Après ce terrible mois, plus jamais les maraudeurs de la toundra n'oseraient remettre les pieds à Vindsval. Des dizaines et des dizaines de petits groupes avaient été traqués, trouvés et massacrés durant les dernière semaines et d'après la baisse de l'activité de ces derniers, cette chasse avait porté ses fruits. Durant de longs hivers, le sud de la frontière qu'ils avaient en commun avec les étendues glacées avait reculé face à leur avancée mais aujourd'hui, le territoire a retrouvé ses limites d’antan. L'avant-poste « d'outre tombe », surnommé ainsi pour sa proximité avec les limbes avait été repris la veille. Les sauvages n'avaient pas opposé la moindre résistance, mais ils restaient dans les parages, ils ne sont pas du genre à abandonner aussi simplement.
Ulrik avait pris la tête d'un petit groupe d'une douzaine de gardes afin d'éliminer cette menace potentielle lui même. Il savait que ce genre d'action jouait en sa faveur car récemment, il était devenu un candidat pour le trône de Vindsval. Sachant que près de la moitié des hommes vivants sur ces terres sont des guerriers, les gardiens de saline ; voir celui qui avait survécu à la toundra, qui avait bravé ses dangers innombrables se battre à leurs cotés les rendrait inévitablement bavards et c'était l'effet escompté. S'ils pouvaient partager cette histoire du combat qu'ils avaient mené avec Ulrik en personne, ce dernier n'allait certainement pas s'en plaindre.
Pas de monture, bien que la garde formait d'excellents éclaireurs, la traque et le combat se pratique à pied ici, pas autrement. Ça avait pris plusieurs heures à la troupe pour repérer les traces que laissaient les sauvages dans une des vastes plaines de l'ouest de saline. Un petit contingent, une demi-douzaine tout juste si on en croyait la piste laissées dans la neige épaisse qui continuait de tomber drue et d'après la couche de poudreuse que l'on retrouvait dans les empreintes, une demie-heure les séparait, pas plus.
Le froid était tel que l'eau gelait dans les outres et des cristaux se formaient dans les cheveux et les barbes des gardes qui n'avaient pas l'air perturbés. Certains ne portaient sur le torse qu'une épaulière et quelques sangles de cuir pour la maintenir pendant que les jambes des autres étaient quasi nues au niveau du genou. Le vent soulevait les chevelures épaisses et brossait les fourrures qui paraient les guerriers poursuivant leur marche bourrue. À par Ulrik et deux vétérans, tous portaient leur haut pavois qui opposait une barrière face au froid mordant à bout de bras. Une imposante protection qui pesait son poids mais dont la surface était suffisante pour protéger deux hommes derrière lui.
Ils avançaient en tête comme un seul homme dans cette fine vallée forestière où coulait un petit torrent paisible d'eau glaciale. Seul les collines qui l'encadraient et le protégeaient du vent faisait que la rigole n'était pas transformée en une coulée glace. La pente était légère et la montée était aisé pour de tels soldats endurcis par les pires conditions du continent. Leur course s'était accéléré, les brigands se savaient suivi, ça se voyait aux foulées plus espacées qu'ils laissaient dans la neige durant leur fuite. Ulrik pouvait même sentir l’odeur de mort qu'ils laissaient derrière eux et il cru apercevoir entre deux sapins touffus le reflet d'une hache primitive.
« Faites leur goûter à l'acier Salinéen mes frère. » les encouragea t-il en remarquant que leurs proies s'étaient arrêtés dans une clairière droit devant.
Moins d'une dizaine comme prévu, des sauvages en fourrure parés de divers trophées écœurants, colliers d'oreilles, têtes et ossements. Ils les attendaient en hurlant des insanités aux gardes qui chargeaient le bouclier levé, crachant leurs propres cris de guerre. D'une manière très théâtrale Ulrik se faufila en tête de la troupe, sortit une de ses hachettes qu'il brandit de son bras droit et s'arrêtant subitement dans sa course pour y mettre toute sa force, il envoya l'arme droit devant. La francisque décrivit plusieurs boucles en sifflant furieusement avant que la lame ne s'encastre brutalement dans le front du barbare de tête qui tomba à la renverse, mort sur le coup.
Un tel engagement ne fit qu’amplifier la fureur des gardes qui dépassèrent Ulrik en brandissant lances, vougues et boucliers pour charger droit sur leurs Némésis. La charge s'arrêta lorsque ce mur d'acier barbelé percuta les brigands de plein fouet. Ceux qui n'eurent pas la chance d'être projeté en arrière s'empalèrent sur l'acier Salinéen qui se teinta de rouge. Mais alors que tout semblait aller pour le mieux, un cri qui se répercuta en écho dans la vallée laissa Ludolf penser que les barbares n'avaient pas choisi cet endroit par hasard et qu'ils comptaient arrêter la course ici. Une douzaine -peut-être plus- de leurs semblables dévalaient la pente en hurlant. Une stupide embuscade, tellement stupide qu'Ulrik aurait pu la voir venir.
Alors que ceux qui n'avaient fait qu’appâter les gardes jusqu'ici étaient promptement exécutés par leurs poursuivants, Ludolf retira sèchement la hachette du crâne de sa victime en ralliant ses hommes :
« Le mur ! Vite. »
Presque instinctivement, les gardiens de Saline reformèrent une ligne incurvée pour recevoir l'assaut qui se profilait à l'horizon. Ça n'allait pas être la même chose cette fois. Ils recevaient la charge, mais c'était ce pourquoi ils étaient connus, non ? Opposer une résistance inflexible et inébranlable à leurs adversaires. Dépassés en nombre et n'ayant pas l'avantage du terrain, les gardes ne mirent que quelques secondes à composer un mur de cinq boucliers de front et dont les appuis étaient assurés par leurs camarades placés en soutien derrière eux. Lancés sur cette descente dans leur charge bestiale, les barbares ne virent point arriver le tierce belligérant qui montra le bout de son nez : trois imposantes silhouettes montées dont la posture ne supposait pas de vulgaires sauvages. Ulrik avait noté leurs présences alors qu'il encourageait ceux dont il se sentait responsable avec des banalités dont l'efficacité n'était pourtant pas à prouver.
« Tenez bon mes frères, ne leur offrez pas le moindre pas en arrière. »
Pourtant il n'y porta plus d’attention car la charge des sauvages touchait à sa fin et dans un fracas d'acier, de bois et chair, ils percutèrent le mur de Vindsval qui tint bon. L'un d'eux parvint tout de même à se faufiler entre deux boucliers pour abattre l'un Salinéens d'un coup de hache avant d'être exécuté promptement à son tour alors qu'un garde de l'arrière venait prendre la place de son camarade tombé au combat.
Tandis que le reste des assaillants était repoussé avec violence par l’inflexibilité apparente des hommes de Saline, les brigands ébranlés furent percutés sur le flanc par la charge à cheval des Cardrakiens qu'Ulrik cru reconnaître lors de leur passage, mais il supposa d'abord que l'adrénaline lui jouait des tours. Lorsque la cavalerie rencontra la formation maladroite des sauvages qui n'eurent même pas le temps de se tourner pour faire face à cette nouvelle menace, la mort parcourra leurs rangs sous la forme de lames d'acier qui éventrèrent et tranchèrent les artères à tour de bras. Une telle démonstration de force poussa les Vindsvaléens à donner le meilleur d'eux mêmes en rompant la formation pour se lancer dans une mêlée sanglante dont l'objectif aux yeux de Ludolf était clairement dessiné.
C'était le cinquième qu'il rencontrait. Ce qui s’apparentait aux chefs de troupe chez les brigands. Ils étaient facilement reconnaissables par leurs peintures tribales d'un bleu nuit mais ce qui intéressait Ulrik chez eux, c'était la dent d'Har'koa qu'ils portaient tous autour du cou en symbole de force, comme un trophée. Le garde originaire de l'autre continent était tellement focalisé sur cet objectif que la mêlée ouverte qui se déroulait autour de lui n'avait peu d'importance. Le barbare qui se dressait une dizaine de mètre en face de lui sur le cadavre d'un homme de Saline lui souriait. Il l'attendait. Du moins c'est ce que supposait Ludolf jusqu'à ce qu'un sauvageon ne le plaque au sol avant de lever sa dague au dessus de sa tête.
Le survivant de la toundra sentit son heure arriver, il cru que tout était finit et la peur l'empêcha de bouger mais alors que la lame s'approchait dangereusement de son visage qui affichait une expression écarquillée, une silhouette blanche renversa son assaillant en un grognement sourd qui fut suivit d'un cri puis de la chair qui se déchire sous les crocs d'une créature aux dimensions surnaturelles. Skøll, le lion des glaces avait pris son temps pour faire son entrée. Ulrik n'avait jamais été capable de trouver l'animal, c'était toujours l'animal qui le trouvait. La créature ne se laissait pas approcher, même pas par celui qu'elle semblait s'évertuer à protéger pour une raison qui échappait à tout le monde.
Ludolf n'y prêtait plus réellement attention mais l’intervention n'avait pas laissé de marbre les autres belligérant. Impressionnés ou effrayés par la bête sauvage, quand Ulrik se redressa, il vit les derniers barbares prendre la fuite. La plupart ne firent pas deux pas avant d'être abattus par les gardes Salinéens, mais un dernier échappait à sa sentence. À la vu de ses peintures tribales, le sang du fils d'Odal ne fit qu'un tour et malgré le cavalier qui s'était lancé à sa poursuite, il empoigna la deuxième hachette qu'il portait dans son dos et l'envoya instinctivement voler jusque dans la nuque de sa cible qui s'effondra la tête la première dans la neige sous les yeux du cardrakien qui stoppa net sa course alors qu'Ulrik venait récupérer son arme et collecter son trophée.
« Joli lancer, » commenta le cavalier qui était descendu de sa monture.
C'est seulement lorsque Ludolf se redressa en glissant la dent d'Har'Koa dans une de ses poches qu'il comprit à qui il avait à faire. Il ne l'avait vu qu'en portrait jusqu'ici, mais aucun doute n'était possible. Instinctivement, il posa le poing sur le cœur et inclina la tête.
« Mon prince, le salua t-il en même temps que tout les autres Vindsvaléens, comprenant aussi qui était venu à leur aide pour cette bataille. Je suis reconnaissant pour votre assistance. J'ai eu vent de votre présence à Vindsval, mais pourquoi venir si profond dans les steppes ? »
Le prince adressa à son interlocuteur un sourire condescendant qui ne lui plu qu'à moitié.
« Ne sommes-nous pas dans les steppes dans tout Vindsval ? Plus sérieusement, on m'a dit que c'est par ici que je trouverais celui qui a survécu à la toundra et malgré les traces que vous laissez dans la neige, vous êtes compliqué à suivre. »
Honoré par cette déclaration, Ulrik connaissait maintenant la raison de la présence du fils du roi dans le duché. Le Jarl était mourant et sa succession s'annonçait compliquée, d'autant plus si un simple garde s'attire la sympathie des foules.
« Vous m’honorez mon prince. Je serais ravi de converser avec vous dans un lieu plus approprié. Rangeant alors son arme et tournant le dos à celui qui finirait par être son roi d'ici quelques années, il s'adressa à ses hommes. Préparez un feu, récupérez les armes, brûlez tout le reste. »
Interloqué par ces ordres, le prince rattrapa Ulrik.
« Brûler les corps de ces sauvages ? Pourquoi leur accordé cela ? »
- Vous avez déjà vu les Limbes mon prince ? L'interrogea t-il de façon rhétorique. Marchez dans cette direction pour quelques kilomètres et vous verrez de quoi je veux parler. Il est mieux de brûler les corps par ici si on veut éviter les mauvaises surprises. »