- Peuple des Lans!

La voix, amplifiée par un enchantement, résonna dans tout l'espace occupé par l'assemblé. Les trois quarts du duché était là, des champs entiers étaient loués pour faire dormir les plus démunis, et toutes les auberges des environs étaient pleines à craquer.

- Peuple des Lans! Soyez fiers aujourd'hui! Depuis plusieurs semaines, le duché selectionne par des concours de haut niveau les meilleurs chevaux des Lans. Depuis plusieurs mois, vous participez tous, directement ou non, à la préparation de ces chevaux. Depuis plusieurs années, vous les élevez et vous les dressez. Depuis des dizaines d'années, vous sélectionnez vos meilleurs étalons et vos meilleurs poulinières pour ameliorer et enrichir cette race dont nous sommes si fiers. Depuis des siècles, ce duché, qui est Votre duché.

Sinan balaya du regard ce peuple silencieux et docile. Croyaient-ils à ses paroles de démagogie? Sans doute pas, mais ces mots leur permettaient de faire semblant et d'avoir une raison de s'amuser.

- Peuple des Lans, voyez autour de vous tout ces voyageurs venus d'autres duchés, d'autres pays, parfois même au delà de l'Empire! Faisons leur bon accueil! Il n'y a plus d'ennemis aujourd'hui, il n'y a que la passion de l’excellence du cheval. Soyez les bienvenus, visiteurs! Voyez comme ce duché est grand, non seulement par sa taille, mais aussi par la noblesse des Lan'Ouhi qui a sut faire corps avec son peuple, e meme avec ses montures!

Il y eut un leger tressaillement dans la foule, presque imperceptible. Mais le duc, qui avait volontairement cherché à le créer, ne le manqua pas. Il sourit, méprisant et lucide. Tout aussi pitoyable que soient chacun de ces individus, ils formaient un groupe des plus fascinant. Dans ce duché, un homme du peuple est méprisable, mais le peuple admirable. Leur façon d'être soudés sans le dire, d'être unis sans le montrer, et de toujours maintenir une attitude accusatrice envers la noblesse, il y avait là quelque chose qui perturbait Sinan. Ils ne se révoltaient pas, mais ils continuaient de reprocher quelque chose, silencieusement.

- C'est donc avec une immense fierté que je déclare ouverts les Jeux du Lans! En piste vers l’excellence et bonne semaine à chacun!

En pratique, les jeux duraient plus d'un mois, mais les premières semaines se déroulaient dans les différentes baronnies, comté, ... et permettaient une première sélection. Elles étaient organisés par les éleveurs, tandis que la dernière semaine, entièrement "officielle" était entièrement gérée par le duché et, de fait, beaucoup plus impressionnante.

Lorsqu'Anima avait entendu parler des jeux du Lans, organisé par son voisin le duc Sinan Ouhi il voulut s'y rendre. Tout en discrétion bien sur, à la manière Féral. C'est donc monté sur un imposant Find'hus, ces chevaux à la crinière et aux pattes enflammées, au prix exorbitant importé de Feu. Le seigneur démoniaque avait voulut créer une unité de cavalerie d'élite avec ces bêtes mais la tache s'était avéré difficile car les cavaliers ignifugés n'étaient pas légion. La cavalerie traditionnelle avait encore de beaux jours devant elle, aussi ne maquerait-il pas de jeter un œil attentif au chevaux d’exceptions lors des jeux.

Le démon traversa la foules qui s'écartait éberlué devant sa monture. Au travers des flammes Anima abordait un sourire satisfait devant l'incrédulité affichée des paysans. Ses deux espadons luisaient dans le reflets du feu alors que sa cape flottait dans le vent projetant des étincelles. Voila ce qu'était un seigneur démoniaque, un vrai. Le peuple n'était pas près d'oublier cette image. Le patriarche des Férals s’élança sur la route qui serpentait entre les tentes et les auberges montées pour occasion. A sa suite venait ses gardes, deux démons musculeux monté sur des hongres noirs totalement caparaçonné dans un métal sombre. Les deux guerriers étaient torse nu, ailes déployées leurs lances monstrueuse pointées en avant. Quatre soldats humains en armure lourde ornée de piques fermait la marche, chacun équipé d'une arbalète aux carreaux noirs et de sabres en stratium.

Au fur et mesure que le cortège avançait la foule lui ouvrait un passage. Ils atteignirent le champ de course ou se trouvait le duc alors que celui-ci venait de finir son discourt. Mettant pied à terre Anima laissa sa monture au pied de l'estrade grimpant quatre à quatre les marches le menant à la loge ducale. Il sauta la barrière et vint s'assoir sur un banc à coté du siège du duc.

- Mon Seigneur, mon Seigneur, pressa un le chargé des relations diplomatique dès que Sinan eu finit son discours. Mon Seigneur, le Regent Anima Féral est là.

Le Duc, qui s'était interrompu dans un geste de salut à la foule, baissa les bras sans retenir un soupire exaspéré. Et jaloux aussi, de realiser que l'animation dans la foule n'était pas tant due à son magnifique discours qu'à la présence d'un perturbateur.

En soit, Sinan n'avait rien contre la race démoniaque en elle même. Le fait qu'ils souhaitent envahir le monde pour, selon les versions, l'unifier ou le détruire, ne le dérangeait pas particulièrement. Et il aurait même put fermer les yeux sur le fait qu'Aile Tenebreuse ait détrôner les souveraines suprêmes de Sen'stura. En revanche, il ne pouvait tolérer l'idée qu'on ait confier la régence de duché à des guerriers étrangers, sans aucun lien et aucune histoire commune avec ce monde. La noblesse du sang, ancienneté de la famille, étaient indispensables car sans eux, aucun apprentissage, aucune compréhension des complexes codes des interaction sociale dans la noblesse n'étaient possibles.

Bref, il meprisait ces gros bras dont la seule diplomatie consistait à faire le plus de bruit possible.

- Monsieur le Régent Féral, quelle agréable surprise de vous voir parmi nous, et quel honneur! On ne vous voit pas beaucoup dans les bals et les dîners de noblesse. Si j'avais sut qu'une simple animation équestre suffisait à vous faire participer à la vie mondaine, nous aurions organisé ça plus tôt. Ne croyez pas que nous cherchons à vous mettre à l'écart, la famille Férals a fait beaucoup pour notre pays et nous tenons à faire connaitre notre gratitude.

Le "nous" facticement entretenu par Sinan désignait cette noblesse qui s'était courbée devant Aile Tenebreuse après avoir vu la moitié des siens se faire déposséder ou exécuter. C'était surtout une façon pour le duc de faire comprendre au régent qu'il y avait d'un coté la noblesse, la vraie, les anciens, les initiés, et de l'autre ces petits nouveaux qui savaient sans doute bien jouer à faire la guerre mais qui n'obtiendraient pas leur entrée dans ce petit cercle de privilégié par les mêmes moyens.

- La première épreuve ne devrait pas tarder, et je pense qu'elle sera à votre goût.

La pertinence de l'affrontement à venir avait toujours fait débat dans le duché. Elle consistait très simplement en un duel, le plus souvent à mort, entre deux chevaux. Geographiquement, les habitants des alentours du château du duc, au centre du duché, étaient les plus opposés à cette pratique, tandis que le reste de la population, plus nombreuse, la défendait ardemment. Les "antis" avaient fait des pieds et des mains pour supprimer cette épreuve "ridicule", "indigne", "inadaptées", tandis que les "pro" vantaient les frissons qu'elle donnait au public, sans que celui ci ait besoin de connaitre quoique ce soit à l'élevage et le dressage des chevaux.

Evidemment, obtenir un combat entre deux chevaux, paisibles herbivores craintifs, n'était pas chose facile. Rares étaient les éleveurs qui souhaitaient perdre du temps et de l'argent à élever, héberger, nourrir un cheval destiné à mourir dans un tel combat. Le plus souvent, il s'agissait donc d'étalons particulièrement agressifs, dont le dressage avait échoué ou qui s'étaient avérés infertiles. Des erreurs de parcours qui conduisaient les bêtes à ce destin funeste ou glorieux, selon l'avis du public ou l'issu du combat.

Sinan jetta un regard curieux sur Anima. Ne disait-on pas que son propre fils avait enduré l'Arène pendant des années entières? Finalement, nous sommes tous un peu des bêtes songea le duc avant de rectifier Finalement, il n'y a dans ce monde que des nobles et des bêtes, mêmes s'il arrive que celles-ci prennent le pouvoir ou soient nommés aux régences, cela reste des animaux aux pulsions mal maîtrisée.

Le démon s'assit à coté du seigneur des lieux alors que sa garde personnelle prenait place au bas de l'estrade. Le duc des Lans annonça le combat de chevaux, cérémonie d'ouverture des jeux. Anima, contrairement à ce qu'il laissait paraitre sous ses airs de guerrier bourru et sanguinaire était un véritable politicien, aussi habile dans les jeux de cour qu'à la bataille. Mais en gardant cela secret il conservait un avantage de taille sur ses interlocuteurs, on ne méfie jamais assez des idiots. Le patriarche des Féral s'était renseigné sur ses voisins, aussi savait-il à quel point Sinan détestait les régents pour leur noblesse "usurpée" mais a vrai dire cela ne l’inquiétait guère car le duc détestait aussi les roturiers et un certains nombres de noble de sang. Il n'aimait personne, un vieillard aigris en somme. Mais un vieillard aigris qui dirigeait le plus grand duché de l'empire ! Être dans ses bonnes grâces semblait être impossible mais ne pas être en conflit constituait déjà un bon début. D'autant plus que le vieux duc se trompait sur le compte du démon. Il était un seigneur par ses gènes et par son sang tout autant que lui. Sur Zelphos il avait personnellement régné sur le pays d'Argonth plus longtemps que la famille Lan Ouri sur les plaines. Toute l’ascendance noble dont le duc était si fier était moins âgée qu'Anima lui même. Mais un humain pouvait-il saisir les pensées d'un être millénaire ? Les mouvements effrénés des nobliaux faisait sourire Anima, ses plans à lui se déployant sur des dizaines, voir des centaines d'années. Un pavé tombant dans une mare cause beaucoup de remous, mais face au ras-de-marée il ne peut rien. En revanche un amas de cailloux peut dévier les flots aussi convenait-il d'écarter les roche du chemin a mesure qu'elles apparaissaient.

Le seigneur démoniaque reporta alors son attention sur le combat qui faisait rage dans l'enclos. Deux magnifiques étalons se battaient, dans la poussière et le sang. La sueur perlait à leurs flancs alors qu'ils donnaient tout ce qu'il avaient de rage et de haine dans la mêlée impitoyable. Soudain le sabot de l'un heurta la boite crânienne de l'autre la brisant net. La cervelle se répandit pas l'ouverture alors que l'animal s'effondra sur le sable. L'affrontement avait été sans pitié, les deux protagonistes étaient de vrai guerriers. Anima ne détacha pas les yeux de la scène jusqu’à ce que l'on emmène les deux bêtes, moment où il s'adressa au duc.

La question pouvait paraitre incongrue et déplacée surtout si on prenait en compte les rumeur sur les meurs des démons. S'il est vrai que les vaincus finissaient bien souvent dans l'estomac des vainqueurs en Argonth cela n’empêchait pas un profond respect des plus puissants combattants. Ceux-la étaient les seul à bénéficier d'une sépulture. Les anciens démons s'étaient opposé fermement a cette pratique en avançant que l'ordre naturel était que le fort mange le faible, ainsi l'ordre était préservé. Anima avait tué et manger chacun d'entre eux, plus personne ne s'était opposé a lui après cela, l’ordre c'était lui désormais. Le démon avait compris qu'il était important de conserver une trace de son histoire, de laisser un impact sur le monde afin de rester dans les mémoires. Sans cela il était impossible de construire un peuple, une nation où une civilisation. En moins de 500 ans le pays avait plus évolué sous l’influence d'Anima qu'en 3000 ans auparavant aussi était-il convaincu d'avoir raison. Le peuple pour exister à besoin de héros, de légendes et de mythes. Les Mysticiens semblaient avoir compris cela depuis bien des années ce qui expliquait leur avance civilisationnelle sur Zelphos. Même s'ils semblaient faire tout cela inconsciemment, peut-être était-ce la nature de l'homme que de vouloir bâtir et celle du démon de détruire. En ce cas Anima était bien plus humains que certains humains. Alors que ses pensées atteignaient ce point un sourire apparut sur ses lèvres, il aurait était bien curieux de savoir ce que le duc l'imaginait penser, au combat ? au sexe peut-être ? Levant le regard il attendit que le duc annonçasse la suite des événements.

~ La famille des Lan Ouri a longtemps dirigé les plaines et pour ce que nous avons pu en voir elle sont plutôt florissante preuve que le travail est bon. ~

Le duc bomba légèrement le torse, avant de tiquer sur la formulation employée par le démon. "a longtemps dirigé les plaines". Cela sous-entendait que ce n'était plus le cas? Où que ce ne serait bientôt plus le cas? Le regard du vieil homme se fit plus méfiant; le démon était peut être plus fin d'esprit qu'il ne l'avait pensé. Si Anima commençait à parler le langage acéré de la politique aristocratique, cette conversation promettait d'être aussi périlleuse que délicieuse. A l'image des deux étalons engagés corps et âme dans leur fatal combat, une innocente discussion pouvait facilement entraîner les deux interlocuteurs dans des affrontements de l'esprit, avec pour seules armes la voix et le regard. Et même après des dizaines d'années, Sinan ne se lassait pas de ces joutes endiablés.

~ Que faites vous de la dépouille ? ~

Sinan haussa un sourcil, surpris.

- Cela dépend du propriétaire, mais elle est le plus souvent brûlée. Bien que ce ne soit pas interdit, c'est assez mal vu de manger de la viande de cheval chez nous. Et personne ne se risquerait à goûter à un étalon aussi enragé, ce genre de caractère est assez rare et peut résulter d'une maladie ou d'une infection...

Il resta pensif un instant. Le sort de la carcasse ne l'avait jamais préoccupé, et l’intérêt du féral pour cette question le perturbait un peu.

- Que pensez vous des montures que nous vous avons fourni? Et je vois que vous êtes venu seul... Le reste de votre grande famille n'a t-elle pas le temps d'accompagner leur doyen dans ses distractions? On dit que vos descendants s'impliquent beaucoup dans la stabilisation et l'expansion de l'Empire. Quelle fierté cela doit être pour vous!

Un serviteur passa avec un plateau garni de multiples amuses-bouches qu'il présenta à Sinan. Celui-ci eut un sourire agacé et repoussa la proposition. Il faut vraiment que je pense à renvoyer ses incompétents qui sont incapables d'apprendre que ce genre de dégustations m'insupporte plus qu'autre chose. 20 ans à travailler au le chateau, et aucun effort pour apprendre quoi que ce soit!