'humour est assez fréquent chez lui depuis qu'il sait parler... Ma foi, je ne suis pas contre les couvertures, même si pour Heylë ce n'est pas tellement nécessaire. Donc fais-toi plaisir... Juste, c'est quoi une spalière ?

Un vocabulaire militaire, sans doute.. L'Elfe regrettait de ne pas être trop au fait des vocabulaires techniques de l'armée, de la marine et autres domaines qui lui échappaient totalement. Elle devrait se trouver des livres qui en discutent, comme ça elle ne passerait plus pour une ignorante...

La réplique du jeune homme, qui ne se voulait pas drôle pour un sou, n’eut pas l'effet escompté. Elle souleva une vague de rire chez Heylë. Une réaction étrange quand on ne connaissait pas les vertus extraordinaires de cet animal. Néanmoins cela restait assez étrange. Cette hilarité fut accompagnée d'une petite pique à l'intention du chasseur qui sourit chaleureusement au petit humoriste. Il est vrai qu'il n'avait pas grand besoin de cette peau. Après réflexion la remarque de Trataïr était effectivement idiote... ce qui le faisait sourire. Depuis les affres de l'expédition, il n'avait pas eu beaucoup affaire à quelque forme d'humour que ce soit. Les soldats plaisantaient parfois entre eux mais les histoires étaient plus morbides qu'autre chose. En tout les cas, l'humour étrange de son ami semblait animé une certaine lassitude chez la jeune elfe qui s'empressa de s'excuser pour le renard.

- Excuse-le, ce genre de traits d'humour est assez fréquent chez lui depuis qu'il sait parler... Ma foi, je ne suis pas contre les couvertures, même si pour Heylë ce n'est pas tellement nécessaire. Donc fais-toi plaisir... Juste, c'est quoi une spallière ?

L'archer posa un regard amusé sur le renard avant de reporter son attention sur Alys et de lui répondre.

- Ne t'excuse pas voyons. L'humour est une preuve d'intelligence ! Pour ce qui est de la spallière, c'est une protection des épaules plutôt utilisée par les militaires ou ceux qui en ont besoin de leurs professions. Celles en fourrure sont plutôt destinée à tenir chaud ou a impressionné l'ennemi...

Il souffla la dernière partie de sa phrase. Pourquoi parler de guerre dans un si paisible endroit ? Visiblement celle-ci le suivait où qu'il aille et il allait devoir s'y faire. Passant une main derrière sa tête, il avisa un peu plus la peau. Visualisant comment la découper efficacement pour faire le plus de couvertures possibles. Bienheureusement, l'ours était gras du fruit de sa chasse estivale, hors donc il avait un volume de fourrure conséquent. Il pourrait en faire deux couverture en plus de sa spallière. Parfait ! Il récupérerait aussi la graisse pour la vendre à des forgerons de la capitale. C'était un produit très prisé pour aiguiser les lames et les polir.

- Bien, je vais y passer un peu de temps, vous devriez aller dormir, j'essayerais de faire le moins de bruit possible pour ne pas déranger votre sommeil. Dit-il en présentant un large sourire à ses deux amis.

Ne t'excuse pas voyons. L'humour est une preuve d'intelligence ! Pour ce qui est de la spallière, c'est une protection des épaules plutôt utilisée par les militaires ou ceux qui en ont besoin de leurs professions. Celles en fourrure sont plutôt destinée à tenir chaud ou a impressionné l'ennemi...

Alys sourit à l'explication de Trataïr et la rangea dans un coin de son esprit, pendant qu'Heylë se remettait de son fou rire en soufflant longuement, allongé sur le ventre et séchant ses larmes de rire d'un revers de patte. Pfiou, ça faisait du bien de rire un bon coup.

Alys observa Trataïr qui jaugeait la peau de l'ours, pendant qu'elle lançait à Heylë des lanières de viande, ce dernier les attrapant au vol pour les grignoter par la suite. Trataïr finit par déclarer, un air de satisfaction sur le visage :

Bien, je vais y passer un peu de temps, vous devriez aller dormir, j'essayerais de faire le moins de bruit possible pour ne pas déranger votre sommeil.

Très bien, n'hésite pas à nous réveiller si besoin.

L'Elfe aux cheveux bleus s'allongea et finit par fermer rapidement les yeux, s'abandonnant à un sommeil réparateur. Heylë, lui, décida de garder les yeux ouverts afin de veiller sur sa sœur d'âme tout en continuant à mâchouiller ses lanières de viande et regardant de temps en temps ce que faisait le loup-garou, travaillant la peau d'ours avec habilité.

Il resta ainsi quelques instants, mâchouillant ses lanières de viande, regardant alternativement Alys qui dormait paisiblement et Trataïr qui travaillait. Les humanoïdes étaient vraiment étranges, autant ils pouvaient succomber au doux appel du sommeil, autant ils pouvaient rester éveillés aussi longtemps que nécessaire...

Après une dernière recommandation de politesse, Alys et Helyë s'en allèrent sur leur couche pour se laisser aller dans les bras de Morphée. Avec un paisible faciès, Trataïr admirait la belle elfe tomber peu à peu dans le sommeil, et son compagnon à quatre pattes qui montait vaillamment la garde. C'était un duo si insolite mais également si complémentaire qu'on ne pouvait imaginer les voir respectivement avec d'autres. De joyeux compagnons que l'archer aurait tôt fait de regretté lorsque le moment de la séparation serait venu. Mais il ne fallait pas songer à ces sombres pensées... Pas encore.

Il soupira avant de recentrer son attention sur la large peau d'ours qui demeurait au sol. Doucement, il craqua les jointures de ses doigts avant de sortir son vieux couteau de chasse et de commencer à découper la fourrure avec application. Il en sortit trois partie de taille différentes mais qui étaient toutes découpées soigneusement. L'une d'elle, la plus grande, fut celle à laquelle Trataïr s'attela en premier. Il nettoya la peau avec de l'eau et faisant bien attention de ne laisser aucune imperfection. Puis il découpa une de ses vieilles tuniques pour en faire des pièces de tissus qu'il cousu tout autour de la peau pour que le toucher soit agréable et pour ne pas qu'elle s'abîme. Il fit de même avec la seconde partie plus petite et avec le même soin accordé aux détails. Il voyait cela comme un cadeau et il voulait que celui ci soit parfait. Pour le reste, il se réserva la tête de l'ours, les épaules et les quatre pattes. De la partie supérieure, il enleva la tête et se servit du race pour faire la pièce de vêtement qui rendit l'elfe si curieuse quelques heures plus tôt. Il brûla les pattes et la tête qui n'avait aucune utilité immédiate. Il ne fallait pas s'encombrer avec ce genre de choses durant un voyage.

Voilà, après de longues heures de travail dans la nuit, il était fier de son ouvrage. Deux couvertures et une spallière, c'était pas mal pour une unique peau d'ours. Trataïr remerciait son père de lui avoir apprit les rudiment de la tannerie. Bon, c'est vrai que le tout ne sentait pas franchement bon même après nettoyage mais il espérait que son amie n'allait pas s'arrêter sur ce détail. L'odeur partirait petit à petit à force d'utilisations de toutes manières. Il ne restait que deux-trois heure avant que l'aube ne se lève. Sans se faire prier, le chasseur s'allongea sur sa couche auprès du feu et s’endormit rapidement.


Le soleil frappa peu de temps après le campement de fortune des trois compères. Ses timides rayons réchauffaient un peu l'atmosphère fraîche de la nuit précédente. Le cadavre du feu encore fumant trônait au centre du camp et tout autour s'éveillèrent un a un les voyageurs. Bizarrement, le premier fut Trataïr qui, malgré la fatigue, appréciait de voir enfin l'astre solaire faire son apparition. Il s'étira longuement avant de lever son regard épuisé vers le ciel. Il priait Nielhing pour que cette journée de voyage soit calme. Mais il savait que cela rentrait en contradiction avec sa promesse. Donc il ne se faisait pas d'illusions. Cette journée allait être comme toutes les autres: longue.

Il se leva un peu péniblement et entreprit de rallumer le feu. Tel le phénix qui renaît de ses cendres, le foyer se ralluma, diffusant une chaleur réconfortante dans un large périmètre. D'un geste appliqué, il disposa des lanières de viandes autour, histoire d'avoir un bon déjeuner. Il se résolu finalement de jeter un regard sur le duo d'amis.

- Le soleil vous incite à ouvrir les yeux. Il est bien malpoli de lui tourner le dos. Lança t'il sur le ton de la plaisanterie.

La nuit se passa sans encombre, pour Alys comme pour Heylë. Le renard avait sombré dans les bras de Morphée peu de temps après que Trataïr, ayant fini son travail, se soit couché à son tour, et malgré sa vigilance, prêt à se réveiller au moindre bruit, il n'eut qu'à dormir sur ses deux oreilles.

Ce fut la voix de Trataïr, au matin, qui les réveilla tous les deux ainsi que l'odeur de la viande qui grillait doucement près du feu :

Le soleil vous incite à ouvrir les yeux. Il est bien malpoli de lui tourner le dos.

Alys et Heylë s'étirèrent de concert et se levèrent en même temps, Heylë trottinant jusqu'au foyer d'où le délicat fumet de la viande grillée s'échappait pour titiller son odorat délicat.

Il se lécha les babines mais attendit que tout le monde soit prêt pour petit-déjeuner ; s'asseyant près de son canidé, Alys lui caressa la tête avant de regarder Trataïr avec un sourire :

Je vois que la nuit a été quelque peu courte pour toi, ça ira ? Tu tiendras le coup jusqu'à la capitale ?

Elle avisa ensuite les couvertures et la spadière faites par Trataïr à partir de la peau d'ours pendant la nuit et le félicita :

Bravo pour ton travail, on voit le professionnel. Tu fais ça depuis longtemps ?

Finalement, Alys et son renard se levèrent presque à regret de leurs couches mais avec tant de coordination que c'était accessoire. Une autre preuve que les séparer c'était comme diviser le feu et la chaleur... Une amitié qu'enviait presque l'archer, sans pour autant le montrer. Les deux compères vinrent tranquillement s'asseoir près du foyer, là où grillaient paisiblement les morceaux de viande d'ours. Helyë avait l'air tout particulièrement intéressé par l'idée de se les mettre sous la dent. Une perspective qui faisait sourire le commandant impérial. Le regard de l'elfe le ramena bien vite sur terre, il plongea son regard d'émeraude dans le sien en l'écoutant.

- Je vois que la nuit a été quelque peu courte pour toi, ça ira ? Tu tiendras le coup jusqu'à la capitale ?

Il eu un sourire un peu las mais avant qu'il puisse répondre, Alys regardait déjà le fruit de la nuit de travail avec enthousiasme.

- Bravo pour ton travail, on voit le professionnel. Tu fais ça depuis longtemps ?

Un sourire plus chaleureux embellit le visage sombre du chasseur. Les compliments étaient toujours appréciés et remerciés chez lui.

- Ton compliment me touche. Je fais ce genre de besognes depuis que je suis petit. Mais ces derniers mois je n'ai guère eu le temps de renouer avec ça. Tout en disant ces mots, il regardait avec une certaine nostalgie les divers vêtements disposés au sol. Puis il reporta son attention sur son interlocutrice. Et ne t'inquiètes pas pour moi, un loup peut voyager longtemps sans s’épuiser forcément.

La fin de sa phrase fut accompagné d'un large sourire qui découvrit ses dents. Il avait ouïe dire cette information sur les loups durant ses longues années de chasse. C'était une caractéristique utile de son nouvel état. Tranquillement, il avisa les pièces de viande qui étaient enfin cuites. Il les distribua équitablement entre lui et ses deux amis et ils déjeunèrent tous les trois. Ce fut rapide mais salvateur pour le jeune homme dont l'estomac se plaignait constamment depuis le milieu de la nuit. Dans un geste qui n'avait rien d'humain, il se lécha les "babines" avant d'éteindre le feu à l'aide d'une gamelle d'eau. Il se leva et s'étira longuement avant d'aller détacher une énième fois sa pauvre monture.

- Bien, il est temps de repartir ! Nous devrions être à Sen'Tsura dans le milieu de l'après-midi.

Ses sens aiguisés de voyageur lui permirent de faire une estimation assez précise de la distance qui les séparaient de la capitale. Ou était-ce simplement un don qui lui avait accordé Nielhing... Il n'était pas temps d'y penser ! Il fallait retrouver la poussière des routes. D'un pas rapide sans être hâtif, il se dirigea vers le chemin le plus proche en jetant au passage un regard au duo.

- Aller, venez-donc ! On a pas toute la journée ! Je ne sais pas vous mais je n'ai pas envie de passer une nuit de plus dans le territoire de bandits.

Un rire franc s'échappa de ses lèvres et il continua son chemin sans même regarder si ses deux compagnons le suivaient. Il savait très bien qu'ils n'étaient pas loin de toutes manières.

Alys sourit lorsque Trataïr répondit, rosissant sous le compliment :

Ton compliment me touche. Je fais ce genre de besognes depuis que je suis petit. Mais ces derniers mois je n'ai guère eu le temps de renouer avec ça. Et ne t'inquiètes pas pour moi, un loup peut voyager longtemps sans s’épuiser forcément.

Puis il sourit de manière à montrer ses dents, ce qui fit rire l'Elfe aux cheveux bleus. Puis il distribua les tranches de viande bien grillées entre lui, l'Elfe et Heylë, et Alys n'eut pas le cœur de refuser. Certes, son éducation loin de Drayame faisait qu'elle pouvait manger de la viande, mais elle n'y était pas encore totalement habituée. Ça viendrait un jour.

Ils déjeunèrent assez rapidement, et le jeune homme se lécha les babines avant d'éteindre le feu ; puis il s'étira longuement avant de détacher sa monture qui piaffait d'impatience :

Bien, il est temps de repartir ! Nous devrions être à Sen'Tsura dans le milieu de l'après-midi.

Il s'engagea dans le chemin le plus proche et lança au duo qui finissait de se préparer :

Aller, venez-donc ! On a pas toute la journée ! Je ne sais pas vous mais je n'ai pas envie de passer une nuit de plus dans le territoire de bandits.

Si tu crois que t'es le seul dans ce cas-là, tu te trompes énormément !, répliqua Heylë, ce qui fit rire tout le monde.

Ils reprirent tranquillement leur route, Alys veillant tout de même à ce qu'ils ne soient plus importunés jusqu'à ce qu'ils arrivent en vue de la cité. La journée était bien avancée et, comme l'avait prévu Trataïr, la capitale fut visible dès le milieu de l'après-midi.

Le duo accompagna Trataïr jusqu'à la porte de la cité, où il s'arrêta ; Alys serra la main de Trataïr et lui dit :

C'est ici que nous te laissons, la route pour retourner à notre point de chute est assez longue, nous ne traînerons pas si nous voulons rentrer avant la nuit. Porte-toi bien et puissent nos routes se recroiser un jour.

Elle laissa Heylë lécher la main du jeune homme avant de se retourner et d'avancer vers le soleil, Heylë sur les talons. Une belle rencontre en perspective...

La plaisanterie qu'Helyë avait lancé juste avant le départ avait eu le mérite de faire rire Trataïr. Une chose bien rare ces derniers temps. La dernière fois qu'il avait rit c'était... avec sa famille adoptive. Un souvenir douloureux... un de plus mais celui-là faisait souffrir par le bonheur qu'il lui avait apporté et qui n'était plus là. Et cela le rendait encore plus pénible. Mais il ne fallait pas penser à ça et repartir au plus vite sur les routes.

Le reste du voyage se passa le plus tranquillement du monde. Bizarrement, Nielhing sembla avoir pitié du groupe de voyageur et avait décidé de les laisser en paix. Une étrangeté que le chasseur remercia par une prière silencieuse à l'heure du déjeuner. Un déjeuner frugale et rapide composé de fruits qu'ils avaient trouvés dans les arbres alentours. Ils reprirent rapidement la route et, comme il l'avait prévu, vers le milieu de l'après-midi, lorsque le soleil commençait à peine à calmer l'ardeur de ses rayons sur la plaine dénudée, ils virent au loin les hauts bâtiments de la capitale terrestre. Sen'Tsura, l'œuvre d'art, était en vue. Ils mirent bien une bonne demi-heure à parcourir les trois kilomètres qui les séparaient de la ville. Arrivés près des portes, ils se réunirent une dernière fois pour se dire adieu. Il n'y eu aucun mot de l'archer, trop peiné de voir ses amis s'en aller. Une fois ceux-ci repartis sur les chemins, il dû se résoudre à rapidement faire abstraction de cette journée pour revenir à ses responsabilités. Une sorte de dernier repos avant d'aller sur le front.

Il se cacha derrière un épais buisson le temps de se changer. Il sortit d'un des sacs posés sur le cheval d'élégants vêtements. Une chemise à lacets en coton blanche, un pantalon noir en coton également, une tunique de cuir bouillie faite sur-mesure pour le jeune homme et longue cape noire ornée du blason de l'empire. Il attacha ses longs cheveux en un catogan assez sobre et se para de son arc avant de grimper sur son cheval et d'aller à la rencontre des gardes à la porte de la cité, une centaine de mètres plus loin.

- Hey vous ! Qui êtes vous et que venez-vous faire dans la cité.

- Général d'archerie Erubon messieurs. Je vous prierais de me laisser passer sur-le-champ, j'ai beaucoup à faire.

Il vit, et sentit, la sueur perler sur le front des deux hommes. Ils s'en voudraient longtemps d'avoir parler comme ça à un général impérial, même si Trataïr faisait tout pour que ce ne soit pas le cas.

- Mais... mais vous n'avez pas d'escorte ?

- Regardez-moi, je suis encore entier non ? Aller, laissez-moi entrer.

- D'a... d'accord Général. Entrez-donc Général.

Et il pénétra dans la splendide cité par la grande porte. Il devait désormais rejoindre le palais impérial pour avoir connaissance de ses nouvelles responsabilités plus en détail.