William se laissait doucement bercer par la musique de la pluie s’écrasant sur les pavés de la rue. Lui-même protégé par un parapluie maintenu par un valet, il attendait en silence devant son propre établissement, une expression sereine sur son visage. Le banquier savait que le retard de son invité n’avait d’autre but que de l’humilier. Pourtant, il était obligé d’attendre ce rustre. Le seigneur Armon avait fait tout le trajet depuis Montagne pour le voir et il était de fort méchante humeur, parait-il. Ce n’était pas dans les intérêts de William de ne pas accueillir en personne un client d’importance. Et justement le voilà qui arrivait.
Un carrosse de cerclé de métal se présenta au coin de la rue. Le cocher vêtue d’un ciré noir et luisant sous la pluie, avisa les hommes qui attendaient son maitre et arrêta donc l’attelage juste devant eux. Il sauta prestement de son perchoir et ouvrit la petite porte qui laissa passer un imposant bonhomme aux allures d’ours. L’homme était rude et se sentait obligé de froncer constamment les sourcils, comme s’il craignait qu’on ne le prenne pas au sérieux s’il n’en faisait rien. Le seigneur Armon se planta devant Dolan et attendit…
Avec une moue agacée, William s’inclina devant le noble et l’invita à le suivre à l’intérieur, là où il faisait plus chaud. Le silence qui suivit aurait pu s’éterniser longtemps car le banquier semblait n’avoir rien à dire. Malheureusement, c’est Armon qui engagea les hostilités en premier.
-50.000 livres d’or et 2.000 d’argent, je crois, s’exclama-t-il soudain en prenant une voix faussement calme. Vous avez surement engagé des fermiers pour protéger mon chargement, n’est-ce pas ? Je vais vous faire une de ces réputations, croyez-moi. Et je peux vous jurer que vous me rembourserez jusqu’à la dernière once d’or. Dans ce cas uniquement, je conserverai peut-être mes fonds chez vous.
-Notre banque se porte garante de tous les biens qu’elle a en sa possession, seigneur Armon, rétorqua William d’un ton morne. Vous êtes indemnisé en intégralité en cas d’attaque de convois.
-Alors pourquoi est-ce que j’ai ne vois toujours pas la couleur de mon or, s’offusqua-t-il en écartant les bras.
William lui lança un regard courroucé. Les deux hommes étaient toujours dans le hall de la banque où clients et employés observaient avec étonnement l’esclandre de ce barbare des montagnes. Il était grand temps de se débarrasser de ce gêneur. Aussi accéléra-t-il le pas pour atteindre l’intimité de son bureau.
Deux hommes en armes attendaient là, entourant ce qui semblait être un vulgaire prisonnier. L’homme était bien amoché et sursauta en apercevant Armon. Il maintint son regard pendant quelques secondes avant de le baissé tout honteux qu’il était. Le seigneur Armon quant à lui s’était immédiatement figé en reconnaissant le prisonnier. Il mit quelques secondes pour sortir de sa stupeur et feindre l’étonnement. C’est un échange que William ne rata pas. Il le savoura même.
-Qu’est-ce que ça ? Grogna-t-il.
-Votre homme d’après ce qu’il dit et aussi un des participants de l’attaque du convoi, révéla William sans même se faire le plaisir de prendre un ton triomphant. Il n’était pas seul, je suppose, mais il faut croire que c’était le plus costaud ou le moins fidèle. Je ne sais pas.
-Mensonge ! Rugit le noble. Ne jouez pas à ce jeu-là avec moi mon garçon.
-Votre homme a avoué devant un magicien assermenté qui s’est assuré de la véracité de son discours. Nous avons retrouvé des devises frappées dans votre royaume en même temps que l’or du convoi dans les poches de notre ami. Nous allons vous poursuivre en justice pour le préjudice causé. Vos fonds sont confisqués pendant la durée de l’enquête.
Un petit sourire narquois de William fut la goutte d’eau qui faisait déborder le vase pour le fier seigneur. Il attrapa le banquier par le col et arma son bras prêt à le frapper, mais un mouvement menaçant des deux policiers le fit hésiter. De plus, William ne semblait pas disposé à se défendre, se laissant malmener sans se départir de son sourire qu’il savait extrêmement agaçant.
-Vous ne l’emporterez pas au paradis Dolan, fit-il en le lâchant brutalement. J’ai des relations qui vont se faire un plaisir de démanteler votre banque pierre par pierre.
-Vous pourrez demander l’assistance de ceux que vous voudrez, déclara l’un des policiers sortit enfin de son silence. Nous vous prions seulement de rester en ville pendant le déroulement de la procédure.
Le seigneur Armon tempêta pendant encore longtemps, affirmant qu’il n’avait jamais attaqué ce convoi. C’était peut-être le cas. Comment savoir. Pourtant, ça n’a pas d’importance. La justice absolue est une illusion. Elle ne fait que tendre vers la vérité sans jamais pouvoir l’atteindre. C’était aux hommes de la faire pencher d’un côté ou de l’autre.
Et qu’était-il arrivé à ce fameux convoi finalement ? Tout ce que l’on peut dire c’est qu’une bonne moitié est en ce moment dans les poches des prétendus amis que le seigneur Armon pense avoir. Nul doute qu’ils ne seront pas très zélés pour aider leur camarade. C’était à peu près tout ce qu’il faut savoir. Allez-y en spéculations, celle-là même que le badaud adore clamer devant ses pairs en pensant détenir la vérité. Allez-y de cette activité futile, cet onanisme intellectuel qui a au moins l’avantage de vous tenir occuper. Seul le résultat importe vraiment.