Sybaris, la démone au serpent

Quiconque a passé plus de dix minutes avec Sybaris peut dire sans difficulté que c'est une femme caractérielle, bornée, vindicative, orgueilleuse, narcissique, hautaine, froide - mais tout sauf frigide - et surtout passablement de mauvaise humeur à toute heure de la journée. Enfin, presque à toute heure : prenez-la - sans mauvais jeu de mot - à sa sortie de bain et vous trouverez une personne différente, presque ... agréable.

Sybaris veut tout et tout de suite tant qu'à faire. Impatiente et éternelle insatisfaite, elle adore jouer avec ses conquêtes ou ses cibles, mais se lasse très vite dès lors que sa proie se donne à elle. Et notre belle amie est du genre à faire très vite et très clairement comprendre quand elle s'ennuie ... ou qu'on l'ennuie. De part son caractère plus que trempé, Sybaris doit se faire grande violence lorsqu'il s'agit d'obéir à des ordres qu'elle ne peut refuser si elle tient à la continuité de son existence. Ce qui la rend généralement de plus mauvais humeur encore ... Une démone à prendre avec des très fines pincettes !

Ceci dit, une rumeur prétend que si l'on sait se la mettre dans la poche, Sybaris peut se montrer douce et avenante, encore faut-il avoir les atouts qui sont à même de l'amadouer ... Et vu l’éclectisme de ses goûts et le côté lunatique de son humeur, il peut parfois être ardu de savoir ce qui précisément la fera s'adoucir ... Par contre, si on stimule sa mauvaise condition, on comprend vite à quel point elle est aussi démoniaque que sa nature. Sybaris peut faire preuve d'une rare violence au cours de ses accès de colère, passant ses nerfs sur tout - et tous ceux - qui lui passe sous la main.

Dernier point, et non des moindres : si elle est particulièrement douée dans l'art de la haine, on la dit incapable d'éprouver certains sentiments, tel que l'amour, la compassion ou encore la pitié ... Vous me direz, on n'en attend pas moins des démons ...

"... J'ai toujours trouvé étrange tout ce qui est dit sur ces terres au sujet des démons. On s'en fait tout un plat, on s'imagine les pires choses, on pense que tous sont des ignominies élevant la cruauté et la méchanceté au rang de sacrosaintes valeurs ... Mais au fond, les gens ignorent tout de ce qu'est la vie en ces terres infernales ... Après tout, si on met de côté l'hostilité des lieux et de ses habitants, les mondes démoniaques ne sont pas moins civilisés que Terra ... Un peu plus chauds, peut être, oui ... quoique, comparé à Feu ...

Tiens, par exemple, la famille. Ici, sur Terra, j'ai entendu dire que les démons ne pouvaient pas éprouver de sentiments comme l'amour - bon, certes, ce n'est pas entièrement faux -, et que par conséquent ils n'avaient aucun respect des liens familiaux ... Là j'ai envie de dire : ça arrive aussi chez les humains ! J'veux dire, j'en ai vu, au cours de ces quatorze dernières années, qui auraient vendu toute leur famille pour avoir la vie sauve ... Chez les démons de Zelphos, bien souvent, les carnages sont une histoire de famille ... Tiens, prend les Férals ... Bon, okay, leurs liens sont parfois discutables, mais ça prouve que les démons savent fonder des familles plus ou moins unies ... Oui, bon, je l'admet, tuer ses enfants s'ils ne sont pas dignes, c'est vrai que c'est un truc que les gens "bons" ne font pas ... Oui mais, la bonté et le mal, c'est bien joli, mais à partir de quoi on se base ? Non parce que, pour un démon, éliminer ceux de sa famille qui ne servent à rien, c'est d'une banalité ... Mais mettez un peu les pieds en Zelphos, vous verrez qu'en fait, c'est rendre service que de faire preuve d'eugénisme. Les faibles sont un fardeau, tant pour leur famille que pour eux-mêmes. Et puis, la mort est une délivrance, pas un châtiment ... Père le disait souvent ...

En parlant de Père ... Il me manquerait presque, en réalité - ce qui prouve que les démons sont capable de ressentir les liens filiaux - car il est vrai qu'il était un de ces êtres qui savent se faire respecter. Mère l'a entre autre choisi pour ça, d'ailleurs. Tu vois, Mère est une démone assez faible physiquement, mais douée d'une intelligence perfide à souhait, et elle a su s'entourer de ses congénères les plus puissants parmi les plus bête. Sauf Père. Il en fallait bien un au-dessus du lot, sinon notre famille aurait été décimée depuis ... en fait notre famille n'aurait pas su naître ... Elle aurait été écrasée, éradiquée, pulvérisée, si Mère et père n'avaient su se montrer utiles pour ceux qui tiennent le haut du podium. Oui, comme les Férals ou ce cher Aile Ténébreuse - ce nom, sérieusement ... il me semble qu'il a massacré celui qui lui avait conseiller cela ... - mais bien d'autres aussi. Ma famille n'est pas de celles qui se font le plus remarquer : assez pour survivre, pas trop pour les mêmes raisons.

Quand on y regarde de près, ma famille n'est pas si éloignée des familles traditionnelles de Terra. Tu vois, je suis la petite dernière. Bon, j'ai pas de mérite à être appréciée, les deux rejetons avant moi étaient mal formés et faibles. Un des deux a eu la décence de crever tout seul au bout de quelques heures ... Il a fallu que Mère étripe elle-même l'autre. Enfin bref ... Je disais donc, je suis la plus jeune : au-dessus de moi, il y a sept frères et dix sœurs. Ouais, tu vois, tu commences à saisir pourquoi je suis bien sur Terra, tout compte fait ! Bon, j'vais pas faire l'ingrate non plus, j'ai pas eu une enfance ni une adolescence terrible. Quand l'un d'eux me collait des emmerde, j'lui collais vite fait mes griffes dans la tronche. D'ailleurs, jusqu'à mes quinze ans, nous avions en fait huit frères. Nous n'avions jamais vu Mère et Père aussi fier de moi alors que je trainais devant eux le cadavre du petit dernier. C'est étrange comme certains démons ne supportent pas le poison. Je le souviens, sa tête avait gonflée, il était méconnaissable. Remarques, même sans ça, il était déjà pas bien ... agréable à regarder, on va dire. Non mais sans rire, il était tellement laid qu'il en faisait peur aux démons de seconde zone ! Et vraiment, c'était une très bonne idée que j'ai eu de l'éliminer, Mère m'a récompensée pour ça : ce serpent, celui qui t'as quelque peu étouffé tout à l'heure, c'est son cadeau ! Un de ses meilleurs serpents, tu imagines ! Oh que j'étais heureuse ce jour-là ... Et puis Ssyfryss est tellement en symbiose avec moi. Mère choisit toujours très bien, c'est un véritable don !"

La démone marqua une pause, le regard plongé dans celui de son familier, comme submergée par ses souvenirs.

"En fait, j'avoue que je suis assez nostalgique de cette période ... Il y a trente-cinq ans, la vie à Zelphos n'était pas si mal. Mais c'était assez ennuyeux, tout de même ... C'est pour ça que je me suis engagée dans l'expédition d'Aile Ténébreuse. Oui, bon, aussi parce que si je ne l'avais pas fait, Père et Mère m'auraient déchue de mes droits ... C'est que, tu vois, être paria en Zelphos, ce n'est pas très sain ... paraît que ça donne des ulcères ... Mère était fière que je sois prise. Père lui, il était fier de m'avoir bien entrainée. Ces Kriss en ont tué du Rebelle ! Ah ça ... En arrivant sur Terra j'ai redécouvert le plaisir de tuer et de faire souffrir. C'est tellement délicieux ... Toi-même tu sais ...

Et donc, cela fait déjà quatorze ans que j'ai quitter ma terre natale pour m'installer ici. Au final, je ne suis pas restée dans l'armée. Suivre des ordres à longueur de journée, ce n'est pas mon truc. C'est fatiguant. J'ai par contre découvert que ma forme humaine était très appréciée des autochtones. Toi-même tu m'as trouvée très à ton goût, n'est-ce pas ? C'est donc naturellement que je me suis forgée une nouvelle place, au sein de Sen'tsura et de l'entourage de notre chef. Comme les miens sur Zelphos, je me suis laissée être remarquée suffisamment pour ne pas trop craindre pour ma vie, tout en restant suffisamment discrète pour ne pas attirer l'attention sur moi. Œuvrer dans l'ombre en attendant mon heure de gloire.

Être courtisane, c'est vraiment très plaisant. On entend pleins de choses, sur l'oreiller. Les gens sont tellement enclins à la confidence lorsqu'ils sont entre de bonnes mains. Et puis le sexe ... Tu vois, sous ma vraie forme, je ne peux pas faire grand chose ... J'ai pas le physique pour, on va dire. Mais ma forme humaine, sur Zelphos, c'était pas des plus sécurisants, tu vois ... Alors qu'ici ... Ah, je m'amuse tellement ! Toi-même, tu m'amuses beaucoup ...

Oh mais, au fait, c'était quoi déjà ta question ?"

La jeune femme, nue devant son "jouet" qu'elle avait enchainé et qu'elle torturait depuis plusieurs heures à présent, observa avec un étrange regard, presque compatissant, l'humain reniflant. Celui-ci du rassembler tout son courage - du moins ce qui lui restait - pour répondre sans trop bafouiller.

"Je ... Je v-vous d-demandais p-pourquoi vous étiez aussi cruelle ... ?"

La démone, les yeux pétillant et un rictus malsain sur le visage, reprit alors sa forme originelle et s'approcha doucement de son "invité" avant de l'attraper par le cou :

"Oh ... Mais, parce que je suis une démone ..." conclu-t-elle avant d'enfoncer, en un craquement sinistre, sa main osseuse et griffue dans la poitrine de l'humain, répandant ainsi le sang sur la couche. Avec une lueur de folie dans le regard, Sybaris extirpa un cœur chaud et encore palpitant qu'elle mordit à pleine dent, satisfaite de sa - sale - besogne.