Il y avait de quoi en avoir le tournis, tout ce monde, cette excitation, ces voix, ces rires, ces odeurs et… ces proies aussi alléchantes les unes que les autres. Amaterasu se tenait dans l’ombre d’une colonne en bois, au milieu de cette pièce de réception dans la demeure d’un petit nobliau d’un petit coin perdu des Plaines Mystiques. Elle n’était pas dans son environnement et surtout elles lui manquaient, ses chaînes. Leurs poids apportaient un sentiment de sécurité et maintenant, elle se sentait comme nue quand la faim ne lui brouillait pas encore trop l’esprit. Evidemment qu’elle n’avait pas pu les prendre avec elle, ce serait trop attirer l’attention et elle n’avait aucune envie d’être reconnue par une personne qui connaitrait l’esclave et garde du corps en fuite. C’était une petite fête mondaine mais sans grand invité de marque, par exemple, on ne s’attendait pas à y voir débarqué le général de l’Armée Céleste ou un certain Conseiller Noir. Mais il y avait pourtant un invité très important, la raison pour laquelle la succube était présente. Là, il venait d’apparaître dans son champ de vision, un beau brun ténébreux au sourire à faire glousser toute la gente féminine. La rousse, elle, ne gloussa pas, non, elle fixa son regard rougeoyant et bien pétillant ce soir, chose fort rare, d’une faim loin d’être innocente. Comment était-elle entrée dans cette soirée mondaine ? Très simple, un peu de charme auprès des « chiens de garde » à l’entrée, une main effleurant un bras et on lui avait laissé libre passage. Vêtue d’une robe (volée bien sûr) rouge avec des fleurs brodées d’or et des branchages noirs et ors, un décolleté généreux, l’esclave ne tranchait absolument pas avec le niveau vestimentaire des autres dames présentes. Presque méconnaissable, ses cheveux étaient soyeux, propres et retenus en un chignon bien plus raffiné, sans mèche rebelle contrairement à son habitude. Deux de ses cicatrices étaient visibles avec son décolleté, mais encore fallait-il les remarquer maintenant qu’Amaterasu relâchait très fortement une aura charmante et tentatrice, mettant bien plus en avant sa beauté.
Si faim, depuis hier, la succube se retenait. Ses compagnons de route avaient bien compris ce qui se passait quand elle avait abandonné tout instant de solitude, cherchant clairement leur compagnie, se faisant bien plus tactile avec Nathaniel mais aussi Rhys et Ashe. Rhys qui y vit ainsi une bonne occasion à essayer, quoi de mieux que de jeter au milieu d’humains festifs une succube affamée pour qu’elle croise un beau et jeune dragon dont les promesses de fougue ne pourraient pas la laisser indifférente ? Amaterasu préférait les combats, pas la succube. Un combat leur coûterait bien plus cher, un moyen détourné et plus suave, ils seraient gagnants. Et voilà comment la rousse se trouvait maintenant ici, capturant de son regard le brun ténébreux, l’attirant à elle avec un sourire séducteur. Toutes les autres femmes venaient de s’effacer autour d’elle.
Approches donc petit, il n’y a que moi qui ait de la valeur à tes yeux. Viens, sens mon doux parfum, prends ma main et effleures la de tes lèvres, bientôt, tu seras mien.
Leur rencontre devint le centre d’attention de toute la populace de la fête mondaine, mais peu importait, Amaterasu laissait bien plus place aux instincts de la succube mais avait encore une certaine prise sur elle, s’empêchant de commencer son festin sur place, à envoyer au diable tout ce qui était bonnes manières et bonnes mœurs. Si faim et pourtant, la rousse prit le temps du jeu du charme et de la mise en confiance de sa proie. Telle une araignée tissant sa toile et son cocon autour du dragon, elle se fit bavarde et rieuse, se tenant aux bras du brun qui entrait dans le jeu. Sa jeunesse lui empêchait-il de se dire qu’une telle femme si belle et si séduisante ne pouvait exister ? Qu’un danger le guettait au tournant ? Non, Amaterasu ne lui laissait de toute façon aucun instant pour penser clairement même si elle savait jongler de manière à ce que le dragon se croit le maître de leur danse. En parlant d’une danse, la succube lui en accorda une, prenant plaisir à s’afficher, profitant d’une proximité plus grande pour lui infliger un vertige d’envie et de désir, lui faisant perdre tout repaire.
Maintenant, il était temps d’arrêter ce jeu superficiel. Le dragon que se révélait être un petit agneau face à elle était cuit à point, il ne restait plus qu’à le savourer. Amaterasu n’eut aucun mal à le faire sortir à sa suite pour une balade dans le bosquet aux alentours de la demeure du nobliau. La succube ne voulait pas de témoin et c’est dans la pénombre qu’elle alla commettre son méfait. Quoique ce fut le dragon qui se jeta sur elle en premier. L’inconscient, le délectable inconscient. Jeune et fougueux dragon qui pensait vainement fatiguer avant lui la succube si insatiable. Le réalisa-t-il ? Ses forces, son énergie qui lui étaient aspirées et la rousse se faisant plus dominatrice au fur et à mesure ? Non, il était bien trop perdu dans ce voyage de deux êtres unis dans les limbes des plaisirs charnels. Il était dans un tout autre monde, ne ressentant pas ses mains être attachées avec les lambeaux de la cape qu’il portait et que la rousse avait déchiré à mains nues. Une précaution d’Amaterasu même si, maintenant, il était évident que le brun ténébreux n’aurait plus la force ni suffisamment de conscience pour se transformer et réagir à sa mort imminente.
"Aimes-tu les rubis ?"
Une question surprenante, inattendue et pourtant d’une importance cruciale pour la rousse qui prolongeait l’agonie délectable du dragon incapable de lui mentir à cet instant. Oui, il ne pouvait qu’aimer les rubis, aussi rouges et beaux qu’elle et regrettait de ne pas en avoir en sa possession. Deviendrait-elle sienne ? Ah, elle le savait, ce ne pouvait être lui, mais elle en avait confirmation. Un sourire énigmatique s’installa sur les lèvres, laissant donc ses fantasmes à cet être, elle ne briserait pas son rêve de l’avoir rien que pour lui. Elle ne s’amusa pas à lui faire comprendre qu’elle était en train de le tuer, l’ayant sous son emprise, assis et attaché contre un arbre. C’est en une chevauchée que le dragon s’engouffra jusque dans la pénombre des limbes, ressentant encore un état extatique durant quelques secondes avant d’être frappé par la dure vérité… sa mort…
Amaterasu se releva, regardant le brun devenu si pâle et desséché. Elle ne s’était pas arrêtée, elle savait avoir carte blanche, alors elle lui avait tout prix avec gourmandise, se nourrissant bien plus que nécessaire. C’était rare qu’elle tue ainsi, et maintenant qu’elle reprenait ses esprits, la succube dorénavant assouvie, elle ne savait quoi en penser. Cette faim qui l’amenait à se souiller la dérangeait parfois mais là, elle y avait une utilité. Un dragon venait de rendre l’âme, alors, pourquoi s’en faire ? La rousse ramassa sa robe qu’elle revêtit, elle ne prit pas la peine de refaire son chignon qui ne méritait même plus de porter ce nom-là et elle se saisit par les cheveux du cadavre qu’elle traîna jusqu’à la cachette de ses compagnons, l’abandonnant alors aux pieds de Rhys. Elle était redevenue elle-même, ne voyant aucun besoin de parler et elle s’éclipsa pour retrouver sa solitude adorée et aussi se permettre un brin de toilettes avec les moyens du bord.