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 Castellugbre

 
Castellugbre Sand-g10Dim 25 Mai - 20:23
Première partie
Été 113, sud-est du continent
Goryog Helenshtufen

L'homme qui se trouvait actuellement assis sur un coffret au milieu du camps des Plumes Noires était la caricature même d'un aristocrate sur le déclin. Deux petits yeux nerveux et cachottier, cachés sous de gros sourcils gris brousailleux et des rides creusant la graisse de son visage comme des canyons antidéluviens dans le désert. Sa barbe poivre et sel recouvrait un triple manton rond et suitant, à l'image d'une grosse grenouille et aussi gluante au toucher. Son costume d'apparât, enfin, respirait la gloire passée et la mode dépassée, les étoffes ayant perdu leurs couleurs ou s'étant paré d'une subtile remugle de moisie...

Il était assez impressionnant que le garde du corps qui accompagnait le noble misérable avait plus de prestance et de dignité que son maître, et c'était en comptant la grosse cicatrice disgracieuse qui fendait ses lèvres et son menton verticalement, juste au niveau du philtrum, dessinant sur son visage un rictus félin effrayant.

Caderousse s'approcha des deux hommes, puis leur tendit deux gobelets où tourbillonnait paresseusement des feuilles de thé dans une eau chaude et parfumée. Le garde accepta le boc fumant silencieusement, en hochant gracieusement la tête. L'aristocrate, qui épongeait son front suintant à l'aide d'un mouchoir en dentelles, se fendit d'un « merci » fugace avant de se retourner vers Rouxanne, installée sur une vieille chaise en bois, qui examinait attentivement une carte de la région à la lueur du feu de camps.

Le cri grave et onduleux d'un animal que Caderousse ne connaissait pas la fit sursauter. Les deux juments des Plumes Noires hennirent et piétinèrent, leur peur et nervosité déteignant lentement sur le reste du campement. La compagnie devait être à une douzaine de lieues des Marais de la Désolation, mais l'influence néfaste des marécages maudits se faisait particulièrement présente. La nuit était étouffante de chaleur et d'humidité, la combinaison de soie de Caderousse, d'habitude si confortable, collait désagréablement à sa peau en sueur... Au moins, elle était protégée des moustiques et des taons qui harcelaient impitoyablement le reste des mercenaires à l'étrange exception de Guillausme, qui inspirait de grandes bouffées sur sa pipe en corne.

Peut-être que la mauvaise odeur de son tabac bon marché avait une autre utilité plus utile que d'assommer ses compagnon, après tout ?

Mais ce qui troublait et dérangeait le plus Caderousse, c'était atmosphère même de la forêt où les Plumes avaient élue domicile. Des arbres tordus, aux feuilles noires et desséchée malgré ou alors que l'été était commencé depuis deux mois, déployant leurs canopées biscornues au dessus de leur tête. Des ombres de branches noueuses et pointues aux allures de griffes de monstres dansaient à la lumière des feux dans un calme presque surnaturel. L'ambiance suspecte de la forêt fannée donnait la chair de poule à la jeune mercenaire qui pouvait jurer apercevoir des paires d'yeux jaunes ou rouges qui l'observaient pour ensuite disparaître dans un bruissement de feuilles à l'instant même où Caderousse tournait la tête...

Même la vue de Bao Wen, qui patrouillait autour du camps la main fermement agrippée à la garde de son sabre, ne parvenait pas à rassurer Caderousse. Il y avait une raison qui expliquait pourquoi le nain ne quittait jamais les yeux l'obscurité de la forêt.

Une raison qui rendait les chevaux nerveux et les hommes anormalement silencieux.

Quelque chose dans l'air d'infiniment... malsain.

Essayant de détourner son attention de la paranoïa qui commençait peu à peu à grignoter son calme, la quart d'elfe se tourna en direction du gros aristocrate et de sa mère, l'un parlant à voix basse, comme s'il confiait un secret honteux, et l'autre l'observant de ses yeux pourpres inquisiteurs et froids.

« Je loue votre courage, monseigneur Helenshtufen, pour venir ainsi jusqu'à nous en pleine nuit, mais un messager aurait suffit pour nous avertir que vous aviez besoin de ma compagnie, sauf votre respect. » dit finalement Rouxanne dans une politesse exercée et profesionelle.
L'aristocrate agita la main devant lui comme s'il chassait de la fumée, ou dans le cas présent pour réfuter les propos de la commandante. « Avant la fin de l'année j'aurai abandonnée ces maudites terres hantées, alors pas de « monseigneur Helenshtufen » avec moi, chère amie. »
Caderousse esquissa un léger sourire devant la familiarité caricaturale dont faisait preuve le noble. L'homme devait être vraiment au bord du gouffre pour en oublier sa position devant eux.
« Hélas, je crains que l'amitié seule ne paye ni le pain, ni le vin en ce triste monde, sieur Helenshtufen. » offrit pragmatiquement Rouxanne. « … Mais je peux très bien comprendre la douleur d'un père. »
« Alors vous acceptez ? » s'exclama Helenshtufen en manquant de renverser son thé, ses petits yeux menaçant de s'échapper de ses orbites tant il se montrait subitement excité.
« La Compagnie des Plumes Noires n'a pas réputation à refuser une requête, aussi... extravagante qu'elle soit, tant que mes hommes recevront une juste et honnête compensation... »
« Ah ! Mon château est ruiné, mes serfs ne m'obéissent plus et mes terres ont été ensorcelées par quelques catins de sorcières, il n'y a plus que ce bon Franzc pour être rester à mes côtés. Mais il ne sera pas dit que Goryog Helenshtufen abandonnera son trésor à ces maudites terres ! Ce qu'il reste de ma fortune équivaut à environ neuf-cents pièces d'or. J'en offre cinq-cents à votre compagnie si vous retrouver ma fille. Mais... »
« Mais...? »
« Mais uniquement si... si je peux tenir à nouveau ma fille dans mes bras. Retrouvez-la et ramenez la moi en vie, je vous en conjure, chère amie. Je... Je ne pourrai supporter de savoir qu'elle soit... »
Rouxanne interrompit l'aristocrate avant qu'il ne termine sa phrase, empathique à sa douleur.
« Je comprends parfaitement, monseigneur Helenshtufen, mais je ne peux que promettre de retrouver votre fille. Vous dites qu'elle a été... enlevée, c'est ça ? Avez-vous des ennemis ou des individus qui voudraient nuire à votre fille ? »
« Non, chère amie, vous vous méprenez. » marmonna Goryog en prenant une gorgée de thé. « C'est ce maudit Castellugbre. Tout les malheurs du monde sont originaires de ce maudit château ! » Devant le regard interrogateur de Rouxanne, l'aristocrate s'explicita, à l'aide de grands gestes théâtraux. Caderousse remarqua néanmoins qu'à la mention de cet étrange castel, le vieux Franz s'était brusquement raidit en jetant un regard nerveux sur son maître.

« Castellugbre ! Maudit soit ce nom ! C'est comme ça que les habitants de Dorgumunz appelle le fort construit à la frontière du Marais. Ce fameux « Castel-lugubre » qui était sensé protéger ces terres des monstres et des barbares des marécages du sud. La garnison de Castellugbre était composées d'anciens prisonniers et de mauvais soldats. Je dis « était » car il y a deux ans, on retrouvât les vingts gardes du fort mort. Tous mort ! Sans qu'il n'y ai trace de combat ou d'alarme ! Ceux qui n'avaient pas été tués dans leur sommeil ont été retrouvés aux quatre coin du fort, une expression de terreur absolue figée sur le visage... C'est à partir de cet incident que les rumeurs se sont propagées... »
Goryog essuya son front suintant et continua, en grommelant.
« On disait que Castellugbre était maudit, que des fantômes habitaient les murs. Superstitions que tout ça ! Castellugbre n'est juste qu'un gros tas de pierre construit au milieu de nul part, quel genre de maudit fantôme voudrait hanter un tel trou perdu ? Mais il est vrai que les deux dernières années n'ont pas été clémentes pour Dorgumunz... Des maigres récoltes... Deux hivers rudes... Des gens qui devenaient fous du jour au lendemain... Puis le vieux père Schukkart qui assassine la famille Vulgentagen à coup de hache et la pauvre Hildegarde qu'on a retrouvée dans la forêt, le cou mordu... Tout le monde blâmait la malédiction de Castellugbre, évidemment, mais je ne crois pas à ces sornettes... Ce que je crois, néanmoins, c'est que ma fille, ma petite Elzira, a disparue, que quelqu'un est venue me la dérober il y a deux nuits de cela, dans ma propre maison ! Je ne sais pas comment ils s'y sont pris, mais ils ont dû escaladés la façade du castel, trouver un moyen d'ouvrir les volets de l'extérieur, s'emparer de ma pauvre fille et s'enfuir avec Elzira vers la forêt... »
Rouxanne, avec tact, essaya de ramener le vieux Goryog dans la discussion.
« Les ravisseurs se seraient réfugiés à Castellugbre ? »
« Oui, j'en suis sûr et certain. » répondit Goryog en serrant son boc de thé. « Castellugbre est isolé, déserté et protégé par la superstition des villageois. Les marécages sont beaucoup trop dangereux en ce moment, et il faut au moins une semaine de marche pour rejoindre le prochain village. Ils se sont forcément réfugiés à Castellugbre ! Je... Je n'ai pas encore reçu de demande de rançon, c'est vrai. Mais je suis sûr que Elzira est à Castellugbre, j'en suis certain, aussi vrai que mon maudit nom soit Goryog Helenshtufen ! J'en suis... Je... »

Malgré son apparence grotesque, la détresse qui transparaissait derrière le regard fébrile du vieil aristocrate inspirait la pitié et la compassion dans le cœur de Caderousse. L'homme n'arrivait certainement pas à admettre qu'il ne reverrait plus jamais sa fille, mais son amour pour elle était au moins commandable.

De plus, cinq-cents pièces d'or représentait une importante somme. S'il y avait la moindre possibilité que Elzira Helenshtufen soit encore en vie, cela valait le coup d'essayer. Hélas, trois fois hélas, la compagnie des Plumes Noires ne pouvait s'autoriser de rester plus longtemps dans ces bois qu'on prétendaient hantés, à enquêter sur la disparation d'une jouvencelle idiote dans une province oubliée du reste du monde. Les Plumes Noires n'avaient absolument pas le temps, qui plus et, de s'amuser à explorer un fort déserté, surtout quand ce dernier traînait derrière lui une réputation d'aimant à ruines et à...

… fantômes.

Caderousse leva les yeux en direction de sa mère qui se frottait le menton de sa main unique en réfléchissant. Bien sûr que la commandante des Plumes Noires serait capable de comprendre que les mercenaires devraient plutôt déguerpir de cet abominable pays et partir vers quelques territoires plus accueillants et moins hantés. Rouxanne s'excusera auprès de Goryog, lui offrira ses condoléances et lui conseillera de faire le deuil de sa fille et ordonnera au reste de la compagnie de plier bagage pour laisser loin derrière eux cette forêt fanée et ses habitants dégénérés. Ils retourneraient en direction de Sen'tsura où le travail ne manque pas et où il ne fait jamais véritablement nuit, ou alors en direction des Montagnes. N'importe où, mais loin de ce Castellugbre et de sa funeste hitoire.

Rouxanne prit une grande inspiration, ouvrit ses yeux d'améthyste et annonça, de sa voix puissante et irrécusable.

« C'est d'accord, les Plumes Noires marcheront en direction du Castellugbre demain soir, au coucher du soleil. »

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Castellugbre Sand-g10Mer 4 Juin - 22:45
Deuxième partie

Été 113, sud-est du continent.

Vladizlavini Van Tepcwzelzarin

Castlellugbre se dressait devant la compagnie des Plumes Noires, ses pierres noires de suie et de poussière se fondant dans l'obscurité ambiante. Nimbé d'une atmosphère sombre et intimidante, le fort, dévoré par l'humidité et la végétation des marais, en était réduit à un immense portail flanqués de deux immenses tours rectangulaires. Les deux chemins de rondes s'ouvrant vers l'est et l'ouest étaient recouvert d'épaisses lianes et d'une tentaculaire forêt de champignons luminescents, diffusant une faible lueur cyan aux alentours. L'immense herse noire qui interdisait l'accès aux Marécages de la Désolation, au sud, dessinait une silhouette effrayante à la lueur des torches des Plumes Noires, les fibres de lichen accrochés aux lourds barreaux métalliques donnant au portail une allure de gueule de monstre gigantesque.

Sans la petite étincelle de lumière qui brillait tout en haut de la tour est, au niveau d'une meurtrière en ruine, les mercenaires n'auraient jamais réussi à trouver le château par cette nuit sans lune. Il était apparu comme un gigantesque mirage au milieu de la forêt tortueuse, la lumière dansante et vacillante des torches contre les parois d'onyx ajoutant au théâtral de cette apparition.

Les hommes de la compagnie des Plumes Noires n'étaient pas rassurés.

Caderousse vérifia pour la quatrième fois le mécanisme de tir de son arbalète tout en écoutant sa mère vociférer ses ordres aux restes de ses compagnons. La mission était relativement simple, un premier groupe commandé par elle-même explorerait la tour est jusqu'à la petite fenêtre éclairée. Un deuxième groupe, dirigé par Guillausme, s'occuperait de la tour ouest. Enfin, deux hommes resteraient postés à l'entrée du fort pour sécuriser les lieux et assurer une extraction sans danger pour les deux équipes.

À la moindre alerte, mouvement ou bruissement suspect, les mercenaires des trois équipes devaient avertir leur commandant. Si ce dernier jugeait qu'il était temps de partir des lieux, il soufflerait autant que son souffle le permettra dans un sifflet et les Plumes Noires partiront de Castlellugbre sans se retourner, laissant derrière eux l'opération de sauvetage de la jeune Elzira Helenshtufen.

La jeune quart d'elfe sentait en elle le désir de chaparder ce sifflet plutôt que de passer la porte au bois moisi de la tour est. Depuis leur départ du camps de la forêt fanée, à midi, elle n'avait jamais réussi à se défaire de la paranoïaque sensation d'être constamment observée. Bien sûr, les Plumes avaient déjà traversés des territoires infestés de bêtes sauvages et de bandits, mais sur ces chemins où les coupes-gorges sont légions, la pression et l'inquiétude d'une embuscade à venir se résout souvent dans les quatre ou cinq heures qui suivent, au moment où l'on aperçoit un rocher ou un tronc d'arbre, accompagnés d'une douzaine d'individus aux mines patibulaires et aux armes rouillées, qui bloquent le chemin.

On pouvait facilement sauvegarder sa santé mentale en versant le sang de celui qui souhaite répandre le vôtre. Du moins, c'est ce que Caderousse pensait.

Mais comment diable rester calme quand on se sent observée par quelqu'un – ou pire, quelque chose – depuis plus de six heures, d'avoir ce sentiment de deux braises incandescentes tout contre le bas de sa nuque dés qu'on tourne le dos à la forêt faites de troncs sinueux et de ronces impénétrables ? Comment parvenir à garder une once de sérénité quand même le seul guerrier de la compagnie ne parlant pas la langue des hommes, un certain Bao Wen, se met à enduire subitement les lames de ses sabres d'huiles et de poudres brillantes en marmonnant quelques formules magiques sans aucun doute destinées à éloigner les mauvais esprits et les...

...fantômes...

Caderousse musela un jappement d'épouvante à l'idée de rencontrer une de ces abominations d'outre-tombes, constituées d'éther et de haine pour ce qui est vivant. Caderousse était habituée à affronter des adversaires qui hurlait, aboyait, grognait, saignait et mourrait dans un gémissement quand un carreau d'arbalète leur perforait le cœur ou qu'un habile coup de couteau les laissait se noyer dans une flaque de leur propre sang. Mais comment vaincre quelque chose qui est déjà mort ? Caderousse n'avait pas envie d'attirer sur elle la colère des morts, et elle avait encore moins envie d'être condamnée à errer pour l'éternité dans ces terres maudites en tant que spectre.

La jeune mercenaire vérifia pour la cinquième fois le mécanisme de tir de son arbalète. Elle était parvenue à chiper la petite gousse d'huile mystérieuse de Bao Wen et s'en était servie imbiber la cannelure de son arbalète et copieusement arroser la pointe de ses carreaux. Les flèches s'étaient imprégnées d'un étrange vernis brillant et dégageaient et d'une subtile odeur métallique. Quelques prières et protection plus tard et Caderousse se sentait légèrement plus confiante en sa capacité à repousser un esprit malin...

Du moins, jusqu'au moment où elle réalisa que l'huile énigmatique était destinée à oindre une lame, pas une arbalète, et qu'elle risquait potentiellement d'avoir enrayé ou endommagé le mécanisme de mise à feu de son arme pour avoir céder à une stupide inquiétude superstitieuse. Blâmant son manque de clairvoyance, elle vérifia une sixième fois la gâchette et la corde de son arme.

Le cliquetis familier et le bruit mat et sec de la corde se tendant brusquement calmèrent un peu son esprit agité.

« Cesseras-tu de t'agiter, ma fille ? »

La voix grave et sévère de Rouxanne cingla l'air autour de Caderousse comme un coup de fouet, faisant sursauter la jeune mercenaire et manquant de la faire pousser un cri de surprise. Elle leva ses yeux et rencontra ceux de sa mère, de sa commandante. Derrière deux iris d'améthystes aussi sages que froids et austères se trouvaient une once infime de tendresse, une étincelle de douceur si subtile et discrète que Caderousse savait reconnaître cette rareté dans le comportement de sa mère...

Aussi rapidement qu'elle était apparue, cette étincelle d'affection s'éteignit et le regard de Rouxanne redevint aussi froid qu'un lac de glacier. Elle leva son bras unique pour désigner la porte de la tour est où attendait patiemment Bao Wen et les frères Tuomas et Buoras Jan. Le nain hocha la tête et sa barbe ondula doucement dans un sourire amical, mais sa main carrée fermement agrippée à la garde de son sabre était un avertissement implicite de ne pas relâcher sa vigilance pour autant. Derrière Caderousse, le groupe de Guillausme pénétraient un par un, la torche haute et le regard résolu, dans l'obscurité de la tour ouest. Willeim, appuyé contre son grand marteau de lucerne rouge, tendait un morceau de pain à Grand-Niclas qui se roulait lui-même un peu de tabac, les deux hommes s'étant porté volontaire pour garder les deux entrées et prévenir le reste de la troupe de tout danger qui viendrait de la forêt. Caderousse inspira, bloqua sa respiration, secoua sa tête pour en chasser les idées noires et expira longuement, comme lui avait appris Bao Wen. Si elle ne relâchai pas son attention et était attentive, la mission se déroulerait simplement : trouver Elzira, sauver Elzira, ramener Elzira, être payée et partir loin d'ici...


Une quinzaine de minutes plus tard et Caderousse se riait de sa précédente assurance dans sa capacité à ne pas céder à la panique pure. Si le sentiment d'être constamment observée s'était dissipé, sans doute grâce au fait que la forêt était enfin hors de vue, il s'était métamorphosé en horrible sensation d'oppression claustrophobique. Les couloirs de Castellugbre étaient trop étroits et trop sombres et la petite troupe était forcée d'avancer en file indienne avec Bao Wen à sa tête, confiante en la capacité du nain à voir là où des yeux humains ne décèleraient qu'impénétrables ténèbres. Les pierres noires, humides et couverte d'une fine couche de champignons minuscules, donnait à air lourd et étouffant à l'ambiance des entrailles de Castlellugbre. La lumière de la torche de Buoras faisait danser sur le plafond voûté les silhouettes squelettiques de toiles d'araignées et d'insectes grouillants... De temps à autres, les cinq mercenaires passaient devant l'entrée d'une salle abandonnée, plongée dans une obscurité insondable. De temps à autre, le plancher au bois vermoulus et couvert de moisissures verdâtre grinçait terriblement comme une bête à l'agonie, menaçant de céder sous le poids du groupe à tout instant. Quelques râteliers d'armes bancals, aux longues hallebardes rouillées et dévorées par les insectes, étaient les seules preuves d'une lointaine existence humaine en ces lieux déserts. D'un étage à l'autre, Caderousse et les autres avançaient lentement et prudemment.

À chaque fois, le cœur de la quart d'elfe sursautait dans sa poitrine quand Bao Wen stoppait brusquement leur ascension d'un geste du poing et d'un regard menaçant.

À chaque fois, l'imagination de la jeune mercenaire conjurait les images de cadavres décharnés, rongés par les vers, dont l'étreinte putréfiée les attendait au détour d'un couloir... ou alors peut-être la simple apparition d'un fantôme de soldat, hantant ces lieux maudits, qui transformerait Caderousse en revenant destinée à errer pour l'éternité sur Terre d'un simple contact avec sa main glacée.

À chaque fois, rien d'autre que le silence et un couloir noir pour répondre aux alertes de Bao Wen.

Puis l'écho des pas des mercenaires reprenaient, et Caderousse rapprochait un peu plus son doigt de la gâchette de son arbalète.

L'ascension jusqu'au dernier étage du fort abandonné dura, en tout, un peu plus de vingts minutes. Pour Caderousse et le reste du premier groupe, elle sembla durer une heure. Toute la pression que la jeune mercenaire ressentait depuis son entrée à Castellugbre – non, depuis son arrivée dans cette horrible région – s'évapora l'espace d'un instant quand elle aperçu en haut d'un escalier une douce lumière orangée. Ils étaient enfin arrivé au sommet de la tour...


La salle qui s'ouvraient devant eux était incroyablement différente, respirant la sérénité et le calme dans une déstabilisante dissonance. La première chose que remarqua Caderousse était que l'odeur d'humidité et de moisissure s'était changée en un agréable bouquet de linge propre, d'encens, de sueur féminine et de cire parfumée. Au centre de la pièce se trouvait un labyrinthe de draps rouges, de couvertures en fourrures brunes et d'épaisses étoffes rubicondes aux riches broderies dorées, éclairé par une lumière douce générée par une douzaine de bougies aux cires pourpres. Quelques bols de bois où reposaient des trognons de fruits et ce que Caderousse pensait être une grosse boule de mie de pain étaient dispersées au pied de l'étrange couche. Au sein du dédale de couvertures et de fourrures, Caderousse entraperçu une maigre jambe blanche repliée sur une peau de loup. Elle était prolongée par le corps endormi d'une jeune femme du même âge que la mercenaire, ses bras serrant contre sa poitrine serpentine un drap de soie rouge. Les longs cheveux noirs de la dormeuse cachait son visage, mais le petit anneau argenté, décoré d'une petite pierre précieuse bleue, l'identifiait comme appartenant à la famille des Helenshtufen.

Elzira Helenshtufen.

Vivante.

En train de ronfler dans un château prétendument hanté. Toute nue dans des draps de soies.

Caderousse poussa un long soupir de frustration mêlé de soulagement. Rouxanne, de son côté, ordonnait au groupe de garder son sang-froid et sa vigilance. Bao Wen, se frottant la barbe en observant les alentours, semblait perplexe, comme s'il ne s'attendait pas à un tel dénouement. Son visage avait pris une tournure renfrognée et soucieuse, et sa main n'avait pas quitté une seule seconde la garde de son sabre. Même si les deux frères Jan étaient visiblement rassurés de voir leur quête toucher à sa fin, Caderousse préférait se fier au flair infaillible du guerrier nain. La mercenaire elle-même ne parvenait pas à calmer ses nerfs. Quelque chose à propos de cette situation semblait trop facile, trop suspecte. Un frisson électrique parcouru soudain sa colonne vertébrale, lui donnant la chair de poule.

Quelque chose dans l'atmosphère du château avait changé, quelque chose qui avait fait vrombir l'air.

Bao Wen s'approcha lentement de la couche d'Elzira.

« Je fous kommande de ne pas la toucher, mezzire nain. Elle dort, et je ne zaurai zupporter qu'on trouble ainzi zon repos. »

Une voix de baryton grave et suave sonna derrière le groupe, faisant sursauter le cœur de Caderousse qui étouffa à grand peine un nouveau cri de surprise. Une douleur sourde illumina la cage thoracique de la jeune mercenaire qui grogna en serrant les dents, la dernière chose dont la quart d'elfe avait besoin, c'était de faire une syncope. Elle tourna son attention et son arbalète vers la source de la voix. Les frères Jan, devant elle, avaient abaissé la pointe de leurs lances en direction de l'intrus, et un crissement métallique râpeux derrière la mercenaire l'informait que Bao Wen avait dégainé son sabre.

L'intrus qui se tenait dans l'embrasure de l'entrée était un homme très grand, à la stature solide et intimidante. Son visage était caché par la lourde visière cannelée d'un heaume noir aux rivets dorés, décorés de larges ailes de chauve-souris dorées au niveau de et son corps était protégé par un lourd surcôt rouge carmin porté par dessus une côte de maille aux anneaux noir carbone. Une épaisse broche en forme d'écu, aux armoiries représentant une silhouette de chauve-souris dorée sur fond d'hermine grise et noire, était suspendue près de son aisselle droite. Les bras et les jambes de l'homme étaient équipés de lourds gantelets et cuissardes en plaques cannelées, rivetées d'or et sanglées de cuir brun. Le chevalier tenait respectivement dans sa main gauche et droite un lourd bouclier en métal tordu, très sombre, en forme d'aile de chauve-souris, et une intimidante masse d'armes à ailettes dont l'apparence seule faisait grimacer Caderousse.

Blindé et armé, l'intrus n'en semblait pas hostile pour autant. Sa posture était droite et imposante, bloquant l'étroite porte de sortie pour le groupe de mercenaire, mais ses épaules étaient relâchées et sa masse d'arme reposait paresseusement dans sa main gantelée.

« Auriez-fous l'amabilité de m'expliquer la raizon de fotre prézence en zes lieux ? Qui êtes-fous donc pour venir troubler nôstre azile ? » demanda le chevalier avec sa même voix sombre et mélodieuse, malgré son accent prononcé et guttural. Son ton était cordial, presque amical, sans une once de menace ou d'hostilité. Malgré le casque qui cachait son visage, Caderousse savait que le regard du chevalier était posé sur elle, épiant chacune de ses réactions et mouvements. Son arbalète était peut-être une arme redoutable, mais Caderousse savait que l'homme serait en mesure de se protéger d'un mouvement de bouclier.
Rouxanne s'avança, impérieuse, impassible à l'apparence intimidante du chevalier. De son bras unique, elle appuya légèrement sur l'avant de l'arbalète de Caderousse, lui intimidant de baisser son arme. Se fiant à sa commandante, la jeune mercenaire baissa son arme en détendant ses muscles. Derrière elle, un nouveau grincement métallique l'informait que Bao Wen avait rengainée son épée. Les frères Jan, néanmoins, gardait leurs lances baissées, et Rouxanne ne semblait avoir aucune intention de changer ça.

« Je suis Rouxanne de Cœurroc » annonça la demi-elfe « ...commandante de la compagnie de mercenaires des Plumes Noires dont quatre de ses membres sont ici présents. Goryog Helenshtufen, mestre du bourg de Dorgumunne, m'a chargée de ramener sa fille, Elzira Helenshtufen, qu'il pensait retenue à Castellugbre. Aurais-je l'honneur de savoir à qui j'ai affaire, monseigneur ? Ces armoiries laissent à penser que vous appartenez à la nobilité. »
Le chevalier se mit soudain à rire très fort, un rire tonitruant, comme une avalanche en haute montagne. Caderousse jeta un rapide coup d'œil en direction d'Elzira, qui continuait de dormir à poing fermées. L'homme était pour le moins... déconcertant, pensa Caderousse. Ayant fini de rire, le chevalier s'exclama :
« Ah ! Cœurroc ! Voilà un nom dont je reconnais la force ! Quelle joie de renkontrer des natifs de Cœurroc à nouveau... Voilà un nom qui éveille en moi de familier zouvenirs. Une zitadelle magnifique où zoufflait un vent marin parfumé par le zel et l'iode. Dame Rouxanne, komment font les gens de Cœurroc ces temps-zi, komment ze porte le noble marquis ? »
Rouxanne eut, sur son visage, l'éclair d'une surprise, mais elle répondit d'un ton neutre
« La citadelle de Cœurroc est tombée il y a plus de vingt-cinq ans de cela, monseigneur. Les Plumes Noires sont originaires de Cœurroc, certes, mais le fief n'est plus. »
« Oh... » soupira le chevalier, dépité « … Me foilà sot. Zela m'apprendra à ne plus me tenir au kourant des affaires du pays... »

L'homme au surcot rouge noua alors le cordon de sa masse à son ceinturon et, d'un geste rapide, fils de l'expérience, délogea les sangles de son heaume. Sa main gantelée saisit le lourd casque et le visage du chevalier se dévoila. Devant les yeux de Caderousse se tenait un homme au teint blanc, presque éthéré. Ses joues étaient creuses, ses yeux cernés de longues rides et l'on devinait une longue chevelure poivre et sel sous son chaperon de cuir. Ses iris étaient blanc-gris, donnant à son visage un air surnaturel, lointain. Sa mâchoire arrondie ne présentait pas une seule trace de barbre, et ses lèvres fines et d'un pâle violet étaient arquée en un sourire fatigué. L'homme semblait être d'origine elfique, mais ses oreilles n'étaient pas visible.

« Je zuis Vladizlavini Van Tepcwzelzarin, troisième Maesteri de l'Ordre du Dragon d'Or, paladin de deuxième rang des Zerviteurs de la Vierge Brûlée et reliquaire de zes Saintes Cendres. Mon fief ze zitue loin au zud, zur la côte, mais zachez que mes portes zeront toujours ouvertes pour les zujets du feu marquis. » dit le chevalier blafard en s'inclinant.

Lorsqu'il se releva, son regard gris s'était considérablement durci. « Je fous demanderai néanmoins d'abandonner l'idée de ramener Demoizelle Elzira auprès de zon père. Je n'ai pas de griefs kontre le vieux Goryog, mais Demoiselle Elzira doit rester avec moi. »
« Impossible, sire Vladislavini. Ma mission est de ramenée demoiselle Elzira au château familial. » répondit avec sévérité Rouxanne.
« Je refuze de me zéparer d'elle. » protesta le chevalier.
« Je crains de devoir aller à l'encontre de vos souhaits, sire Vladislavini. Ma compagnie à besoin de l'or promis par Goryog pour rejoindre Sen'tsura. »
« Je fous donnerai zents pièces d'or si vous quittez les lieux. »
« Je refuse, monseigneur, les Plumes Noires ne sont pas soudoyables, et la récompense de Goryog est supérieure. »
« Prenez zon anneau, apportez-le à zon père, dites-lui qu'elle est morte et qu'elle repoze en paix. »
« Impossible, sire Vladislavini, le père Goryog ne nous récompensera que s'il est en mesure de serrer sa fille dans ses bras. »
Le chevalier ricana, puis continua « Le vieillard est toujours auzzi zentimental, à ze que je vois. Je zuppose que, comme une digne fille de Cœurroc, fous ne démordrez pas de fotre dézision ? »
« Non, monseigneur, dame Elzira repartira avec nous ce soir. »
« Je défendrai dame Elzira avec ma vie, z'il le faut. » annonça avec résignation le chevalier en laissant tomber son casque à terre et en dégainant sa masse d'arme.

Le son du métal contre la pierre sonna comme un coup de tonnerre dans la nuit. En l'espace d'un instant. Caderousse avait épaulée son arbalète et visait la tête désormais nue du chevalier. Bao Wen avait dégainée son sabre et s'avançait déjà en direction de Vladislavini. Quant à Elzira, elle s'était réveillée dans un cri et se couvrait actuellement la poitrine à l'aide d'une épaisse fourrure de loup. Le regard de la jeune femme tomba sur celui du chevalier et elle s'exclama, terrifiée.

« Vlad, mon amour, qu'est ce qu'il se passe, qui sont ces gens ? »
« Elzira, ma douce, zezi n'est qu'un mauvais rêve. Rendort-toi, et je zerai à tes côtés quand tu te réveilleras. » répondit le chevalier avec affection et confiance.

L'atmosphère était devenue très tendue dans la grande chambre improvisée, mais le chevalier ne bougeait pas. Pas plus que Rouxanne, qui se tenait toujours immobile entre l'homme au surcot rouge et son amante apparente.

« Votre courage vous fait honneur, monseigneur, mais il est mal placé. Il est inutile que nous croisions le fer et que vous risquiez votre vie devant dame Elzira qui... semble beaucoup tenir à vous. » annonça, joueuse, la commandante mercenaire.

Le chevalier ne répondit pas.

« Notre compagnie quitteras la région demain, au coucher du soleil, lorsque nous récupèrerons l'or promis par Goryog. Le travail d'un mercenaire est un travail d'indifférence, s'il advenait que, pendant la nuit – ou même l'heure qui suit notre départ – demoiselle Elzira ait encore mystérieusement disparue, probablement enlevée et garder captive quelque part dans la région, mes hommes seront « malheureusement » déjà trop loin. »

Vladislavini eut un sourire amusé, et répondit. « Voilà bien une native de Cœurroc... Inflexible comme une pierre, ruzée comme une renarde. Fous faites honneur à fotre nom et fotre famille, dame Rouxanne. »

Le chevalier fronça les sourcils, réfléchissant, évaluant ses options ou peut-être ses chances de vaincre la compagnie... Un regard rapide sur le visage apeuré d'Elzira sembla néanmoins le convaincre de quelque chose.
« Promettez-fous de ne pas parler de ze que fous avez vu en zes lieux et de nôstre amour à quiquonque ? »
« Je le promets, monseigneur Vladislavini, car Goryog m'a engagée pour récupérer sa fille, rien de plus. »
« Promettez-fous de reconduire Elzira chez elle zaine et zauve, en la protégeant des infamies de la forêt ? »
« Je le promet. »
« Promettez-fous de quitter la région avant demain zoir, après le koucher du soleil ? »
« Je le promet. »

« … Très bien. Elzira repartira avec fous ze soir ... » annonça enfin le chevalier, sa voix pleine de regret.

S'ensuivit alors une interminable scène d'adieux, faites de larmes et de cris, de promesses et de caresses, entre la jeune Elzira et son étrange amant. Si une telle scène peut sembler attendrissante pendant les cinq premières minutes, les dix qui suivirent après étaient beaucoup plus pénible à supporter. Les vingts qui suivirent encore après écoeurrèrent complètement Caderousse qui se demanda, l'espace d'un court instant, qui d'un fantôme ou d'une amante délaissée elle craignait le plus de rencontrer à l'avenir. Au final, le chevalier dit enfin adieu à sa belle, lui glissant une lourde pelisse de peau de fourrure autour de ses épaules, et la laissa en compagnie des Plumes Noires...

Le reste de la nuit aurait pu très bien se passer si, en sortant de Castellugbre et en retrouvant le groupe de Guillausme, Caderousse n'avait pas retrouvée le marteau de lucerne rouge de Willeim, couché dans l'herbe, à quelques pas de la herse du château;

Willeim et Grand-Niclas avaient disparus, et Rouxanne, après s'être époumonée à souffler dans le sifflet qui indiquait aux hommes de battre en retraite, donna finalement l'ordre d'abandonner les recherches pour rentrer au camps en compagnie d'Elzira.

Willeim et Grand-Niclas avaient disparus.

Willeim et Grand-Niclas avaient disparus.

Même l'or de Goryog, ne parvenant pas à retenir ses larmes de retrouver ainsi sa précieuse fille, ne parvenait pas à réconforter Caderousse. La jeune mercenaire n'arriva pas à dormir ni la nuit suivante, ni celle d'après.

Elle ne retrouvât le sommeil que lorsque la petite cérémonie habituelle de funérailles fut donnée par Guillausme et Rouxanne, en l'honneur de leurs deux camarades disparus au pieds de Castellugbre.

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